L’âme est définie comme une substance phantastikè et hormètikè

Maintenant la suite des idées demande de rechercher en général ce qu’est l’âme et de commencer par les êtres inférieurs pour monter aux supérieurs. Personne n’hésite à dire, je le crois, qu’il y a des âmes dans tous les êtres animés, même dans ceux qui vivent dans les eaux. C’est là l’opinion commune de tous et elle s’appuie sur l’Écriture sainte lorsqu’elle dit : Dieu fit les grands cétacés et toutes les âmes des animaux qui rampent, produits par les eaux selon leurs genres. Cela est confirmé à partir de la raison commune par ceux qui en donnent une définition en termes précis. En effet l’âme est définie comme une substance phantastikè et hormètikè (principe des imaginations et des impulsions), ce que l’on peut dire en latin, dans une traduction pas tout à fait exacte, sensibilis et mobilis (principe de sensibilité et de mouvement). Cette définition convient parfaitement à tous les animaux, y compris les aquatiques ; et elle s’adapte convenablement aux oiseaux. L’Écriture y ajoute l’autorité d’une autre proposition : Vous ne mangerez pas le sang, parce que le sang est l’âme de toute chair et vous ne mangerez pas l’âme avec les chairs. Là elle désigne en toute évidence le sang des animaux comme leur âme. Mais si quelqu’un demande, puisqu’elle a dit que l’âme de toute chair est son sang, ce qu’il en est des abeilles, guêpes et fourmis, des huîtres et des coquillages qui sont dans les eaux, et de tout autre être qui manque de sang, mais est de façon tout à fait manifeste un être animé, il faut répondre que le rôle qu’a chez les autres animaux la force du sang rouge est rempli chez eux par le liquide qui est en eux, bien qu’il soit d’une autre couleur; peu importe la couleur, pourvu qu’il y ait substance vitale. Des bêtes de somme et des bestiaux, il n’y a pas de doute dans l’opinion commune sur leur caractère d’êtres animés. Cela est clair aussi à partir du témoignage de l’Écriture divine puisque Dieu dit : Que la terre produise l’âme vivante selon son genre, les quadrupèdes, reptiles et bêtes de la terre selon leurs genres. En ce qui concerne l’homme il n’y a aucun doute et personne ne se pose de question ; cependant l’Écriture divine l’affirme en ces termes : Dieu insuffla sur son visage un souffle de vie et l’homme fut fait en âme vivante.

Il reste à se demander à propos de l’ordre des anges, s’ils ont des âmes ou s’ils sont des âmes, et pareillement des autres puissances divines et célestes et des puissances contraires. Nous n’avons jamais trouvé d’attestation dans l’Écriture divine où les anges et les autres esprits divins serviteurs de Dieu soient dits avoir des âmes ou être des âmes. Au sujet de Dieu, nous trouvons ceci écrit : Je mettrai mon âme sur l’âme qui aura mangé le sang et je l’arracherai de son peuple; et ailleurs : je ne tiens pas pour agréables vos néoménies, vos sabbats et votre grand jour. Vos jeûnes, vos fériés et vos fêtes, mon âme les hait. Et dans le Psaume 21 il est dit du Christ – car il est certain que ce psaume est composé comme prononcé par lui d’après le témoignage de l’Évangile – : Toi, Seigneur, n’éloigne pas ton secours, veille à ma défense, arrache à l’épée mon âme et au pouvoir du chien mon unique. Et nombreux sont les témoignages sur l’âme du Christ incarné.

Mais à propos de l’âme du Christ, la nature de l’incarnation, quand on la considère, supprime tout problème. Car de même qu’il a eu vraiment un corps, il a eu vraiment une âme. Mais il est difficile de penser et d’exposer comment on doit comprendre le fait qu’il soit question d’une âme de Dieu dans les Écritures : en effet nous reconnaissons une fois pour toutes que sa nature est simple, sans mélange ni addition. Cependant, de quelque façon qu’il faille l’entendre, il semble qu’on parle parfois de l’âme de Dieu. A propos de l’âme du Christ, il n’y a pas de doute. Et c’est pourquoi il ne me paraît pas absurde de dire ou de penser de même des saints anges et des autres puissances célestes, si toutefois la définition de l’âme donnée plus haut semble leur convenir. Qui pourra nier qu’ils possèdent une sensibilité raisonnable et le mouvement ? Si donc cette définition qui fait de l’âme une substance dotée de sensibilité raisonnable et de mouvement paraît juste, il semble qu’elle s’applique aussi aux anges. Qu’y a-t-il d’autre en eux qu’une sensibilité raisonnable et du mouvement ? Les êtres à qui conviennent une définition unique sont sans aucun doute d’une même substance. Certes, l’apôtre Paul parle d’un homme animal qui, selon lui, ne peut percevoir ce qui concerne l’Esprit de Dieu et il dit de même que l’enseignement de l’Esprit Saint paraît à cet homme absurde et qu’il ne peut comprendre ce qui est l’objet d’un discernement spirituel. Mais dans un autre passage, selon lui, est semé un corps animal et ressuscite un corps spirituel : il montre ainsi que dans la résurrection des justes il n’y aura rien d’animal dans ceux qui mériteront la vie des bienheureux. Et c’est pourquoi nous recherchons s’il y aurait une substance qui serait imparfaite parce qu’elle est âme. Mais nous nous demanderons, quand nous nous mettrons à discuter cela dans le détail, si elle est imparfaite parce qu’elle est tombée de la perfection ou si elle a été faite ainsi par Dieu. Si en effet l’homme animal ne perçoit pas ce qui concerne l’Esprit de Dieu et si, parce qu’il est animal, il ne peut recevoir la compréhension d’une nature supérieure, c’est-à-dire divine, c’est pour cela que Paul, voulant nous enseigner plus clairement quelle est la faculté qui nous permet de comprendre les réalités de l’Esprit, les réalités spirituelles, unit et associe à un esprit saint plutôt l’intelligence que l’âme. A mon avis il le montre, lorsqu’il dit : Je prierai par l’esprit, je prierai aussi par l’intelligence; je psalmodierai par l’esprit, je psalmodierai aussi par l’intelligence. Il ne dit pas : je prierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’intelligence ; et non plus : je psalmodierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’intelligence.