Le juste fait bon usage de tout.

{{6, 10.}} Notre homme intérieur, nous le voyons parfaitement, se compose de deux parties essentielles, ou, pour ainsi parler, il a deux mains. Il n’est pas un juste qui se puisse passer de ce que nous appelons la main gauche ( l’adversité ) ; mais la perfection se reconnaît à ce signe, que l’une et l’autre lui sont une main droite, tant il en fait bon usage. Essayons de nous faire mieux comprendre. Le juste a sa main droite: c’est le succès spirituel. Dans la ferveur de son âme, il commande alors en maître à toutes passions et convoitises. Tranquille de la part du démon, il écarte ou retranche sans labeur ni difficulté les vices de la chair. Si haut s’élève son vol au-dessus de la terre, que les choses présentes et terrestres lui paraissent une inconsistante fumée, une ombre vaine, et que leur caractère éphémère ne lui inspire que du mépris. Son âme ravie se porte d’un ardent désir vers les choses futures, qu’elle contemple aussi dans une plus grande lumière. la contemplation le nourrit plus efficacement ; les secrets célestes se révèlent à ses regards plus clairement; ses prières montent vers Dieu plus pures et plus vives. Une grande flamme le brûle intérieurement, et dans toute l’allégresse de son âme il émigré vers les choses invisibles et éternelles, à tel point qu’il lui semble n’habiter plus une chair mortelle. Mais il a semblablement sa main gauche. Le tourbillon des tentations le saisit ; les feux de la concupiscence allument les désirs de la chair ; les passions déchaînent les ardeurs de la colère ; la superbe et la vaine gloire se gonflent et l’émeuvent. La tristesse, qui opère la mort, l’abat ; la paresse lui donne l’assaut avec toutes ses machines de guerre et l’ébranlé. Toute ferveur lui étant retirée, il s’appesantit dans une sorte de tiédeur et de chagrin sans motif ; plus de vertueuses et brûlantes pensées ; la psalmodie, la prière, la lecture, la solitude de sa cellule lui deviennent à la fois des objets d’horreur, et tous les instruments des vertus lui inspirent un sombre et insupportable dégoût. Lorsque le moine se sent battu de ces flots, qu’il reconnaisse que l’attaque vient de gauche. Que l’on nous donne maintenant un homme qui, parmi les conjonctures que nous avons dites être de droite, ne s’enfle point du poison subtil de la vaine gloire, et parmi celles de gauche, combatte d’une âme virile ; que, bien loin de succomber au désespoir, il se fasse plutôt de l’adversité, par sa patience, une arme pour s’exercer à la vertu : celui-là se sert des deux mains comme de la droite, et triomphant dans l’un et l’autre combat, il cueille à droite comme à gauche la palme de la victoire.