La prière continuelle.

{{10, 10.}} En cette science spirituelle il vous faut un modèle, sur lequel vous tiendrez votre regard obstinément attaché : vous apprendrez ainsi à y penser sans cesse, et vous l’appropriant par cette méditation continuelle, vous pourrez vous élever à une haute contemplation. Voici ce modèle destiné à vous instruire, cette formule de prière que vous cherchez. Tout moine qui vise au souvenir continuel de Dieu, doit s’accoutumer à la méditer sans cesse, et pour cela chasser toutes autres pensées ; car il ne pourra la retenir que s’il s’affranchit entièrement des soucis et sollicitudes charnelles. C’est un secret que nous ont transmis les rares survivants des Pères du premier âge, et nous ne le livrons de même qu’au petit nombre des âmes qui ont vraiment soif de le connaître. Afin donc de vous tenir toujours dans la pensée de Dieu, vous devrez continuellement vous proposer cette formule de dévotion : « Mon Dieu, venez à mon aide ; hâtez-vous, Seigneur, de me secourir» ( Ps 69, 2 ). Ce n’est pas sans raison que ce court verset a été choisi particulièrement de toute l’Ecriture. Il exprime tous les sentiments dont la nature humaine est susceptible ; il s’adapte heureusement à tous les états et convient en toutes les sortes de tentations. On y trouve l’appel à Dieu contre tous les dangers, une humble et pieuse confession, la vigilance d’une âme toujours en éveil et pénétrée d’une crainte continuelle, la considération de notre fragilité, la confiance d’être exaucé et l’assurance du secours toujours et partout présent… C’est en moi une effervescence de distractions sans nombre et de toutes sortes ; aucune stabilité ; la force me manque pour refréner l’éparpillement de mes pensées. Il m’est impossible de prier sans être traversé de vaines images, du souvenir de ce que j’ai dit ou fait. Mon âme ressemble à un désert aride, et je me sens incapable de produire le moindre mouvement de dévotion. Pour mériter d’être délivré de cette désolation, d’où ni gémissements ni soupirs n’ont pu me faire sortir, je devrai pousser ce cri : « Mon Dieu, venez à mon aide ; hâtez-vous, Seigneur, de me secourir. » Mon âme a retrouvé sa direction, mes pensées ont pris consistance; allégresse du cœur, joie ineffable, transport de l’esprit : tous ces biens me sont venus avec la visite de l’Esprit Saint. Dans un flot débordant de sentiments surnaturels, je suis favorisé des plus amples révélations ; des vues me sont ouvertes par une illumination soudaine et venue du Seigneur sur des mystères jusque-là profondément ignorés. Pour mériter de voir longtemps cette lumière, je dirai et redirai : « Mon Dieu, venez à mon aide ; hâtez-vous, Seigneur, de me secourir. » Les démons m’assiègent de terreurs nocturnes, les esprits immondes me harcèlent de leurs fantômes ; l’excès de l’épouvante va jusqu’à m’ôter tout espoir de salut. Je chercherai un refuge dans ce verset, comme en un port de salut, et de toutes mes forces je m’écrierai : « Mon Dieu, venez à mon aide; hâtez-vous, Seigneur, de me secourir»… Que le sommeil vous ferme les yeux sur ces paroles, tant qu’à force de les redire vous preniez l’habitude de les répéter même en dormant. Qu’elles soient, au réveil, la première chose qui se présente à votre esprit, avant toute autre pensée. Dites-les à genoux, au sortir du lit, et qu’elles vous accompagnent ensuite en toutes vos actions, sans vous quitter jamais. Vous les méditerez, selon le précepte de Moïse, « assis dans votre maison et marchant par les chemins» ( Dt 6, 71 ), en dormant et en vous levant. Vous les écrirez sur le seuil et les portes que sont vos lèvres, vous les graverez sur les murs de votre maison et dans le sanctuaire de votre cœur ; en sorte qu’elles vous accompagnent comme votre unique refrain, lorsque vous vous prosternerez pour l’oraison ; et quand, ensuite, vous vous relèverez pour suivre le train ordinaire de la vie, elles seront votre constante prière.