{{17,4.}} De même que l’œil du corps, s’il est sans défaut, regarde toujours clairement le soleil, ainsi l’esprit entièrement purifié voit toujours la gloire de la lumière du Christ et reste avec le Seigneur nuit et jour, comme le corps du Seigneur uni à la divinité est perpétuellement avec le Saint Esprit. Mais l’homme n’atteint pas tout de suite cette hauteur : il y faut de la peine, de l’affliction, beaucoup de lutte. Il en est certains chez qui la grâce habite, agissant et se reposant, et le mal aussi habite en eux, et tous les deux, lumière et ténèbres, exercent leur action sur le même cœur.
{{5.}} Pourtant, me direz-vous, qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? Où la lumière divine est-elle obscurcie et souillée? Où ce qui est pur et sans souillure est-il troublé? Car il est écrit: «Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas atteinte» ( Jn 1, 5 ). Il ne faut pas entendre ces paroles simplement et uniment. Certains ont leur repos dans la grâce de Dieu en tant qu’ils dominent le mal qui est en eux, qu’ils s’adonnent à la prière et mettent leur repos en Dieu ; mais en d’autres temps ils sont agités par les pensées mauvaises, emportés par le péché, alors qu’ils sont encore dans la grâce de Dieu. Les simples et les ignorants, s’ils voient la grâce agir en eux de quelque manière; se croient libres du péché ; mais ceux qui ont discernement et prudence n’osent pas nier que, même ayant la grâce divine, nous ne soyons agités par les pensées honteuses et obscènes.
{{6.}} Souvent nous en avons trouvé parmi nos frères, qui étaient assez heureux et avaient reçu assez de grâce pour pouvoir dire qu’ils n’avaient pas ressenti la concupiscence durant cinq ou six ans, et pour penser après cela qu’ils en étaient délivrés ; mais le mal latent se réveilla en eux, et ils furent brûlés par le feu de la concupiscence au point qu’ils en étaient étonnés et disaient : « D’où un tel mal a-t-il surgi en nous après si longtemps ? » Que personne, s’il est sain d’esprit, n’ose donc dire: «La grâce étant en moi, je suis complètement délivré du péché.» Mais il y a deux êtres qui agissent sur l’esprit. Ceux qui n’ont pas d’expérience en ces matières s’imaginent, dès que la grâce a quelque peu agi en eux, qu’ils ont déjà remporté la victoire et sont des chrétiens parfaits. Pour moi, je dirai qu’il en est ainsi : lorsque le soleil brille au ciel dans un air pur, et que des nuages l’entourent, le cachent et obscurcissent l’air, il ne perd lui-même rien de sa lumière ni de sa substance, puisqu’il est à l’intérieur : il en va de même pour ceux qui ne sont pas entièrement purifiés : étant en grâce avec Dieu, et cependant retenus dans les bas-fonds par le péché, ils ont leurs mouvements naturels et leurs pensées orientées solidement vers Dieu, quoiqu’ils ne soient pas complètement fixés dans le bien.
{{7.}} De même, à l’opposé, ceux qui en bas sont retenus par le bon côté, je veux dire la grâce, sont encore des esclaves, soumis aux mauvaises pensées et à la partie mauvaise d’eux-mêmes. Il faut donc beaucoup de discernement pour que l’expérience vous fasse connaître que c’est votre cas. Mais je vous dirai que même les apôtres ayant reçu le Paraclet n’étaient pas sans inquiétude : à la joie et à l’exultation se mêlaient la crainte et le tremblement provenant de la grâce même, et non à cause de la partie mauvaise d’eux-mêmes ; mais la grâce les protégeait, les empêchant de s’égarer en quelque manière.