Homélie XXX – La seconde tentation

Le Fils de Dieu et l’Antichrist, l’un comme l’autre, aspirent à régner. Mais l’Antichrist désire régner pour tuer ceux dont il aura fait ses sujets ; le Christ règne pour sauver. Sur chacun d’entre nous, s’il est fidèle, le Christ règne en tant que Parole, Sagesse, Justice, et Vérité. Si par contre nous préférons le plaisir à Dieu, sur nous règne le péché dont l’Apôtre dit : « Que le péché ne règne donc point dans votre corps mortel. » Ainsi deux rois s’affrontent dans leur empressement à régner : le roi du péché, le diable, sur les pécheurs, le roi de la justice, le Christ, sur les justes.

Le diable savait que le Christ était venu pour lui ravir son royaume et commencer à soumettre à son pouvoir divin ceux qui étaient soumis au pouvoir du malin, aussi « il lui mit sous les yeux tous les royaumes du monde » et des hommes de ce monde. Il lui montra comment sur les uns règne la luxure, sur d’autres, l’avarice, comment ceux-ci sont entraînés par les brises de la célébrité, ceux-là captivés par les séductions de la beauté. Mais il ne faut pas croire qu’en lui montrant les royaumes du monde, le diable ait fait voir à Jésus le royaume de Perse par exemple, ou celui des Indes ; non, « il lui montra tous les royaumes du monde», ce qui signifie : il montra son empire, sa façon de dominer le monde, pour l’engager à exécuter sa volonté et commencer par là à s’assujettir le Christ.

Veux-tu, lui dit-il, régner sur tous ces êtres ? Et il lui montre les masses innombrables d’hommes qu’il tenait en son pouvoir. Et à vrai dire, si nous consentons à reconnaître en toute simplicité notre misère et notre infortune, le diable est roi de presque tout l’univers ; aussi le Seigneur l’appelle-t-il d’ordinaire « le prince de ce monde. » Et quand le diable dit à Jésus : « Vois-tu ces hommes soumis à mon pouvoir », il « les lui montre en un instant », c’est-à-dire dans le cours actuel des temps qui, en comparaison de l’éternité, n’est qu’un instant. En effet le Sauveur n’avait pas besoin qu’on lui montrât plus longuement les affaires de ce monde ; à peine a-t-il tourné son regard vers ce spectacle qu’il voit le règne du péché, tous ceux qui sont esclaves de leurs vices et « le prince de ce monde » lui-même, le diable, qui s’enorgueillit et se réjouit, pour sa propre perte, d’avoir tant de monde sous son empire. Alors le diable dit au Seigneur : « Est-ce pour lutter contre moi que tu es venu et pour arracher à mon pouvoir tous ceux que j’ai maintenant pour sujets ? Non, n’essaie pas de te mesurer avec moi. Non, ne te donne pas ce mal, ne va pas t’exposer aux difficultés du combat. Voici tout ce que je te demande : prosterne-toi à mes pieds, adore-moi, et tout le royaume qui m’appartient est à toi. » Sans doute, notre Seigneur et Sauveur veut bien être roi et s’assujettir toutes les nations pour qu’elles servent la justice, la vérité et toutes les autres vertus, mais il veut régner en tant que Justice pour régner sans péché et ne rien faire de mal ; il ne consent pas, assujetti au diable, à être couronné sans peine ni à régner sur les autres en subissant lui-même la loi du diable.

C’est pourquoi il lui réplique : « Il est écrit : tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui. » Aussi ma volonté est-elle que tous ces hommes deviennent mes sujets pour qu’ils adorent le Seigneur et ne servent que lui. Tel est le désir de mon règne. Et toi, tu voudrais que par moi commence le péché que je suis venu détruire et dont je veux délivrer tous les hommes ? Apprends et sache que je m’en tiens à ce que j’ai dit ; que le Seigneur Dieu lui seul soit adoré et que tous ces hommes soient soumis à ma puissance, dans mon royaume. Quanta nous, réjouissons-nous d’être ses sujets et prions Dieu qu’il fasse mourir « le péché qui règne dans notre corps », et que seul règne en nous le Christ Jésus, « à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen ».