LA CHARITE MUTUELLE

Le bien-être commun est assuré par la charité mutuelle. Oh ! quelle vie heureuse auraient-ils tous, s’ils s’aimaient les uns les autres ! Alors il n’y aurait pas de guerre avec ses terribles et déplorables carnages ; il n’apparaîtrait pas en peu de temps une multitude de veuves pleurant leurs maris, d’orphelins pleurant leurs pères, de pères et mères pleurant leurs enfants, tous ceux-là que le fléau de la guerre frappe en masse subitement.

La querelle et la guerre sont l’indice que la charité est détruite. Si la charité existait, il n’y aurait pas de brigandages, de vols, de rapines, d’assassinats, de violences, de déprédations, d’astuces, de flatteries, de reproches, de médisances, d’injures et d’autres calamités mortelles pour le christianisme, à cause desquelles tant d’hommes souffrent, pleurent et meurent prématurément ! Car tout cela, ce sont les signes que la charité est chassée au loin. On n’aurait pas besoin de murs solides pour les garde-manger, les magasins, les greniers à blé ; gardiens, verrous et cadenas seraient superflus. Il n’y aurait pas d’hommes opprimés qui pleurent des larmes de sang. On n’entendrait pas les lamentations des veuves, des orphelins et d’autres êtres privés de protection, criant vers le ciel. Il n’y aurait pas de nos frères affamés, errant dans les rues et sur les places publiques. Les membres du Christ ne grelotteraient pas à demi-nus quand il gèle. Les prisons ne seraient pas pleines de détenus pour dettes, arrérages, lettres de change. La charité ne permettrait pas de tels malheurs. Il n’y aurait pas de pauvres et de mendiants, car la charité exige que tout soit commun à tous, au pauvre la richesse du riche, au riche la pénurie du pauvre ; elle exige que les besoins du pauvre soient couverts par l’abondance du riche. Il est écrit dans les Actes des apôtres qu’en ces temps-là parmi les chrétiens il n’y aurait aucun indigent, car la multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme ; nul n’appelait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux (Act., IV, 32).

Impossible de décrire quel bonheur la charité apporte dans la société : entre supérieur et subordonné, parents et enfants, époux et épouses, frères et sœurs, serfs et maîtres ; dans le voisinage, entre citoyens, villageois, artisans, militaires ; dans le clergé, entre prêtres, clercs de chapelle et autres ecclésiastiques. Sans charité, il n’y a nulle part aucune joie, aucun réconfort ; là où elle est, c’est un perpétuel festin spirituel, une jubilation. Aux âmes liées par la charité il est agréable même de rester en prison, il est doux de verser des larmes l’un sur le sort de l’autre ; sans charité, les splendides palais ne diffèrent pas des prisons. Quand on a la charité, on trouve de la douceur dans le pain et l’eau ; sans charité, les douceurs elles-mêmes sont amères. Avec la charité, l’esclavage lui-même est meilleur que la liberté ; sans charité, la liberté est pire que l’esclavage. La charité tient debout les maisons, les villes, les Etats ; sans charité, ils s’écroulent. La charité orne les institutions d’Etat ; on y donne de bons conseils. La charité fortifie l’armée, la rend redoutable et invincible. 0 bienheureuses, la société, la cité, la maison où fleurit l’amour mutuel ! L’endroit où la charité réside, comme un arbre couvert de fruits délicieux, ressemble au paradis terrestre, plein de joie et de douceur. 0 charité, charité, trésor inestimable, charité ! Charité, mère de tous les biens ! Charité, indice certain d’une foi chrétienne vivante ! Que de malheurs, de tentations et de misères nous affligent, lorsque nous n’avons pas la charité.