Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I
Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par Moïse et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de Moïse, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de Moïse, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I
Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I
Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la mort pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II
J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un mort est-il immortel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le mort qui est immortel, mais le ressuscité des morts. Non seulement donc le mort n’était pas immortel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa mort n’était pas immortel. Nul homme destiné à mourir n’est immortel ; il est immortel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur mort, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la mort pour leur religion ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II
Quarante-deux ans, je crois, après la crucifixion de Jésus, la destruction s’abattit sur Jérusalem. Et jamais, depuis que les Juifs existent, l’histoire ne raconte qu’ils aient été chassés si longtemps de leur vénérable culte d’adoration, vaincus par la force de leurs ennemis. LIVRE IV
Qu’il faille comprendre allégoriquement les jeunes femmes et les jeunes servantes, ce n’est pas nous qui l’enseignons, mais nous l’avons appris des sages qui nous ont précédé. L’un d’eux disait, élevant l’auditeur au sens spirituel : « Dites-moi, vous qui voulez vous soumettre à la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Il y a là une allégorie : ces femmes représentent deux alliances, l’une, celle du mont Sina, enfante pour la servitude : c’est Agar. » Et, peu après : « Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et elle est notre mère. » Et quiconque voudra prendre l’Épître aux Galates saura de quelle manière comprendre allégoriquement les passages sur les mariages et les unions avec les servantes, la volonté de l’Écriture étant que nous recherchions avec ardeur les actions de ceux qui les ont accomplies, non point dans leur apparence corporelle, mais, comme ont coutume de les nommer les apôtres de Jésus, dans leurs significations spirituelles. LIVRE IV
Ces remarques non seulement réfutent sa théorie des puissances tutélaires, mais dans une certaine mesure préviennent ce que dit Celse contre nous : Mais que paraisse le second choeur: je leur demanderai d’où ils viennent, quel est l’auteur de leurs lois traditionnelles. Ils ne pourront désigner personne. En fait, c’est de là qu’ils sont venus eux aussi, ils ne peuvent indiquer pour leur maître et chef de choeur une autre origine. Néanmoins, ils se sont séparés des Juifs. EH bien ! nous venons tous, « en ces derniers jours » où notre Jésus nous a visités, « à la splendide montagne du Seigneur », sa Parole, « bien au-dessus » de toute autre parole, et à la maison de Dieu, « qui est l’Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité ». Nous la voyons bâtie « sur les sommets des montagnes », les paroles de tous les prophètes qui lui servent de fondation. Cette maison s’élève « bien au-dessus des collines », ces hommes qui paraissent promettre une supériorité en sagesse et en vérité. Et nous, « toutes les nations », nous montons vers elle, nous avançons, nations en foule, nous exhortant mutuellement à l’adoration de Dieu qui, « en ces derniers jours », a resplendi par Jésus-Christ : « Allons et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. Il nous annoncera sa voie, et nous avancerons par elle. » Car « la loi » est sortie des habitants de « Sion », et elle est passée à nous toute spirituelle. De plus, « la parole du Seigneur » est sortie de cette « Jérusalem » pour être partout répandue et pour juger « chacun au milieu des nations » en se réservant ceux qu’elle voit dociles, mais pour condamner « la multitude » indocile. LIVRE V
5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI
Veut-on avoir un aperçu d’une réflexion plus profonde sur l’entrée des âmes dans les réalités divines ? Qu’on laisse de côté la secte fort insignifiante qu’il a citée, qu’on interroge les livres, les uns juifs, lus dans les synagogues et admis par les chrétiens, les autres seulement chrétiens ! Qu’on lise, à la fin de la prophétie d’Ézéchiel, les détails de la vision du prophète, où la description des différentes portes insinue certaines vérités sur les différentes voies par lesquelles accèdent à une vie supérieure les âmes plus parfaites ! Qu’on lise encore, dans l’Apocalypse de Jean les détails sur la Cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses fondations et ses portes. Et si l’on est capable d’apprendre à travers les symboles la route indiquée pour ceux qui s’avanceront vers les réalités divines, on lira le livre de Moïse intitulé les Nombres ; on cherchera l’homme qui peut initier aux mystères représentés par les campements des fils d’Israël : quelles tribus étaient placées au Levant, étant les premières, quelles autres étaient au sud-ouest et au sud, quelles autres du côté de la mer, quelles autres vers le nord, étant les dernières. On y percevra des considérations profondes et non point, comme le croit Celse, exigeant pour auditeurs des sots ou des esclaves. On discernera les peuples mentionnés là, la nature des nombres énumérés en ces lieux comme appartenant à chaque tribu, matière que je juge hors de propos d’exposer ici. LIVRE VI
Ayant trouvé dans l’Évangile la Géhenne décrite comme le lieu des châtiments, j’ai cherché si elle est nommée en quelque endroit des anciennes Écritures, d’autant plus que les Juifs emploient ce nom. J’ai trouvé un passage dans l’Écriture où on nomme le Ravin « du fils d’Ennom », mais j’ai appris qu’en hébreu, au lieu de Ravin, il était dit dans le même sens « le Ravin d’Ennom et la Géhenne ». Par une observation attentive des leçons du texte je trouve aussi mentionnée, dans le lot de la tribu de Benjamin, la Géhenne ou le Ravin d’Ennom, où était aussi Jérusalem. Recherchant quelle conclusion tirer du fait que la Jérusalem céleste était du lot de Benjamin ainsi que le Ravin d’Ennom, je trouve une allusion au lieu des châtiments que certaines âmes subissent pour être purifiées par l’épreuve. Car il est écrit : « Voici le Seigneur qui vient comme le feu du fondeur, comme la potasse du foulon. Et il s’assiéra, fondant et purifiant comme s’il s’agissait d’or et d’argent. » LIVRE VI
Et c’est dans les environs de Jérusalem qu’ont lieu les supplices de ceux qui sont soumis à la fusion, pour avoir reçu dans la substance de leur âme les atteintes du vice, – qu’au figuré, en quelque sorte, on nomme du plomb. Ainsi chez Zacharie l’impiété était assise « sur un disque de plomb ». LIVRE VI
Mais on trouverait, au sens impropre, que, dans l’ordre des choses physiques et extérieures, ce qui concourt à la vie naturelle est estimé bien et ce qui s’y oppose est jugé mal. Ainsi Job dit à sa femme : « Si nous avons reçu le bien de la main du Seigneur, ne supporterions-nous pas le mal» ? » Aussi trouve-t-on dans les divines Écritures ce passage attribué à Dieu : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal », et cet autre où on dit de lui : « Le mal est descendu d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem, bruit de chars et de cavaliers. » Ces textes ont troublé bien des lecteurs de l’Écriture, incapables de discerner ce qu’elle désigne par bien et mal. De là provient sans doute l’objection de Celse : Comment pouvait-il créer le mal ? ou bien, c’est à la suite d’une explication simpliste de ces passages qu’il a formulé l’objection. LIVRE VI
Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette doctrine ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une doctrine et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? LIVRE VI
Il en va de même pour l’expression « Dieu est esprit ». Parce que et les Samaritains et les Juifs pratiquaient les préceptes de la loi d’après la lettre et en figures, le Sauveur dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni à Jérusalem, ni sur cette montagne qu’on adorera le Père ; Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » Il nous a enseigné par là que ce n’est pas charnellement, ni par des victimes charnelles qu’il faut adorer Dieu, mais « en esprit ». En effet, lui-même sera compris comme Esprit dans la mesure où on lui rendra une adoration intelligible et « en esprit ». En outre, ce n’est plus en figures qu’il faut adorer le Père, mais dans la vérité qui est venue par le Christ Jésus, après que la loi eut été donnée par Moïse. C’est « quand on se convertit au Seigneur, et le Seigneur est Esprit, que le voile est enlevé qui était posé sur le coeur lors de la lecture de Moïse. » LIVRE VI
De plus, si la parole de la loi « Tu domineras des nations nombreuses, mais elles ne te domineront pas » n’avait été, sans une signification plus profonde, que la promesse qu’ils seraient puissants, le peuple eût évidemment méprisé bien davantage les promesses de la loi. Celse paraphrase le sens de certaines expressions déclarant que la postérité des Hébreux remplirait toute la terre. Historiquement cela eut lieu après la venue de Jésus, mais pour ainsi dire comme un effet du courroux de Dieu plutôt que de sa bénédiction. De plus, si dans la promesse il est dit aux Juifs de massacrer les ennemis, il faut dire qu’une lecture et une étude soigneuses des termes révèle qu’une interprétation littérale est impossible. Il suffira pour l’instant d’extraire entre autres des Psaumes ces paroles mises dans la bouche du juste : « Chaque matin, j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité. » A considérer les termes et l’intention de l’auteur est-il possible que, après avoir rappelé ses exploits faciles à lire par le premier venu, il ajoute ce qui peut ressortir du texte pris littéralement : qu’en aucun autre moment du jour que le matin il n’a détruit « tous les pécheurs de la terre » sans en laisser survivre un seul, et si vraiment il supprimait sans exception de Jérusalem tout homme qui commît l’iniquité ? On peut encore trouver dans la loi beaucoup d’exemples comme celui-ci : « Nous n’avons laissé à aucun d’eux la vie sauve ». LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI
Si vraiment la terre entière est maudite à cause des ?uvres d’Adam et de ceux qui sont morts en lui, il est évident que toutes ses parties encourent la même malédiction, entre autres, la terre de Judée. On ne peut donc lui appliquer le passage : « dans une terre bonne et spacieuse, dans une terre où coulent le lait et le miel », même si l’on montre que Jérusalem et la Judée sont l’ombre symbolique de la terre pure, bonne et spacieuse qui se trouve dans la partie pure du ciel, et dans laquelle est la Jérusalem céleste. C’est elle que l’Apôtre envisage, en homme qui est ressuscité avec le Christ et qui, cherchant les réalités supérieures , a trouvé un sens ne relevant d’aucune fable judaïque, quand il dit : « Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges, réunion de fête. » LIVRE VI
Pour se convaincre que cette interprétation de la terre bonne et spacieuse dont parle Moïse n’a rien de contraire au sens de l’Esprit divin, qu’on prête attention à tous les prophètes : ils enseignent le retour à Jérusalem de ceux qui se sont écartés et sont tombés loin d’elle, et en général, le rétablissement dans la place et la cité de Dieu, ainsi que les nomme celui qui a dit : « Il a sa place dans la paix sainte », ou encore : « Il est grand le Seigneur, très digne de louanges dans la cité de notre Dieu, sa montagne sainte, bien enracinée pour l’allégresse de toute la terre. » LIVRE VI
Puisqu’il y a nombre de dieux prétendus ou réels, comme aussi de seigneurs, nous faisons tout pour nous élever au-dessus, non des seuls êtres honorés comme dieux par les nations de la terre, mais encore même de ceux qui sont appelés dieux par les Écritures. Ces derniers sont ignorés de ceux qui sont étrangers aux alliances de Dieu données par Moïse et notre Sauveur Jésus, et de ceux qui sont exclus de ses promesses qu’ils ont rendues manifestes. On s’élève au-dessus de l’esclavage de tous les démons quand on s’abstient de toute ” oeuvre chère aux démons. On s’élève au-dessus de la catégorie de ceux que Paul nomme des dieux, quand on regarde comme eux, ou de toute autre manière, « non aux choses visibles, mais aux invisibles ». Et, à voir comment « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu, car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise, avec l’espérance », à bénir la création et à considérer comment elle sera toute entière « libérée de l’esclavage de la corruption » et parviendra « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu », on ne peut être entraîné à servir Dieu et un autre avec lui, ni à servir deux maîtres. Il ne s’agit donc point d’un cri de révolte, chez ceux qui ont compris les réflexions de ce genre et qui refusent de servir plusieurs maîtres. Aussi se contentent-ils du Seigneur Jésus-Christ qui enseigne par lui-même ceux qui le servent, pour que, une fois instruits et devenus un royaume digne de Dieu, il les remette à son Dieu et Père. De plus, ils se séparent et ils rompent avec ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu, exclus de ses alliances, pour vivre en citoyens du ciel en s’avançant vers le Dieu vivant et « la cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses myriades d’anges en réunion de fête, et l’église des premiers-nés qui sont inscrits au ciel. » LIVRE VIII
Par ailleurs, les divines Écritures ont une manière mystérieuse d’enseigner la doctrine de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre avec une oreille plus divine les paroles de Dieu. En disant que le temple sera reconstruit de pierres vivantes et très précieuses, elles insinuent que chacun de ceux à qui le même Logos inspire de tendre à la piété qu’il enseigne est une pierre précieuse intégrée au temple de Dieu. C’est la déclaration de Pierre : « Mais vous êtes édifiés, tels des pierres vivantes et une maison spirituelle, en un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » C’est celle de Paul : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre d’angle est Jésus-Christ notre Seigneur. » C’est le sens mystérieux renfermé dans le passage d’Isaïe adressé à Jérusalem : « Voici que je vais te préparer comme pierre de l’escarboucle et comme fondations du saphir, je ferai tes créneaux de rubis, tes portes de cristal, ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront instruits par Dieu ; tes enfants habiteront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » LIVRE VIII
Faut-il encore parler de l’absence d’enfants dont se désolaient des pères et des mères qui élevaient leurs prières pour cela au Créateur de l’univers ? Qu’on lise l’histoire d’Abraham et de Sara : c’est d’eux, alors qu’ils étaient déjà dans la vieillesse, que naquit Isaac, le père de toute la race juive et d’autres races. Qu’on lise aussi l’histoire d’Ézéchias qui non seulement obtint d’être délivré d’une maladie, selon les prophéties d’Isaïe, mais osa dire en pleine assurance : « A partir de maintenant, en effet, je procréerai des enfants qui annonceront ta justice. » De plus, dans le quatrième livre des Rois, l’hôtesse d’Elisée, qui par la grâce de Dieu prophétisa la naissance d’un enfant, devint mère à la prière du prophète. En outre d’innombrables infirmités ont été guéries par Jésus. Et beaucoup qui avaient osé se livrer aux sacrilèges contre le culte exercé dans le temple de Jérusalem ont souffert les châtiments racontés dans les livres des Macchabées. LIVRE VIII
Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « Moïse et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI