L’interprétation qui consiste à remonter des événements rapportés par l’Écriture aux réalités dont ils étaient les figures demanderait une explication plus étendue et plus sublime si l’on exposait plus à propos ces matières dans un traité spécial. L’interprétation littérale s’expliquerait ainsi : une fois sa décision prise d’endurer la mise en croix, il se devait de subir les conséquences de son propos ; en sorte que, tué comme un homme, mort comme un homme, il fût de même enseveli comme un homme. Bien plus, à supposer qu’il fût écrit dans les Évangiles que du haut de la croix il avait soudain disparu, Celse et les incroyants blâmeraient le texte par des critiques de ce genre : pourquoi donc est-ce après sa croix qu’il a disparu, et qu’il ne l’a pas fait avant sa passion ? Si donc ils ont appris des Évangiles qu’il n’a pas disparu soudain du haut de la croix, et pensent faire grief à l’Écriture de n’avoir pas inventé comme ils l’auraient voulu cette disparition soudaine du haut de la croix mais de dire la vérité, n’est-il pas raisonnable de les croire aussi lorsqu’il disent qu’il est ressuscité et qu’à son gré, tantôt « toutes portes closes, il se tint au milieu » de ses disciples, tantôt, ayant donné du pain à deux de ses familiers, subitement il disparut de leurs regards, après leur avoir adressé quelques paroles ? LIVRE II
Je pourrais l’inviter à comparer nos livres respectifs et dire : Allons, mon brave, apporte les poèmes de Linos, de Musée, d’Orphée, les écrits de Pherecyde, et confronte-les avec la loi de Moïse. Mets en parallèle les histoires avec les histoires, les préceptes de morale avec les lois et les commandements. Et vois lesquels d’entre eux sont plus capables de convertir d’emblée ceux qui les entendent, et lesquels d’entre eux de faire périr l’auditeur. Et remarque combien la cohorte de tes auteurs s’est peu inquiétée de ceux qui liraient sans préparation , c’est pour les seuls gens capables d’interprétation figurée et allégorique, qu’elle a écrit, dis-tu, sa propre philosophie. Moïse, au contraire, à procédé dans ses cinq livres comme un rhéteur de race qui soigne son style et veille a présenter partout le double sens des mots à la foule des Juifs soumis à ses lois, il ne donne pas d’occasions d’un dommage moral , à l’élite capable d’une lecture pénétrante, il ne présente pas de texte qui ne soit plein de spéculation pour qui peut chercher son intention profonde. Et les livres de tes sages poètes, à ce qu’il semble, ne sont même plus conservés, on les eût conservés si le lecteur en avait tiré profit. Mais les écrits de Moïse ont incité un grand nombre de gens, même étrangers à la culture juive, à croire, comme le proclament les écrits, que le premier auteur des lois données à Moïse, c’est Dieu le créateur du monde. Il convenait en effet que l’artisan de tout l’univers imposât ses lois à tout l’univers et donnât à ses paroles une puissance capable d’en soumettre tous les habitants. Et cela, je l’affirme sans traiter encore de Jésus, mais toujours de Moïse, qui est bien inférieur au Seigneur, et je montre, comme l’argument le prouvera, que Moïse est bien supérieur a tes sages poètes et philosophes. LIVRE I
Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de Moïse, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II
Et comme, après cela, le Juif de Celse fait ce reproche ” Les chrétiens citent les prophètes qui ont prédit l’histoire de Jésus “, j’ajouterai à ce que j’ai dit plus haut il aurait dû, s’il traite les hommes avec ménagement comme il l’assure, citer les prophéties elles mêmes et, après avoir plaide leurs vraisemblances, proposer ce qui lui aurait paru être une réfutation des textes prophétiques. Il eût ainsi évité l’apparence de trancher en sa faveur un sujet de cette importance en si peu de mots. D’autant plus qu’il ajoute ” Il en est une infinité d’autres auxquels les prophétie peuvent s’adapter avec bien plus de vraisemblance qu’a Jésus ” Il aurait dû, précisément, s’opposer avec soin à cette démonstration qui a conquis les chrétiens par sa force sans égale, expliquer, à chaque prophétie, comment elle peut s’adapter à d’autres avec bien plus de vraisemblance qu’a Jésus. Mais il n’a pas compris que s’il y avait là une objection plausible contre les chrétiens, elle serait peut-être plausible de la part d’hommes étrangers aux écrits prophétiques , mais Celse attribue au personnage de son Juif ce qu’un Juif n’eût jamais dit. Car un Juif n’admettra pas qu’il y en ait une infinité à qui les prophéties peuvent s’adapter avec bien plus de vraisemblance qu’à Jésus , mais donnant sur chacune l’explication qui lui paraît bonne, il s’efforcera de se dresser contre l’interprétation des chrétiens , non certes qu’il présente des arguments convaincants, mais il s’efforce de le faire LIVRE II
Mais je crois utile à la justification de ce point de vue cette parole sur Jésus : « Le Christ est mort et ressuscité pour devenir le Seigneur des morts et des vivants. » Remarque en effet ici que Jésus « est mort… pour devenir le Seigneur des morts », et qu’« il est ressuscité » pour devenir le Seigneur non seulement « des morts », mais « aussi des vivants ». L’Apôtre entend bien par les morts dont le Christ est le Seigneur ceux que désigne ainsi la Première aux Corinthiens : « Car la trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles » ; et par les vivants, eux et ceux qui seront transformés, étant autres que les morts qui ressusciteront. Voici le passage qui les concerne : « Et nous nous serons transformés », qui fait suite à : « Les morts ressusciteront d’abord ». En outre, dans la Première aux Thessaloniciens, il exprime en mots différents la même distinction, en déclarant qu’autres sont ceux qui dorment et autres les vivants : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants sur ceux qui dorment, pour vous éviter la désolation des autres qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, de même, ceux-là aussi qui se sont endormis en Jésus, Dieu les amènera avec lui. Car voici ce que j’ai à vous dire sur la parole du Seigneur : Nous, les vivants, qui serons encore là pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. » Mais l’interprétation que j’ai trouvée de ces passages, je l’ai exposée dans mon commentaire de la Première aux Thessaloniciens. LIVRE II
Il déclare aussi que tous étaient animés par la même pensée. Il ne voit même pas là que dès l’origine il y eut désaccord entre croyants sur l’interprétation des livres regardés comme divins. Du moins, pendant que les apôtres prêchaient encore et que les témoins oculaires de Jésus enseignaient ce qu’ils avaient appris de lui, un débat important s’éleva entre les Juifs croyants concernant les Gentils qui venaient à l’Évangile : fallait-il leur faire observer les coutumes juives ou leur enlever le fardeau des aliments purs et impurs, qui ne devait pas charger ceux qui avaient laissé les coutumes ancestrales dans la Gentilité et qui croyaient en Jésus. De plus, dans les épîtres de Paul, contemporain de ceux qui avaient vu Jésus, on trouve des allusions à certaines disputes sur la question de savoir si la résurrection avait déjà eu lieu, et si « le Jour du Seigneur » était proche ou lointain. Il y a en outre ce passage : « Evite les discours creux et profanes, et les contradictions de la pseudo-science. Pour l’avoir professée, certains ont fait naufrage dans la foi » ; il montre que dès l’origine, il y eut des interprétations différentes, lorsque les croyants, au dire de Celse, n’étaient pas encore nombreux. LIVRE III
En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de Moïse et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la doctrine n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de Moïse et des prophètes. LIVRE III
En effet, nous posons cette question à tous ceux qui usent de ces invocations de Dieu : dites-nous, braves gens, quelle fut l’identité d’Abraham, la grandeur d’Isaac, la puissance de Jacob, pour que l’appellation « Dieu » jointe à leurs noms accomplisse d’aussi grands miracles ? Et de qui avez-vous appris ou pouvez-vous apprendre la vie de ces hommes ? Qui donc a pris soin d’écrire leur histoire, qu’elle exalte directement ces hommes dans un sens littéral ou qu’elle insinue par allusions de grandes et admirables vérités aux gens capables de les percevoir ? Et comme pour répondre à notre question nul d’entre vous ne peut montrer de quelle histoire, grecque ou barbare, ou sinon d’une histoire, du moins de quel traité secret vient le pouvoir de ces hommes, nous présenterons le livre intitulé Genèse, qui contient les actions de ces hommes et les oracles que Dieu leur adressa, et nous dirons : est-ce que l’usage que vous faites vous aussi des noms de ces trois premiers ancêtres de la nation, comprenant à l’évidence qu’on obtient par leur invocation des effets non négligeables, ne prouve pas le caractère divin de ces hommes ? Or nous ne les connaissons d’aucune autre source que des livres sacrés des Juifs. Mais en fait, « le Dieu d’Israël, le Dieu des Hébreux, le Dieu qui a précipité dans la mer Rouge le roi d’Egypte et les Égyptiens » sont des formules souvent employées pour lutter contre les démons ou certaines puissances perverses. Et nous avons appris l’histoire des personnages ainsi nommés, et l’interprétation de ces noms grâce aux Hébreux qui, dans leurs écrits traditionnels et leur langue nationale, les célèbrent et les expliquent. Comment donc pour les Juifs qui ont tenté de rattacher leur généalogie à la première génération de ces personnages, que Celse a considérés comme des sorciers et des vagabonds, y aurait-il une impudence à tenter de rattacher eux-mêmes et leur origine à ces hommes, dont les noms hébreux attestent aux Hébreux, car leurs livres sacrés sont écrits dans la langue et en caractères hébraïques, que leur nation est bien celle de ces hommes ? Et jusqu’à ce jour les noms juifs appartiennent à la langue hébraïque, qu’ils proviennent de leurs écrits ou tout simplement de significations particulières à la langue. LIVRE IV
Et quand il lit que le dragon vit dans le fleuve d’Egypte et que les poissons se cachent sous ses écailles, ou que les montagnes d’Egypte sont remplies des « excréments » du Pharaon, n’est-il pas aussitôt conduit à chercher quel est celui qui remplit les montagnes d’Egypte de cette quantité d’excréments fétides, quelles sont les montagnes d’Egypte, quels sont les fleuves d’Egypte, dont le Pharaon susnommé dit par vantardise : « A moi sont les fleuves et c’est moi qui les ai faits », quel est le dragon, dans le contexte de l’interprétation allégorique des fleuves, et quels sont les poissons sous ses écailles? Mais qu’ai-je à prouver encore ce qui n’a pas besoin de preuve, et dont il est dit : « Quel est le sage ? et il le comprendra ; l’intelligent ? et il le connaîtra. » LIVRE IV
Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la doctrine de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V
Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V
Quant à la production de la lumière, le premier jour ; à celle du firmament, le second ; le troisième, au rassemblement dans leurs réservoirs « des eaux qui sont sous le ciel », permettant à la terre de faire germer ce qui est du domaine de la seule nature ; à la production, le quatrième, des « grands luminaires et des étoiles » ; à celle des animaux aquatiques, le cinquième ; et le sixième, à celle des animaux terrestres et de l’homme, j’ai développé tout cela de mon mieux dans mon Commentaire sur la Genèse. Et plus haut, j’ai critiqué l’interprétation superficielle de ceux qui affirment que la création du monde s’est effectuée en une durée de six jours, quand j’ai cité le texte : « Voici le livre de la génération du ciel et de la terre, quand ils furent faits, le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » LIVRE VI
Peut-être par une méprise sur le sens des mots : « Car la bouche du Seigneur a proféré ces paroles », ou peut-être à cause de l’interprétation téméraire donnée par les simples à de pareils textes, Celse n’a point saisi en quel sens on applique aux puissances de Dieu ce qu’expriment les noms des membres du corps, et il dit : Dieu n’a ni bouche ni voix. Il est vrai que Dieu n’aurait point de voix, si la voix n’était que de l’air en vibration ou un ébranlement d’air ou une espèce d’air ou toute autre réalité qu’attribuent à la voix les hommes compétents en la matière. Mais cette voix de Dieu est présentée comme une voix de Dieu vue par le peuple dans le passage : « Et tout le peuple voyait la voix de Dieu », le mot vision étant compris au sens spirituel selon l’usage constant de l’Écriture. Or il ajoute : En Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons; mais il ne précise pas ces choses que nous connaissons. S’agit-il de membres, nous sommes d’accord avec lui, en sous-entendant : des choses que nous connaissons corporellement, dans l’acception la plus commune des termes. Mais à prendre « les choses que nous connaissons » en général, nous connaissons beaucoup de ce qu’on lui attribue : sa vertu, sa béatitude, sa divinité. A prendre « les choses que nous connaissons » au sens le plus élevé, comme Dieu dépasse tout ce que nous connaissons, il n’y a rien d’absurde à admettre, nous aussi, qu’en Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons. Car les attributs de Dieu sont supérieurs à tout ce que connaît non seulement la nature de l’homme, mais encore celle des êtres qui la dépassent. Mais s’il avait lu les paroles des prophètes, de David : « Mais toi, tu es toujours le même », et de Malachie, je crois : « Je ne change jamais », il aurait vu qu’aucun d’entre nous ne dit qu’il y a du changement en Dieu, ni en action, ni en pensée. C’est en restant « le même » qu’il gouverne les choses qui changent, selon leur nature, et comme la raison elle-même exige qu’elles soient gouvernées. LIVRE VI
Dire que les péchés sont bois, herbe ou chaume ne veut pas dire que les péchés soient des corps, et dire que les bonnes actions sont or, argent, pierres précieuses ne veut pas déclarer que les bonnes actions soient des corps ; ainsi, la parole : « Dieu est un feu qui dévore le bois, l’herbe, le chaume » et toute réalité de péché, ne veut pas faire penser que Dieu soit un corps. Et comme le dire « feu » n’est pas comprendre qu’il soit un corps, de même dire que Dieu est esprit ne veut pas dire qu’il soit un corps. C’est pour les opposer aux choses sensibles que l’Écriture a coutume de nommer esprits et spirituelles les réalités intelligibles. Par exemple, quand Paul dit : « Mais notre qualité vient de Dieu, qui nous a qualifiés pour être ministres d’une alliance nouvelle, non de la lettre mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais l’esprit vivifie », il a nommé l’interprétation sensible des divines Écritures « la lettre », et « l’esprit » l’interprétation intelligible. LIVRE VI
Car nous avons lu la parole : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu.» Certes, dans le Commentaire sur l’Épître aux Romains, j’ai fourni de mon mieux des explications longues et variées sur ces paroles. Ici, je ne les applique au sujet qu’au sens simple et selon l’interprétation commune, puisque Celse déclare : Ce n’est pas sans une force démoniaque qu’ils ont obtenu leur dignité sur terre. LIVRE VIII
Il a délibérément passé sous silence la légende des dieux supposés, aux passions tout humaines, due principalement aux poèmes d’Orphée. Mais ensuite, dans sa critique de l’histoire de Moïse, il accuse ceux qui en donnent une interprétation figurée et allégorique. On pourrait riposter à cet auteur illustre qui a intitule son livre “Discours véritable” quoi donc, mon brave, des dieux s’engagent dans des aventures telles que les décrivent tes sages poètes et philosophes, ils se livrent à des unions maudites, entrent en guerre contre leurs pères, leur tranchent les organes virils, et tu prends au sérieux l’histoire qui rapporte leur audace à commettre et a souffrir ces forfaits ! Mais lorsque Moïse ne dit rien de tel sur Dieu, ni même sur les saints anges, et qu’il raconte sur les hommes de bien moindres méfaits — chez lui personne n’a les audaces de Cronos envers Ouranos, ni celles de Zeus envers son père, sans ajouter que « le père des dieux et des hommes » s’est uni à sa fille —, on pense qu’il égare ceux qu’il a trompés en leur donnant sa loi. Celse me semble agir à peu près comme le Thrasymaque de Platon, qui ne permet point à Socrate de répondre à sa guise sur la justice, mais déclare : « Garde-toi de dire que le juste c’est l’utile, l’obligatoire ou quoi que ce soit de semblable » Lui aussi, lorsqu’il accuse, croit-il, les histoires de Moïse et qu’il blâme ceux qui les interprètent en allégories tout en les louant d’être les plus raisonnables, il voudrait bien, après son accusation fantaisiste, empêcher ceux qui le peuvent de répondre comme le demande la nature des choses. LIVRE I
Mais puisque c’est un Juif qui élève des doutes sur le récit de la descente du Saint-Esprit vers Jésus sous la forme d’une colombe, on pourrait lui riposter : dis-moi, mon brave, qui déclare en Isaïe : « Et maintenant le Seigneur m’a envoyé et aussi son Esprit » ? Dans le texte, l’expression est ambiguë : est-ce que le Père et l’Esprit Saint ont envoyé Jésus, ou est-ce que le Père a envoyé le Christ et l’Esprit Saint ? C’est la seconde interprétation qui est vraie Et après la mission du Sauveur eut lieu celle de l’Esprit Saint, pour que la parole du prophète fût accomplie , mais il fallait que l’accomplissement de la prophétie fût connu aussi de la postérité, et c’est pourquoi les disciples de Jésus ont écrit ce qui était advenu. LIVRE I
Pour l’instant, il s’agit de réfuter l’ignorance de Celse, chez qui le Juif dit à ses compatriotes et aux Israélites qui ont cru en Jésus : « Quel malheur vous est donc survenu que vous ayez abandonné la loi de nos pères… » Mais dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères, ceux qui blâment les gens qui refusent de l’entendre et leur disent : « Dites-moi, vous qui lisez la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils… » jusqu’à « Il y a là une allégorie » et la suite. Dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères ceux qui ne cessent dans leurs paroles d’en appeler à leurs ancêtres et disent : « La loi ne le dit-elle pas aussi ? C’est bien dans la loi de Moïse qu’il est écrit : Tu ne muselleras pas le boef qui foule le grain. Dieu se met-il en peine de boefs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle évidemment ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit » etc. De plus, avec quelle confusion le Juif de Celse parle de tout cela, alors qu’il aurait pu dire de façon plus plausible : certains d’entre vous ont abandonné ces coutumes, sous prétexte d’interprétations et d’allégories ; d’autres, tout en leur donnant, comme vous le proclamez, une interprétation spirituelle, conservent néanmoins les coutumes de vos pères ; d’autres enfin n’interprètent rien ; et vous prétendez à la fois accepter Jésus comme objet de prophétie, et garder la loi de Moïse selon les coutumes de vos pères, comme si elle contenait dans sa lettre tout le sens spirituel ! Mais comment Celse eut-il pu élucider ce point : il rappelle, par la suite, des sectes athées et complètement étrangères à Jésus, et d’autres qui ont abandonné le Créateur, mais il n’a pas vu qu’il y a aussi des Israélites qui croient en Jésus sans avoir abandonné la loi de leurs pères ! Car il n’avait pas l’intention d’examiner loyalement l’ensemble de la question pour admettre ce qu’il trouverait de valable , mais s’il a écrit tout cela, c’est en ennemi, tout à la tâche de détruire ç mesure qu’il apprenait. LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II
Est-ce que ces récits, surtout compris comme il faut, ne paraissent pas beaucoup plus dignes de respect que celui de Dionysos, trompé par les Titans, précipité du trône de Zeus et mis en pièces par eux, et ensuite reconstitué et semblant revenir à la vie et monter au ciel ? Est-il permis aux Grecs d’en faire l’application à la doctrine de l’âme et de l’interpréter au figuré, tandis qu’on nous ferme la porte, nous interdisant une interprétation logique, concordante et harmonisée en tous points avec les Écritures inspirées par l’Esprit divin qui habite les âmes pures ? Celse n’a donc pas vu du tout l’intention de nos Écritures ; aussi est-ce sa propre interprétation qu’il attaque, et non celle des Écritures. S’il avait compris la destinée de l’âme dans l’éternelle vie future, et ce qu’impliquent son essence et son origine, il n’aurait point raillé de la sorte la venue de l’être immortel dans un corps mortel, expliquée non suivant la théorie platonicienne de la métensomatose, mais dans une perspective plus haute. Il aurait vu, au contraire, une descente extraordinaire due à un excès d’amour pour les hommes, en vue de ramener, suivant l’expression mystérieuse de la divine Écriture, « les brebis perdues de la maison d’Israël », descendues des montagnes, et vers lesquelles, le berger de certaines paraboles, « est descendu » laissant sur les montagnes celles qui ne s’étaient pas égarées. LIVRE IV
Je ne sais pourquoi il juge la destruction de la Tour de Babel comparable au déluge qui, selon la doctrine des Juifs et des chrétiens, a purifié la terre. Car, à supposer que l’histoire de la Tour, dans la Genèse, ne contienne aucune signification cachée, mais soit claire par elle-même, comme le croit Celse, il ne semble pas si clair que cette destruction ait réalisé la purification de la terre. A moins peut-être qu’il ne voie une purification de la terre dans ce qu’on nomme la confusion des langues. Sur ce point, c’est aux gens compétents de donner des explications opportunes lorsqu’il sera question d’établir la signification littérale de l’histoire et son interprétation anagogique. LIVRE IV
Et il lui aurait fallu montrer comment, en interprétant à notre manière aux ignorants et aux sots la signification de ces noms, nous trompons, à son avis, les auditeurs, alors que lui, qui se targue de n’être ni ignorant ni sot, en donne la véritable interprétation ! Il note incidemment, dans son propos sur ces noms auxquels les Juifs rattachent leur généalogie, qu’il n’y eut jamais, au cours de la longue période qui précède, de discussion à leur sujet, tandis qu’à présent les Juifs en discutent avec d’autres, qu’il s’est abstenu de nommer. Aussi, montre qui voudra ceux qui revendiquent et avancent le moindre argument plausible contre les Juifs pour établir, avec la vanité de la doctrine des Juifs et des chrétiens sur les noms des personnages en question, que d’autres ont donné sur eux les explications les plus sages et les plus vraies ! Mais je suis certain que personne ne pourra le faire, puisqu’il est manifeste que les noms sont tirés de la langue hébraïque qu’on ne trouve que chez les Juifs. LIVRE IV
», mais ne cite pas le texte capable de faire comprendre au lecteur le caractère figuré du récit. Il n’a même pas voulu avoir l’air d’admettre que ce sont là des allégories, bien qu’il dise ensuite : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens, pour la honte qu’ils en ont, tentent d’en donner une interprétation allégorique. On peut lui répondre : Alors, le récit fait par Hésiode, ton auteur inspiré, sous la forme d’un mythe sur la femme, aurait un sens allégorique quand il fait d’elle « un mal » donné aux hommes par Zeus « à la place du feu », tandis que l’histoire de la femme, tirée de la côte d’Adam endormi d’un sommeil miraculeux, et façonnée par Dieu, te paraîtrait écrite sans aucune raison ni signification cachée ? LIVRE IV
A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’allégorie, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV
Une lecture loyale de l’Écriture eût empêché Celse de dire que nos livres ne sont pas susceptibles d’allégorie. En effet, c’est en partant des prophéties où sont relatés les faits historiques et non à partir de l’histoire, qu’on peut se convaincre que même les faits historiques ont été relatés en vue d’une interprétation allégorique, et très sagement adaptés aux besoins de la foule à la foi simple, et de l’élite qui veut et peut examiner les questions avec intelligence. Si ceux qui, d’après Celse, passent aujourd’hui pour des Juifs et des chrétiens raisonnables étaient les seuls à allégoriser les Écritures, on pourrait supposer que Celse a dit une chose plausible. Mais puisque les auteurs de nos doctrines et les écrivains ont recours eux-mêmes à ces interprétations allégoriques, qu’y a-t-il à supposer sinon qu’ils ont écrit de manière que ces faits soient interprétés allégoriquement suivant leur intention principale. LIVRE IV
J’ai quelque peu développé l’argument, dans le dessein de montrer que Celse ne pouvait avoir raison de dire : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens tentent d’en donner une interprétation allégorique; mais il en est qui ne peuvent admettre l’allégorie et sont manifestement des fables de la plus sotte espèce. Combien plus, en effet, les histoires des Grecs sont-elles des fables de l’espèce non seulement la plus sotte, mais encore la plus impie ! Car les nôtres ont en vue aussi la foule des simples, ce qu’ont négligé de faire les auteurs des fictions grecques. Aussi n’est-ce point par simple mauvais vouloir que Platon expulse de sa République les mythes et les poèmes de cette espèce. LIVRE IV
Mais pour éviter qu’une fausse interprétation de ma pensée ne donne un prétexte à s’obstiner dans le mal, à l’idée que la malice apporte ou peut apporter un profit à l’univers, il me suffira de dire : bien que Dieu, en laissant intacte la liberté personnelle, utilise la malice des méchants pour l’ordre de l’univers, en les subordonnant à l’utilité de l’univers, un tel individu n’en est pas moins digne de blâme et comme tel il reçoit une fonction détestable pour l’individu mais utile à l’univers. On pourrait dire de même que dans les villes, le coupable de crimes déterminés, condamné pour ces crimes à des travaux d’utilité publique, rend service à la ville entière, bien qu’il se trouve engagé dans une tâche détestable où aucun homme de sens commun ne voudrait se trouver. LIVRE IV
Et certes, si je voulais poursuivre la discussion avec Celse, je pourrais citer ce passage de Salomon, tiré des Proverbes : « Il est quatre êtres minuscules sur la terre, mais qui ont plus de science que les savants : les fourmis, peuple chétif, qui, en été, assure sa provende ; les damans, peuple sans vigueur qui fait son gîte dans les rochers ; la sauterelle n’a point de roi et marche à la guerre en bon ordre sous un seul commandement ; le lézard, s’appuyant sur les mains et facile à capturer, habite des palais de roi. » Cependant je ne m’intéresse pas au sens obvie des expressions, mais conformément au titre – car le livre est intitulé Proverbes -, je les scrute comme des énigmes. C’est l’habitude de ces auteurs de répartir soit ce qui a une signification obvie, soit ce qui a un message secret, en diverses classes dont l’une est les proverbes. Voilà pourquoi même dans nos Évangiles il est écrit que notre Sauveur a dit : « Je vous ai parlé de cela en proverbes ; vient l’heure où je ne vous parlerai plus en proverbes. » Ce ne sont donc pas les fourmis sensibles qui ont une science supérieure même à celle des savants, mais celles qui sont désignées sous la forme des proverbes. Il faut en dire autant du reste des animaux. Mais Celse juge les livres des Juifs et des chrétiens fort simplistes et vulgaires, et croit qu’une interprétation allégorique forcerait le sens qu’y ont mis les auteurs. Que ce soit donc là une preuve qu’il nous a vainement calomniés, et une réfutation de son argument sur les aigles et les serpents, qu’il déclare plus savants que les hommes. LIVRE IV
Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V
Il recherche ensuite la raison de l’ordonnance ainsi cataloguée des étoiles, indiquée symboliquement par les noms des espèces variées de la matière. Il ajoute des théories musicales à ce qu’il cite de la théologie des Perses. Il renchérit sur ce point et cite une seconde explication, qui contient encore des considérations musicales. Mais il m’a semblé hors de propos de citer le passage de Celse là-dessus : c’eût été faire ce qu’il fait lui-même quand, pour accuser les chrétiens et les Juifs, il expose à contretemps non seulement les paroles de Platon dont il eût pu se contenter, mais encore, comme il dit, les mystères mithriaques des Perses et leur explication. En effet, quoi qu’il en soit du mensonge ou de la vérité de leur interprétation par les Perses et ceux qui les pratiquent, pourquoi citer ces mystères-là plutôt que l’un des autres avec son explication ? Car il ne semble pas qu’en Grèce ceux de Mithra aient été plus exceptionnels que ceux d’Eleusis ou ceux d’Hécate qui sont communiqués aux initiés d’Égine. LIVRE VI
Ensuite, comme si l’affirmation de l’Écriture ou notre interprétation était que Dieu, fatigué, se reposa, il déclare : Il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue, ni qu’il travaille de ses mains, ni qu’il commande. Donc Celse déclare qu’il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue. Mais je dirais que ni le Logos de Dieu ne se fatigue, ni ceux qui sont déjà dans l’ordre supérieur et divin. Car il n’y a de fatigue que pour ceux qui sont dans un corps. On pourrait chercher s’il s’agit d’êtres ayant n’importe quel corps ou de ceux qui ont un corps terrestre et légèrement supérieur au nôtre. En outre, il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier travaille de ses mains ; et à prendre « travailler de ses mains » au sens propre, on ne peut l’entendre du Second, ni de tout autre être divin. Mais à supposer que l’expression « travailler de ses mains » soit prise au sens impropre ou figuré pour expliquer : « Le firmament annonce l’oeuvre de ses mains », « Ses mains ont affermi le ciel », et toute autre semblable où nous prenons au sens figuré les mains et les membres de Dieu, qu’y a-t-il d’absurde à dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains ? Et comme il n’est point absurde de dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains, il ne l’est pas davantage de dire qu’il commande afin que les oeuvres accomplies par celui à qui il commande soient belles et louables, parce que c’est Dieu qui les lui a commandées. LIVRE VI
Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « Moïse et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI
Il semble bien par ces mots avoir soupçonné la force de persuasion qu’aurait pour les auditeurs l’argument que Jésus a été prophétisé, et il essaie d’en ruiner la valeur par une autre raison plausible en affirmant : On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non. Or s’il voulait opposer à l’affirmation une raison non point captieuse mais apodictique, il aurait dû dire : il faut donc prouver qu’ils n’ont pas prédit, ou que les prophéties sur le Christ n’ont pas été accomplies en Jésus comme ils l’ont prédit, et il aurait dû ajouter la preuve qui lui semblait bonne. Ainsi on aurait vu ce que disent les prophéties que nous rapportons à Jésus et la manière dont il réfute notre interprétation ; et on aurait reconnu s’il réfute honnêtement les textes de prophètes que nous appliquons à la doctrine sur Jésus, ou s’il est surpris à vouloir impudemment faire violence à la vérité évidente comme si elle n’était pas la vérité. LIVRE VI
Si Celse avait lu la loi de Moïse, il aurait probablement pensé que l’aphorisme « Tu prêteras à beaucoup de nations, mais tu n’emprunteras point », adressé à celui qui observe la loi, doit être compris comme une promesse faite au juste : il s’enrichirait de la richesse aveugle à un tel point que l’abondance de ses biens lui permettrait de prêter non seulement aux Juifs, ni même à une, deux ou trois des autres nations, mais à un grand nombre. Que de richesses ne devrait pas posséder ainsi le juste en récompense de sa justice selon la loi, pour pouvoir prêter à de nombreuses nations ? La conséquence logique d’une telle interprétation nous ferait aussi croire que jamais le juste n’empruntera, puisqu’il est écrit : « mais tu n’emprunteras point. » La nation serait-elle donc restée si longtemps dans la religion de Moïse si, comme le pense Celse elle avait pris son législateur en flagrant délit de mensonge ? De personne on ne raconte qu’il se soit enrichi au point de prêter à de nombreuses nations. De plus il n’est pas vraisemblable qu’ayant appris à entendre la loi dans le sens que lui donne Celse, et devant le mensonge flagrant des promesses de la loi, ils aient combattu pour la loi. LIVRE VI
De plus, si la parole de la loi « Tu domineras des nations nombreuses, mais elles ne te domineront pas » n’avait été, sans une signification plus profonde, que la promesse qu’ils seraient puissants, le peuple eût évidemment méprisé bien davantage les promesses de la loi. Celse paraphrase le sens de certaines expressions déclarant que la postérité des Hébreux remplirait toute la terre. Historiquement cela eut lieu après la venue de Jésus, mais pour ainsi dire comme un effet du courroux de Dieu plutôt que de sa bénédiction. De plus, si dans la promesse il est dit aux Juifs de massacrer les ennemis, il faut dire qu’une lecture et une étude soigneuses des termes révèle qu’une interprétation littérale est impossible. Il suffira pour l’instant d’extraire entre autres des Psaumes ces paroles mises dans la bouche du juste : « Chaque matin, j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité. » A considérer les termes et l’intention de l’auteur est-il possible que, après avoir rappelé ses exploits faciles à lire par le premier venu, il ajoute ce qui peut ressortir du texte pris littéralement : qu’en aucun autre moment du jour que le matin il n’a détruit « tous les pécheurs de la terre » sans en laisser survivre un seul, et si vraiment il supprimait sans exception de Jérusalem tout homme qui commît l’iniquité ? On peut encore trouver dans la loi beaucoup d’exemples comme celui-ci : « Nous n’avons laissé à aucun d’eux la vie sauve ». LIVRE VI
En outre, les paroles : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez. Considérez les oiseaux du ciel, ou considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, et notre Père céleste les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! » ; « Du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Considérez les lis des champs », non plus que celles qui suivent, ne sont contraires aux bénédictions de la loi qui enseignent que le juste mangera et sera rassasié, ni à cette parole de Salomon : « Le juste mange et rassasie son âme, les âmes des impies sont dans l’indigence. » Car il faut le remarquer : c’est la nourriture de l’âme qui est visée dans la bénédiction de la loi : elle rassasie non pas le composé humain, mais l’âme seule. Et de l’Évangile, il faut tirer peut-être une interprétation assez profonde, et peut-être aussi une interprétation plus simple, c’est qu’on ne doit point égarer son âme dans les soucis de la nourriture et du vêtement, mais pratiquer une vie frugale et avoir confiance que Dieu y pourvoira si on ne s’inquiète que du nécessaire. LIVRE VI
Pour se convaincre que cette interprétation de la terre bonne et spacieuse dont parle Moïse n’a rien de contraire au sens de l’Esprit divin, qu’on prête attention à tous les prophètes : ils enseignent le retour à Jérusalem de ceux qui se sont écartés et sont tombés loin d’elle, et en général, le rétablissement dans la place et la cité de Dieu, ainsi que les nomme celui qui a dit : « Il a sa place dans la paix sainte », ou encore : « Il est grand le Seigneur, très digne de louanges dans la cité de notre Dieu, sa montagne sainte, bien enracinée pour l’allégresse de toute la terre. » LIVRE VI
Celse a encore cité le texte d’Héraclite insinuant, dans son interprétation, qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. Il faut répondre : il est possible de connaître Dieu et son Fils unique, comme les êtres qui sont honorés par Dieu du titre de dieu et participent à sa divinité, et qui sont différents de tous les dieux des nations qui sont de leur vraie nature des démons ; mais il n’est pas possible en vérité de connaître Dieu et de prier les statues. LIVRE VI
A supposer qu’on ait recours à l’allégorie en disant qu’Athènè est la Sagesse, il faut montrer qu’elle a une existence personnelle et une nature qui fonde cette interprétation allégorique. Mais si Athènè est un être humain ayant vécu autrefois, si elle a été honorée d’un culte par l’action de ceux qui désiraient voir son nom chanté parmi les hommes comme celui d’une déesse et ont transmis à leurs inférieurs ses mystères et ses initiations, il nous est permis beaucoup moins encore de bénir et glorifier Athènè comme une déesse, puisqu’il nous est interdit, même si nous le bénissons, d’adorer le soleil dans sa splendeur. LIVRE VIII
Celse déclare ensuite : On ne doit pas refuser créance à l’auteur ancien qui a jadis proclamé : « Qu’un seul soit roi, celui à qui le fils de Cronos le fourbe aura octroyé de l’être ! » Si tu refuses cette doctrine, il est probable que l’empereur te punira. En effet, que tous les hommes fassent comme toi, rien n’empêchera que l’empereur ne reste seul et abandonné, que tous les biens de la terre ne deviennent la proie des barbares très iniques et très sauvages, et qu’on n’entende plus parler sur la terre ni de ta religion ni de la véritable sagesse. Oui certes, qu’il y ait un seul chef, un seul roi ! Non pas celui à qui le fils de Cronos aura octroyé de l’être, mais l’homme à qui l’a octroyé Celui qui établit les rois et les dépose, et qui suscite au bon moment sur la terre le chef utile. Ce n’est pas le fils de Cronos, lequel a précipité son père au Tartare, au dire des mythes grecs, après l’avoir chassé du trône, qui établit les rois, même si l’on donnait une interprétation allégorique de l’histoire : mais c’est Dieu qui, gouvernant l’ensemble de l’univers, sait ce qu’il fait en ce qui concerne l’institution des rois. LIVRE VIII