Pour comprendre plus clairement ce qu’est la gloire de la toute-puissance, ajoutons encore ce qui suit. Dieu le Père est tout-puissant en ce qu’il possède la domination de tout, le ciel et la terre, le soleil, la lune et les étoiles et tout ce qu’ils contiennent. Il exerce cette domination par sa Parole, puisque, au nom de Jésus, tout genou fléchit des êtres célestes, terrestres et infernaux. Et si tout genou fléchit devant Jésus, sans aucun doute c’est à Jésus que tout est soumis, c’est lui qui exerce la domination sur tout et par qui tout est soumis au Père : tout est soumis par le moyen de la Sagesse, c’est-à-dire par la Parole et la Raison et non par force et nécessité. C’est pourquoi sa gloire est dans le fait même qu’il tient toutes choses : la gloire très pure et très limpide de la toute-puissance, c’est quand par raison et sagesse, non par force et nécessité, tout est soumis. On nomme, avec à-propos, très pure et très limpide la gloire de la Sagesse pour la distinguer de celle qui n’est pas appelée purement ni franchement gloire. Toute nature convertible et muable en effet, même si elle est glorifiée par les oeuvres de la justice et de la sagesse, par le fait même qu’elle possède la justice et la sagesse de manière accidentelle et que ce qui est accidentel peut aussi déchoir, ne peut avoir une gloire franche et limpide. Mais la Sagesse de Dieu, son Fils unique, en toutes choses inconvertible et immuable, possédant tout bien de façon substantielle, sans possibilité de mutation ou de changement, peut pour ces raisons se voir attribuer une gloire pure et franche. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Il n’y a donc pas de nature incapable de recevoir le bien ou le mal, si ce n’est celle de Dieu, source de tous les biens, et celle du Christ : il est en effet Sagesse, et la sagesse ne peut en aucune façon recevoir la sottise ; il est aussi Justice, et jamais assurément la justice n’acquerra l’injustice ; il est Parole ou Raison, une raison qui ne peut jamais devenir déraisonnable; mais il est aussi Lumière, et certainement les ténèbres ne peuvent saisir la lumière. Pareillement, la nature du Saint Esprit qui est sainte ne peut souffrir de souillure : car elle est sainte par nature et de façon substantielle. Mais toute autre nature qui est sainte tient sa sanctification de ce qu’elle a assumé l’Esprit Saint et de ce qu’il l’a inspirée : elle ne la possède pas par nature, mais de manière accidentelle, or ce qui est accidentel peut déchoir. On peut avoir ainsi une justice accidentelle, d’où il suit qu’on peut la perdre. On a pareillement une sagesse accidentelle, mais il est en notre pouvoir, par notre zèle et le mérite de notre vie, par la pratique de la sagesse, de devenir sages : si nous y mettons tous nos soins, nous participons toujours à la sagesse, et ceci plus ou moins selon le mérite de notre vie ou l’importance de notre zèle. Car la bonté de Dieu, selon ce qui lui convient, invite tous les êtres et les attire à la fin bienheureuse, où cessent et disparaissent douleurs, tristesses et gémissements de toute sorte. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Je crois, à ce qui me paraît, que la discussion précédente aura suffisamment montré que ce n’est pas sans discernement ni par hasard que les Principautés tiennent leur principal et que chacun des autres ordres a reçu sa fonction : ils ont obtenu d’après leurs mérites le degré de leur dignité ; cependant il ne nous appartient pas de savoir ni de chercher quels sont les actes qui leur ont mérité de parvenir à cet ordre. Il suffit de savoir cela pour montrer l’impartialité et la justice de Dieu, puisque, selon la phrase de l’apôtre Paul, il n’y a pas en Dieu acception de personne, mais il distribue plutôt toutes choses selon les mérites et les progrès de chacun. La fonction des anges ne leur vient que de leurs mérites, les Puissances n’exercent leur puissance qu’à cause de leurs progrès, ceux qu’on appelle les Trônes, c’est-à-dire les puissances préposées au jugement et au gouvernement, ne tiennent leur administration que de leurs mérites, les Dominations ne dominent pas sans que soit tenu compte de leurs mérites : c’est le premier ordre, suprême et éminent, de la créature raisonnable dans les cieux, et il est ordonné à des fonctions variées et glorieuses. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Ils pensent en effet que la bonté est un sentiment qui désire pour tous le bien, même si le bénéficiaire en est indigne et ne mérite pas d’obtenir le bien ; à ce qu’il me semble, ils n’ont pas utilisé correctement une telle définition, pensant que celui à qui arrive quelque chose de pénible et de triste ne reçoit pas le bien. Ils ont considéré la justice comme un sentiment qui veut rendre à chacun selon son mérite. Mais là aussi, ils n’interprètent pas correctement le sens de leur définition. Ils pensent en effet qu’il est juste de faire le mal aux mauvais, le bien aux bons, c’est-à-dire que, selon leur signification, le juste ne paraîtrait pas vouloir le bien aux mauvais, mais être animé d’une certaine façon de haine à leur égard : et ils recueillent ainsi tout ce qu’ils trouvent comme récits dans les écrits de l’Ancien Testament, par exemple le châtiment du déluge et de ceux qui y furent noyés, la dévastation de Sodome et de Gomorrhe par une pluie de feu et de soufre, la mort dans le désert à cause de leurs péchés de tous ceux qui avaient quitté l’Egypte, de telle sorte qu’aucun ne put entrer dans la terre des promesses sinon Josué et Caleb. Du Nouveau Testament ils rassemblent les paroles de miséricorde et de pitié que le Sauveur a dites à ses disciples pour les former, celles qui semblent déclarer que Personne n’est bon si ce n’est un seul, Dieu le Père; et ainsi ils ont osé, tout en proclamant bon le Dieu Père du Sauveur Jésus-Christ, dire que le Dieu du monde est autre et l’appeler juste, mais non bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la malice et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu – je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute -, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’intelligence détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Qu’ils disent alors, en examinant les Écritures divines, ce qu’est chaque vertu, et qu’ils ne cherchent pas à s’esquiver en disant que le Dieu qui rétribue chacun selon ses mérites, leur rend le mal pour le mal par haine des méchants et que ce n’est pas parce que ceux qui ont péché ont besoin d’être soignés par des remèdes plus pénibles qu’il leur applique un traitement qui, en vue de leur amendement, semble présentement les faire souffrir. Il ne lisent pas ce qui est écrit de l’espérance de ceux qui ont péri par le déluge, espérance dont Pierre dit dans sa Première Épître : Le Christ est mort selon la chair, mais a été vivifié selon l’esprit. Dans cet esprit il est allé prêcher aux esprits maintenus en prison, ceux qui avaient été autrefois incrédules, lorsque Dieu attendait avec patience quand Noé construisait l’arche; dans l’arche un petit nombre, c’est-à-dire huit personnes, ont été sauvées par le moyen de l’eau; vous aussi, de façon semblable, il vous sauve aujourd’hui par le baptême. Au sujet de Sodome et de Gomorrhe, qu’ils nous disent s’ils croient que les paroles prophétiques viennent du Dieu dont on rapporte qu’il fit pleuvoir sur eux une pluie de feu et de soufre! Que dit de ces villes le prophète Ézéchiel ? Sodome sera restaurée dans son état ancien. En punissant ceux qui méritaient le châtiment, ne l’a-t-il pas fait pour leur bien ? Il a dit à la Chaldée : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus et ils te seront utiles. A propos de ceux qui sont tombés dans le désert, que les hérétiques écoutent ce qui est rapporté dans le Psaume 77, attribué par son titre à Asaph : Lorsqu’il les tuait, alors ils le cherchaient. Il n’a pas dit que, les uns étant tués, les autres le recherchaient, mais que ceux qui étaient tués l’étaient de telle sorte que, mis à mort, ils recherchaient Dieu. Tout cela montre que le Dieu juste et bon, le Dieu de la loi et des Évangiles, est un seul et même Dieu, qu’il fait le bien avec justice et punit avec bonté, puisque ni la bonté sans la justice, ni la justice sans la bonté, ne sont le signe de la dignité de la nature divine. Ajoutons encore ce qui suit, forcés par leurs artifices. Si la justice est autre chose que le bien, puisque le mal est contraire au bien et l’injuste au juste, sans aucun doute l’injuste sera autre que le mal ; et puisque, selon vous, celui qui est juste n’est pas bon, celui qui est injuste ne sera pas mauvais ; de même, puisque celui qui est bon n’est pas juste, celui qui est mauvais ne sera pas injuste. Ne sera-t-il pas absurde, à ce qu’il semble, que celui qui est mauvais soit le contraire du Dieu bon, mais que personne ne soit le contraire du Dieu juste qu’ils présentent comme inférieur au bon ? A Satan qui est appelé le Malin ne correspond donc pas quelqu’un autre qui serait dit l’Injuste. Qu’en est-il donc ? Remontons au point d’où nous sommes descendus. Ils ne pourront pas dire que le mauvais n’est pas en même temps injuste, ni l’injuste mauvais. Mais si, dans ces contraires, il y a une liaison indissociable entre l’injustice et le mal et entre le mal et l’injustice, le bon sera certainement indissociable du juste et le juste du bon : de même que nous disons que la malice et l’injustice sont un seul et même mal, de même nous tenons que la bonté et la justice sont une seule et même vertu. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son coeur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’intelligence humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les intelligences, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de Dieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section
Si cela paraît difficile à quelqu’un, alors que nous avons montré plus haut qu’il y a dans le Christ une âme raisonnable et que nous avons répété fréquemment dans toutes nos discussions que la nature des âmes est tout à fait capable de recevoir le bien et le mal, nous résoudrons cette difficulté de la façon suivante. On ne peut douter que la nature de cette âme n’ait été celle de toutes les âmes : autrement on n’aurait pu l’appeler âme, si elle n’avait pas été vraiment âme. Mais puisque choisir le bien ou le mal est au pouvoir de tous, cette âme, celle du Christ, a si bien choisi d’aimer la justice que, par suite de l’immensité de son amour, elle a adhéré à elle de manière inconvertible et inséparable : ainsi la fermeté de son propos, l’immensité de son affection et la chaleur inextinguible de son amour ont retranché tout désir de changement et de retournement, de telle sorte que ce qui se trouvait dans la volonté s’est transformé en nature par suite d’une longue habitude : tel fut le cas, il faut le croire, de l’âme humaine et raisonnable du Christ qui n’a eu aucune pensée ni aucune possibilité de péché. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section
En fait on peut chercher si on trouve aisément dans les Écritures le mot âme employé dans un sens louable. Il se présente fréquemment dans un sens blâmable, comme : Une âme mauvaise perd celui qui la possède, et : L’âme qui pèche, c’est elle qui mourra. Après avoir dit : Toutes les âmes sont à moi, aussi bien l’âme du fils que celle du père, il semblerait logique d’ajouter : L’âme qui agit selon la justice sera sauvée, l’âme qui pèche c’est elle qui mourra. Mais nous voyons que l’Écriture a associé à l’âme la culpabilité et a tu ce qui était digne de louange. Il faut voir maintenant si, comme nous l’avons dit à partir de la signification du terme, la psyché, c’est-à-dire l’âme, a reçu ce nom parce qu’elle s’est refroidie, perdant la ferveur des justes et la participation au feu divin, sans abandonner cependant la possibilité de se rétablir dans cet état de ferveur où elle fut au début. Le prophète paraît indiquer un sens semblable lorsqu’il dit : Reviens, mon âme, dans ton repos. Cela semble montrer à tous que l’intelligence, s’éloignant de son état et de sa dignité, est devenue et s’est appelée âme : si elle est convertie et corrigée elle redevient intelligence. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section
Il est dit que tout ce qui a été fait l’a été par le Christ et dans le Christ, comme l’apôtre Paul l’affirme très clairement : Car en lui et par lui tout a été créé, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, les réalités visibles et les invisibles, soit les Trônes, les Dominations, les Principautés ou les Puissances : tout a été créé par lui et en lui. Jean dans son Évangile parle de même : Dans le principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu; elle était dans le principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Il est écrit pareillement dans les Psaumes : Tu as tout fait dans ta Sagesse. Puisque le Christ, de même qu’il est Parole et Sagesse, est aussi Justice, il s’ensuivra sans aucun doute que tout ce qui a été fait dans la Parole et la Sagesse a été fait aussi, il faut le dire, dans la Justice, le Christ. C’est pourquoi dans ce qui a été fait il ne faut voir rien d’injuste ni rien de fortuit, mais enseigner que tout est conforme à ce que demande la règle de l’équité et de la justice. Comment peut-on comprendre la très grande justice et la très grande équité d’une telle variété et diversité des êtres ? Je suis certain que ni l’entendement ni la parole humaine ne peuvent l’expliquer, si nous n’implorons pas, prosternés et suppliants, celui qui est lui-même Parole, Sagesse et Justice, le Fils unique de Dieu, pour qu’il daigne, en se répandant par sa grâce dans nos pensées, illuminer ce qui est obscur, ouvrir ce qui est fermé et dévoiler ce qui est secret. Il faut pour cela que nous demandions, que nous cherchions, que nous frappions à la porte d’une façon assez digne pour que, lorsque nous demandons, nous méritions de recevoir, lorsque nous cherchons, nous méritions de trouver, lorsque nous frappons à la porte, l’ordre soit donné de nous ouvrir. Ce n’est donc pas en nous appuyant sur notre propre talent, mais sur l’aide de cette même Sagesse qui a créé l’univers et de cette Justice que nous croyons présente dans toutes les créatures, même si pour le moment nous n’avons pas la force de rien affirmer, c’est donc en nous confiant en sa miséricorde que nous tenterons de rechercher et d’examiner comment cette si grande variété et diversité du monde paraît s’accorder avec toutes les raisons de la justice. Quand je parle de raison je le dis seulement dans un sens général. Car chercher la raison particulière de chaque être est le propre de quelqu’un qui est sans expérience et vouloir en rendre compte est celui d’un insensé. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section
Lorsque nous disons que ce monde avec toute sa diversité, telle que nous l’avons exposée plus haut, a été fait par le Dieu que nous affirmons bon, juste et très équitable, beaucoup nous font des objections et demandent d’ordinaire – surtout ceux qui viennent des écoles de Marcion, Valentin et Basilide et tiennent que les natures des âmes sont différentes – comment il peut convenir à la justice de Dieu créant le monde de donner aux uns une demeure dans les cieux, et non seulement une demeure meilleure, mais un degré d’existence plus élevé et plus glorieux, d’accorder à d’autres le principal, d’attribuer à d’autres puissances et dominations, d’offrir à d’autres les trônes éminents des tribunaux célestes, que d’autres luisent d’une façon plus éclatante et brillent de l’éclat des astres, qu’autre soit la gloire du soleil, autre la gloire de la lune, autre la gloire des étoiles, et qu’une étoile diffère d’une autre en gloire. Pour parler de façon brève et ramassée, si au Dieu créateur ne manquent ni la volonté ni la possi-bilité d’accomplir une oeuvre très grande et très bonne, qu’est-ce qui a pu l’amener dans la création des natures raisonnables, c’est-à-dire de ceux pour qui il a été la cause de l’existence, de mettre les uns dans une condition supérieure et d’en créer d’autres au second ou au troisième degré ou même dans une condition bien inférieure ? Ces hérétiques nous opposent ensuite, au sujet des êtres terrestres, que certains reçoivent en naissant un sort plus heureux : l’un par exemple est engendré par Abraham et naît selon la promesse, un autre d’Isaac et de Rébecca; ce dernier encore dans le sein de sa mère supplante son frère et on dit qu’avant de naître il est aimé de Dieu. Ils nous objectent encore que l’un naît chez les Hébreux où il est éduqué par la loi divine, un autre chez les Grecs, hommes savants et de science non négligeable, un autre chez les Ethiopiens qui ont coutume de se nourrir de chair humaine, un autre chez les Scythes où le parricide est presque érigé en loi, ou chez les Tauriens qui immolent les étrangers. Ils nous disent : s’il y a une telle diversité de situations, si on naît dans des conditions si variées et si diverses, sans que la faculté du libre arbitre n’y intervienne – car personne ne choisit lui-même où, chez qui et dans quelle condition il naîtra -, si donc, reprennent-ils, cela n’est pas causé par la diversité des natures d’âmes, c’est-à-dire par le fait qu’une âme de nature mauvaise reçoit en partage une nation mauvaise, une âme de nature bonne une nation bonne, que reste-t-il alors, sinon d’impu-ter tout cela au hasard ? Si on accepte cette solution, le monde n’a pas été fait par Dieu et il ne faut pas croire qu’il soit régi par sa providence; en conséquence, il n’y a pas à attendre, semble-t-il, de jugement de Dieu pour les faits et gestes de chacun. Quelle est exactement la vérité dans un tel sujet ? Seul peut le savoir celui qui scrute toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section
En considérant ce que dit l’apôtre parlant de la naissance d’Ésaü et de Jacob : Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! j’estime juste d’appliquer cette même affirmation à toutes les créatures, puisque, comme on l’a dit plus haut, la justice du créateur doit apparaître en toutes. Cela serait montré plus clairement, à mon avis, si chaque être céleste, terrestre ou infernal portait en lui, précédant sa naissance corporelle, les causes de ces différences. Tout en effet a été créé par la Parole de Dieu et par sa Sagesse, et a été ordonné par sa Justice. Il pourvoit à tous les êtres par la grâce de sa miséricorde, il les exhorte à se laisser soigner par tous les remèdes possibles et les invite au salut. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section
Au contraire, si nous est donnée également à tous la possibilité de vaincre et si la manière d’utiliser cette possibilité est en notre pouvoir, à savoir avec diligence ou avec négligence, la faute sera attribuée avec justice au vaincu et la palme au vainqueur. A la suite de cette discussion que nous avons menée selon nos forces, il est apparu, me semble-t-il, clairement qu’il y a des manquements que nous commettons sans la pression des puissances malignes et d’autres sur leur instigation, quand elles nous poussent à certains excès et manques de mesure. Il faut maintenant rechercher comment ces puissances contraires opèrent en nous ces incitations. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Mais parmi les oeuvres de la chair l’Apôtre cite aussi les divergences d’opinions, les envies, les disputes, etc., et ils les comprennent ainsi : l’âme, lorsqu’elle a acquis une sensibilité plus grossière, parce qu’elle se soumet aux passions du corps, est opprimée sous la masse des vices et elle ne sent plus rien de subtil et de spirituel ; on dit alors qu’elle est devenue chair et elle tire son nom de cette chair qui est davantage l’objet de son zèle et de sa volonté. Ceux qui se posent ces questions ajoutent : Peut-on trouver un créateur de ces pensées mauvaises qui sont dites la pensée de la chair ou peut-on appeler quelqu’un ainsi ? En effet ils soutiendront qu’il faut croire qu’il n’y a pas d’autre créateur de l’âme et de la chair que Dieu. Si nous disons que c’est le Dieu bon qui, dans sa création elle-même, a créé quelque chose qui lui soit ennemi, cela paraîtra tout à fait absurde. Si donc il est écrit : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu et si on dit que cela s’est fait à partir de la création, il semblera que Dieu ait créé une nature qui lui soit ennemie, qui ne puisse être soumise ni à lui ni à sa loi, car on se sera représenté comme un être doué d’âme cette chair dont on parle. Si on accepte cette opinion, en quoi paraît-elle différer de la doctrine de ceux qui se prononcent pour la création de natures différentes d’âmes, destinées par leur nature au salut ou à la perdition? Seuls des hérétiques pensent ainsi et, parce qu’ils n’arrivent pas à soutenir par des raisonnements conformes à la piété la justice de Dieu, ils inventent des imaginations aussi impies. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section
Je pense qu’il ne faut certes pas passer sous silence comme inutile le fait que l’Écriture sainte ait appelé la création du monde d’un nom nouveau et précis parlant de katabolè du monde. Ce mot a été traduit assez improprement en latin par constitution du monde : mais katabolè en grec signifie plutôt l’action de jeter bas, c’est-à-dire de jeter vers le bas : on l’a traduit en latin improprement, comme nous l’avons dit, par constitution du monde. C’est ainsi que, dans l’Évangile selon Jean, le Sauveur dit : Il y aura ces jours-là une tribulation telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis la constitution du monde: ici constitution représente katabolè qu’il faut entendre comme nous l’avons exposé plus haut. L’Apôtre dans son Épître aux Ephésiens a utilisé la même parole : Celui qui nous a choisis avant la constitution du monde; ici aussi constitution du monde traduit katabolè, à comprendre dans le même sens que nous avons exposé plus haut. Il vaut la peine, semble-t-il, de chercher ce qui est signifié par cette expression nouvelle. Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé plus haut, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. A cause de cela, par la signification de ce mot katabolè est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers. Il faut donc penser que le monde a été fait avec la nature et la grandeur nécessaire pour pouvoir contenir toutes les âmes qui ont été placées en ce monde pour s’y exercer ou toutes les puissances qui sont prêtes à les assister, les gouverner et les aider. De nombreuses preuves démontrent que toutes les créatures raisonnables ont une seule nature : cela est nécessaire pour défendre la justice de Dieu dans tous les actes par lesquels il les gouverne, puisque chacune a en elle-même les causes qui l’ont mise dans telle ou telle condition de vie. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section
Que dire des prophéties sur le Christ contenues dans les Psaumes, du cantique qui a pour titre Pour le bien-aimé dont la langue est appelée le calame d’un scribe qui écrit vite, le plus beau des fils des hommes, puisque la grâce a été répandue sur ses lèvres. Un indice de cette grâce répandue sur ses lèvres est que, passé le court moment de son enseignement – il a enseigné à peu près une année et quelques mois – toute la terre a été remplie de sa doctrine et de la religion qu’il a introduite. Car dans ses jours se sont levées la justice et une abondance de paix subsistant jusqu’à la consommation qui est appelée disparition de la lune, et il subsiste dominant de la mer à la mer et des fleuves aux confins de la terre. Et il a été donné un signe à la maison de David, car la vierge a porté dans son sein et a engendré un fils qui s’appelle Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Ce que dit le même prophète s’accomplit : Dieu avec nous : sachez-le, nations, et soyez vaincues, vous qui êtes puissants soyez vaincus. Nous avons eu le dessous et nous avons été vaincus, nous qui venons des nations, saisis par la grâce de sa Parole. Mais le lieu de sa naissance est prédit chez Michée : Et toi, dit-il, Bethléem, terre de Juda, tu n’es en rien la plus petite parmi les chefs de Juda, car de toi sortira le chef qui paîtra mon peuple Israël. Et les soixante-dix semaines ont été accomplies jusqu’au Christ chef, selon Daniel. Il est venu aussi selon Job, celui qui a dompté le grand cétacé et qui a donné à ses authentiques disciples le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, ainsi que toute la puissance de l’ennemi, sans recevoir d’eux aucun dommage. Qu’on réfléchisse sur la venue en tous lieux des apôtres, de ceux qui ont été envoyés par Jésus annoncer l’Évangile, et l’on verra que leur audace dépassait l’homme et que leur entreprise était divine. Et lorsque nous examinons comment des hommes écoutant cet enseignement nouveau et ces paroles étrangères sont venus à eux, vaincus, quand ils voulaient leur tendre des embûches, par une puissance divine qui les protégeait, nous ne sommes pas incroyants à l’égard des prodiges qu’ils ont faits, Dieu apportant à leurs paroles son témoignage par des signes, des prodiges et des puissances diverses. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section
On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
C’est de cette âme, parce qu’elle avait reçu en elle toute la Sagesse de Dieu, toute sa Vérité et sa Vie, que l’Apôtre, à mon avis, a dit : Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; lorsque le Christ, votre vie, sera apparu, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire. Que faut-il entendre ici par le Christ qui est montré caché en Dieu et devant apparaître, sinon celui qui, comme on le rapporte, a été oint de l’huile d’allégresse, c’est-à-dire a été rempli, dans sa substance même, de Dieu, dans lequel on le dit maintenant caché ? C’est pourquoi le Christ est donné en exemple à tous les croyants, puisque toujours, et avant même de connaître, le moins que ce soit, le mal, il a choisi le bien, aimé la justice et haï l’iniquité et, pour cette raison, fut oint par Dieu de l’huile d’allégresse ; ainsi, que celui qui a péché ou erré se purifie de ses taches selon l’exemple proposé et que, l’ayant pour guide de sa route, il avance sur le dur chemin de la vertu, pour que par là, dans la mesure du possible, nous soyons faits en l’imitant participants de la nature divine, selon ce qui est écrit : Celui qui dit qu’il croit au Christ doit se conduire comme lui il s’est conduit. Donc cette Parole (Raison) et cette Sagesse, que nous imitons quand nous sommes dits sages ou raisonnables, se fait toutes choses à tous pour les gagner tous : il devient faible avec les faibles pour gagner les faibles. Et parce qu’il est devenu faible, il est dit de lui : Même s’il a été crucifié par faiblesse, il vit cependant de la force de Dieu. En fait, parmi les Corinthiens qui étaient faibles, Paul juge qu’il ne connaît rien quand il est avec eux, sinon Jésus-Christ et encore crucifié. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Si quelqu’un ose attribuer une corruption atteignant la substance même à celui qui a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, il étend, à ce que je pense, le motif de son impiété jusqu’au Fils de Dieu lui-même : car le Fils est aussi appelé image de Dieu dans les Écritures. Ou certainement celui qui veut qu’il en soit ainsi, qu’il accuse l’autorité de l’Écriture qui dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Il est clair que les signes de cette image divine en l’homme peuvent être reconnus, non dans la forme du corps qui se corrompt, mais dans la prudence de l’intelligence, dans la justice, la modération, le courage, la sagesse, l’instruction, bref dans tout le choeur des vertus, présentes en Dieu de façon substantielle, en l’homme par son activité et l’imitation de Dieu, selon ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux, et : Soyez parfaits comme votre Père est parfait. Cela montre avec évidence qu’en Dieu toutes ces vertus existent toujours, sans pouvoir progresser ni régresser, mais que dans les hommes chacune d’elle est acquise peu à peu. Par là les hommes semblent avoir une certaine parenté avec Dieu ; puisque Dieu connaît tout et qu’aucune réalité intellectuelle ne lui est cachée – en effet Dieu seul, Père, Fils Unique et Saint Esprit, non seulement connaît ce qu’il a créé, mais encore possède la connaissance de lui-même -, l’intelligence raisonnable peut cependant, en progressant du petit jusqu’au plus grand et du visible jusqu’à l’invisible, parvenir à une compréhension plus parfaite. Elle est en effet placée dans un corps et doit progresser des réalités sensibles qui sont corporelles à celles qui ne sont pas sensibles, mais incorporelles et intellectuelles. Mais de peur qu’il ne paraisse pas convenable d’appeler non sensibles les réalités intellectuelles, nous utiliserons comme exemple une affirmation de Salomon : Tu trouveras aussi une sensibilité divine. Cela montre que les réalités intellectuelles sont cherchées non avec un sens corporel, mais avec un autre sens appelé divin. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section