La vérité peut-elle être perçue par les sens corporels?

Tout ce qui tombe sous le sens corporel et qu’on appelle sensible, éprouve un changement incessant. C’est ainsi que quand les cheveux de notre tête croissent, quand notre corps décline vers la vieillesse ou revêt les charmes de la jeunesse, le mouvement est continuel et ne subit aucune relâche. Or ce qui n’est pas permanent, ne peut être perçu : car il n’y a de perceptible que ce que la connaissance saisit. Mais, ce qui change continuellement ne saurait être saisi. Il ne faut donc point attendre de perception pure et vraie de la part des sens corporels. Qu’on ne nous dise pas qu’il y a des objets sensibles qui subsistent toujours de la même manière ; qu’on ne nous parle pas du soleil et des étoiles, sur lesquels il est difficile d’établir une certitude; au moins il n’est personne qui ne soit forcé de convenir qu’il n’est pas un objet sensible qui n’ait une fausse ressemblance, telle que la différence ne puisse être saisie. Ainsi, pour ne pas citer d’autres exemples, nous éprouvons en imagination, dans le sommeil ou dans la folie, des sensations semblables à celles que nous recevons par le corps, bien que les objets ne soient pas présents aux sens; et dans ce cas, nous ne pouvons absolument pas discerner si ces sensations sont réelles ou imaginaires. Donc s’il y a de fausses images des choses sensibles, que les sens eux-mêmes ne peuvent discerner, et si d’autre part, on ne peut percevoir que ce qui est discerné du faux, il s’ensuit que le critérium de la vérité ne réside pas dans les sens. Voilà pour quoi on a de justes raisons de nous engager à nous détourner de ce monde, qui est tout corporel et tout sensible, pour nous porter de toute l’ardeur de notre âme vers Dieu, c’est-à-dire vers la vérité, qui est saisie par l’intellect et le sens intérieur, dure toujours, conserve le même mode d’être et n’a point de fausse ressemblance dont elle ne puisse être discernée. (83 Questions)