justice (Orígenes)

Il a délibérément passé sous silence la légende des dieux supposés, aux passions tout humaines, due principalement aux poèmes d’Orphée. Mais ensuite, dans sa critique de l’histoire de Moïse, il accuse ceux qui en donnent une interprétation figurée et allégorique. On pourrait riposter à cet auteur illustre qui a intitule son livre “Discours véritable” quoi donc, mon brave, des dieux s’engagent dans des aventures telles que les décrivent tes sages poètes et philosophes, ils se livrent à des unions maudites, entrent en guerre contre leurs pères, leur tranchent les organes virils, et tu prends au sérieux l’histoire qui rapporte leur audace à commettre et a souffrir ces forfaits ! Mais lorsque Moïse ne dit rien de tel sur Dieu, ni même sur les saints anges, et qu’il raconte sur les hommes de bien moindres méfaits — chez lui personne n’a les audaces de Cronos envers Ouranos, ni celles de Zeus envers son père, sans ajouter que « le père des dieux et des hommes » s’est uni à sa fille —, on pense qu’il égare ceux qu’il a trompés en leur donnant sa loi. Celse me semble agir à peu près comme le Thrasymaque de Platon, qui ne permet point à Socrate de répondre à sa guise sur la justice, mais déclare : « Garde-toi de dire que le juste c’est l’utile, l’obligatoire ou quoi que ce soit de semblable » Lui aussi, lorsqu’il accuse, croit-il, les histoires de Moïse et qu’il blâme ceux qui les interprètent en allégories tout en les louant d’être les plus raisonnables, il voudrait bien, après son accusation fantaisiste, empêcher ceux qui le peuvent de répondre comme le demande la nature des choses. LIVRE I

Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la doctrine des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I

Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I

Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par Moïse et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de Moïse, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de Moïse, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I

Ensuite, comme s’il n’était pas le seul dont il est prophétisé qu’il rend la justice aux saints et châtie les pécheurs, comme s’il n’y avait aucune prédiction sur le lieu de sa naissance, la passion qu’il endurerait des Juifs, sa résurrection, les miracles prodigieux qu’il accomplirait, il dit : ” Pourquoi serait-ce à toi plutôt qu’à une infinité d’autres nés depuis la prophétie que s’appliquerait ce qui est prophétisé ? ” Je ne sais pourquoi il veut attribuer à d’autres la possibilité de conjecturer qu’ils sont eux-mêmes l’objet de cette prophétie, et ajoute : ” Les uns, fanatiques, les autres, mendiants, déclarent venir d’en haut en qualité de Fils de Dieu “. Je n’ai pas appris que ce soit un fait reconnu chez les Juifs. Il faut donc répondre d’abord que bien des prophètes ont fait des prédictions de bien des manières chez les Juifs sur le Christ : les uns en énigmes, les autres par allégorie ou autres figures, et certains même littéralement. Il déclare ensuite dans le discours fictif du Juif aux croyants de son peuple : Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent aussi bien s’adapter à d’autres réalités, et il le dit avec une habileté malveillante ; j’en exposerai donc quelques-unes entre beaucoup d’autres ; et à leur sujet, qu’on veuille bien dire ce qui peut contraindre à les renverser et détourner de la foi les croyants à l’intelligence prompte. LIVRE I

Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I

Il dit encore : “Beaucoup d’autres auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui consentaient à être dupes.” Que le Juif de Celse montre donc non pas beaucoup, ni même quelques-uns, mais un seul homme tel que Jésus qui, par la puissance qui est en lui a introduit dans l’humanité une doctrine et des dogmes bienfaisants, et a converti les hommes du flot de péchés ! Il poursuit : “Ceux qui croient au Christ font un grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu”. Sur ce point, j’ai répliqué d’avance ci-dessus, en montrant à la fois comment nous pensons qu’il est Dieu, et en quoi nous disons qu’il est homme. Il poursuit : “Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ?” Répondre à cette attaque qui est fort sotte ne me semble pas raisonnable. Elle équivaut à dire : comment, nous qui avons enseigné la tempérance, aurions-nous fait quelque chose de licencieux ou nous qui prétendons à la justice, aurions-nous été coupables d’injustice ? De même que ces inconséquences se trouvent chez les hommes, il était humain aussi que des gens qui affirmaient croire aux prophètes annonçant la venue du Christ aient refusé de croire en lui quand il fut venu conformément aux prophéties. LIVRE II

Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II

Je l’ai déjà dit plus haut les prophéties envisagent un double avènement du Christ au genre humain. Aussi n’est-il plus besoin que je réponde a l’objection mise dans la bouche du Juif. ” C’est un grand prince, seigneur de toute la terre, de toutes les nations et armées qui doit venir, disent les prophètes “. Et à la manière des Juifs, je pense, laissant libre cours à leur bile pour invectiver Jésus sans preuve ni argument plausible, il ajoute ” Mais ils n’ont pas annoncé cette peste “. Pourtant ni Juifs, ni Celse, ni personne d’autre ne pourraient établir avec preuve à l’appui qu’une peste convertisse tant d’hommes du débordement des vices à la vie conforme a la nature dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus Celse lance encore cette attaque ” Personne ne prouve une divinité ou une filiation divine par de si faibles indices mêlés d’histoires fausses et d’aussi médiocres témoignages “. Mais il lui fallait citer ces histoires fausses et les réfuter, établir rationnellement la médiocrité des témoignages il aurait pu alors, aux déclarations semblant plausibles du chrétien, s’efforcer de les combattre et de renverser l’argument. Son affirmation que Jésus serait grand s’est bien vérifiée, mais il n’a pas voulu voir qu’elle s’était vérifiée, comme l’évidence le prouve de Jésus ” Comme le soleil qui illumine toutes les autres choses se montre d’abord lui-même, ainsi aurait dû faire le Fils de Dieu “, dit-il. Or on peut dire qu’il l’a vraiment fait. Car la parole « En ces jours s’est levée la justice, et l’abondance de la paix » commença a se réaliser dés sa naissance Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l’isolement des nations dû a la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l’exécution de l’ordre du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples» » Il est manifeste que Jésus est né sous le règne d’Auguste qui avait pour ainsi dire réduit à une masse uniforme, grâce à sa souveraineté unique, la plupart des hommes de la terre. L’existence de nombreux royaumes eût été un obstacle à la diffusion de l’enseignement de Jésus par toute la terre non seulement pour la raison déjà dite, mais encore à cause de la contrainte imposée aux hommes de tous les lieux de prendre les armes et de faire la guerre pour défendre leurs patries. La chose s’était produite avant les jours d’Auguste et même encore auparavant, quand il fallut, par exemple, que se déchaînât la guerre entre les habitants du Péloponnèse et ceux d’Athènes, et à leur suite, d’autres nations entre elles. Comment donc cet enseignement pacifique, qui ne permet pas de tirer vengeance même des ennemis, eut-il pu triompher, si la situation de la terre, à l’avènement de Jésus, n’eût été partout changée en un état plus paisible. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

Car il est écrit dans la lettre de notre Paul aux Corinthiens, Grecs dont les moers n’étaient pas encore purifiées : « C’est du lait que je vous ai donné à boire et non une nourriture solide, vous ne pouviez pas encore la supporter. Et vous ne le pouvez pas encore à présent, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » Et ce même apôtre, sachant que certaines vérités sont la nourriture de l’âme avancée en perfection, et que d’autres, celles des néophytes, sont comparables au lait des petits enfants, déclare : « Et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. De fait, quiconque en est encore au lait ignore la doctrine de justice : ce n’est qu’un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, ceux qui, par l’habitude ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal. » Dès lors, ceux qui croient à la beauté de ces paroles supposeraient-ils qu’on ne traiterait jamais des beaux mystères du Logos dans une assemblée d’hommes prudents, mais que, si on apercevait des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, on irait y proposer en public les mystères divins et vénérables, et en faire étalage devant de tels spectateurs? Au contraire, à scruter tout le dessein de nos Écritures, il est bien clair que, partageant la haine de la grossière populace pour la race des chrétiens, Celse profère sans examen de tels mensonges. LIVRE III

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Quand donc on parle de la colère de Dieu, il s’agit non d’une passion qu’il éprouve, mais d’un procédé qu’il adopte pour corriger par une méthode d’éducation plus sévère ceux qui ont commis de nombreux et graves péchés. Parler de la colère de Dieu et de sa fureur est un procédé pédagogique ; et telle est la pensée du Logos, clairement exprimée par le psaume sixième : « Seigneur ne me reprends point dans ta fureur, ne me corrige point dans ta colère », et dans Jérémie : « Corrige-nous Seigneur, mais selon ta justice et non dans ta fureur, pour ne pas trop nous réduire. » Mais, en lisant dans le second livre des Rois, que la colère de Dieu persuada David de dénombrer le peuple, et dans le premier des Paralipomènes que ce fut « le diable », et en comparant les expressions de l’un à l’autre, on verra ce que désigne « la colère » : cette colère dont tous les hommes sont enfants, au dire de Paul : « Nous étions par nature enfants de colère tout comme les autres. » Que la colère n’est point une passion de Dieu, et que chacun l’attire sur lui par les péchés qu’il commet, Paul le montrera dans ce passage : « Ou bien mépriseras-tu ses trésors de bonté, de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? Par ton endurcissement et l’impénitence de ton coeur, tu amasses contre toi un trésor de colère pour le jour de colère où doit se révéler le juste jugement de Dieu. » Comment donc chacun peut-il amasser contre lui-même un trésor de colère pour le jour de colère, si la colère est considérée comme une passion ? Et comment la passion de colère peut-elle être un moyen d’éducation? De plus, le Logos nous enseigne à ne pas du tout nous mettre en colère, et déclare dans le psaume trente-sixième : « Laisse la colère, abandonne la fureur », et dit chez Paul : « Vous aussi rejetez tout cela : colère, fureur, méchanceté, diffamation, vilains propos. » Elle ne saurait donc avoir attribué à Dieu lui-même la passion dont elle nous demande l’abandon total. Il est bien clair que les expressions sur la colère de Dieu sont à prendre au sens figuré, à en juger par ce qui est écrit de son sommeil : comme s’il voulait l’éveiller, le prophète dit : « Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? » et ajoute : « Le Seigneur s’éveilla comme un dormeur, comme un guerrier terrassé par le vin. » Si donc le mot sommeil a une autre signification que le sens usuel du terme, pourquoi ne pas entendre aussi la colère de la même manière ? LIVRE IV

De plus, explique qui voudra la manière dont, réparties en autant de gouvernements, les parties de la terre sont administrées par les puissances qui veillent sur elles ; qu’on nous apprenne encore comment ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances : si cette rectitude caractérise, par exemple, les lois des Scythes sur le parricide, ou celles des Perses n’interdisant le mariage ni des mères avec leurs fils, ni des pères avec leurs filles. A quoi bon rassembler les exemples des auteurs qui ont traité des lois des différents peuples, pour contester l’affirmation que dans chaque nation les lois sont accomplies , avec rectitude dans la mesure où elles agréent aux puissances tutélaires ? A Celse de nous dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois traditionnelles pour qui épouser sa mère ou sa fille est permis, finir la vie par pendaison mérite la béatitude, se livrer aux flammes et quitter la vie par le feu obtient la purification parfaite. A lui de dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois contraignant par exemple les habitants de la Tauride à offrir les étrangers comme victimes à Artémis, ou chez certaines tribus de Libye à sacrifier les enfants à Cronos. Mais dans la logique de l’opinion de Celse, il y a impiété pour les Juifs à enfreindre les lois traditionnelles interdisant de vénérer un autre dieu que le Créateur de l’univers. D’après lui, la piété serait divine non point par nature mais par convention et opinion ; car c’est pour les uns acte de piété d’honorer le crocodile et de manger des animaux adorés parmi d’autres tribus, et c’est un acte de piété chez d’autres de vénérer le veau, et chez d’autres de considérer le bouc comme un dieu. Et ainsi les actions d’un même individu seraient piété d’après telles lois, impiété d’après telles autres : ce qui est le comble de l’absurdité. On répliquera probablement : la piété consiste à garder les traditions, et il n’y a pas le moins du monde impiété à ne pas observer en outre celles des étrangers ; ou encore, bien que cela paraisse impie à certains d’entre eux, il n’y a pas impiété à honorer suivant les traditions ses propres divinités, et d’autre part à combattre et à dévorer celles des peuples dont les lois sont contraires. Mais vois si ce n’est pas faire preuve d’une grande confusion sur la justice, la piété et la religion, que de ne pas les définir ni leur assigner une nature propre permettant de caractériser comme des hommes religieux ceux qui leur conforment leur conduite. Si vraiment la religion, la piété, la justice sont choses si relatives que la même attitude soit pieuse ou impie suivant la diversité des conditions et des lois, ne s’ensuit-il pas que la tempérance aussi est relative, de même que le courage, la prudence, la science et les autres vertus : rien ne pourrait être plus absurde. LIVRE V

Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V

La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V

L’expression une nouvelle descente étroite pourrait venir de ceux qui admettent la métensomatose. Vraisemblablement la phrase : les portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes, a été employée par ceux qui expliquent en termes obscurs le texte : « Ouvre-moi les portes de la justice, que j’y entre et confesse le Seigneur ; voici la porte du Seigneur, par elle entreront les justes. » Ou encore, dans le psaume neuvième : « Tu me fais remonter des portes de la mort, pour que je publie toutes tes louanges aux portes de la fille de Sion. » Par portes de la mort, l’Écriture désigne les péchés conduisant à la perdition, au contraire, par « portes de Sion » elle désigne les bonnes actions ; et ainsi, « portes de la justice » équivaut à « portes de la vertu » : elles s’ouvrent d’emblée à ceux qui s’appliquent aux actes de vertu. LIVRE VI

Aussitôt après, il veut indiquer les énigmes que nous aurions mal comprises dans notre doctrine sur Satan et il ajoute : Les Anciens parlent en termes énigmatiques d’une guerre divine. Héraclite s’exprime ainsi: « Il faut savoir que le conflit est communauté, la justice discorde, tout devient par discorde et par nécessité. » Et Phérécyde, bien plus ancien qu’Héraclite, raconte le mythe d’une armée rangée contre une armée, dont l’une a pour chef Cronos et l’autre Ophionée. Il narre leurs défis, leurs combats, la convention intervenue que celui des deux partis qui tomberait dans l’Océan serait vaincu, et celui qui l’aurait chassé et vaincu posséderait le ciel. Telle est, dit-il, la signification que renferment les mystères traitant de la guerre des Titans et des Géants contre les dieux, et en Egypte, les mystères de Typhon, Horus et Osiris. LIVRE VI

Quiconque a choisi la malice et y conforme sa vie en accomplissant le contraire de la vertu est un satan, c’est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu qui est justice, vérité, sagesse. Mais l’adversaire au sens propre, c’est le premier de tous les êtres menant une vie pacifique et heureuse qui a perdu ses ailes et est tombé de son état bienheureux ; lui qui, selon Ézéchiel, marcha irréprochable dans toutes ses voies, jusqu’au jour où fut trouvée en lui l’iniquité ; lui qui était « un sceau de ressemblance et une couronne de beauté » dans le paradis de Dieu, pour ainsi dire saturé des biens, il tomba en perdition, selon l’expression mystérieuse de celui qui lui dit : « Te voilà perdu ; c’en est fait de toi à jamais !» LIVRE VI

Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. » LIVRE VI

Il est vrai que Dieu ne participe pas à l’être. Il est participé plutôt qu’il ne participe, et il est participé par ceux qui ont « l’Esprit de Dieu ». Et notre Sauveur ne participe pas à la justice mais, étant « justice », il est participé par les justes. Cependant il y aurait à élaborer une doctrine profonde et ardue sur l’essence, surtout sur l’essence proprement dite, permanente et incorporelle ; et cela, pour découvrir si Dieu « est au delà de l’essence en dignité et en pouvoir » et fait participer à l’essence ceux qu’il rend participants selon son Logos et son Logos lui-même ; ou bien s’il est lui-même une essence, bien qu’il soit dit invisible par sa nature dans la parole qui affirme du Sauveur : « IL est l’image du Dieu invisible », et où ce mot « invisible » signifie qu’il est incorporel. Il resterait à chercher si le Fils unique, Premier-né de toute créature, doit être dit essence des essences, idée des idées, et principe, tandis que Dieu son Père est au-dessus de tout cela. LIVRE VI

En outre la venue de Jésus, apparemment dans un seul coin de terre, avait ses raisons : il fallait que celui qui fut prophétisé vînt à ceux qui ont appris qu’il y a un seul Dieu, qui lisent ses prophètes et apprennent l’annonce du Christ et qu’il vînt au moment opportun où la doctrine allait d’un seul coin se répandre sur toute la terre. Et c’est pourquoi il n’était pas besoin qu’il existât partout un grand nombre de corps et un grand nombre d’esprits tels que Jésus, pour que toute la terre des hommes fût illuminée par le Logos de Dieu. Il suffisait que le Logos unique « levé comme un soleil de justice », envoyât de la Judée ses rayons jusqu’aux âmes de ceux qui veulent l’accueillir Désire-t-on voir un grand nombre de corps remplis de l’esprit divin, à l’imitation de ce Christ unique, se dévouer en tous lieux au salut des hommes ? Que l’on considère ceux qui en tous lieux vivent dans la pureté et la droiture enseignent la doctrine de Jésus, et sont eux aussi appelés « christs » par les divines Écritures : « Ne touchez pas à mes christs, ne faites point de mal à mes prophètes ! » LIVRE VI

En effet, comme nous avons appris que « l’Antéchrist vient », et néanmoins savons qu’il y a dans le monde « un grand nombre d’antéchrists », de la même manière nous savons que le Christ est venu et nous voyons aussi que par lui il y a dans le monde un grand nombre de christs qui, à son exemple, ont « aimé la justice et haï l’injustice ». Voilà pourquoi Dieu, le Dieu du Christ, leur a donné à eux aussi « l’onction d’une huile d’allégresse4 ». Mais lui-même « a aimé la justice et haï l’iniquité » plus que ceux qui ont part avec lui : il a reçu les prémices de l’onction et, si j’ose dire, dans sa plénitude l’onction de l’huile d’allégresse ; et ceux qui ont part avec lui, chacun à sa mesure, ont participé de même à son onction. Voilà pourquoi, le Christ étant « tête de l’Église », au point que le Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps, « l’huile précieuse, répandue sur la tête » est descendue « sur la barbe d’Aaron », type de l’homme parfait, et cette huile est parvenue en descendant «jusqu’à la bordure de sa robe ». LIVRE VI

Si Celse avait lu la loi de Moïse, il aurait probablement pensé que l’aphorisme « Tu prêteras à beaucoup de nations, mais tu n’emprunteras point », adressé à celui qui observe la loi, doit être compris comme une promesse faite au juste : il s’enrichirait de la richesse aveugle à un tel point que l’abondance de ses biens lui permettrait de prêter non seulement aux Juifs, ni même à une, deux ou trois des autres nations, mais à un grand nombre. Que de richesses ne devrait pas posséder ainsi le juste en récompense de sa justice selon la loi, pour pouvoir prêter à de nombreuses nations ? La conséquence logique d’une telle interprétation nous ferait aussi croire que jamais le juste n’empruntera, puisqu’il est écrit : « mais tu n’emprunteras point. » La nation serait-elle donc restée si longtemps dans la religion de Moïse si, comme le pense Celse elle avait pris son législateur en flagrant délit de mensonge ? De personne on ne raconte qu’il se soit enrichi au point de prêter à de nombreuses nations. De plus il n’est pas vraisemblable qu’ayant appris à entendre la loi dans le sens que lui donne Celse, et devant le mensonge flagrant des promesses de la loi, ils aient combattu pour la loi. LIVRE VI

S’il faut expliquer en même temps le massacre des ennemis et le pouvoir du juste sur toutes choses, on peut dire : en affirmant « Chaque matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité », le prophète appelait terre au sens figuré la chair « dont le désir est ennemi de Dieu », et cité du Seigneur, son âme dans laquelle était un temple de Dieu ; car il possédait de Dieu une opinion et une conception justes et admirées de tous ceux qui les observent. En même temps donc, rempli pour ainsi dire de puissance et de force par les rayons du Soleil de « la justice » qui illuminaient son âme, il supprimait tout « désir de la chair », nommé par le texte « pécheurs de la terre », et exterminait, de la cité du Seigneur qui était dans son âme, tous les raisonnements artisans d’iniquité et les désirs ennemis de la vérité. LIVRE VI

Celse renvoie à plus tard l’explication du mythe de Platon qui se trouve dans le Phédon : Mais que veut-il indiquer par là ? Il n’est pas facile à tout le monde de le savoir, à moins qu’on puisse comprendre ce que signifie ce qu’il dit : « La faiblesse et la lenteur nous rendent incapables de parvenir à la limite de l’air ; si notre nature était capable de soutenir cette contemplation, on reconnaîtrait là le vrai ciel et la véritable lumière. » A son exemple moi aussi, pensant qu’il n’est pas de mon propos actuel d’élucider le thème de la terre sainte et bonne, de la cité de Dieu qui s’y trouve, je renvoie aux Commentaires des prophètes, ayant en partie expliqué autant que je pouvais la cité de Dieu dans mes études sur le quarante-cinquième et le quarante-septième psaumes. Mais la très ancienne doctrine de Moïse et des prophètes savait que les réalités véritables ont toutes le même nom que les choses plus communes d’ici-bas : par exemple, il y a une lumière véritable et un ciel qui est différent du firmament, et le soleil de justice est autre que le soleil sensible. Bref, en contraste avec les choses sensibles dont aucune n’est véritable, elle déclare : « Dieu dont les ?uvres sont véritables » ; elle met au rang des réalités véritables les ?uvres de Dieu, et au rang des choses inférieures « les ?uvres de ses mains ». LIVRE VI

De plus, comme il y a une demeure terrestre de la tente, qui est nécessaire en quelque sorte à la tente, les Écritures déclarent que la demeure terrestre de la tente sera détruite, mais que la tente revêtira « une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans le ciel ». Et les hommes de Dieu disent : « Cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité », qui est différente de ce qui est incorruptible, « cet être mortel revêtira l’immortalité », qui est autre que ce qui est immortel. En effet, le même rapport que la sagesse a avec ce qui est sage, la justice avec ce qui est juste, la paix avec ce qui est pacifique, existe également entre l’incorruptibilité et ce qui est incorruptible, entre l’immortalité et ce qui est immortel. Vois donc à quoi nous exhorte l’Écriture en disant que nous revêtirons l’incorruptibilité et l’immortalité ; comme des vêtements pour celui qui en a été revêtu et qui en est entouré, elles ne permettent pas que celui qui en est enveloppé subisse la corruption ou la mort. Voilà ce que j’ai osé dire parce qu’il n’a pas compris ce qu’on entend par la résurrection, et qu’il en prend occasion pour tourner en dérision une doctrine qu’il ne connaît pas. LIVRE VI

Mais ceux qu’ils méprisent pour leur manque de culture et qu’ils traitent de fous et d’esclaves, du seul fait qu’ils se confient à Dieu après avoir reçu l’enseignement de Jésus, s’abstiennent de l’immoralité, de l’impureté et de toute l’indécence de l’union charnelle, au point que, comme les prêtres parfaits qui se sont interdits toute union, beaucoup d’entre eux se tiennent non seulement à l’écart de toute relation charnelle, mais dans une pureté parfaite. Sans doute chez les Athéniens il y a un hiérophante qui, se jugeant incapable de maîtriser sa virilité et de la dominer à sa guise, amortit par la ciguë sa virilité, et qu’on juge assez pur pour vaquer au culte traditionnel des Athéniens. Mais chez les chrétiens on peut voir des hommes qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu dans la pureté ; au lieu de la ciguë, il leur suffit de la doctrine pour qu’ils servent Dieu dans la prière et chassent de leur pensée toute convoitise. Auprès des autres dieux prétendus, des vierges en tout petit nombre, gardées ou non par des hommes, il n’y a pas lieu de le chercher ici, semblent passer leur vie dans la pureté pour honorer la divinité. Chez les chrétiens, ce n’est pas les honneurs humains, ri un salaire ou des dons en argent, ni la gloriole qui leur font observer une virginité parfaite ; et comme « elles se sont plu à retenir la vraie connaissance de Dieu », Dieu les garde dans un esprit qui lui plaît et « pour faire ce qui convient », remplies de toute justice et toute bonté. LIVRE VI

Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI

Il est donc bien établi qu’en disant en termes plus vulgaires, d’après Celse : « Si on te frappe une joue, présente encore l’autre » ; « Si on veut te citer en justice et prendre ta tunique, laisse encore ton manteau », Jésus a traduit et présenté sa doctrine d’une manière plus utile à la vie sous cette forme que sous la forme que Platon lui donne dans le Criton. Car loin d’être à la portée des simples, Platon est à peine compris de ceux qui ont reçu la culture générale avant d’aborder la vénérable philosophie des Grecs. Il faut noter aussi que le sens de cette endurance n’est pas altéré par la vulgarité des expressions de Jésus, mais que là encore Celse calomnie l’Écriture quand il dit : Mais sur ce point, comme sur les autres qu’ils altèrent, il faut s’en tenir à ce qui vient d’être dit. Qui désire en chercher d’autres exemples les trouvera. LIVRE VI

Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII

Les statues, les offrandes qui plaisent à Dieu ne sont pas oeuvres d’artisans vulgaires, mais celles du Logos de Dieu qui les esquisse et les forme en nous. Ce sont les vertus, imitations du « Premier-né de toute créature », en qui sont les modèles de la justice, de la tempérance, de la force, de la sagesse, de la piété et des autres vertus. Tous ceux donc qui, selon le divin Logos, ont édifié en eux-mêmes la tempérance, la justice, la force, la sagesse, la piété et les chefs d’oeuvre des autres vertus, portent en eux-mêmes des statues. C’est par elles, nous le savons, qu’il convient d’honorer le prototype de toutes ces statues, l’« Image du Dieu invisible », le Dieu Fils unique. Bien plus, ceux qui ont dépouillé « le vieil homme avec ses pratiques, et revêtu l’homme nouveau qui pour mieux connaître se renouvelle sans cesse à l’image de Celui qui l’a créé » en recouvrant ce qui est à l’image du Créateur, édifient en eux-mêmes des statues de lui telles que le Dieu suprême les désire. LIVRE VIII

Par ailleurs, les divines Écritures ont une manière mystérieuse d’enseigner la doctrine de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre avec une oreille plus divine les paroles de Dieu. En disant que le temple sera reconstruit de pierres vivantes et très précieuses, elles insinuent que chacun de ceux à qui le même Logos inspire de tendre à la piété qu’il enseigne est une pierre précieuse intégrée au temple de Dieu. C’est la déclaration de Pierre : « Mais vous êtes édifiés, tels des pierres vivantes et une maison spirituelle, en un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » C’est celle de Paul : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre d’angle est Jésus-Christ notre Seigneur. » C’est le sens mystérieux renfermé dans le passage d’Isaïe adressé à Jérusalem : « Voici que je vais te préparer comme pierre de l’escarboucle et comme fondations du saphir, je ferai tes créneaux de rubis, tes portes de cristal, ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront instruits par Dieu ; tes enfants habiteront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » LIVRE VIII

Quelque forme que prenne notre prédication du châtiment, nous convertissons beaucoup d’hommes de leurs péchés en leur enseignant le châtiment. Mais considérons ce qu’au dire de Celse répond le prêtre d’Apollon ou de Zeus: « Lentement tournent les meules des dieux, dit-il, même sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir. » Vois combien est supérieur ce qu’on enseigne : « Les pères ne seront pas mis à mort pour les enfants, ni les fils mis à mort pour les pères, chacun sera mis à mort pour son péché » ; « Tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents seront agacées » ; « Le fils ne portera pas l’iniquité du père, le père ne portera pas l’iniquité du fils ; la justice du juste sera sur lui, la méchanceté du méchant sera sur lui. » Et si, comme équivalent au vers : « Sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir », on cite le texte : « Punissant l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération pour ceux qui me haïssent », qu’on apprenne que c’est là un proverbe cité dans Ézéchiel lorsqu’il reprend ceux qui disent : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils ont été agacées. » A quoi il ajoute : « Je suis vivant, dit le Seigneur, chacun mourra pour son péché. » Mais il n’est pas opportun d’expliquer maintenant ce que signifie la parabole sur les péchés qui sont punis jusqu’à la troisième et quatrième génération. LIVRE VIII

Faut-il encore parler de l’absence d’enfants dont se désolaient des pères et des mères qui élevaient leurs prières pour cela au Créateur de l’univers ? Qu’on lise l’histoire d’Abraham et de Sara : c’est d’eux, alors qu’ils étaient déjà dans la vieillesse, que naquit Isaac, le père de toute la race juive et d’autres races. Qu’on lise aussi l’histoire d’Ézéchias qui non seulement obtint d’être délivré d’une maladie, selon les prophéties d’Isaïe, mais osa dire en pleine assurance : « A partir de maintenant, en effet, je procréerai des enfants qui annonceront ta justice. » De plus, dans le quatrième livre des Rois, l’hôtesse d’Elisée, qui par la grâce de Dieu prophétisa la naissance d’un enfant, devint mère à la prière du prophète. En outre d’innombrables infirmités ont été guéries par Jésus. Et beaucoup qui avaient osé se livrer aux sacrilèges contre le culte exercé dans le temple de Jérusalem ont souffert les châtiments racontés dans les livres des Macchabées. LIVRE VIII

S’il avait cru cette considération vraie, il aurait dû ne pas proposer l’autre, ou alors effacer celle-ci. En fait, la nature humaine n’est pas laissée par Dieu et par la Vérité qui est son Fils unique dans un abandon total. Aussi même Celse a dit la vérité sur le besoin qu’ont les démons du fumet de graisse et de sang. Mais, par sa faute, il s’est encore laissé glisser dans le mensonge en comparant les démons aux hommes qui s’acquittent parfaitement de leurs devoirs de justice même si nul ne leur en sait gré, et qui comblent de biens ceux qui manifestent en retour de la reconnaissance. LIVRE VIII

A quoi il faut répondre : quand l’occasion s’en présente, nous apportons aux empereurs un secours divin, pour ainsi dire, en nous revêtant de « l’armure de Dieu. » Nous le faisons pour obéir à la voix de l’Apôtre qui dit : « Je vous recommande donc avant tout de faire des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité. » Et plus on a de piété, plus on secourt efficacement ceux qui règnent, bien mieux que les soldats qui vont aux combats et tuent autant d’ennemis qu’ils peuvent. Mais voici encore ce qu’on pourrait dire aux étrangers à la foi qui nous demandent de combattre en soldats pour le bien public et de tuer des hommes. Même ceux qui, d’après vous, sont prêtres de certaines statues et gardiens des temples de vos prétendus dieux ont soin de garder leur main droite sans souillure pour les sacrifices, afin d’offrir à ceux que vous dites dieux les sacrifices traditionnels avec des mains pures de sang et de meurtre. Et sans doute, en temps de guerre, vous n’enrôlez pas vos prêtres. Si donc cette conduite est raisonnable, combien plus celle des chrétiens ! Pendant que d’autres combattent en soldats, ils combattent comme prêtres et serviteurs de Dieu ; ils gardent pure leur main droite, mais luttent par des prières adressées à Dieu pour ceux qui se battent justement et pour celui qui règne justement, afin que tout ce qui est opposé et hostile à ceux qui agissent justement puisse être vaincu. De plus, nous qui par nos prières vainquons tous les démons qui suscitent les guerres, font violer les serments et troublent la paix, nous apportons à l’empereur un plus grand secours que ceux que l’on voit combattre. Et nous collaborons aux affaires publiques en faisant monter, dans la justice, nos prières jointes aux exercices et aux méditations qui enseignent à mépriser les plaisirs et à ne plus les avoir pour guides. Plus que d’autres nous combattons pour l’empereur. Nous ne servons pas avec ses soldats, même s’il l’exige, mais nous combattons pour lui en levant une armée spéciale, celle de la piété, par les supplications que nous adressons à la divinité. LIVRE VIII

Non, ce n’est pas que les chrétiens fuient les services communs de la vie quand ils délaissent les charges publiques. Mais ils se réservent au service plus divin et plus nécessaire de l’Église de Dieu pour le salut des hommes. Ils dirigent à la fois selon la nécessité et la justice. Ils prennent soin de tous : de ceux qui sont à l’intérieur pour qu’ils vivent mieux chaque jour ; de ceux qui semblent à l’extérieur pour qu’ils s’engagent dans les paroles et les actions vénérables de la piété ; et pour qu’ainsi, adorant véritablement Dieu et formant le plus de fidèles possible, ils soient imprégnés du Logos de Dieu et de la loi divine, et soient unis au Dieu suprême par Celui qui, Fils de Dieu, Logos, Sagesse, Vérité, Justice, lui unit quiconque s’applique à vivre en tout selon Dieu. LIVRE VIII