{{Cent Chapitres sur la perfection spirituelle — 95.}} C’est chose difficile à acquérir que l’humilité : plus elle est grande, plus elle exige de luttes pour se réaliser. Elle a deux façons d’échoir aux participants de la sainte science. Tant que l’athlète de la piété en est au stade moyen de l’expérience spirituelle, ce sont ou bien les infirmités du corps, ou bien ceux qui haïssent à contretemps les observateurs de la justice, ou bien de mauvaises pensées, qui l’amènent à former une manière de sentiments plus humbles. Mais quand, dans une grande intimité et plénitude, l’intellect a été illuminé par la sainte grâce, alors l’âme possède l’humilité comme par nature. Engraissée vraiment par la bonté divine, elle n’est plus sujette à s’enfler de la boursouflure de la vaine gloire, même si elle pratiquait sans trêve les commandements de Dieu ; bien plutôt se juge-t-elle plus basse que tout, parce qu’elle participe à l’équité divine. La première humilité comporte le plus souvent chagrin et abattement ; la seconde, de la joie avec une réserve toute sage. Aussi l’une, comme je l’ai dit, arrive à ceux qui sont au milieu de la lutte, l’autre est accordée â ceux qui approchent de la perfection. C’est pourquoi la première devient souvent le jouet des prospérités de cette vie ; à la seconde, on peut offrir tous les royaumes de la terre : ni elle ne s’exalte, ni elle ne sent le moins du monde les traits menaçants du péché ; c’est que, étant toute spirituelle, elle ignore complètement les vanités du corps. Mais il fallait de toute façon que l’athlète passât par la première pour atteindre la seconde; car si par la première la grâce n’amollit d’abord notre volonté en lui appliquant des souffrances éducatives à titre d’épreuve, non de contrainte, elle ne peut nous octroyer la magnificence de la seconde.