hylè (Orígenes)

Si le cours de cette discussion est parvenu à ces découvertes, la suite des idées demande, puisque la diversité du monde ne peut subsister sans les corps, que nous discutions ce qu’est la nature corporelle. La réalité elle-même montre que la nature corporelle subit des changements divers et variés pour pouvoir être transformée de tout en tout : ainsi par exemple le bois est changé en feu, le feu en fumée et la fumée en air ; de même l’huile, un liquide, est transformée en feu. Ne trouve-t-on pas la même cause de changement dans les nourritures elles-mêmes, des hommes ou des animaux ? Car ce que nous prenons comme aliment, quoi que ce soit, se change en la substance de notre corps. Bien qu’il ne soit pas difficile d’exposer comment l’eau se change en terre ou en air, l’air en feu et le feu en air, ou l’air en eau, il suffit cependant pour le présent de mentionner seulement cela si on veut discuter la nature de la matière corporelle. Nous entendons par matière le substrat des corps, c’est-à-dire ce par quoi les corps subsistent avec addition et insertion des qualités. Nous nommons quatre qualités : le chaud, le froid, le sec, l’humide. Ces quatre qualités insérées dans l’hylè, c’est-à-dire la matière, matière qui par sa nature propre est autre que les qualités susdites, constituent les diverses espèces de corps. Cependant cette matière, bien que, comme nous l’avons déjà dit, elle soit sans qualités selon sa nature propre, ne peut subsister sans les qualités. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Il faut d’abord savoir que nous n’avons nulle part jusqu’à maintenant trouvé dans les Écritures canoniques ce mot de matière pour désigner la substance qu’on considère comme sous-jacente aux corps. Lorsque Isaïe dit : Et il mangera comme du foin l’hylè, c’est-à-dire la matière, il parle de ceux qui se trouvent dans les supplices et par matière désigne les péchés. Si on trouve dans un autre endroit le mot de matière, nulle part, à mon avis, on ne le voit signifier ce dont nous parlons, excepté seulement dans la Sagesse dite de Salomon, livre dont l’autorité n’est pas reconnue de tous. On y trouve donc ceci : Ta main toute-puissante qui avait créé le monde à partir de la matière informe n’était pas embarrassée pour leur envoyer une foule d’ours ou des lions féroces. Beaucoup pensent, certes, qu’il s’agit de la matière même des choses dans ce qui a été écrit par Moïse au début de la Genèse : Au début, Dieu fit le ciel et la terre ; la terre était invisible et sans ordre. Par cette terre invisible et sans ordre, Moïse n’a pas semblé indiquer autre chose que la matière informe. S’il s’agit vraiment là de la matière, il s’ensuit que les principes des corps ne sont pas immuables. Car ceux qui ont mis pour principes des choses corporelles les atomes, qu’il s’agisse de ce qui ne peut être divisé ou de ce qui peut l’être en parties égales, ou l’un des quatre éléments, n’ont pu placer parmi les principes le mot de matière, c’est-à-dire ce qui définit au premier chef la matière. Et lorsqu’ils font de la matière le substrat de tous les corps, comme une substance convertible, changeable et divisible de toute manière, ils ne pourront le faire selon sa nature propre en faisant abstraction des qualités. Nous acceptons ce qu’ils disent, nous qui refusons de toute manière de dire la matière incréée ou non faite, comme nous l’avons montré plus haut selon nos possibilités, lorsque nous avons signalé que les diverses sortes de fruits sont produits par les différentes espèces d’arbres à partir de l’eau et de la terre, de l’air et de la chaleur, et lorsque nous avons enseigné que le feu, l’air, l’eau et la terre se changent l’un dans l’autre, et que chaque élément se résout en un autre par suite d’une parenté réciproque ; pareillement, lorsque nous avons prouvé que chez les hommes et les animaux la substance de la chair tire son existence de la nourriture et que l’humeur de la semence naturelle se change en une chair solide et dans des os. Tout cela nous enseigne que la substance corporelle est transformable et qu’elle passe d’une qualité à l’autre. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section