législation (Orígenes)

L’interprétation spirituelle est pour celui qui peut montrer quelles sont les réalités célestes dont on trouve les symboles et les ombres dans le culte des Juifs selon la chair et quels sont les biens à venir dont la loi possède l’ombre. Bref, en toutes choses, selon le commandement apostolique, il faut chercher la sagesse cachée dans le mystère, celle que Dieu a prédestinée avant tous les siècles à la gloire des justes, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. L’Apôtre dit quelque part, en se servant de certains textes de l’Exode et des Nombres, que : Cela leur est arrivé comme des figures, mais fut écrit pour nous, pour qui survient la fin des siècles. Et il donne l’occasion de comprendre de quoi ces événements étaient des figures lorsqu’il dit : Ils buvaient du rocher spirituel qui les accompagnait, ce rocher était le Christ. Et pour esquisser ce qui concerne le tabernacle, dans une autre épître il a utilisé la phrase : Tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne. Certes, dans l’Épître aux Galates, comme pour blâmer ceux qui pensent lire la loi et ne la comprennent pas, jugeant qu’ils ne la comprennent pas parce qu’ils croient qu’il n’y a pas des allégories dans ces écrits, il leur dit : Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre selon la promesse: ce sont des allégories. Ce sont en effet les deux Testaments, etc. Il faut observer chacune de ses paroles ; il dit en effet : Vous qui voulez être sous la loi – non : vous qui êtes sous la loi – et : N’entendez-vous pas la loi ? Il pense en effet qu’entendre signifie comprendre et connaître. Dans l’Epître aux Colossiens, il résume en peu de mots la volonté de toute la législation : Que personne ne vous juge sur la nourriture ou la boisson, sur les fêtes, néoménies ou sabbats, avec leur caractère partiel, car ce sont l’ombre des réalités futures. Ecrivant aussi aux Hébreux et discutant de ceux de la circoncision, il écrit : Ceux qui adorent selon la figure et l’ombre des réalités célestes. Mais vraisemblablement, par là, ceux qui acceptent une bonne fois l’Apôtre comme un homme de Dieu ne pourraient douter des cinq livres attribués à Moïse ; mais en ce qui concerne le reste de l’histoire, ils veulent apprendre si celle-là aussi est arrivée comme des figures. Il faut remarquer ce passage de l’Épître aux Romains : Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, qui se trouve dans le Troisième Livre des Rois : Paul l’a compris des Israélites selon l’élection, car il n’y a pas que les Gentils qui ont tiré profit de la venue du Christ, mais aussi quelques-uns de la race divine. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Tels étaient les projets, ou d’autres semblables, de l’Esprit qui éclaire les âmes des saints ministres de la vérité ; son second but était, à cause de ceux qui ne peuvent fournir le travail nécessaire pour découvrir tous ces mystères, de cacher la doctrine concernant ce qui vient d’être dit dans des textes présentant un récit qui expose la création des êtres sensibles, celle de l’homme et celle des nombreux hommes qui ont été engendrés successivement à partir des premiers jusqu’à être une multitude, et dans d’autres histoires racontant les actions des justes et les péchés que ces derniers ont commis, parce qu’ils sont hommes, les méchancetés, impudicités et actes d’avarice des iniques et des impies. Ce qui est le plus étonnant c’est que, à travers des histoires de guerres, de vainqueurs et de vaincus, certains mystères sont révélés à ceux qui savent examiner cela. Et ce qui est encore plus admirable, c’est qu’à travers la législation que contient l’Écriture les lois de la vérité sont prophétisées, et tout cela est écrit en ordre logique avec une puissance convenant vraiment à la Sagesse de Dieu. Le but était de rendre dans la plupart des cas le revêtement des sens spirituels, je veux dire le sens corporel des Écritures, non inutile, mais capable d’améliorer la plupart, dans la mesure de leurs capacités. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais si l’utilité de cette législation apparaissait d’elle-même clairement dans tous les passa-ges, ainsi que la logique et l’habileté du récit historique, nous ne croirions pas qu’on puisse comprendre dans les Écritures quelque chose d’autre que le sens obvie. C’est pourquoi la Parole de Dieu a fait en sorte d’insérer au milieu de la loi et du récit comme des pierres d’achoppement, des passages choquants et des impossibilités, de peur que, complètement entraînés par le charme sans défaut du texte, soit nous ne nous écartions finalement des doctrines comme n’y apprenant rien qui soit digne de Dieu, soit ne trouvant aucune incitation dans la lettre, nous n’apprenions rien de plus divin. Il faut savoir aussi que, puisque le but principal est de présenter la logique qui est dans les réalités spirituelles à travers les événements qui se sont produits et les actions qu’on doit faire, là où la Parole a trouvé que les faits historiques pouvaient s’harmoniser aux réalités mystiques, elle s’en est servi pour cacher à la plupart le sens plus profond. Là où, pour l’exposition de la logique des réalités intelligibles, l’action de tel ou de tel, décrite auparavant, ne s’accordait pas avec elle à cause des significations plus mystiques, l’Écriture a tissé dans le récit ce qui ne s’est pas passé, tantôt parce que cela ne pouvait pas se passer, tantôt parce que cela pouvait se passer, mais ne s’est pas passé. Parfois il y a peu de phrases qui sont ainsi ajoutées bien qu’elles ne soient pas vraies selon le sens corporel, parfois il y en a davantage. Il faut traiter de façon semblable la législation : on y trouve fréquemment des préceptes qui d’eux-mêmes sont utiles et adaptés de façon opportune à la législation, mais parfois cette utilité n’apparaît pas. D’autres fois même, ce sont des choses impossibles qui sont prescrites, à cause de ceux qui sont le plus diligents et aiment le plus la recherche, pour qu’ils s’adonnent à l’étude et à la recherche de ce qui est écrit et qu’ils deviennent suffisamment persuadés de la nécessité de chercher là un sens digne de Dieu. Ce n’est pas seulement pour les livres antérieurs à la venue du Christ que l’Esprit s’est ainsi comporté, mais, comme il est le même Esprit et provient d’un même Dieu, il a agi de même pour les Évangiles et les apôtres : car chez eux aussi le récit est quelquefois mêlé d’ajouts qui y ont été tissés selon le sens corporel, mais qui ne correspondent pas à des événements réels, et pareillement la législation et les préceptes ne manifestent pas toujours des exigences raisonnables. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Tout cela a été dit pour montrer que le but fixé par la puissance divine qui nous a donné les Écritures saintes n’est pas de comprendre seulement ce que présente la lettre, car parfois cela pris littéralement n’est pas vrai et est même déraisonnable et impossible, mais que certaines choses ont été tissées dans la trame de l’histoire qui s’est produite et de la législation qui est utile au sens littéral. Mais que personne ne nous soupçonne de dire, en généralisant, que rien n’est historique parce que certains événements ne se sont pas produits ; qu’aucune législation n’est à observer selon la lettre, parce que certaines législations prises à la lettre sont déraisonnables et impossibles ; que ce qui est écrit du Sauveur n’est pas vrai dans sa signification sensible, ni qu’il ne faut pas garder sa législation et ses préceptes. Il faut dire au contraire que la vérité historique de certains faits est claire : ainsi qu’Abraham a été enseveli à Hébron dans une caverne à deux salles, et de même Isaac et Jacob et une des femmes de chacun d’eux ; que Sichem fut donnée en partage à Joseph ; que Jérusalem est la capitale de la Judée et qu’en elle Salomon construisit le temple de Dieu, et de nombreuses autres choses. Bien plus important en quantité est ce qui est historiquement vrai que ce qui y a été tissé de purement spirituel. De même, qui ne dirait que le précepte : Honore ton père et ta mère afin que cela te profite est utile en dehors de toute allégorisation et doit être observé, alors que l’apôtre Paul s’en sert en le répétant littéralement ? Que dire de : Tu ne tueras pas, lu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne feras pas de faux témoignage ? Pareillement dans l’Evangile des préceptes sont exprimés, sans qu’on se soit demandé s’il faut les observer selon la lettre ou non, ainsi : Moi, je vous dis : si quelqu’un s’irrite contre son frère, etc. ; Mol je vous dis de ne pas jurer du tout. Et il faut observer ce qui est dit chez l’Apôtre : Avertissez les indisciplinés, encouragez les pusillanimes, soutenez les faibles, soyez longanimes envers tous, même si, pour les plus zélés, à condition de ne pas mépriser le précepte selon la lettre, chacun d’entre eux peut en outre être interprété d’une manière conforme aux profondeurs de la sagesse de Dieu. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Cependant, celui qui veut comprendre exactement sera dans l’embarras à propos de quelques passages, car il ne pourra pas, sans beaucoup de recherches, décider si ce qu’on pense être une histoire s’est passé ou non selon la lettre et si le sens littéral de telle législation doit être observé ou non. C’est pourquoi il faut que celui qui s’adonne à cette étude avec exactitude, en restant fidèle au commandement du Sauveur : Scrutez les Écritures, examine avec soin où le sens littéral est vrai et où il est impossible, et de tout son pouvoir recherche à partir des expressions semblables le sens, dispersé partout dans l’Écriture, de ce qui est impossible selon la lettre. Mais cependant, puisque, comme cela sera clair à ceux qui l’étudient, l’enchaînement du texte est impossible en ce qui concerne la lettre, et non impossible mais vrai quand il s’agit du sens principal, il faut s’efforcer de comprendre tout le sens en rattachant sur le plan des réalités intelligibles la signification de ce qui est impossible selon la lettre à ce qui non seulement n’est pas impossible, mais encore est vrai selon l’histoire, en l’allégorisant avec ce qui ne s’est pas passé selon la lettre. Nous sommes disposés, de notre côté, à admettre en ce qui concerne l’ensemble de l’Écriture divine qu’elle a toujours un sens spirituel, mais qu’elle n’a pas toujours un sens corporel : car il est souvent démontré que le sens corporel est impossible. C’est pourquoi il faut consacrer beaucoup d’application et de circonspection à étudier comme des écrits divins les livres divins, car telle me paraît être la manière de les comprendre. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais voici un point que je ne pense pas sans mystère : quelques-uns possédant beaucoup de bestiaux et d’animaux précèdent les autres et s’emparent de lieux propres aux pâturages et à la nourriture des bêtes, le premier territoire que l’armée israélite avait revendiqué par la guerre. Ils le demandent à Moïse et ainsi ils se séparent de l’autre côté des flots du Jourdain et s’excluent de la possession de la Terre sainte. Ce Jourdain peut être considéré, en tant que symbole des réalités célestes, comme celui qui arrose et inonde les âmes assoiffées et les intelligences qui sont proches de lui. A cet endroit ne paraît pas être sans raison le fait que Moïse a entendu de Dieu ce qui est raconté dans la loi du Lévitique, mais que le peuple dans le Deutéronome est devenu auditeur de Moïse et a appris de lui ce qu’il n’a pu entendre de Dieu. C’est pourquoi le Deutéronome a reçu le nom de seconde loi ; certains penseront que lorsque a cessé la première, donnée par l’intermédiaire de Moïse, une seconde législation semble s’être formée, qui a été confiée spécialement par Moïse à Jésus (Josué) son successeur : ce dernier symbolise, à ce qu’on croit, notre Sauveur, dont la seconde loi, c’est-à-dire les préceptes de l’Évangile, conduit toutes choses à leur perfection. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Il faut voir si par là n’est pas indiqué ce qui suit : de même que le Deutéronome promulgue une législation plus nette et plus claire que celle qui avait d’abord été rédigée, de même, par rapport à la venue du Sauveur, celle qu’il a accomplie dans l’humilité lorsqu’il a pris la forme de l’esclave, une seconde venue plus éclatante et plus glorieuse, dans la gloire du Père, est indiquée, et alors sera réalisée l’image que donne le Deutéronome, quand tous les saints vivront dans le royaume des cieux selon les lois de cet Évangile éternel. De même que dans sa venue d’ici-bas il a accompli la loi qui possédait l’ombre des biens futurs, de même dans cette venue glorieuse il réalisera et mènera à sa perfection l’ombre de cette venue. C’est ainsi que le prophète parle de lui : Le souffle de notre visage, le Christ Seigneur, dont nous avons dit : A son ombre nous vivrons parmi les nations, puisqu’il transférera tous les saints d’une manière plus digne de l’Évangile temporel à l’Évangile éternel, selon le nom que lui donne Jean dans l’Apocalypse. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section