Celse déclare ensuite, j’ignore sous quelle impulsion : Les chrétiens paraissent exercer un pouvoir par les invocations des noms de certains démons, faisant allusion, je pense, aux exorcistes qui chassent les démons. Mais il semble manifestement calomnier l’Evangile. Ce n’est point par des invocations qu’ils semblent exercer un pouvoir, mais par le nom de Jésus joint à la lecture publique des récits de sa vie. En effet, cette lecture aboutit souvent à chasser les démons des hommes, surtout lorsque les lecteurs lisent avec une disposition saine de foi véritable. Mais telle est la puissance du nom de Jésus contre les démons que parfois, même prononcé par des méchants, il réalise son effet. Voilà ce qu’enseignait Jésus en disant : « Beaucoup me diront en ce jour-là : par ton nom nous avons chassé les démons et fait des miracles». » Celse n’en fait pas mention : volontairement et par malice, ou par ignorance, je ne sais. Ensuite il accuse même le Sauveur : C’est par magie qu’il a pu faire les miracles qu’il parut accomplir; et prévoyant que d’autres, au courant des mêmes secrets, allaient faire la même chose en se vantant de le faire par la puissance de Dieu, Jésus les chassa de sa société. Et il élève cette accusation : S’il a le droit de les chasser, alors, coupable des mêmes fautes, il est lui-même un vilain personnage; ou si lui-même n’est pas vilain de les avoir faites, ceux qui agissent comme lui ne le sont pas non plus. Bien au contraire : même s’il semblait impossible de répondre à la question « comment Jésus a fait cela ? », il est manifeste que les chrétiens n’utilisent aucune pratique d’incantations, mais le nom de Jésus avec d’autres paroles auxquelles ils ont foi d’après la divine Ecriture. LIVRE I
Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des doctrines qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la doctrine des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I
Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse calomnieusement les Juifs, quand il dit : “Ils honorent les anges et s’adonnent à la magie à laquelle les initia Moïse”. Où donc a-t-il trouvé dans les écrits de Moïse que le législateur ait prescrit d’honorer les anges, qu’il le dise, lui qui proclame savoir les doctrines des chrétiens et des Juifs ! De plus, comment la magie peut-elle exister chez ceux qui ont reçu la loi de Moïse et qui lisent : « N’ayez pas de commerce avec les magiciens, car ils vous souilleraient». » ? Il promet ensuite “qu’il enseignera comment les Juifs aussi, bernés par ignorance, sont tombés dans l’erreur”. S’il reconnaissait que l’ignorance des Juifs sur Jésus-Christ venait de leur refus d’écouter les prophéties à son sujet, il aurait vraiment montré comment les Juifs sont tombés dans l’erreur ; mais en fait, parce qu’il n’a même pas voulu se représenter cela, il prend pour une erreur des Juifs ce qui n’est pas une erreur. LIVRE I
Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par Moïse et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de Moïse, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de Moïse, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I
Ensuite Celse rapporte les propos, absolument contraires à renseignement de Jésus, tenus par un tout petit nombre de soi-disant chrétiens, non spécialement intelligents, comme il le croit, mais des plus ignorants : Voici leurs mots d’ordre : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Autant de mauvaises recommandations à nos yeux ! Mais se trouve-t-il un ignorant, un insensé, un inculte, un petit enfant, qu’il approche hardiment ! En reconnaissant que de telles gens sont dignes de leur Dieu, ils montrent bien qu’ils ne veulent et ne peuvent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides: esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. A cela je réponds : si malgré l’enseignement de Jésus sur la continence : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coer, commis l’adultère avec elle », on voyait, parmi tant d’autres, quelques soi-disant chrétiens vivre dans la débauche, on aurait bien raison de les blâmer pour leur vie contraire à l’enseignement de Jésus, mais ce serait fort déraisonnable de faire porter sur l’Évangile le blâme qu’ils méritent. De même, si l’on constate que la doctrine chrétienne plus que toute autre invite à la sagesse, il faudra blâmer ceux qui pour justifier leur ignorance, allèguent, non point les propos écrits par Celse, car on n’en trouve pas d’aussi éhontés même dans la bouche des simples et des ignorants, mais d’autres de bien moindre importance, capables de détourner de la pratique de la sagesse. LIVRE III
Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III
Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III
Après cela, il assimile le maître à un homme aux yeux malades et les disciples à des gens aux yeux malades et il déclare. Cet homme devant des gens aux yeux malades accuse de cécité ceux dont la vue est perçante. Quels sont donc les gens aux yeux malades d’après nous, sinon ceux qui, de l’immense grandeur des choses qui sont dans le monde et de la beauté de la création sont incapables de lever les yeux et de voir qu’il faut adorer, admirer et vénérer Celui-là seul qui les a faites, tandis qu’on ne peut convenablement vénérer rien de ce qui est fabriqué chez les hommes et employé au culte des dieux, ni sans le Dieu Créateur, ni même avec lui ? Comparer ce qui n’est nullement comparable à Celui qui surpasse d’une supériorité infinie toute la nature créée, voilà le fait de gens atteints de cécité d’esprit. Nous ne disons donc pas que ceux dont la vue est perçante ont les yeux malades ou sont aveugles, mais que ceux qui, par ignorance de Dieu s’attachent aux temples, aux images, « aux fêtes de chaque mois », sont des aveugles en esprit ; ce qui est surtout vrai quand, à leur impiété, ils ajoutent une vie dans la débauche, ne cherchent jamais la moindre action honnête, mais accomplissent toutes les actions honteuses. LIVRE III
Mais en fait, incapacité de répondre aux prophéties sur le Christ, ou ignorance totale des prédictions faites sur lui, il ne cite pas un seul passage prophétique, alors qu’il en est d’innombrables sur le Christ. Il pense qu’il peut accuser les textes prophétiques, sans produire ce qu’il appellerait leur argument spécieux. Il ignore, en tout cas, que les Juifs ne disent pas du tout que le Christ, Dieu ou Fils de Dieu, descendra, je l’ai dit plus haut. LIVRE IV
Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV
Celse a beau qualifier gens les plus incultes, esclaves, les moins instruits ceux qui ne comprennent pas son point de vue et n’ont pas assimilé la science des Grecs, nous déclarons, nous, les plus incultes ceux qui ne rougissent pas de s’adresser à des objets inanimés, de demander la santé à la faiblesse, de chercher la vie auprès de la mort, de mendier du secours auprès de l’impuissance. Ceux mêmes qui prétendent que ce ne sont point là des dieux, mais des imitations des dieux véritables et leurs symboles, sont tout aussi bien des gens sans éducation, esclaves, sans instruction, puisqu’ils imaginent de mettre les imitations de la divinité entre les mains d’artisans; si bien, disons-nous, que même les derniers des nôtres sont libérés de cette sottise et de cette ignorance, tandis que les plus sensés conçoivent et comprennent l’espérance divine. Mais nous ajoutons qu’il est impossible à un homme non exercé à la sagesse humaine de recevoir la sagesse divine, et nous convenons que toute la sagesse humaine comparée à la divine est folie. LIVRE VI
Ensuite il nous adresse les critiques suivantes, empruntées à une autre source : Ils s’égarent dans une impiété extrême, due à cette profonde ignorance qui les avait déjà de la même manière entraînés loin des énigmes divines : ils imaginent un adversaire de Dieu, ils le nomment le diable et en hébreu Satan. Sans aucun doute c’est une erreur due entièrement aux mortels et une impiété de dire que le Dieu très grand, dans sa volonté de faire du bien aux hommes, rencontre un être qui s’oppose à lui et reste impuissant. Alors ce Fils de Dieu est vaincu par le diable; le châtiment qu’il en reçoit nous enseigne à nous aussi à mépriser les châtiments qu’il nous inflige: il prédit en effet que Satan, apparu à son tour comme lui, fera étalage de grands miracles et de prodiges, s’attribuant la gloire de Dieu; qu’il ne faut pas s’en repaître et se détourner vers leur auteur; il ne faut croire qu’en lui-même. Voilà bien des prétentions qui sont manifestement d’un sorcier en quête de faveur et cherchant à se prémunir contre des rivaux qui veulent la lui disputer. LIVRE VI
Ensuite, en se bornant à les énoncer, il amasse les différences des opinions sur l’origine du monde et des hommes, soutenues par les Anciens et dit que Moïse et les prophètes qui ont laissé nos écrits, dans l’ignorance de la nature du monde et des hommes ont composé les pires balivernes. Or, s’il avait dit en quel sens les divines Écritures lui paraissent les pires balivernes, j’aurais essayé de réfuter les arguments plausibles qui lui semblaient prouver que ce sont là les pires balivernes. En fait, usant du même procédé, je dirai en badinant que Celse, dans son ignorance de la nature du sens et de la doctrine chez les prophètes, a composé les pires balivernes, qu’il a intitulées par vantardise Discours véritable. LIVRE VI
Voyons le passage qui suit. Il paraît mettre en scène un personnage qui, après avoir entendu ces paroles, demanderait : Comment donc puis-je connaître Dieu ? Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Comment me le montres-tu ? Car pour l’instant, c’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux et je ne puis rien voir de distinct. Ensuite, il esquisse la réponse à pareille difficulté et, croyant donner la raison de l’obscurité qu’il a répandue devant les yeux de celui qui vient de parler, il dit : Ceux que l’on conduit des ténèbres à une éclatante lumière, ne pouvant en supporter les rayons, ont la vue offusquée et affaiblie et se croient aveugles. On répondra : ceux-là sont assis dans les ténèbres et y demeurent qui arrêtent le regard sur toutes les oeuvres mauvaises des peintres, des modeleurs, des sculpteurs, sans vouloir regarder plus haut et s’élever par l’esprit du visible et de tout le sensible jusqu’au Créateur de l’univers qui est lumière. Mais celui-là se trouve dans la lumière qui suit les rayons du Logos, car le Logos a montré quelle ignorance, quelle impiété et quel manque de connaissance sur la divinité conduisent à adorer ces choses à la place de Dieu ; et il a guidé jusqu’au Dieu incréé et suprême l’esprit de qui veut être sauvé. « Car le peuple qui était assis dans l’obscurité », celui des Gentils, « a vu une grande lumière, et la lumière s’est levée pour ceux qui sont assis dans la région et l’ombre de la mort », le Dieu Jésus. LIVRE VI
C’est donc par ignorance de la doctrine sur l’Esprit de Dieu que Celse fait cette remarque vaine : Puisque le Fils est un esprit venu de Dieu né dans un corps humain, le Fils de Dieu lui-même ne peut être immortel. LIVRE VI
Ces réflexions s’adressent aux intelligents. Si vous en comprenez quelque chose vous aussi, c’est tant mieux pour vous. Et si vous croyez qu’un esprit descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela; en vérité, c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Si vous ne pouvez les entendre, taisez-vous, cachez votre ignorance, ne traitez pas d’aveugles ceux qui voient, de boiteux ceux qui courent, quand c’est vous-mêmes qui êtes boiteux et mutilés dans l’âme, et ne vivez que pour le corps, c’est-à-dire une chose morte ». LIVRE VI
Tout cela, je ne le dis point pour rivaliser avec les belles pensées des Grecs, ni pour critiquer les doctrines saines, mais je veux établir que ces pensées mêmes et d’autres, plus profondes et plus divines encore, ont été exprimées par des hommes divins, prophètes de Dieu et apôtres de Jésus, scrutées par ceux qui veulent être parfaitement chrétiens, sachant que « la bouche du juste méditera la sagesse et sa langue dira le jugement ; la loi de Dieu est dans son coeur ». De plus, il y a des gens qui ne voient pas aussi clairement ces vérités, par suite de leur profonde ignorance, de leur simplicité, ou du manque de conseillers qui les aient poussés à une piété raisonnable ; ils croient pourtant au Dieu suprême et à son Fils unique Logos de Dieu ; et l’on peut trouver chez eux un degré de sérieux et de pureté, une innocence de m?urs et une simplicité souvent supérieure, que n’ont pas atteints ceux « qui affirment être sages » et se vautrent dans l’immoralité avec des enfants, « perpétrant l’infamie d’homme à homme ». LIVRE VI
Nous ne sommes pas les seuls à dire qu’il y a des mauvais démons, c’est aussi la pensée de presque tous ceux qui affirment l’existence des démons. Il n’est donc pas vrai que tout a une loi venant du Dieu très grand. Tous les êtres en effet qui, par inattention personnelle, malice, perversité, ignorance du bien, dérogent à la loi divine ne suivent pas la loi de Dieu ; mais pour employer une expression différente et d’ailleurs scripturaire, « ils suivent la loi du péché ». Selon la majorité de ceux qui admettent l’existence des démons, les mauvais démons ne suivent pas la loi de Dieu, mais la transgressent. Selon nous, tous les démons sont sortis de la voie menant au bien, auparavant ils n’étaient pas démons ; il y a une espèce des êtres tombés d’auprès de Dieu, celle des démons. C’est pourquoi on ne doit pas rendre un culte aux démons quand on adore Dieu. LIVRE VI
Autant qu’il est possible à la nature humaine, qu’il se représente la décision divine concernant le départ en masse hors de leurs corps d’une foule d’âmes empruntant des chemins vers la mort, laquelle est chose indifférente. Et en effet, « grandes sont les décisions de Dieu » et cette grandeur les rend insaisissables pour une intelligence qui reste enchaînée à un corps mortel ; et c’est pourquoi « elles sont difficiles à expliquer », et pour les âmes sans instruction, absolument hors de portée. Aussi les téméraires, dans leur ignorance à ce sujet et dans leur révolte contre Dieu que provoque leur témérité, multiplient les doctrines impies contre la Providence. LIVRE VIII
Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII
Mais il n’est pas vrai, comme le croit Celse, que les anges, véritables satrapes, gouverneurs, généraux, procurateurs de Dieu, causent des dommages à ceux qui les outragent. Si certains démons causent des dommages, ces démons dont même Celse a une idée, ils le font parce qu’ils sont mauvais et sans avoir reçu de Dieu aucune mission de satrape, général, procurateur ; et ils causent des dommages à ceux qui leur sont soumis et se sont livrés à eux comme à des maîtres. C’est peut-être la raison pour laquelle ceux qui, en chaque région, enfreignent les lois établies sur les aliments qu’il est interdit de manger éprouvent des dommages, s’ils sont parmi les sujets de ces démons. Mais s’il y en a qui ne sont pas de leurs sujets et ne se sont pas livrés au démon de ce lieu, ils restent exempts de tout sévice de leur part et se rient de ces puissances démoniaques. Cependant si, à cause de leur ignorance sur d’autres points, ils se sont soumis à d’autres démons, ils peuvent souffrir de leur part. Mais non pas le chrétien, le véritable chrétien qui s’est soumis à Dieu seul et à son Logos : il ne saurait souffrir quoi que ce soit des êtres démoniaques, puisqu’il est supérieur aux démons. Et il ne saurait souffrir puisque « l’ange du Seigneur établira ses tentes autour de ceux qui le craignent», et que son ange, « qui voit sans cesse la face du Père qui est dans les cieux », sans cesse présente ses prières par le seul Grand-Prêtre au Dieu de l’Univers et s’unit lui-même à la prière de celui qui est sous sa tutelle. Que Celse ne nous effraie donc pas en nous menaçant de dommage à subir de la part de démons que nous aurions négligés. Car il n’est aucun dommage que les démons qu’on néglige puissent nous causer : nous appartenons à Celui qui seul est capable de secourir ceux qui le méritent, et qui a néanmoins préposé aussi ses anges à la garde de ceux qui ont de la piété envers lui, afin que ni les anges adversaires ni leur chef appelé « prince de ce monde » ne puissent rien exécuter contre ceux qui sont consacrés à Dieu. LIVRE VIII
Puis de nouveau Celse, semblable à ceux qui reviennent parfois de la possession diabolique et puis retombent, comme s’il était en période de sagesse, s’exprime dans ce sens : Assurément, s’il arrive qu’adorateur de Dieu, on reçoive l’ordre de commettre une impiété ou de dire quelque autre chose de honteux, il ne faut absolument pas obéir, mais au contraire s’endurcir à toutes les épreuves et endurer mille morts, plutôt que de dire ou même de penser la moindre impiété envers Dieu. Puis de nouveau, par ignorance de notre doctrine, et en outre, parce qu’il confond tout, il dit : Mais si l’on t’ordonne de bénir le soleil ou de chanter avec enthousiasme un beau péan en l’honneur d’Athènè, il paraîtra d’autant mieux que tu adores le grand Dieu quand tu les chantes. Car la piété envers Dieu est plus parfaite quand elle s’étend à toutes choses. LIVRE VIII
Après quoi, il exhorte a n’accepter de doctrines que sous la conduite de la raison et d’un guide raisonnable, car l’erreur est inévitable quand, sans cette précaution, on donne son adhésion à certains. Et il les assimile à ceux qui croient sans raison aux prêtres mendiants de Cybèle et aux devins, aux dévots de Mithra et de Sabazios, à tout ce qu’on peut rencontrer, apparitions d’Hécate, d’un autre ou d’autres démons. Car, de même que souvent parmi eux des hommes pervers prennent avantage de l’ignorance de gens faciles à tromper et les mènent à leur guise, ainsi en va-t-il des chrétiens. Il ajoute que certains, ne voulant pas même donner ni recevoir de raison sur ce qu’ils croient, usent de ces formules: «N’examine pas, mais crois; la foi te sauvera. » Il soutient qu’ils disent : La sagesse dans ce siècle est un mal, et la folie un bien. Il faut y répondre : s’il était possible que tous les hommes délaissent les affaires de la vie pour consacrer leurs loisirs à la philosophie, nul ne devrait poursuivre d’autre voie que celle-là. Car dans le christianisme on ne trouvera pas moins — pour parler sans orgueil —, d’examen approfondi des croyances, ni d’explication des énigmes prophétiques, des paraboles évangéliques et de mille autres événements ou préceptes à signification symbolique. Mais si ce n’est pas possible, vu le nombre infime de gens qui, à cause des nécessités de la vie ou de la faiblesse humaine, s’adonne à la raison, quelle autre méthode plus efficace pour aider la foule trouverait-on que celle qui fut transmise aux nations par Jésus ? LIVRE I
Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par Moïse, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que Moïse, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir Moïse comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont Moïse a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I
Pour l’instant, il s’agit de réfuter l’ignorance de Celse, chez qui le Juif dit à ses compatriotes et aux Israélites qui ont cru en Jésus : « Quel malheur vous est donc survenu que vous ayez abandonné la loi de nos pères… » Mais dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères, ceux qui blâment les gens qui refusent de l’entendre et leur disent : « Dites-moi, vous qui lisez la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils… » jusqu’à « Il y a là une allégorie » et la suite. Dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères ceux qui ne cessent dans leurs paroles d’en appeler à leurs ancêtres et disent : « La loi ne le dit-elle pas aussi ? C’est bien dans la loi de Moïse qu’il est écrit : Tu ne muselleras pas le boef qui foule le grain. Dieu se met-il en peine de boefs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle évidemment ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit » etc. De plus, avec quelle confusion le Juif de Celse parle de tout cela, alors qu’il aurait pu dire de façon plus plausible : certains d’entre vous ont abandonné ces coutumes, sous prétexte d’interprétations et d’allégories ; d’autres, tout en leur donnant, comme vous le proclamez, une interprétation spirituelle, conservent néanmoins les coutumes de vos pères ; d’autres enfin n’interprètent rien ; et vous prétendez à la fois accepter Jésus comme objet de prophétie, et garder la loi de Moïse selon les coutumes de vos pères, comme si elle contenait dans sa lettre tout le sens spirituel ! Mais comment Celse eut-il pu élucider ce point : il rappelle, par la suite, des sectes athées et complètement étrangères à Jésus, et d’autres qui ont abandonné le Créateur, mais il n’a pas vu qu’il y a aussi des Israélites qui croient en Jésus sans avoir abandonné la loi de leurs pères ! Car il n’avait pas l’intention d’examiner loyalement l’ensemble de la question pour admettre ce qu’il trouverait de valable , mais s’il a écrit tout cela, c’est en ennemi, tout à la tâche de détruire ç mesure qu’il apprenait. LIVRE II
Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II
D’abord, il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et beau comme la plupart l’imaginent : rude au contraire, malpropre, va-nu-pieds, sans gîte, couchant sur la dure toujours et sans couverture, dormant au seuil des portes ou sur les routes, en bon fils de sa mère faisant toujours bon ménage avec l’indigence. Par contre, à la ressemblance de son père, il est à l’affût de tout ce qui est beau et bon ; courageux, hardi, toutes forces tendues, chasseur redoutable, toujours à tramer des ruses, avide de pensée, riche en idées expédiantes, en quête de savoir toute sa vie, expert en incantations, en philtres, en arguties. Ni immortel de nature, ni mortel, tantôt le même jour, il est en fleur, en pleine vie quand ont réussi ses expédients, tantôt il meurt, mais il reprend vie de par l’atavisme paternel. Mais le fruit de ses expédients sans cesse lui glisse entre les doigts, si bien qu’Amour jamais n’est pauvre, jamais n’est riche. Au reste, du savoir et de l’ignorance, toujours à mi-chemin. » Les lecteurs de cette page, en prenant modèle sur la malice de Celse – ce qu’à Dieu ne plaise de la part des chrétiens ! – peuvent se moquer du mythe et tourner en ridicule le sublime Platon. Mais en parvenant, dans une étude philosophique des pensées revêtues de la forme du mythe, à découvrir l’intention de Platon, on admirera la manière dont il a pu cacher les grandes doctrines pour lui évidentes sous la forme d’un mythe, à cause de la foule, et à les dire comme il fallait à ceux qui savent découvrir dans des mythes la signification véritable de leur auteur. J’ai cité ce mythe de Platon à cause de son « jardin de Zeus » qui paraît correspondre au jardin de Dieu, à cause aussi de Pauvreté, comparable au serpent qui s’y trouve, et d’Expédient à qui en veut Pauvreté, comme le serpent en veut à l’homme. Mais on peut encore se demander si Platon réussit à trouver ces histoires par hasard ; ou si, comme certains le pensent, dans son voyage en Egypte il rencontra ceux qui interprètent philosophiquement les traditions juives, apprit d’eux certaines idées, garda les unes, démarqua les autres, se gardant de heurter les Grecs en conservant intégralement les doctrines de la sagesse des Juifs, objet de l’aversion générale pour le caractère étranger de leurs lois et la forme particulière de leur régime. Mais ni le mythe de Platon, ni l’histoire « du serpent » et du jardin de Dieu avec tout ce qui s’y est passé, n’ont à recevoir ici leur explication : elle fut l’objet principal de mes efforts dans mes Commentaires sur la Genèse. LIVRE IV
Ensuite Celse déclare : L’origine du mal n’est pas facile à connaître pour qui n’est pas philosophe; mais il suffit de dire à la foule que le mal ne vient pas de Dieu, qu’il est inhérent à la matière et réside dans les êtres mortels; la période des êtres mortels est semblable du commencement à la fin, et, au cours des cycles déterminés, ont été, sont et seront nécessairement toujours les mêmes choses. Celse affirme que l’origine du mal n’est pas facile à connaître pour qui n’est pas philosophe, comme si le philosophe pouvait facilement la connaître, et comme si le non philosophe ne pouvait facilement apercevoir l’origine du mal, mais pouvait tout de même la connaître, quoique non sans effort. A cela je répondrai que l’origine du mal n’est pas facile à connaître même pour un philosophe ; peut-être même lui est-il impossible de la connaître purement, à moins que par inspiration divine ne soit manifestée la nature du mal, révélé son mode d’apparition, comprise la façon dont il disparaîtra. Ainsi l’ignorance de Dieu fait partie du mal, et le pire mal est de ne pas savoir la manière d’honorer Dieu et de lui manifester sa piété. Et cela, même au dire de Celse, certains philosophes ne l’ont pas connu du tout, et la diversité des écoles de philosophie le montre. Or pour nous, il est impossible de connaître l’origine du mal si on n’a pas reconnu que c’est un mal de croire la piété sauvegardée dans les lois établies des États compris au sens commun du mot. Impossible encore de connaître l’origine du mal si on n’a pas connu les enseignements sur le diable et ses anges, ce qu’il était avant de devenir un diable et la raison pour laquelle ses anges partagèrent son apostasie. Et il faut, pour pouvoir la connaître, avoir compris très exactement que les démons ne sont pas créatures de Dieu en tant que démons, mais, en tant que créatures raisonnables, et comment ils en sont venus à être tels que leur esprit les constitue dans leur état de démons. Donc, entre les questions ardues pour notre nature, exigeant des hommes un examen approfondi, on peut placer l’origine du mal. LIVRE IV
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : EH bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V
Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI
S’il faut parler en général d’une vue offusquée et affaiblie, à quel autre attribuer cette maladie des yeux sinon à celui qui est retenu par l’ignorance de Dieu, et empêché par ses passions de voir la vérité ? Les chrétiens sont donc bien loin de croire que les paroles de Celse ou de quelque ennemi de la religion vont les aveugler. Ceux qui s’aperçoivent qu’ils sont aveuglés eux-mêmes en suivant les foules des égarés et les nations de ceux qui célèbrent des fêtes en l’honneur des démons n’ont qu’à s’approcher du Logos qui accorde des yeux : et comme les pauvres et les aveugles qui se prosternaient aux bords du chemin ont été guéris par Jésus pour avoir dit : « Fils de David, ayez pitié de nous ! » ils obtiendront miséricorde et recevront les yeux nouveaux et sains, tels que le Logos de Dieu peut les créer. LIVRE VI
Pour répondre à sa prosopopée qui nous attribue des paroles que nous dirions pour défendre la résurrection de la chair, je dirai d’abord : l’habileté d’un auteur de prosopopée est de maintenir l’intention et le caractère habituel du personnage mis en scène ; son défaut, d’attribuer à celui qui parle des expressions en désaccord avec son personnage. Deux catégories d’auteurs méritent pareillement la critique : d’abord, ceux qui attribuent dans une prosopopée à des barbares, des gens incultes, des esclaves, qui n’ont jamais entendu de raisonnements philosophiques et ne savent pas correctement les articuler, une philosophie que connaît peut-être l’auteur, mais qu’on ne peut sans invraisemblance supposer connue du personnage mis en scène ; ensuite, ceux qui attribuent à des gens présentés comme des sages versés dans les choses divines les paroles dites par des gens incultes sous l’influence des passions vulgaires ou dictées par l’ignorance. Aussi l’un des nombreux titres d’Homère à l’admiration est d’avoir maintenu les personnages des héros tels qu’il les avait proposés au début : par exemple Nestor, Ulysse, Diomède, Agamemnon, Télémaque, Pénélope ou l’un des autres. Mais Euripide est bafoué par Aristophane comme discourant à contretemps, pour avoir souvent prêté à des femmes barbares ou esclaves l’expression de doctrines tirées par lui d’Anaxagore ou d’un autre sage. LIVRE VI
Nous souhaitons donc voir nous-mêmes, et être guides des aveugles jusqu’à les faire parvenir au Logos de Dieu et recouvrer la vue de l’âme offusquée par l’ignorance. En menant une conduite digne de Celui qui avait dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde », du Logos qui avait enseigné que « la lumière luit dans les ténèbres », nous serons encore la lumière de ceux qui vivent dans l’obscurité, nous éduquerons les insensés, et nous instruirons les petits enfants. LIVRE VI
Si Platon avait voulu aider par de saines doctrines ceux qui parlent l’égyptien ou le syrien, il aurait pris soin d’avance, étant Grec, d’apprendre les langues de ses auditeurs et, selon l’expression des Grecs, de parler barbare pour rendre meilleurs les Égyptiens et les Syriens, plutôt que de ne pouvoir, restant Grec, rien dire d’utile aux Égyptiens et aux Syriens. De même la nature divine, qui pourvoyait d’avance au bien non seulement de ceux qu’on regardait comme formés à la culture grecque, mais aussi du reste des hommes, a condescendu à l’ignorance des foules d’auditeurs. Ainsi, usant de tours qui leur sont familiers, elle a gagné l’audience de la foule des simples : ils pourront aisément, une fois leur initiation faite, aspirer à saisir jusqu’aux plus profondes pensées cachées dans les Écritures. Car il est clair, même à une première lecture, que bien des passages peuvent comporter un sens plus profond que celui qui apparaît d’emblée. Ce sens devient clair à ceux qui se vouent à l’examen de la doctrine, et d’une clarté proportionnée à l’étude qu’on fait de la doctrine et du zèle qu’on met à la pratiquer. LIVRE VI
Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII
Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII
Il ajoute : Celui qui enseigne la doctrine chrétienne ressemble à celui qui promet la guérison des corps en détournant de consulter les médecins compétents de peur d’être alors convaincu par eux d’ignorance. Nous répliquerons : quels sont, d’après toi, les médecins dont nous détournons les simples ? Tu n’admets certes pas que notre exhortation à embrasser la doctrine s’adresse aux philosophes pour croire qu’ils soient les médecins dont nous détournons ceux que nous appelons à la doctrine divine ? Dès lors, ou il ne répond pas, incapable de désigner les médecins en question, ou il lui faut se rabattre sur les simples qui, eux aussi, célèbrent servilement le culte des dieux multiples et répètent toutes les erreurs vulgaires. Ainsi, dans les deux cas, on le convaincra d’avoir évoqué en pure perte celui qui détourne des médecins compétents. LIVRE III
Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de Moïse : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de Moïse ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV
Ce qu’il y a de laborieux, c’est de réfléchir sérieusement à ces matières et de voir la différence entre ceux qui ont pu, à de longs intervalles, s’ouvrir à la compréhension de la vérité et à une conception limitée de Dieu, et ceux qui, sous une plus haute inspiration divine, continuellement unis à Dieu, sont toujours sous la conduite de l’Esprit divin. Si Celse l’avait examiné et compris, il ne nous eût point accusés d’ignorance, ni interdit de traiter d’aveugles ceux qui voient une expression de la piété dans les ?uvres matérielles de l’art humain telles que les statues. Car quiconque ouvre les yeux de l’âme ne suit pas d’autre méthode pour adorer la divinité que celle qui enseigne à toujours fixer les yeux sur le Créateur de l’univers, à lui offrir toute prière et à tout faire comme sous le regard de Dieu qui voit même nos pensées. LIVRE VI