Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il est écrit que “la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte des oeuvres d’un soldat nommé Panthère”, et voyons si les auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. Ils auraient pu, en effet, à cause de son caractère tout à fait miraculeux, falsifier l’histoire d’une autre manière, même sans admettre involontairement pour ainsi dire que Jésus n’était pas né d’un mariage humain ordinaire. Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait sans vraisemblance et en maintenant que la Vierge n’avait pas conçu Jésus de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable de discerner et de réfuter les fictions. Serait-ce une chose raisonnable, en effet : l’homme qui a tant osé entreprendre pour le salut du genre humain afin que tous, Grecs et barbares, autant qu’il dépend de lui, dans l’attente du jugement de Dieu, s’abstiennent du vice et fassent tout pour plaire au Créateur de l’univers, cet homme n’aurait pas eu de naissance miraculeuse, mais la plus illégitime et la plus honteuse de toutes les naissances ? Je le demande aux Grecs et en particulier à Celse qui, partageât-il ou non ses idées, en tout cas cite Platon : Celui qui fait descendre les âmes dans les corps des hommes va-t-il pousser à la naissance plus honteuse qu’aucune autre, sans même l’introduire dans la vie des hommes par un mariage légitime, l’être qui allait tant oser entreprendre, instruire tant de disciples, détourner du flot du vice une foule d’hommes ? N’est-il pas plus raisonnable que chaque âme, introduite dans un corps pour des raisons mystérieuses — je parle ici d’après la doctrine de Pythagore, Platon, Empédocle, dont Celse fait souvent mention —, soit ainsi introduite pour son mérite et son caractère antérieurs ? Il est donc probable que cette âme, plus utile par sa venue à la vie des hommes que celle d’un grand nombre, pour ne point paraître préjuger en disant de tous, ait eu besoin d’un corps qui, non seulement se distingue des corps humains, mais encore est supérieur à tous. LIVRE I
Il n’est pas étonnant qu’Hérode ait tramé un complot contre le nouveau-né, même si le Juif de Celse refuse de le croire : la méchanceté est aveugle et voudrait, comme si elle était plus forte que lui, vaincre le destin. Dans ce sentiment, Hérode crut bien à la naissance du roi des Juifs, mais il prit une décision en désaccord avec cette croyance, sans avoir vu le dilemme : ou effectivement il était roi et il régnerait, ou il ne régnerait pas et vouloir sa mort était mutile. Il désira donc le mettre à mort, ayant à cause de sa méchanceté des jugements discordants, poussé par le diable aveugle et méchant qui, dès l’origine, conspirait contre le Sauveur, et présageant que Celui-ci était et deviendrait quelqu’un de grand. Cependant un ange, qui, bien que Celse refuse de le croire, veillait à la suite des événements, avertit Joseph de partir en Egypte avec l’enfant et sa mère ; mais Hérode fit tuer tous les enfants de Bethléem et des alentours, dans l’espoir de supprimer le roi des Juifs qui venait de naître. C’est qu’il ne voyait pas la Puissance toujours vigilante à protéger ceux qui méritent d’être gardés avec soin pour le salut de l’humanité. Au premier rang, supérieur à tous en honneur et en excellence, se trouvait Jésus : il serait roi, non pas au sens où l’entendait Hérode, mais où il convenait que Dieu lui conférât la royauté, pour le bienfait de ceux qui seraient sous sa loi : à lui qui allait non point accorder à ses sujets un bienfait ordinaire et pour ainsi dire indifférent, mais les former et les soumettre à des lois qui sont vraiment celles de Dieu. Cela aussi, Jésus le savait : il nia être roi au sens reçu par la multitude, et enseigna l’excellence de sa royauté personnelle en ces mots : « Si ma royauté était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais en fait, elle n’est pas de ce monde, ma royauté ». » Si Celse l’avait vu, il n’aurait pas dit : ” Si c’était de peur que, devenu grand, tu ne règnes à sa place, pourquoi, maintenant que te voilà grandi, ne règnes-tu pas, toi le Fils de Dieu, au lieu de mendier si lâchement, courbant l’échine de crainte, et te consumant par monts et par vaux ?” Mais il n’y a pas de lâcheté à éviter prudemment de s’exposer aux dangers, non par crainte de la mort, mais pour secourir utilement les autres en continuant à vivre, jusqu’à ce que vienne le temps opportun pour que Celui qui avait pris une nature humaine meure d’une mort d’homme, utile aux hommes ; c’est une évidence pour qui a compris que Jésus est mort pour le salut des hommes, comme je l’ai dit précédemment de mon mieux. LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
La signification de l’ensevelissement, du tombeau, de celui qui l’ensevelit, je l’expliquerai d’une manière plus opportune et plus développée en d’autres écrits qui auront pour but essentiel d’en traiter. Pour l’instant, il suffit de mentionner le linceul pur où il fallait que le corps pur de Jésus fût enveloppé, et le sépulcre neuf que Joseph « avait taillé dans le roc, où personne n’avait encore été déposé », ou bien comme dit Jean, « dans lequel personne n’avait encore été placé ». Considère si l’accord des trois Evangélistes n’est pas impressionnant ! Ils ont pris la peine de noter le fait que le tombeau était taillé ou creusé dans le roc, pour qu’en examinant les paroles de la Bible, on puisse contempler là encore un aspect qui mérite réflexion, soit le caractère neuf du tombeau que Matthieu et Jean ont noté, soit d’après Luc et Jean, le fait que personne n’y eût été mis. Il fallait, en effet, que Celui qui n’était pas semblable aux autres morts, ayant montré jusque dans son état de mort des signes de vie dans l’eau et le sang, et qui, pour ainsi dire, était un mort d’un genre nouveau, fût déposé dans un tombeau neuf et pur. Ainsi, comme sa naissance avait été plus pure que toute autre, provenant non d’une union des sexes, mais d’une vierge, son tombeau aurait aussi la pureté symbolisée par la déposition de son corps dans un tombeau resté neuf, non point construit de pierres ramassées, dépourvues d’unité naturelle, mais taillé ou creusé dans un seul roc, tout d’une pièce. LIVRE II
La mention qu’il fait d’une procréation parfaitement absurde et après l’âge, bien qu’il ne donne pas de nom propre, désigne évidemment celle d’Abraham et de Sara. Quand il rejette les menées de frères, il veut parler de celles de Caïn contre Abel, ou encore d’Ésaü contre Jacob. La douleur d’un père peut être celle d’Isaac au départ de Jacob, peut-être encore celle de Jacob d’avoir vu Joseph emmené pour être vendu en Egypte. L’expression tromperies de mères désigne dans son texte, je crois, les dispositions prises par Rébecca pour faire tomber non sur Esaü, mais sur Jacob, les bénédictions d’Isaac. Mais qu’y a-t-il d’absurde à dire que Dieu à étroitement collaboré à tout cela, dans la persuasion où nous sommes que sa divinité ne s’éloigne jamais de ceux qui se consacrent à lui en menant une vie de vertu solide. Il raille encore l’enrichissement de Jacob chez Liban, pour n’avoir pas compris le sens de la parole : « Celles qui étaient sans marque étaient pour Liban, celles qui étaient marquées, pour Jacob. » Et il dit : Dieu a fait don à ses enfants d’ânes, de brebis et de chameaux, pour n’avoir pas vu que « tout cela leur est arrivé en figures et fut écrit pour nous qui touchons à la fin des temps » ; nous chez qui les nations variées ont été marquées et sont gouvernées par la parole de Dieu, richesse donnée qui est figurativement appelé Jacob. C’est l’arrivée de ceux qui viendront des nations à la foi au Christ qu’indiqué l’histoire de Laban et de Jacob. LIVRE IV
Celse abomine la haine, celle, je pense, que nourrissait contre Jacob Ésaü, dont la méchanceté est reconnue par l’Écriture ; puis, sans citer clairement l’histoire de Siméon et de Lévi qui cherchèrent à venger leur soeur violée par le fils du roi de Sichem, il les accuse tous deux. Il parle des frères qui vendent : les fils de Jacob ; du frère qui est vendu : Joseph ; du père qui se laisse tromper : Jacob, qui n’eut aucun soupçon quand ses fils lui montrèrent « la tunique multicolore » de Joseph, mais les crut et « pleura », comme s’il était mort, Joseph devenu esclave en Egypte. Voilà bien la haine sans amour de la vérité avec laquelle Celse entasse les traits de l’histoire. Là où elle lui paraît contenir des motifs de blâme, il la cite ; mais là où elle prouve la mémorable chasteté de Joseph, refusant, malgré ses prières et ses menaces, de céder à la passion de celle qui était légalement sa maîtresse, il ne se souvient plus de l’histoire. De manière bien supérieure aux actions que l’on rapporte de Bellérophon, on voit, en effet, Joseph préférer la prison à la perte de sa chasteté : du moins, quand il eût pu se défendre et se justifier contre son accusatrice, sa magnanimité lui fit garder le silence et remettre sa cause à Dieu. LIVRE IV
Après cela, par acquit de conscience, mais d’une manière fort obscure, il fait mention des songes du grand échanson et du grand panetier, du Pharaon, de leur explication grâce à laquelle Joseph fut tiré de la prison pour se voir confier par le Pharaon le deuxième trône d’Egypte. LIVRE IV
Qu’avait donc d’absurde le récit de cette histoire, même entendu littéralement, pour que Celse en ait fait un motif d’accusation, lui qui a intitulé Discours véritable un traité qui ne contient pas de doctrines mais des accusations contre chrétiens et Juifs? Il ajoute : Celui qui avait été vendu traite avec douceur ses frères qui l’avaient vendu, quand ils furent poussés par la famine à rechercher des provisions avec leurs ânes; mais il ne montre pas ce qu’il a fait. Il cite encore la reconnaissance, mais je ne sais ni son dessein, ni ce qu’il trouve d’absurde, dans la scène de la reconnaissance. Momos lui-même, si j’ose dire, n’aurait pas pu faire une critique raisonnable de cette histoire qui, hors tout sens allégorique, reste si attachante. Il présente encore Joseph, jadis vendu comme esclave, rendu à la liberté et revenant en grand cortège au tombeau de son père. Et il pense trouver dans l’histoire un motif d’accusation, quand il dit : Par lui – évidemment Joseph – l’illustre et divine race des Juifs, qui avait proliféré en Egypte, reçut l’ordre de résider quelque part ailleurs, et de paître ses troupeaux dans une région méprisée. Son dessein de haine lui fait ajouter qu’elle reçut l’ordre de paître ses troupeaux dans une région méprisée, sans montrer comment le district de Gesem en Egypte est une région méprisée. La sortie du peuple de la terre d’Egypte, il l’a nommée fuite, sans le moindre rappel de ce qui est écrit dans l’Exode sur la sortie des Hébreux de la terre d’Egypte. J’ai donné ces exemples pour montrer que même ce qui, pris au sens littéral, ne paraît pas appeler des critiques, Celse le tourne en accusation frivole, sans prouver par un argument ce qu’il juge pervers dans nos Écritures. LIVRE IV
Après cela il ajoute, je ne sais pourquoi, car j’ignore quel avantage il en espère pour son propos : Il vint un ange auprès de Joseph pour expliquer la grossesse de Marie, puis de nouveau pour les faire fuir en Egypte en arrachant le bébé au complot qui le menaçait. Ce point a été de même discuté plus haut dans mes répliques à ses attaques. Mais quelle est l’intention de Celse en objectant que, d’après le récit des Écritures, des anges furent envoyés à Moïse et aux autres ? Cela ne me semble être d’aucun appui à son propos, pour cette raison surtout qu’aucun d’eux n’a lutté de toutes ses forces pour détourner le genre humain de ses péchés. Il est vrai que d’autres encore ont été envoyés de Dieu et que Jésus eut un message d’une autre importance ; que les Juifs étant en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies, le Règne de Dieu a été remis à « d’autres vignerons »; à ceux qui partout prenant soin d’eux dans les églises mettent tout en oeuvre afin d’en amener d’autres encore suivant l’enseignement de Jésus, par une vie pure et une doctrine en accord avec la vie, au Dieu de l’univers. LIVRE V
Quel est donc l’homme capable d’une réflexion tout ordinaire, non seulement parmi ceux qui croient en Jésus, mais dans le reste de l’humanité, qui ne rirait de Celse ? A l’entendre, Jésus, né et élevé parmi les Juifs, regardé comme le fils du charpentier Joseph, n’ayant pu apprendre les lettres ni des Grecs ni même des Hébreux, comme l’attestent sincèrement les Écritures de ses disciples, aurait lu Platon, approuvé sa sentence sur les riches : Il est impossible d’être exceptionnellement bon et riche, et l’aurait démarquée en disant : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » LIVRE VI