Dans son Peri Euches, avant d’aborder l’étude positive de la prière, Origène a un devoir à remplir. Il doit répondre au désir d’Ambroise et de Tatiane et leur montrer que, en dépit des arguments des adversaires, il est toujours nécessaire de prier.
Et d’abord quels sont les adversaires de la prière. Ils sont de deux sortes : les alliées complets et ceux qui, tout en admettant Dieu, nient sa providence. Ces hommes devraient être les seuls, semble-t-il, à défendre une telle opinion. Mais la « puissance adverse » a suscité encore une troisième catégorie de personnages qui viennent à leur tour nier la nécessité de la prière et ceux-là se réclament du Christ. Ce sont des hérétiques qui ne veulent ni du baptême ni de l’eucharistie et soutiennent, en s’appuyant sur l’Ecriture, l’inutilité de la prière (PE 5,1).
Origène ne nous donne pas plus de renseignements sur ces hérétiques. Clément d’Alexandrie nous parle des disciples d’un certain gnostique du nom de Prodicus qui eux aussi proclamaient l’inutilité de la prière (Clément d’Alex. Stromates, l. VII ch. 7, 41.). Peut-être Origène fait-il allusion ici aux partisans de cette secte, en tout cas le caractère général de ces doctrines nous est donné. Nous sommes en présence d’hérétiques, qui, en s’appuyant sur l’Ecriture, croient pouvoir se passer des manifestations extérieures de la piété, rites ou paroles.
Origène néglige les deux premières classes d’adversaires. Il veut seulement répondre à ceux qui affirment Dieu et la Providence et il va, tout d’abord, sur l’invitation d’Ambroise et de Tatiane, exposer leurs arguments (P. E., 5, 2-6). Ces arguments sont formulés en deux thèses : 1er) La prescience divine rend toute prière inutile. Dieu sait tout ; il connaît d’avance ce qui nous manque ; à quoi bon alors le lui demander ? L’Ecriture ne dit-elle pas que Dieu sait ce dont nous avons besoin avant que nous le lui demandions ? N’est-il pas plus sage de s’en remettre au Père qui veille sur ses enfants que de lui adresser des prières qui peuvent être souvent imparfaites et condamnables? 2e) La prédestination divine rend toute prière inutile. Les desseins éternels de Dieu ne sauraient être modifiés. Prier pour changer la volonté suprême est aussi absurde que de prier pour que le soleil se lève ou pour qu’il fasse chaud en hiver, il est inutile de prier pour obtenir la rémission des péchés ou le secours de l’Esprit. Ceux qui doivent être sauvés sont prédestinés avant même la fondation du monde et, l’homme se trouve pris dans le dilemme suivant : ou il fait partie des élus et ne peut perdre son élection et alors la prière est inutile ou bien il fait partie des réprouvés et alors il prie en vain, car sa prière, fût-elle répétée mille fois, ne sera pas entendue.
Tels sont les arguments des adversaires qui, pour défendre leurs thèses, invoquent l’autorité de nombreux textes bibliques.
Origène va maintenant réfuter les arguments ainsi exposés et rassurer Ambroise et Tatiane (P.E. 6).
Les adversaires soutiennent que l’homme agit fatalement, Origène va démontrer au contraire que l’homme est libre. Il envisage la nature tout entière et classe les êtres et les choses d’après le rapport qu’ils ont avec la liberté. En haut de l’échelle se trouve l’homme, être vivant, raisonnable et libre. L’homme se sent libre ; il a nettement conscience que c’est bien lui et non un autre qui mange, qui se promène, prend telle ou telle décision, accomplit tel ou tel acte. Et puis, le fait que nous rendons les hommes responsables de leurs actions suppose bien que nous les croyons libres. S’ils étaient conduits par une fatalité aveugle, ils ne pourraient être en aucune façon responsables. Or qui n’accuse un fils ingrat? Qui ne blâme une femme adultère ?
Il ne faut pas dire que la prescience divine vient détruire la liberté humaine. La prescience divine n’est pas la cause des événements. Un événement qui doit arriver n’arrive pas parce qu’il est prévu, mais il est prévu parce qu’il doit arriver.
Dieu prévoit les actions libres et alors il dispose ses plans suivant ce libre arbitre lui-même. Dieu prévoit que tel homme fera volontairement le bien ou le mal et il prend les mesures nécessaires pour que cet homme-là reçoive la récompense ou le châtiment qu’il mérite. Il prévoit que tel homme priera pieusement, il décide alors de l’exaucer et arrange le cours des choses à cet effet ; de toute éternité il proportionne ainsi l’exaucement à la valeur de la prière par une décision immuable et en le faisant rentrer dans l’ordre providentiel.
Ainsi se trouvent réfutés les arguments des adversaires de la prière. Toutefois une question embarrasse encore Origène. Les adversaires disent qui est aussi inutile de prier en général que de prier pour que le soleil se lève. Origène veut aussi répondre sur ce point. Le soleil, la lune, les étoiles sont des êtres vivants, doués d’un corps subtil. Ils possèdent le libre arbitre et Dieu s’est servi de ce libre arbitre pour établir l’harmonie des cieux et le cours invariable des astres. Mais, tandis que nous autres mortels nous pouvons aisément sortir de la droite voie, les astres ne peuvent pas se laisser influencer par des choses étrangères. Leurs révolutions deviennent immuables parce qu’elles sont le fruit d’une décision immuable de leur libre arbitre. Il est donc parfaitement inutile de prier pour que le soleil se lève, mais cela n’infirme en rien la thèse générale de la nécessité de la prière, et les adversaires d’Origène sont encore une fois battus (P. E. 6).