Bien supérieur à Melchisédech, dont l’Écriture a laissé dans l’ombre la généalogie, notre Seigneur et Sauveur, lui, est issu d’une lignée d’ancêtres que nous rapporte l’Écriture. Or, puisque la divinité en lui n’est pas soumise à une naissance humaine, c’est à cause de toi, né dans la chair, qu’il a voulu naître. Cependant sa généalogie n’est pas semblable dans les recensions des évangélistes, difficulté qui a jeté beaucoup de trouble dans bien des esprits.
Matthieu énumère la série de ses ancêtres en commençant par Abraham, pour arriver au verset où il est dit : « La naissance de Jésus arriva comme ceci. » Car il s’intéresse non pas à celui qui a reçu le baptême mais à celui qui vient dans le monde. Luc, au contraire, pour dresser la généalogie du Christ, ne procède pas par ordre descendant, mais, comme il vient de parler de son baptême, il remonte jusqu’à Dieu lui-même. En outre, on ne trouve pas les mêmes personnages dans la généalogie du Christ, suivant qu’on la donne en remontant ou en descendant. Matthieu, qui le montre descendant des cieux, y fait entrer des femmes, et pas n’importe lesquelles, mais des pécheresses blâmées par l’Écriture. Luc, qui parle du Christ après son baptême, ne mentionne aucune femme. Matthieu, comme nous l’avons dit, nomme Thamar, qui par ruse devint concubine de son beau-père, Ruth, la moabite, qui n’était même pas de la race d’Israël, Rahab, dont je ne saurais dire d’où elle vient et la femme d’Urie qui souilla le lit conjugal. C’est que notre Seigneur et Sauveur était venu précisément pour prendre sur lui les péchés des hommes, et Dieu « a fait péché pour nous celui qui n’avait pas commis de péché » ; aussi, descendant dans le monde, il a assumé le rôle des hommes pécheurs et vicieux et il a voulu naître de la souche de Salomon, dont les péchés ont été rapportés dans l’Écriture, de Roboam dont les transgressions sont mentionnées et des autres, dont beaucoup « firent le mal aux yeux du Seigneur ». Mais lorsqu’il remonte du bain baptismal et qu’est alors décrite son origine, ce n’est pas du lignage de Salomon qu’il naît, mais de celui de Nathan qui reprocha à son père la mort d’Urie et la naissance de Salomon.
Alors que Matthieu emploie chaque fois le mot « engendrer », ici il est omis. Matthieu écrit : « Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob. Jacob engendra Juda et ses frères ; Juda engendra Pharès et Zaram de Thamar », et jusqu’à la fin le mot « engendra » reparaît. Chez Luc, au contraire, lorsqu’il remonte du bain baptismal, Jésus est appelé « celui qu’on croyait fils de Joseph », et, dans cette longue liste de noms, nulle part le mot « génération » n’est employé, sauf dans cette phrase : « On le croyait fils de Joseph. »
Matthieu ne dit pas : « Il commençait », mais dans Luc, parce qu’il venait d’être baptisé, nous lisons : « Il commençait» ; selon ce témoignage de l’Ecriture, « Jésus lui-même en était à son commencement. » Il reçut le baptême et assuma le mystère de la seconde naissance pour que vous détruisiez, vous aussi, votre première naissance et puissiez naître une seconde fois. L’Écriture peut alors dire : « Il commençait. » Le peuple juif, durant son séjour en Egypte, n’avait pas l’habitude de considérer un mois comme le premier de l’année et ce n’est qu’à sa sortie d’Egypte qu’on lui dit : « Ce mois viendra pour vous en tête des autres et sera pour vous le premier des mois de l’année. » Ainsi du Christ : avant son baptême, le récit ne dit pas qu’il a commencé. Ce n’est donc pas sans raison, croyons-nous, qu’aux mots : « Jésus lui-même était », on a ajouté « à son commencement ».
Examinons maintenant cette phrase : « Agé d’environ trente ans. » « Joseph avait trente ans » quand il fut libéré de prison et, après avoir expliqué le rêve du Pharaon, fut nommé intendant d’Egypte ; il emmagasina du blé au temps de l’abondance pour pouvoir en distribuer au temps de la disette. Les trente ans de Joseph, à mon avis, anticipaient en figure les trente ans du Sauveur. Car le second Joseph qui est Jésus entasse un autre blé que le premier en Egypte, il entasse le froment véritable et céleste, pour avoir, grâce à ce blé, amassé au temps de l’abondance, de quoi distribuer le jour où la faim reviendrait sur l’Egypte, non « pas une faim de pain ni une soif d’eau, mais la faim d’entendre la parole de Dieu ». » Jésus recueille donc dans la Loi, dans les écrits des Prophètes et des Apôtres, les paroles du temps de l’abondance, pour que, une fois les derniers livres écrits, la dernière alliance conclue et la mission des Apôtres achevée, on puisse alors distribuer les paroles amassées par Jésus dans le grenier des Apôtres, c’est-à-dire dans leurs âmes et dans celles de tous les saints et ainsi nourrir l’Egypte menacée de famine, en premier lieu ses frères dont il est écrit : « Je dirai ton nom à mes frères ; je te chanterai au milieu de l’assemblée. » D’autres hommes ont bien aussi des paroles de patience, des paroles de justice et des autres vertus : c’est là le froment que Joseph distribua au Égyptiens. Mais autre est le froment que Jésus donne à ses frères, c’est-à-dire à ses disciples, venus de Gessen, la terre qui regarde l’orient : c’est le froment de l’Évangile, le froment des Apôtres. Avec ce blé nous devons faire du pain, en nous gardant pourtant d’y mélanger du « vieux levain », pour avoir du pain nouveau, fait du blé et de la farine des Écritures, moulus dans le Christ Jésus, « à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen ».