16. Enchaînons donc ce tyran cruel par le souvenir douloureux de nos fautes; frappons-le fortement par le travail de nos mains; tourmentons-le sans cesse par la pensée des biens éternels que nous attendons; traînons-le impitoyablement devant le tribunal de notre foi; et là faisons lui subir un interrogatoire et un jugement flétrissants; demandons-lui avec empire qu’il ait à nous dire quel est le père méchant qui l’a engendré, et quels sont les abominables enfants à qui, lui-même, il a donné naissance; forçons-le à nous avouer quelles sont les personnes qui le poursuivent et lui donnent la mort. Malgré lui, il nous répondra que ceux qui le combattent jusqu’à le faire mourir, ce sont les disciples sincères de l’obéissance, et que dans ces hommes il ne trouve rien qui puisse lui servir un seul moment pour se reposer; qu’il ne peut séjourner tranquillement qu’avec les faux moines qui ne font que leur propre volonté; que c’est pour cela qu’il les aime et ne les quitte jamais; que les causes qui concourent à lui donner l’existence, sont en grand nombre, et qu’il doit nommer l’insensibilité du coeur, l’oubli du ciel et des vérités éternelles, et quelquefois un travail trop pénible et des exercices trop multipliés et trop fatigants; que ses enfants sont l’inconstance, le changement de demeure, la désobéissance au supérieur, l’oubli du jugement et, de temps à autre, la négligence à remplir les devoirs de la vie religieuse; que les ennemis qui le chargent de chaires et le réduisent en captivité, sont la psalmodie fervente, une occupation continuelle, et la méditation de la mort; et que ses ennemis mortels sont la prière et l’espérance vive et certaine des biens à venir. Quant à la prière, si vous voulez connaître d’où elle tire son origine, il faut le lui demander à elle-même. 697 L’Échelle Sainte: TREIZIÈME DEGRÉ
29. En prenant cette nourriture nécessaire, domptez la gourmandise par quelques peines et quelques souffrances; et si, à cause de certaines infirmités, vous ne pouvez pas vous livrer à ces mortifications, ayez recours aux saintes veilles de la nuit. Si vous sentez vos yeux appesantis par le sommeil, qu’une occupation laborieuse vous empêche de vous endormir. Mais vous ne vous conduirez pas ainsi, si vous n’êtes pas fatigué par l’envie du sommeil : vous vous appliquerez à la prière. Il est impossible de servir Dieu et Mammon, de même nous devons dire aussi qu’il n’est guère possible de prier et de travailler d’une manière qui puisse nous être de quelque utilité. 736 L’Échelle Sainte: QUATORZIÈME DEGRÉ
36. Ne laissez donc pas passer un instant où cette sentence de l’Esprit saint ne soit présente à votre mémoire : Pour moi, tandis que les démons mes ennemis m’accablaient par leurs tentations, je me revêtais d’un cilice, j’humiliais mon âme par le jeûne, et j’adressais à Dieu ma prière dans le secret de mon coeur. (Ps 34,13). 743 L’Échelle Sainte: QUATORZIÈME DEGRÉ
Or dis-nous, infâme et cruelle maîtresse du genre humain, toi qui, pour nous rendre tes esclaves, nous a malheureusement achetés avec de l’or, par le désir insatiable de manger, dis-nous donc par quelles voies tu as pu arriver jusqu’à nous; dis-nous ce que tu nous as donné et fait depuis que tu as fixé ta cruelle demeure en nous; apprends-nous toi-même qu’elles sont les moyens efficaces que nous devons employer pour te chasser et nous délivrer de la servitude. Irritée par ces questions fatigantes, enflammée de fureur et frémissant de rage, elle va nous faire entendre, malgré elle, les réponses suivantes : “Pourquoi me chargez-vous d’injures et de reproches ? oubliez-vous que vous êtes mes esclaves ? comment vous est-il même venu en pensée que vous puissiez vous séparer de moi ? Ignorez-vous que c’est la nature elle-même qui vous a enchaînés et qui vous retient sous mon esclavage ? Vous voulez savoir comment je me suis rendue maître de vous ? et bien je vous le dirai : C’est par la quantité de la nourriture plus ou moins délicieuse que vous prenez l’habitude d’user de cette nourriture a produit en vous cette insatiable avidité que vous éprouvez, et cette habitude, accompagnée de l’endurcissement du coeur et de l’oubli de la mort, me conserve et me fait demeurer au milieu de vous. Vous voulez encore connaître les noms et le nombre des enfants auxquels j’ai donné le jour ? mais si je vous les nommais tous, les grains de sable qui sont sur la terre seraient à peine suffisants pour les compter. Écoutez seulement quels sont ceux que j’ai mis les premiers au monde et pour lesquels je conserve une affection particulière : l’aiguillon de la chair est mon premier-né et mon premier ministre; le second, est l’endurcissement du coeur; le troisième, est l’amour du repos; après ceux-ci viennent le déluge des pensées impures, le principe de toutes les corruptions et de toutes les souillures spirituelles, et un abîme d’infamies secrètes et exécrables. Mes filles sont la paresse, la démangeaison de parler, l’audacieuse présomption, la plaisanterie, la bouffonnerie, la contradiction, l’opiniâtreté, la stupeur du coeur, la captivité de l’esprit, l’insolente ostentation et l’inclination pour plaire au monde. Ce sont elles qui troublent la ferveur et souillent la sainteté de la prière qui occasionnent des tourbillons dans les pensées, et qui frappent par des accidents subits et des malheurs inattendus; enfin ce sont elles qui produisent le désespoir, le plus affreux et le plus grand de tous les maux. 746 L’Échelle Sainte: QUATORZIÈME DEGRÉ
10. Quiconque combat l’esprit de luxure avec les armes de la prière, ressemble assez à celui qui fait la guerre à un lion. Celui qui, par la continuité et la vigueur des combats qu’il livre et soutient contre ce terrible démon, le renverse et l’abat, est semblable à un homme qui est égal au moins à son ennemi; mais celui qui a réprimé et arrêté entièrement tous les efforts impétueux de la luxure, quoiqu’il soit encore dans un corps mortel, jouit déjà des avantages et des prérogatives dont nous espérons jouir après la résurrection glorieuse. 765 L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ
25. Parmi les malheureuses victimes des plaisirs charnels, j’ai rencontré un homme qui était enfin revenu à lui-même, et qui, par les travaux d’une conversion et d’une pénitence sincère, travaillait à son salut. Or voici ce qu’il m’a raconté : “Les personnes, me dit-il, qui se laissent aller à l’incontinence, sont agitées et tourmentées d’une ardeur violente pour les objet si corporels, elles sont possédées d’un démon furieux et cruel, lequel est assis en tyran sur leur propre coeur, et y fait sentir son infâme empire par des signes non équivoques; de sorte que, lorsqu’elles sont tentées, et qu’elles contente leur brutale passion, elles éprouvent dans elles-mêmes les douleurs d’un feu semblable à celui d’une fournaise embrasée; qu’elles sont si horriblement hors d’elles, qu’elles ont perdu toute crainte de Dieu et des supplices éternels qu’elles n’envisagent que comme des choses fabuleuses; qu’elles ont la prière en horreur; que la vue d’un cadavre ne fait pas plus d’émotion sur elles que la vue d’une pierre; et qu’elles sont si absorbées et si dévorées par le désir de se satisfaire par des actions infâmes, qu’elles en perdent entièrement la raison, et ressemblent plus à des bêtes furieuses qu’à des créatures raisonnables. Hélas ! si de tels jours n’étaient pas abrégés, pourrait-il y avoir une seule âme, qui, dans la prison d’un corps de sang et de boue, fût capable d’obtenir le salut ? car, dès lorsqu’on se figure que les horreurs auxquelles on se livre, conviennent aux exigences d’une nature corrompue, on les recherche avec une avidité insatiable. Si le sang se plaît dans le sang, le ver au milieu des vers, et que le limon se trouve bien avec le limon, la chair ne doit-elle pas aimer les Ïuvres de la chair ?” Nous tous qui voulons sincèrement faire violence à la nature, afin d’obtenir le royaume des cieux, n’oublions pas que notre chair ne cherche qu’à nous tromper et à nous trahir, que nous devons la combattre, l’affaiblir et la soumettre par toute sorte de moyens et de pieuses industries. Estimons heureux ceux qui n’ont pas éprouvé les malheurs affreux qui frappent les personnes dominées par le démon de l’impureté, et conjurons avec la plus vive instance le Seigneur de nous préserver à jamais d’une si funeste expérience; car ils sont bien loin de cette échelle mystérieuse par laquelle le patriarche Jacob vit les anges monter et descendre, ceux qui sont malheureusement tombés dans l’abîme de l’impureté, et pour s’en approcher et y monter, ils ont besoin de répandre bien des sueurs et des larmes, supporter bien des peines et des travaux, et se dévouer à des jeûnes et à des austérités bien rigoureuses. 778 L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ