intelligence (Orígenes)

Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE

Ensuite, puisqu’il appelle souvent secrète notre doctrine, il faut aussi le réfuter sur ce point. Le monde presque entier connaît . la prédication des chrétiens mieux que les thèses favorites des philosophes. Qui donc ignore de Jésus sa naissance d’une vierge, sa crucifixion, sa résurrection objet de foi pour un grand nombre, et la menace du jugement de Dieu qui, selon leurs mérites, punira les pécheurs et récompensera les justes ? Bien plus, le mystère de la résurrection, parce qu’il n’est point compris, est la risée incessante des incroyants. Dire que sur ces points notre doctrine est secrète, c’est le comble de l’absurdité. Et qu’il existe, comme au delà des matières d’enseignement public, certains points inaccessibles à la foule n’est pas propre à la seule doctrine des chrétiens , c’est aussi le cas des philosophes dont certaines doctrines étaient exotériques, et d’autres, ésotériques Des auditeurs de Pythagore s’en tenaient au « Il l’a dit », mais d’autres étaient instruits en secret de vérités inaccessibles aux oreilles profanes et non encore purifiées. De plus, tous les mystères célèbres en tous lieux de la Grèce ou de la barbarie, pour être secrets, n’ont pas été calomniés. C’est donc sans fondement, ni intelligence exacte du secret du christianisme qu’il le calomnie. LIVRE I

Mais le Logos entend que nous soyons sages, et on peut le montrer soit par les anciennes Écritures juives dont nous gardons l’usage, soit aussi par celles qui sont postérieures à Jésus dont les églises reconnaissent l’inspiration divine. Or il est écrit, au cinquantième psaume, que David dit dans sa prière à Dieu : « Tu m’as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse. » Et en lisant les psaumes, on trouve ce livre rempli d’un grand nombre de sages doctrines. De plus, Salomon demanda et obtint la sagesse ; et de sa sagesse, on peut reconnaître les marques dans ses écrits, quand il enferme en peu de mots une grande profondeur de pensée : on y trouverait, entre autres, nombre d’éloges de la sagesse et d’exhortations sur le devoir de l’acquérir. Et telle était même la sagesse de Salomon que la reine de Saba, ayant appris sa « renommée et la renommée du Seigneur », vint « le mettre à l’épreuve en lui posant des énigmes. Elle lui dit tout ce qui était dans son coer. Et Salomon répondit à toutes ses questions ; et il n’y eut pas une question qui resta cachée au roi, sur laquelle il ne lui fournit de réponse. La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon » et toutes ses ressources. « Et hors d’elle-même, elle dit au roi : C’est donc la vérité que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse ; je n’ai pas voulu y croire quand on m’en faisait part, avant de venir et de voir de mes yeux. Et voici qu’on ne m’en avait pas dit la moitié. Tu surpasses en sagesse et en magnificence tout ce que j’ai appris par ouï-dire. » Et justement il est écrit de lui : « Dieu donna à Salomon une intelligence et une sagesse extrêmement grandes, et un coer aussi vaste que le sable du rivage de la mer. Et la sagesse de Salomon surpassait de beaucoup l’intelligence de tous les anciens et de tous les sages d’Egypte. Il fut plus sage que tous les hommes, plus sage que Gétan l’Ezrahite, et qu’Emad, Chalcad, Aradab, fils de Mad. Il était renommé dans toutes les nations d’alentour. Salomon prononça trois mille paraboles, et ses cantiques étaient au nombre de cinq mille. Il a parlé des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui se fraye un chemin dans la muraille. Il a parlé des poissons comme du bétail. Tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon, et on venait de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de sa sagesse. » LIVRE III

Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III

Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV

Une lecture loyale de l’Écriture eût empêché Celse de dire que nos livres ne sont pas susceptibles d’allégorie. En effet, c’est en partant des prophéties où sont relatés les faits historiques et non à partir de l’histoire, qu’on peut se convaincre que même les faits historiques ont été relatés en vue d’une interprétation allégorique, et très sagement adaptés aux besoins de la foule à la foi simple, et de l’élite qui veut et peut examiner les questions avec intelligence. Si ceux qui, d’après Celse, passent aujourd’hui pour des Juifs et des chrétiens raisonnables étaient les seuls à allégoriser les Écritures, on pourrait supposer que Celse a dit une chose plausible. Mais puisque les auteurs de nos doctrines et les écrivains ont recours eux-mêmes à ces interprétations allégoriques, qu’y a-t-il à supposer sinon qu’ils ont écrit de manière que ces faits soient interprétés allégoriquement suivant leur intention principale. LIVRE IV

Dans le passage de Celse que j’ai cité, qui est une paraphrase du “Timée, se trouvent expressions telles que : « Dieu n’a rien fait de mortel, mais seuls les êtres immortels, et les êtres mortels sont oeuvres d’autres êtres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. Et un corps d’homme n’aura aucune différence avec un corps de chauve-souris, de ver ou de grenouille ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » Discutons donc quelque peu ces points, et prouvons ou qu’il dissimule son opinion épicurienne, ou, dira-t-on peut-être, qu’il l’a abandonnée pour de meilleures doctrines, ou même, pourrait-on dire, qu’il est un homonyme du Celse épicurien. Puisqu’il manifestait de telles opinions et se proposait de contredire, avec nous, l’illustre école philosophique des disciples de Zénon de Cittium, il aurait dû prouver que les corps des animaux ne sont pas des oeuvres de Dieu, et que leur si minutieuse organisation ne procède pas de l’intelligence première. Au sujet des plantes, si nombreuses et si variées, régies de l’intérieur par une nature qu’on ne peut imaginer et créées pour l’importante fonction dans l’univers d’être à l’usage des hommes et des animaux qui sont au service des hommes ou dans toute autre situation, il aurait dû ne pas se contenter de déclarer, mais enseigner qu’une intelligence parfaite ne pouvait avoir introduit ces innombrables qualités dans la matière qui constitue les plantes. LIVRE IV

Il poursuit : Dira-t-on que cela pousse pour les hommes – évidemment les plantes, les arbres, les herbes, les épines – ? Pourquoi prétendre que cela pousse davantage pour les hommes que pour les plus sauvages des animaux sans raison ? Que Celse le dise clairement : la grande diversité de ce qui pousse sur le sol n’est pas l’oeuvre de la Providence, mais un choc fortuit d’atomes a produit ces qualités si diverses ; de ce choc fortuit résulte que tant d’espèces de plantes, d’arbres et d’herbes sont semblables entre elles ; aucune raison ordonnatrice ne les a posées dans l’existence, et elles ne tiennent pas leur origine d’un esprit qui surpasse toute admiration. Mais nous, chrétiens, consacrés au seul Dieu qui a créé toutes ces choses, pour elles aussi nous rendons grâce à leur Créateur à elles aussi d’avoir ordonné pour nous, et à cause de nous, pour les animaux à notre service, un si vaste foyer : « Celui qui fait germer l’herbe pour le bétail et les plantes au service des hommes pour qu’ils tirent le pain de la terre, et pour que le vin réjouisse le coeur de l’homme, pour que l’huile égaie son visage, et que le pain fortifie le coeur de l’homme. » Quoi d’étonnant à ce qu’il ait aussi préparé des nourritures aux plus sauvages des animaux ? Car même ces animaux, d’autres philosophes encore les ont dit créés pour exercer les forces de l’animal raisonnable. Et l’un de nos sages dit quelque part : « Ne dis pas : qu’est ceci ? pourquoi cela ? Car toute chose a été créée pour son usage. Ne dis pas : qu’est ceci? pourquoi cela? Car toute chose sera cherchée en son temps. » Ensuite Celse en vient à nier que la Providence ait fait les produits du sol plutôt pour nous que pour les plus sauvages des animaux, et il dit : Nous autres, au prix de fatigues et de souffrances continuelles, nous assurons à grand-peine notre nourriture; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. Il ne voit pas que Dieu, voulant que l’intelligence humaine s’exerce sous tous les rapports pour ne pas rester oisive et ignorante des arts, a créé l’homme indigent : ainsi son besoin même le contraindrait à inventer des arts, les uns pour se nourrir, les autres pour se protéger. Pour ceux qui n’étudieraient pas les mystères divins ni la philosophie, il valait mieux être dans le besoin afin d’employer leur intelligence à l’invention des arts, car l’abondance eût fait négliger entièrement l’intelligence. Le besoin de ce qui est nécessaire à la vie a donc produit la culture des champs, celle de la vigne, le jardinage, la technique du bois et celle du fer, qui fabriquent des outils pour les arts servant à l’acquisition de la nourriture. Le besoin de se protéger a introduit le tissage après le cardage et le filage, l’art de construire, et ainsi l’intelligence s’est élevée jusqu’à l’architecture. Le besoin du nécessaire a fait transporter, par la navigation et le pilotage, les produits de certaines régions vers celles qui ne les possédaient pas. Autant d’autres raisons d’admirer la Providence qui, pour son avantage, a créé l’être raisonnable démuni, par rapport aux animaux sans raison. Les animaux sans raison, parce que sans aptitude aux arts, ont leur nourriture toute prête ; et ils ont une protection naturelle, étant pourvus de poils, de plumes, d’écaillés, de coquilles. Cela suffit pour répondre à la parole de Celse : Nous autres, c’est au prix de fatigues et de souffrances continuelles que nous assurons à grand-peine notre nourriture ; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. LIVRE IV

Ceux que la nature a faits domesticables, nous les apprivoisons par la douceur. Contre ceux qui naturellement ne peuvent l’être, ou qui, une fois domestiqués, ne paraîtraient devoir être d’aucune utilité, nous pourvoyons si bien à notre sécurité que, quand nous le voulons, nous tenons enfermés ces énormes fauves, et quand nous avons besoin de nous nourrir de leurs corps, nous les tuons aussi facilement que des animaux domestiques. Le Créateur les a donc tous mis au service de l’animal raisonnable et de son intelligence naturelle. A certains emplois nous utilisons, par exemple, les chiens pour garder les troupeaux de moutons, de vaches, de chèvres ou les maisons ; à d’autres les boeufs, pour travailler les champs ; à d’autres les bêtes de somme, pour porter les fardeaux. Et on dit que les races de lions, d’ours, de panthères, de sangliers et des animaux de ce genre nous ont été données également pour développer les germes de courage que nous possédons. LIVRE IV

Après cela, comme s’il s’acharnait à rabaisser davantage la race des hommes en les assimilant aux êtres sans raison, et voulait ne rien omettre des traits qui manifestent la supériorité qui est dans les êtres sans raison, il déclare que même les pouvoirs de la magie sont aussi dans quelques-uns des êtres sans raison, en sorte que, jusqu’en cette matière, les hommes ne sauraient se glorifier spécialement, ni prétendre détenir la supériorité sur les êtres sans raison. Voici ses paroles : Mais si les hommes tirent vanité des pouvoirs de la magie, même en cette matière encore, serpents et aigles ont plus de science : ils connaissent du moins beaucoup de remèdes contre les poisons et les maladies, ainsi que les vertus de certaines pierres qu’ils utilisent pour sauver leurs petits; les hommes, s’ils les trouvent, s’estiment en possession d’un merveilleux trésor. Et d’abord, je ne sais pourquoi il donne le nom de magie à la connaissance de contrepoisons naturels dont les animaux ont soit l’expérience, soit une perception naturelle ; car le mot de magie a d’ordinaire une autre acception. Peut-être, cependant, veut-il, en épicurien, attaquer sans en avoir l’air tout usage de ces pratiques qui aurait pour base la prétention des sorciers. Malgré cela, en lui concédant que les hommes, sorciers ou non, tirent vanité de la connaissance de ces secrets, est-ce une raison de dire que les serpents ont plus de science que les hommes en cette matière, pour la raison qu’ils emploient le fenouil pour aviver leur vue et se mouvoir plus vite, quand c’est pour eux un don naturel venant non du raisonnement, mais de leur constitution. Les hommes n’y arrivent point par la seule nature, à la manière des serpents, mais soit par expérience, soit par la raison et parfois par l’exercice du raisonnement scientifique. De même, si les aigles, pour sauver leurs petits dans leur nid, y portent l’aétite qu’ils trouvent, pourquoi conclure que les aigles ont une science, et même une science supérieure à celle des hommes qui ont, par expérience, découvert grâce à leur raisonnement et employé avec intelligence ce secours naturellement donné aux aigles ? Mais accordons que d’autres contrepoisons soient connus des animaux. LIVRE IV

Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

Notre généreux adversaire ne s’est pas contenté de ce qu’il tire du diagramme, mais pour gonfler ses accusations contre nous, qui n’avons rien de commun avec ce diagramme, il a voulu introduire d’autres griefs, où il répète en nous les attribuant les propos de ces hérétiques. Il dit en effet : Mais voici ce qui de leur part n’est pas le moins étonnant: les interprétations qu’ils donnent de certaines inscriptions entre les plus hauts cercles hyper célestes, entre autres ces deux là, « plus grand » et « plus petit », pour désigner le Fils et le Père. Dans ce diagramme, j’ai bien trouvé le grand cercle et le petit ; sur leurs diamètres étaient inscrits « Père » et « Fils » ; entre le grand cercle dans lequel était tracé le petit, et un autre formé de deux cercles, l’un à l’extérieur jaune, et à l’intérieur l’autre bleu, était la barrière inscrite en forme de hache double ; au-dessus d’elle un petit cercle, touchant le plus grand des précédents, où était inscrit « charité », et plus bas un autre, touchant le cercle, avec pour inscription « vie » ; dans le second cercle, fait de lignes entrelacées et renfermant deux autres cercles et une autre figure rhomboïde, était l’inscription : « Providence de la sagesse » ; et à l’intérieur de leur section commune, l’inscription « nature de la sagesse » ; mais plus haut que leur section commune, il y avait un cercle où était inscrit « connaissance » et, plus bas, un autre où était inscrit « intelligence ». LIVRE VI

Ensuite il mélange les sectes, je pense, et ne précise pas les doctrines d’une secte et celles d’une autre. Ce sont nos propres critiques à Marcion qu’il nous oppose ; peut-être les a-t-il mal comprises de la bouche de certains qui s’en prennent à la doctrine d’une manière vulgaire et triviale, et assurément sans aucune intelligence. Il cite donc les attaques faites à Marcion et, omettant d’indiquer qu’il parle contre lui, il déclare : Pourquoi envoyer secrètement détruire les oeuvres du démiurge ? Pourquoi l’irruption clandestine, la séduction, la tromperie? Pourquoi ramener les âmes que, d’après vous, le démiurge a condamnées ou maudites, et les dérober comme un marchand d’esclave ? Pourquoi leur enseigner à se soustraire à leur Seigneur ? Pourquoi, à fuir leur Père ? Pourquoi les adopter contre la volonté du Père? Pourquoi se proclamer le Père d’enfants étrangers ? A quoi il ajoute, feignant la surprise : Le beau dieu, en vérité, qui désire être le père de pécheurs condamnés par un autre, d’indigents ou, comme ils disent eux-mêmes, de déchets ! Le dieu incapable de reprendre et de punir celui qu’il a envoyé pour les dérober ! Après quoi, comme s’il s’adressait à nous qui confessons que ce monde n’est pas l’oeuvre d’un dieu étranger ou hostile, il déclare : Si ces oeuvres sont de Dieu, comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Comment peut-il, quand les hommes sont devenus ingrats et pervers, se repentir, blâmer et haïr son oeuvre, menacer et détruire ses propres enfants ? Sinon, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Là encore, faute d’élucider la question du mal, alors que même parmi les Grecs il y a plusieurs écoles sur le bien et le mal, il me semble bien faire une pétition de principe : de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, il conclut que, d’après nous, Dieu serait l’auteur du mal. LIVRE VI

Aussi démontrons-nous, en réunissant les textes des Écritures sacrées, que les prophètes juifs, illuminés par l’Esprit divin autant qu’il leur était utile quand ils prophétisaient, étaient les premiers à jouir de la venue en eux de l’Esprit d’en haut. Le contact, pour ainsi dire, de ce qu’on appelle l’Esprit Saint avec leur âme rendait leur intelligence plus perspicace, leur âme plus limpide ; et même leur corps qui, étant mort au désir de la chair, n’offrait plus d’obstacle à la vie vertueuse. LIVRE VI

Si la Pythie est hors d’elle-même et sans conscience lorsqu’elle rend des oracles, quelle nature faut-il attribuer à l’esprit qui répand la nuit sur son intelligence et ses pensées ? N’est-ce pas ce genre de démons que beaucoup de chrétiens chassent des malades à l’aide non point d’un procédé magique, incantatoire ou médical, mais par la seule prière, de simples adjurations et des paroles à la portée de l’homme le plus simple ? Car ce sont généralement des gens simples qui l’opèrent. La grâce contenue dans la parole du Christ a prouvé la faiblesse et l’impuissance des démons : pour qu’ils soient vaincus et se retirent sans résistance de l’âme et du corps de l’homme, il n’est pas besoin d’un savant capable de fournir des démonstrations rationnelles de la foi. LIVRE VI

Il n’est pas d’étrangers à la foi qui aient rien fait de semblable à ce que firent les prophètes ; il n’en est pas de plus récents, même postérieurs à la venue de Jésus, dont l’histoire dise qu’ils aient prophétisé parmi les Juifs. Car, de l’aveu de tous, le Saint-Esprit a abandonné les Juifs coupables d’impiété envers Dieu et envers Celui qui avait été prédit par leurs prophètes. Mais les signes du Saint-Esprit sont apparus, d’abord au temps de l’enseignement de Jésus, et en plus grand nombre après son ascension, mais par la suite en moins grand nombre. Cependant il en reste encore aujourd’hui des vestiges chez quelques-uns dont les âmes ont été purifiées par le Logos et les actions qu’il inspire. « Car l’Esprit Saint qui nous éduque fuit la duplicité, il s’éloigne des pensées sans intelligence. » Celse promet d’indiquer la manière dont se font les divinations en Phénicie et en Palestine, comme une chose dont il est instruit et qu’il sait de première main. Examinons donc ce point. Il dit d’abord qu’il y a plusieurs espèces de prophéties, mais sans les indiquer : il en était incapable, ce n’était là qu’une hâblerie. Mais voyons celle qu’il présente comme le type le plus achevé chez les hommes de celte région. LIVRE VI

Autant qu’il est possible à la nature humaine, qu’il se représente la décision divine concernant le départ en masse hors de leurs corps d’une foule d’âmes empruntant des chemins vers la mort, laquelle est chose indifférente. Et en effet, « grandes sont les décisions de Dieu » et cette grandeur les rend insaisissables pour une intelligence qui reste enchaînée à un corps mortel ; et c’est pourquoi « elles sont difficiles à expliquer », et pour les âmes sans instruction, absolument hors de portée. Aussi les téméraires, dans leur ignorance à ce sujet et dans leur révolte contre Dieu que provoque leur témérité, multiplient les doctrines impies contre la Providence. LIVRE VIII

Puis après cela, sans l’avoir entendu dire par aucun chrétien, sinon par un chrétien de la foule, étranger à nos lois et à notre culture, il déclare : Les Chrétiens disent : voici que je me tiens devant la statue de Zeus, d’Apollon ou de quelque autre dieu, je l’injurie et le frappe, et il ne se venge pas de moi. C’est ne pas connaître la prescription de la Loi : « Tu ne diras pas de mal des dieux », pour que notre bouche ne s’habitue point à dire du mal de qui que ce soit, car nous connaissons le précepte : « Bénissez, ne maudissez pas », et nous recevons l’enseignement : « Les calomniateurs n’hériteront pas le royaume de Dieu. » Y a-t-il chez nous quelqu’un d’assez stupide pour dire cela sans voir que ce genre de propos est absolument inapte à détruire l’opinion qu’on a des prétendus dieux ? Car ceux qui professent l’athéisme radical et nient la Providence, et qui par leurs doctrines perverses et impies ont donné naissance à une école de soi-disant philosophes, n’ont eux-mêmes rien eu à souffrir de ce que la foule tient pour des maux, pas plus que ceux qui ont embrassé leurs doctrines ; mais ils ont au contraire richesse et santé corporelle. Que si l’on recherche le dommage qu’ils ont subi, on verra que c’est un dommage dans l’intelligence. Car quel dommage plus grand que de ne pas comprendre à partir de l’ordre du monde Celui qui l’a fait ? Et quelle misère pire que l’aveuglement de l’intelligence empêchant de voir le Créateur et père de toute intelligence ? LIVRE VIII

Voyons encore les paroles que Celse nous adresse ensuite : De plus, n’est-ce point de votre part une conduite absurde : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce même corps ressuscitera, comme s’il n’y avait pour vous rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux supplices comme une chose méprisable. Mais avec des hommes imbus de telles opinions et rivés au corps, celte discussion ne vaut pas la peine: ce sont des gens par ailleurs grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais bien sûr, je discuterai avec ceux qui espèrent l’éternité près de Dieu pour leur âme ou leur intelligence, qu’ils veuillent l’appeler principe spirituel, esprit intelligent, saint et bienheureux, âme vivante, rejeton céleste et incorruptible de la nature divine et incorporelle, ou de quelque nom qu’il leur plaise de lui donner. Ils ont au moins celte opinion droite que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. C’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII

Ensuite, comme s’il n’était pas le seul dont il est prophétisé qu’il rend la justice aux saints et châtie les pécheurs, comme s’il n’y avait aucune prédiction sur le lieu de sa naissance, la passion qu’il endurerait des Juifs, sa résurrection, les miracles prodigieux qu’il accomplirait, il dit : ” Pourquoi serait-ce à toi plutôt qu’à une infinité d’autres nés depuis la prophétie que s’appliquerait ce qui est prophétisé ? ” Je ne sais pourquoi il veut attribuer à d’autres la possibilité de conjecturer qu’ils sont eux-mêmes l’objet de cette prophétie, et ajoute : ” Les uns, fanatiques, les autres, mendiants, déclarent venir d’en haut en qualité de Fils de Dieu “. Je n’ai pas appris que ce soit un fait reconnu chez les Juifs. Il faut donc répondre d’abord que bien des prophètes ont fait des prédictions de bien des manières chez les Juifs sur le Christ : les uns en énigmes, les autres par allégorie ou autres figures, et certains même littéralement. Il déclare ensuite dans le discours fictif du Juif aux croyants de son peuple : Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent aussi bien s’adapter à d’autres réalités, et il le dit avec une habileté malveillante ; j’en exposerai donc quelques-unes entre beaucoup d’autres ; et à leur sujet, qu’on veuille bien dire ce qui peut contraindre à les renverser et détourner de la foi les croyants à l’intelligence prompte. LIVRE I

Après cela, en dépit de la redite de Celse sur Jésus qui répète alors une seconde fois : ” Il a subi chez les Juifs le châtiment de ses fautes”, je ne recommencerai pas à le défendre, me contentant de qui a été dit. Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, “renseignement sur la résurrection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes,” et il croit détruire le christianisme en déclarant qu’en ces matières les chrétiens n’enseignent rien de neuf. Il faut lui répondre : notre Jésus, voyant que la conduite des Juifs n’était en rien digne des enseignements prophétiques, enseigna, par une parabole, que « le Règne de Dieu leur serait enlevé et serait donné » à ceux qui viendraient de la gentilité. Et c’est pourquoi on peut vraiment regarder toutes les doctrines des Juifs actuels comme des fables et des futilités – car ils n’ont pas la lumière de l’intelligence des Écritures -, et les doctrines des chrétiens comme la vérité, aptes qu’elles sont à élever et à exalter l’âme et l’esprit de l’homme, et à persuader qu’ils ont une « cité » non point en bas en quelque sorte comme les Juifs de la terre, mais « dans le ciel ». Cela est manifeste chez ceux qui perçoivent la sublimité des pensées de la loi et des prophètes, et qui sont capables de la faire voir aux autres. Même si “Jésus a observé tous les usages en vigueur chez les Juifs, y compris les pratiques sacrificielles,” en résulte-t-il qu’il ne faut pas croire en lui comme au Fils de Dieu ? Jésus est Fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes ; et cette loi, nous qui sommes de son Église, nous ne la transgressons pas, mais nous avons fui les fables des Juifs et nous retirons sagesse et instruction de la contemplation mystique de la loi et des prophètes. En effet, les prophètes ne restreignent pas le sens de leurs paroles au récit dans sa teneur obvie et à la loi dans son texte littéral ; mais tantôt ils déclarent, sur le point de raconter des histoires : « Je vais ouvrir la bouche en paraboles, je vais évoquer les mystères de l’origine», tantôt ils disent dans leurs prières, à propos de la loi, comme si elle n’était pas claire mais demandait le secours de Dieu pour être comprise : « Ouvre mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta loi. » LIVRE II

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

Après cela il déclare :” Leur société est d’autant plus étonnante qu’on peut mieux prouver qu’elle ne repose sur aucun fondement solide. Elle n’a de fondement solide que la révolte, l’avantage qu’on en espère et la crainte des étrangers : telle est l’assise de leur foi. ” A quoi je répliquerai : notre société est si bien établie sur un fondement, ou plutôt, non pas sur un fondement, mais sur l’action de Dieu, qu’elle a pour origine Dieu enseignant aux hommes, dans les prophètes, à espérer la venue du Christ pour sauver les hommes. Dans la mesure où cela n’est point véritablement réfuté, malgré les réfutations apparentes des incroyants, dans cette mesure même il est établi que cette doctrine est la doctrine de Dieu, et démontré que Jésus est le Fils de Dieu avant et après son incarnation. Mais je l’affirme, même depuis son incarnation, elle ne cesse d’être découverte, par ceux qui ont les yeux de l’âme très pénétrants, comme la plus divine, réellement descendue de Dieu vers nous, ne pouvant tirer son origine ni son développement de l’intelligence humaine, mais uniquement de l’apparition sensible de Dieu qui, dans la variété de sa sagesse et de ses miracles, a établi d’abord le judaïsme et après lui le christianisme. Ainsi se trouve réfuté le propos qu’il faut considérer la révolte et l’avantage qu’on en espère comme le principe de la doctrine par laquelle tant d’hommes ont été convertis et rendus meilleurs. LIVRE III

Le Logos entend si bien qu’il y ait des sages parmi les croyants, que pour exercer l’intelligence des auditeurs, il a exprimé certaines vérités sous forme d’énigmes, d’autres en « discours obscurs », d’autres en paraboles, d’autres en questions. C’est l’aveu même de l’un des prophètes, Osée, à la fin de son livre : « Qui est sage et comprendra ces paroles? Qui est intelligent et les pénétrera ? » Et Daniel et ses compagnons de captivité progressèrent si bien dans les sciences pratiquées à Babylone par les sages de la cour royale, qu’ils se montrèrent « dix fois » supérieurs à eux tous. Il est dit également, dans Ézéchiel, au prince de Tyr qui s’enorgueillissait de sa sagesse : « N’es-tu pas plus sage que Daniel ? Tout secret ne t’a-t-il pas été montré ? » LIVRE III

Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III

Ensuite, il s’objecte la raison donnée de la supériorité des hommes, à savoir que pour eux ont été créés les animaux sans raison : A l’affirmation que nous sommes les rois des êtres sans raison parce que nous prenons les animaux sans raison à la chasse et en faisons nos repas, nous répondrons : pourquoi n’est-ce pas plutôt nous qui sommes, faits pour eux, puisqu’ils nous chassent et nous dévorent ? De plus, il nous faut des filets, des armes, le secours de beaucoup d’hommes et de chiens contre les bêtes que nous chassons. A elles, la nature a fourni des armes aussitôt à leur usage pour nous soumettre sans peine à leur empire. Là encore, on voit comment dans l’intelligence nous a été fourni un grand secours, supérieur à toutes les armes dont les bêtes fauves semblent pourvues. En tout cas, quoique plus faibles corporellement que bien des animaux, et bien plus petits que certains, nous dominons par l’intelligence les fauves et prenons en chasse les énormes éléphants. LIVRE IV

Puis, il s’adresse à la race des hommes conscients de leur supériorité sur les animaux sans raison : A votre prétention que Dieu nous a donné le pouvoir de prendre les fauves et d’en user à notre guise, nous répondrons que probablement, avant qu’il y eût des villes, des arts, les liens sociaux d’aujourd’hui, des armes, des filets, c’étaient les hommes que ravissaient et dévoraient les fauves, et pas du tout les fauves que capturaient les hommes. Même si les hommes capturent les fauves et les fauves ravissent les hommes, vois la grande différence entre le triomphe de l’intelligence sur la force de la sauvagerie et de la cruauté, et la sauvegarde contre la férocité des fauves sans mise en oeuvre de l’intelligence. Et quand il dit : « Avant qu’il y eût des villes, des arts, les liens sociaux d’aujourd’hui », il semble oublier ce qu’il a dit plus haut : Le monde est incréé et incorruptible, et seules les choses terrestres sont soumises aux déluges et aux embrasements, et elles ne tombent pas toutes à la fois dans ces calamités. Dès lors, comme on ne peut, en supposant le monde incréé, parler de son commencement, on ne peut non plus trouver de temps où il n’y ait absolument pas eu de villes ni d’arts. Mais supposons qu’il soit d’accord avec nous sur ce point, bien qu’il ne le soit plus avec lui-même et avec ce qu’il dit plus haut. En quoi cela contribue-t-il à prouver qu’à l’origine les hommes étaient ravis et dévorés par les fauves mais les fauves pas encore capturés par les hommes ? Car si le monde existe grâce à la Providence, et si Dieu veille sur l’ensemble, il était nécessaire que les petites étincelles de ce qui est le genre humain, aient été, au commencement de leur existence, placées sous la garde d’êtres supérieurs, en sorte qu’il y eût dès l’origine un lien social entre la nature divine et les hommes. C’est ce que le poète d’Askra a compris quand il a dit : « Car il y avait alors des banquets communs et des assemblées communes entre dieux immortels et hommes mortels. » LIVRE IV

De plus, la parole de Dieu, rapportée par Moïse, a présenté les premiers hommes comme écoutant la voix divine et ses oracles, et ayant parfois des visions d’anges de Dieu venant les visiter. Il convenait en effet qu’au début du monde la nature humaine ait été davantage secourue, jusqu’au moment où par leurs progrès dans la voie de l’intelligence et des autres vertus, dans l’invention des arts, les hommes ont pu vivre par eux-mêmes, sans qu’il leur fallût l’aide et le gouvernement continuels, miraculeusement manifestés, des serviteurs du vouloir divin. LIVRE IV

D’où il est bien clair que le mot de Celse est aussi erroné : Donc, de ce point de vue, Dieu a plutôt soumis les hommes aux fauves. Car Dieu n’a pas soumis les hommes aux fauves. Au contraire il a permis que les fauves fussent pris grâce à l’intelligence des hommes et aux arts inventés contre eux par l’intelligence. Car ce n’est pas sans une aide divine que les hommes inventèrent les moyens d’assurer leur protection contre les fauves et de les dominer. LIVRE IV

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

Puisqu’il cite encore un autre passage de Platon où il déclare que c’est en procédant par questions et par réponses qu’il illumine l’intelligence des adeptes de sa philosophie, qu’on me laisse prouver par les saintes Écritures que le Logos divin aussi nous invite à la dialectique. Tantôt Salomon dit : « L’instruction sans examen égare »; tantôt Jésus fils de Sirach qui nous a laissé le livre de la Sagesse déclare : «Science de l’insensé, paroles inconsidérées ». Aussi y a-t-il plus de réfutations bienveillantes chez nous, qui avons appris que le maître de la doctrine doit être capable de « réfuter les contradicteurs ». Et même s’il en est de nonchalants qui négligent de s’appliquer aux divines lectures, de scruter les Écritures et, suivant l’ordre de Jésus, de chercher le sens des Écritures, d’en demander à Dieu l’intelligence, de frapper à leurs portes closes, l’Écriture n’en est point pour autant vide de sagesse. LIVRE VI

Ensuite, dans son propos de vilipender les passages de nos Écritures relatifs au Royaume de Dieu, il n’en cite aucun, comme s’ils étaient indignes même d’une mention, ou peut-être parce qu’il n’en connaissait pas. Mais il cite des passages de Platon tirés des Lettres et du Phèdre; il les donne comme des paroles inspirées, tandis que nos Écritures n’auraient rien de tel. Prenons-en quelques exemples pour les comparer aux sentences de Platon qui ne manquent pas de puissance persuasive, mais n’ont pourtant pas disposé le philosophe à vivre d’une manière digne de lui dans la piété envers le Créateur de l’univers ; il n’aurait dû ni adultérer ni souiller cette piété par ce que nous nommons l’idolâtrie, ou d’un terme courant, par la superstition. Il est dit de Dieu, dans le psaume dix-septième : « Dieu a fait des ténèbres sa retraite. » Cette tournure hébraïque signifie que les idées de Dieu qui seraient dignes de lui restent secrètes et inconnaissables ; car il s’est comme voilé lui-même d’obscurité pour les esprits qui ne supportent pas l’éclat de sa connaissance, incapables de le voir, en raison soit de la souillure qui affecte l’intelligence liée au corps de misère des hommes, soit de sa trop faible capacité de comprendre Dieu. LIVRE VI

Paul nous parle de l’« Antéchrist », enseigne et établit, non sans quelque réserve mystérieuse, la manière, la date et la raison de sa venue au genre humain. Et vois si l’exposé qu’il en donne n’est pas du plus grand sérieux, sans mériter la moindre raillerie. Il s’exprime en ces termes : « Nous vous le demandons, frères, à propos de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite troubler l’intelligence ni alarmer par un esprit, une parole, une lettre soi-disant de nous, annonçant que le Jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d’aucune manière ; car il faut d’abord que vienne l’apostasie, et que se révèle l’homme impie, l’être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous le disais quand j’étais encore près de vous ? Et vous savez que ce qui le retient présentement de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Croyant que nous enseignons le mystère de la résurrection pour connaître et voir Dieu, il invente des griefs à plaisir : Pressés de toutes parts et confondus, comme s’ils n’avaient rien compris ils ne cessent de revenir à la même question : comment donc connaître et voir Dieu? Comment aller à lui ? Qu’on le sache donc si on le désire : pour d’autres fonctions, on a besoin d’un corps, parce qu’on se trouve dans un lieu matériel, et d’un corps approprié à la nature du lieu matériel ; ayant besoin du corps, on revêt par-dessus la tente les qualités dont on a parlé. Mais pour connaître Dieu, il n’est nul besoin du corps. La connaissance de Dieu ne dépend pas de l’oeil du corps, mais de l’esprit : celui-ci voit ce qui est à l’image du Créateur et il a reçu de la providence de Dieu le pouvoir de connaître Dieu. Et ce qui voit Dieu, c’est le coeur pur d’où ne proviennent plus pensées perverses, ni meurtres, ni adultères, ni fornications, ni vols, ni faux témoignages, ni diffamations ni regard mauvais, ni aucune autre inconvenance». Aussi est-il dit : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » Et comme notre libre détermination n’est pas suffisante pour nous donner un coeur entièrement pur, mais que nous avons besoin de Dieu qui le crée tel, pour cette raison l’homme qui prie avec l’intelligence dit : « Dieu, crée en moi un coeur pur. » LIVRE VI

Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI

Après cela il approuve ceux qui espèrent l’éternité et l’identité près de Dieu pour l’âme ou l’intelligence, ce qu’on appelle chez eux principe spirituel, esprit raisonnable, intelligent, saint et bienheureux, âme vivante. Il admet comme une opinion juste la doctrine selon laquelle ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. En outre, je trouve admirables plus que tout ce qu’a jamais écrit Celse, ces mots qui concluent les remarques précédentes : c’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. Mais Celse écrivait contre les chrétiens, dont la foi repose toute entière sur Dieu et sur les promesses du Christ aux justes et ses enseignements sur le châtiment des injustes : il aurait dû voir qu’un chrétien qui accepte les arguments de Celse contre les chrétiens et abandonne le christianisme, en même temps qu’il rejette l’Évangile rejette aussi probablement cette doctrine que, d’après Celse lui-même, ni les chrétiens ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII