26. Il me semble qu’on peut très exactement comparer un homme qui n’obéit que par un motif de crainte, aux parfums qu’on fait brûler: ils répandent d’abord une odeur agréable, mais ensuite on ne trouve plus qu’une fumée fatigante; que celui qui se soumet par le motif d’une récompense, est semblable à une meule de moulin, qui ne tourne que d’une seule façon; mais que ceux qui, par affection et par amour pour Dieu, abandonnent le monde pour embrasser les voies étroites d’une vie religieuse, se trouvent tout-à-coup embrasés du feu sacré de la charité; et comme la fureur et l’activité du feu naturel augmentent à mesure qu’il s’étend dans une forêt où il a pris; de même, à mesure que la flamme du divin amour s’étend dans leurs coeurs, elle y produit un heureux incendie. 30 L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ
29. J’ai honte de le dire, craignons au moins le Seigneur, comme nous craignons certains animaux: car j’ai vu des scélérats, sur qui la crainte de Dieu n’avait aucun empire, et qui, étant partis pour aller commettre des vols, se sont arrêtés, et sont revenus sans oser consommer leur crime, parce qu’ils ont entendu aboyer des chiens dans le lieu où les conduisait leur méchanceté. Ainsi ce que la crainte de Dieu n’avait pu faire dans eux, la crainte de ces chiens les y a forcés. 33 L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ
38. Courons avec une joie mêlée de crainte au combat remarquable auquel Dieu nous appelle. C’est aux démons que nous devons faire la guerre; ne les redoutons pas, car, quoique nous ne puissions pas les voir, ils nous connaissent et ils pénètrent dans le fond de notre âme; mais s’ils la voient troublée et craintive, ne nous croiront-ils pas vaincus ? ne se précipiteront-ils pas sur nous avec un acharnement terrible, afin de nous rendre leurs misérables esclaves ? Or, puisque nous connaissons leurs ruses, armons-nous donc contre eux avec courage; car on hésite d’en venir aux mains, quand on voit une armée qui ne compte que des soldats vaillants et courageux, et qui brûle de se mesurer avec l’ennemi. 41 L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ
1. Celui qui aime Dieu de tout son coeur, qui désire ardemment le royaume des cieux, qui travaille avec courage à se purifier des fautes qu’il a faites et à se corriger des mauvaises habitudes qu’il a contractées, qui ne perd jamais de vue le jugement dernier et les supplices éternels, qui nourrit dans son âme la pensée et la crainte de la mort, n’a plus ni amour ni inclination pour l’argent et les richesses, pour ses parents et pour la gloire du monde, pour ses frères et ses amis, enfin pour toutes les choses fragiles et périssables; il en a chassé de son coeur tout sentiment, toute attache et tout souci; il hait même sa propre chair, et, dans l’état d’une nudité parfaite, il s’étudie à suivre le Christ avec une indicible ardeur; il ne soupire qu’après le bonheur du ciel, et c’est de Dieu seul qu’il attend tous les secours nécessaires pour y arriver. Il dit avec David : “Mon âme n’est attachée qu’à toi seul, ô mon Dieu” (Ps 62), et avec un illustre prophète : “Je ne me suis point fatigué en te suivant, Seigneur; et je n’ai pas recherché les jugements des hommes,ni leurs consolations (Jer 17,16).” 55 L’Échelle Sainte: DEUXIÈME DEGRÉ
18. Les personnes qui, dans leur jeunesse, ont eu le malheur de se laisser aller à l’amour et à la jouissance des plaisirs sensuels, et qui néanmoins dans la suite forment le dessein et prennent la résolution d’entrer dans une communauté religieuse, doivent s’exercer avec le plus grand soin dans les règles austères de la sobriété et de la tempérance, se donner entièrement aux exercices sacrés de la prière, refuser sévèrement à leurs corps tout plaisir et tout ce qui pourrait leur procurer des jouissances et de la joie, et s’abstenir de toute sorte de dérèglements et de sensualités, dans la crainte que leur dernier état ne devint plus mauvais que le premier (cf. Mt 12,45). Car la religion est un port où l’on trouve le salut; mais on peut aussi y trouver le naufrage, et ceux qui voyagent sur cette mer spirituelle, peuvent attester cette vérité. Ah ! Que c’est un déchirant spectacle de voir des gens qui, après avoir traversé la mer orageuse du monde, viennent misérablement faire naufrage et périr dans le port. Voilà donc le second degré; si vous y montez, que votre fuite vous fasse imiter Loth, et non sa femme. 77 L’Échelle Sainte: DEUXIÈME DEGRÉ
43. Voici la marque à laquelle vous pourrez reconnaître la fraude et les artifices des démons, d’avec les soins que nos anges prennent de nous. Ces derniers ne nous font jamais voir dans les songes, dont ils sont les auteurs, que les supplices éternels, le jugement dernier, la séparation effrayante des méchants d’avec les gens de bien, et nous inspirent à notre réveil une crainte et une tristesse salutaires. 131 L’Échelle Sainte: TROISIÈME DEGRÉ
3. L’obéissance est donc un renoncement parfait à sa propre volonté, lequel se fait remarquer par des actions extérieures; ou plutôt, c’est une entière mortification des passions dans une âme pleine de vie, c’est un mouvement qui nous fait agir avec une simplicité parfaite et sans aucune préférence, c’est une mort volontaire, une vie exempte de toute curiosité, une assurance au milieu des dangers, un excellent moyen de défense pour paraître devant Dieu, une sécurité désirable à l’heure de la mort, une navigation sans écueils et sans tempêtes, et un voyage qu’on fait en sûreté et sans peine. Oui l’obéissance donne à une âme la paix et le calme contre la crainte de la mort, ensevelit la volonté, et fait vivre l’humilité; elle ne résiste et ne contredit jamais; elle ne prononce aucun jugement, et regarde avec une égale indifférence les biens et les maux de la vie présente. Aussi l’homme qui aura saintement mortifié son coeur sous le joug de l’obéissance, n’aura rien à craindre pour ses actions, et paraîtra devant Dieu avec une confiance assurée. Enfin disons que l’obéissance est un renoncement entier à ses lumières personnelles et à son propre jugement, pour les soumettre parfaitement aux lumières et au jugement d’un supérieur. 143 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
Le saint abbé, en voyant d’aussi heureuses dispositions, assembla tous les moines dans l’église du monastère. Ils étaient trois cent trente, et c’était un dimanche après l’évangile. Il fit venir ce voleur, qui était déjà justifié. Il avait les mains liées derrière le dos, le corps revêtu d’un cilice effrayant, la tête couverte de cendres; quelques frères le menaient avec une corde, et d’autres le frappaient légèrement avec des verges. Comme tout le monde n’avait rien su de ce qui se passait, ce spectacle effraya tellement les religieux, qu’ils ne purent retenir leurs cris, ni comprimer leurs gémissements. Quand il fut arrivé à la porte de l’église, le supérieur, plein de zèle et de sagesse, lui dit d’une voix forte et terrible : “Arrêtez-vous, car vous êtes indigne d’entrer dans la maison de Dieu.” Ces paroles, sorties de la bouche de ce prudent directeur, qui était dans le lieu saint, frappèrent ce voleur d’une si grande terreur, qu’il ne crut pas avoir entendu une voix humaine, mais un violent coup de tonnerre, et que saisi de crainte et d’horreur, il tomba le visage contre terre : c’est ce que lui-même nous a plusieurs fois assuré avec serment. Or tandis que ce voleur pénitent était ainsi prosterné, et qu’il arrosait le pavé d’un torrent de larmes, l’abbé, qui dans cette action ne cherchait que le salut de ce malheureux, et qui voulait aussi présenter à ses moines un modèle efficace d’une profonde et salutaire humilité, lui dit et lui commanda de déclarer avec ordre, en détail et devant tout le monde, les crimes qu’il avait commis et les fautes qu’il avait faites; ce que cet excellent pénitent fit en frissonnant, et en causant à ceux qui l’entendaient confesser des crimes horribles et inouïs, un étonnement et une terreur inexprimables : car il confessa non seulement les péchés qu’il avait commis en violant les lois ordinaires de la nature et en portant la brutalité au delà des créatures raisonnables, mais encore des empoisonnements, des homicides et d’autres attentats si exécrables, qu’il n’est pas permis aux oreilles de les entendre, ni à la plume de les transcrire. Quand il eut achevé, l’abbé ordonna qu’on lui coupât les cheveux et qu’on le reçoive au nombre des frères. 157 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
“Je sais aussi bien que vous, mon Père, qu’il est innocent; mais comme il ne convient pas à un père, et que c’est une chose condamnable d’ôter à son enfant qui a faim le morceau de pain qu’il va manger, de même un père spirituel se rend à lui-même et à son inférieur un bien mauvais service, s’il ne cherche pas à tout moment à lui procurer de nouveaux mérites et de nouvelles couronnes, soit en lui faisant des reproches et lui présentant des humiliations, soit en le couvrant de mépris, et lui fournissant des mortifications, soit enfin en l’exerçant dans des railleries et des blâmes, selon néanmoins qu’il le sait capable de tout supporter avec patience et résignation; car autrement cet inférieur se trouve privé de trois grands avantages : le premier, c’est qu’il ne mérite pas la récompense d’une correction charitable soufferte avec patience, le second, ses frères sont privés des bons effets que son exemple produirait dans eux; enfin le troisième, et c’est ici le plus grand mal qui puisse arriver, les inférieurs perdent peu à peu la douceur et la patience, car il arrive souvent que ceux-là mêmes qui, dans leurs travaux spirituels et dans les humiliations, paraissaient être vraiment des hommes de patience, s’ils ne sont pas exercés, repris et humiliés de temps en temps par leur supérieur, qui les regarde pour des gens vertueux et parfaits, tombent bien vite dans un funeste relâchement; et leur âme, quoiqu’elle soit une terre bonne, grasse et fertile, si elle n’est pas arrosée souvent par l’eau de l’humiliation, perd bien vite et bien facilement son heureuse fertilité, et finit ordinairement par ne plus produire que les ronces, et les épines de l’orgueil, du dérèglement des moeurs et d’une confiance présomptueuse, laquelle chasse toute crainte de Dieu. C’était ce que n’ignorait pas le grand Apôtre, lorsqu’il donnait cet avis à son cher Timothée : “Pressez les fidèles, lui disait-il, à temps et à contretemps.” (2 Tim 4,2). 189 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
Voici encore ce que me raconta l’économe de ce monastère célèbre. “Lorsque, me dit-il, j’étais jeune, et que j’étais chargé de prendre soin des animaux de la maison, j’eus le malheur de faire une faute énorme; mais, comme je m’étais accoutumé à ne jamais tenir caché dans mon coeur le serpent qui s’y était glissé, je pris celui-ci par la queue, aussitôt que je le sentis, et le montrai au médecin spirituel de mon âme; je lui découvris donc de suite la méchante action dont je m’étais rendu coupable. Me regardant avec un visage riant et me donnant un léger soufflet, il m’adressa ses paroles : Allez, mon fils, continuez vos exercices ordinaires comme auparavant, et ne craignez rien. Je me confiai entièrement à sa parole; et quelques jours après, je fus assuré de ma guérison, et je marchai dans les voies de Dieu avec une grande joie, mais néanmoins avec crainte et tremblement.” 208 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
68. Ô vous donc, qui êtes les fils, et les serviteurs obéissants du Seigneur, ne vous laissez pas égarer par le démon de l’orgueil, ne confessez jamais vos péchés à votre supérieur sous un nom emprunté; car ce n’est que la confusion que vous en éprouverez en ce monde, qui vous fera éviter la honte éternelle. Montrez, oui montrez à nu, tout votre mal à votre médecin spirituel; dites-lui sans crainte et avec naïveté : “Mon Père, cette faute est toute de moi; cette blessure est mon propre ouvrage; elles ne me sont venues l’une et l’autre que parce que j’ai vécu dans la négligence; je ne puis m’excuser sur personne : c’est moi-même qui en suis l’auteur, il m’est impossible de me plaindre d’y avoir été porté par les mauvais exemples de mes frères, par les tentations mêmes des démons, par la faiblesse et la limitation de mon corps, et par quelqu’autre cause : c’est uniquement à raison de ma tiédeur, de ma paresse et de ma négligence, que je suis tombé. 253 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
103. Si donc vous arrivez dans une école de médecine spirituelle, qui vous est totalement inconnue, et que vous vous mettiez sous la direction d’un père spirituel que vous ne connaissiez pas, ce que vous avez à faire, c’est d’examiner avec attention quel est l’esprit et quelle est la manière de vivre de tous ceux qui sont réunis dans ce lieu. Si vous trouvez que ces ouvriers et ces ministres du salut sont capables de vous procurer quelque soulagements et de contribuer à la guérison de votre âme, si surtout vous y rencontrez le remède singulier et efficace contre l’enflure du coeur et la vanité, approchez-vous d’eux sans crainte et avec confiance, réunissez-vous, vendez-vous à eux; et pour passer ce contrat de vente, présentez-leur l’or précieux de l’humilité; pour papier, l’obéissance; pour tablettes, vos services et votre travail, et pour témoins, les anges. Déchirez devant eux la cédule honteuse par laquelle vous vous étiez vous-même rendu esclave de votre propre volonté; car si vous ne faites qu’errer çà et là, sans vous fixer nulle part, vous perdrez le prix par lequel Jésus Christ vous a racheté. Que ce monastère soit pour vous comme un tombeau, d’où les morts ne doivent sortir que pour comparaître devant le souverain Juge; et s’il en est qui en soient sortis autrement, il est bien à craindre et même à croire qu’ils sont réellement morts. C’est pourquoi nous devons conjurer le Seigneur de détourner loin de nous cet épouvantable malheur. 293 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
Jusqu’à présent nous n’avons traité que des degrés du paradis qui expriment le nombre des quatre évangélistes. Athlète, continue de courir sans crainte ! 339 L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ
10. J’en vis encore d’autres qui se frappaient sans cesse la poitrine, en se rappelant avec des regrets inexprimables l’heureux état où ils étaient dans le temps qu’ils pratiquaient la vertu. Or, parmi ces illustres pénitents, les uns inondaient la terre, de l’abondance de leurs larmes; les autres, ne pouvant plus pleurer, se déchiraient de coups; d’autres, incapables de comprimer la douleur qui navrait leur coeur, l’exprimaient par des sanglots semblables aux lamentations de ceux qui assistent aux funérailles de leurs proches; d’autres, dans leurs cellules, rugissaient comme des lions dans leurs cavernes, frémissaient de crainte et d’effroi, étouffaient quelquefois leurs gémissements, et d’autrefois, n’en pouvant venir à bout, éclataient tout d’un coup en cris perçants et lamentables. 356 L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ
24. Telles sont les choses que j’ai vues et entendues pendant que je suis resté dans ce monastère, et je vous avoue avec franchise qu’en comparant ma négligence et ma lâcheté avec les étonnantes mortifications que ces illustres pénitents pratiquaient avec tant de zèle et de courage, je fus violemment tenté de me laisser aller au découragement et au désespoir. Au reste, de quel côté qu’on envisageât ce monastère, on ne pouvait pas croire que ce fût une maison habitée par des hommes; car elle ne se faisait remarquer que par les ténèbres et l’obscurité qui régnaient dans toutes les pièces dont elle était composée, par la mauvaise odeur qui s’exhalait de tout côté, et par les ordures et la malpropreté qu’on rencontrait partout. C’est donc bien avec raison qu’on l’appelait la prison et le cachot des criminels; car, rien qu’en la regardant, on se sentait pénétré de tristesse et porté à des sentiments de pénitence. Mais ce qui paraît difficile et impraticable à certaines personnes, devient facile et même aimable à celles qui connaissent et sentent la perte qu’elles ont faite en perdant l’innocence et, avec elle, les dons précieux du ciel. En effet, une âme, qui se voit privée de la sainte amitié qui l’unissait délicieusement à Dieu, et de la confiance si douce et si consolante qu’elle avait en Lui; qui a perdu toute espérance de pouvoir en ce monde jouir de la paix parfaite, du coeur et de la suprême tranquillité, qui a violé le sceau de sa virginité; qui s’est elle-même dépouillée du trésor inestimable de la grâce et des consolations divines; qui a rompu l’alliance auguste qu’elle avait faite avec le Seigneur; qui a misérablement éteint en elle les ardeurs célestes de la charité, et fait sécher la source des larmes qu’elle répandait avec tant de douceur; une âme, dis-je, qui n’est plus frappée que du souvenir déchirant des biens qu’elle a perdus et des maux qu’elle s’est faits, et qui est comme froissée, brisée par la douleur qu’elle conçoit à la vue de sa folie et de ses crimes, non seulement se dévoue et se consacre promptement et avec ardeur aux travaux et aux exercices pénibles dont nous venons de parler, mais, selon qu’elle en est capable, se punit et se purifie par d’autres exercices spirituels. Et pourrait-elle en agir autrement, si elle a conservé quelque reste et quelque étincelle d’amour et de crainte de Dieu ? 371 L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ
28. Cette langue qui ne sût jamais mentir, me raconta le fait suivant : “Il y a près de dix ans, nous avions ici un frère qui était d’une si grande piété, qui prenait tant de soin et d’attention pour être un véritable soldat de Jésus Christ, qui était animé d’un zèle si vif et d’une si grande ardeur dans les exercices de la vie religieuse, qu’en le voyant dans de si belles dispositions, je tremblais pour lui et craignais beaucoup que le démon, jaloux de ses vertus et de ses mérites, ne se servît de son ardeur et de son zèle même pour lui faire heurter le pied contre quelque mauvaise pierre. Or ce qui ne manque guère d’arriver à ceux qui marchent avec trop de précipitation, arriva malheureusement à ce frère : il fit une chute. Mais aussitôt il vint me trouver. C’était vers le soir. Il me découvrit et me montra la blessure qu’il avait faite à son âme; dans l’abîme de sa douleur, il me conjura avec instance d’y appliquer le fer et le feu, et de lui ordonner les remèdes convenables. Comme il vit que son médecin spirituel ne voulait pas employer la rigueur et la sévérité qu’il désirait, et ce pauvre religieux n’était pas indigne de quelque indulgence, il se jeta à mes pieds, les arrosant de ses larmes et me conjurant de l’envoyer à la Prison, que vous avez vue; et pour venir à bout de me gagner, il ne cessait de me répéter qu’il était impossible qu’on puisse le dispenser d’y être condamné. Ainsi par la violence qu’il me fit, il me força, en quelque sorte, à convertir en rigueur et en sévérité la douceur et la tendresse que j’avais pour lui. On vit donc dans ce religieux ce qu’on ne voit guère chez les malades, et ce qui est contraire au cours ordinaire des choses. Aussi je lui avais à peine accordé la permission qu’il demandait avec tant d’instance, qu’il courut promptement vers les pénitents, pour être leur confrère et l’imitateur de leurs travaux et de leurs larmes. La contrition que son amour pour Dieu lui avait fait concevoir de sa faute, fut si vive et si violente, que huit jours après qu’il fut entré dans le monastère, il partit de ce monde pour aller devant le Seigneur; mais, avant de mourir, il eut bien soin de demander que son corps fût privé de la sépulture. Je crus pour cette fois, ne pas devoir céder à ses désirs. Je fis donc apporter et déposer son corps dans le cimetière destiné à la sépulture des pères. Or je le jugeai digne de cet honneur, puisqu’après une pénitence de sept jours dans la Prison, Dieu l’avait trouvé capable, le huitième, de jouir de la liberté et de la félicité des cieux. En effet, il y a un religieux qui a su d’une manière certaine qu’avant même que cet illustre pénitent se soit relevé de devant les pieds vils et méprisables de celui qui vous parle, il avait reçu le pardon de son péché, et qu’il était parfaitement réconcilié avec Dieu. EH! N’en soyons point étonnés, car il avait dans le coeur la même foi que la pécheresse de l’Évangile, et c’était avec une espérance et une confiance parfaites en Dieu, qu’il avait arrosé de ses larmes mes misérables pieds. Or tout n’est-il pas possible à celui qui croit ?” (Mt 9,22) Quant à moi, j’ai vu des âmes souillées de péchés, et possédées même par la folie et l’amour des plaisirs sensuels, lesquelles néanmoins, par les exercices de la pénitence, par la présence de ceux qui aimaient Dieu, et surtout par la considération approfondie de leur triste état, ont changé d’affections et de sentiments, ont donné leur coeur à Dieu, L’ont aimé uniquement, ont triomphé de toute crainte servile, et se sont enfin livrées entièrement aux saintes ardeurs de la charité. Aussi remarquons bien que notre Seigneur ne dit pas de la pécheresse convertie : “Elle a beaucoup tremblé”; mais elle a beaucoup aimé.” (cf. Lc 7,47). Et que ce fut par un amour ardent pour Dieu qu’elle se délivra de l’amour charnel et profane. 377 L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ
3. Ce fut la désobéissance de l’homme, qui donna naissance à la crainte de la mort, et c’est pour cette raison que la crainte de la mort nous est devenue, en quelque sorte, naturelle. Mais savez-vous ce que nous démontre cette crainte ? C’est que notre âme n’est pas parfaitement lavée ni purifiée par les larmes et les austérités de la pénitence. 414 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
7. Mais observons ici que, bien que l’étain ait beaucoup de ressemblance avec l’argent, on le distingue néanmoins facilement, si on le rapproche de ce dernier métal; de même ceux qui ont quelque expérience dans les choses qui regardent le salut, savent bien mettre une différence essentielle entre la crainte de la mort produite par un sentiment et un mouvement de la nature, et la crainte de la mort causée par l’impression de la grâce. 418 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
8. La preuve certaine et indubitable que nous craignons la mort par un mouvement de la grâce, c’est lorsque cette crainte nous porte à nous dépouiller de toute affection pour les choses créées, et nous fait renoncer parfaitement à notre propre volonté. 419 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
12. Vous qui pleurez vos péchés, gardez-vous bien des ruses du démon : il cherchera à vous tromper, en vous inspirant que Dieu est bon et miséricordieux. C’est une vérité que nous ne devons savoir que pour nous préserver du désespoir; mais le démon, en vous la suggérant, veut par là bannir de votre coeur l’horreur et la douleur de vos péchés, et vous faire perdre la crainte de Dieu, laquelle, seule, donne la véritable sécurité. 423 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
16. Comme nos pères enseignent communément que la charité parfaite est exempte de chute, je dis de même que la parfaite méditation de la mort est exempte de toute crainte. 427 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
21. Comme on dit ordinairement qu’un gouffre est une profondeur d’eau qu’on ne peut sonder, et que c’est pour cette raison qu’on lui donne ce nom; de même la pensée de la mort produit en nous un abîme sans fond de pureté et de bonnes oeuvres. C’est ce que nous démontre très bien le fait que je viens de vous raconter; car le pénitents qui, comme ce saint homme, ont continuellement dans l’esprit l’image de la mort, sentent augmenter en eux la crainte et la frayeur qu’elle leur inspire, jusqu’à ce qu’enfin elle les consume jusqu’à la moelle des os. 432 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
22. Au reste, ainsi que nous devons le sentir, soyons bien persuadés que cette crainte n’est pas un des moindres bienfaits que nous ayons reçus de Dieu : car n’est-il pas vrai, et notre propre expérience ne nous l’atteste-t-elle pas, que souvent, même au milieu des tombeaux, nous avons été d’une insensibilité de fer, et que nous n’avons pas répandu la plus petite larme; tandis que d’autres fois, sans être au milieu des morts, et sans la vue de la triste image de la mort, nous avons vers des torrents de pleurs ? 433 L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ
9. Voyez comme les gémissements et l’affliction d’un coeur contrit et repentant pénètrent jusqu’au trône de Dieu; comme les saintes larmes que fait répandre la crainte du Seigneur, sont comme des députés que nous envoyons devant nous pour lui demander grâce et miséricorde; et comme celles que son Amour nous fait verser, nous donnent une délicieuse assurance que nos prières et notre repentir lui ont été agréables. 455 L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ
37. Or après nous être servis de la crainte de Dieu pour découvrir et connaître quelle est la source de celles que nous répandons, tâchons de nous procurer celles que fait verser la pensée de notre dernière heure, car elles sont pures et sincères, ces sortes de larmes; elles ne sont susceptibles ni de vanité ni d’illusion, elles purifient notre âme et allument dans nos coeurs le feu du saint amour de Dieu; enfin elles effacent nos péchés, et nous procurent le bien inestimable de la paix du coeur. 484 L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ
Mais j’ai vu aussi des pauvres d’une autre espèce, lesquels, manquant absolument de vertu, se sont adressés au Roi du ciel. Ils réclamaient son secours et ses faveurs avec une persévérance et, une assiduité qu’on pourrait appeler importunes : ils n’employaient pas pour cela des expressions choisies et étudiées, mais se contentaient de lui exposer leurs nécessités pressantes avec une modestie parfaite, une humilité profonde et une crainte respectueuse; ils ne cessaient de Lui exprimer les sentiments de leur indignité, et de lui répéter avec l’accent d’une douleur profonde et d’une conviction entière, qu’ils ne méritaient pas d’être écoutés ni d’être exaucés; et cependant cette violence qu’ils lui ont faite, en agissant ainsi, L’a en quelque sorte forcé d’avoir compassion d’eux, et de leur accorder ce qu’ils lui demandaient. 498 L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ
61. Les larmes que produit la pensée de la mort, font naître la crainte de Dieu dans les coeurs; cette crainte de Dieu engendre la confiance, et cette ferme confiance en Dieu donne une joie parfaite, laquelle produit enfin la fleur divine de l’amour. 515 L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ
73. Les larmes que la crainte de Dieu nous fait répandre, produisent en nous la crainte de les voir tarir et la vigilance nécessaire pour les conserver. Ceux qui ne pleurent leurs péchés que par un mouvement d’une charité peu enflammée et qui n’a pas la perfection requise, les auront bientôt vues disparaître. Il ne faut pas en dire autant de ceux qui pleurent leurs fautes, parce que leur coeur est embrasé dans le temps d’un feu digne d’une éternelle mémoire; et disons ici, pleins d’admiration, que dans notre pénitence c’est ce qu’il y a de plus humble et de plus abject, qui nous donne réellement et plus d’assurance et plus de certitude qu’elle plaît à Dieu. 528 L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ
34. Trois moines, un jour, sous mes yeux, reçurent le même outrage. L’un, en le recevant se sentit piqué, mais il le souffrit en silence, et étouffa la peine qu’il en éprouvait; l’autre s’en réjouit en lui-même, cependant il en était affligé intérieurement par charité et par bienveillance pour celui qui l’avait maltraité; enfin le troisième s’oublia lui-même entièrement pour ne s’occuper que de son frère, dont il pleurait la faute à chaudes larmes, tant la charité dévorait son coeur. Ainsi l’on voyait dans ces trois moines trois excellentes vertus : la crainte de Dieu, l’espérance, et l’amour. 577 L’Échelle Sainte: HUITIÈME DEGRÉ
3. Le silence, au contraire, est sage et prudent; il donne l’esprit d’oraison, délivre l’âme de la captivité, conserve le feu de l’amour divin, veille sur les pensées de l’esprit, observe attentivement le mouvements des ennemis du salut, soutient et nourrit la ferveur de la pénitence, se plaît dans les larmes, rappelle sans cesse l’image de la mort et le souvenir des supplices éternels, fait considérer les Jugements de Dieu avec une crainte salutaire, est très favorable à la sainte tristesse du coeur, combat l’esprit de présomption, favorise la tranquillité de l’âme, augmente la science du salut, nous forme à la contemplation des vérités surnaturelles, nous perfectionne dans les bonnes oeuvres et nous fait monter jusqu’à Dieu. 644 L’Échelle Sainte: ONZIÈME DEGRÉ