Hilaire de Poitiers : Noé

{{Prophétie sur la naissance de Noé.}}

Quant à l’histoire de Noé, on ne peut nier quelle ne soit pleine des manifestations de la puissance de Dieu et des exemplaires des réalités à venir. Quel que soit en effet le degré de faiblesse de l’intelligence ou de répugnance de la volonté à embrasser la vérité, il y a ici des paroles et des faits capables de contraindre même ceux qui se refusent à reconnaître la vérité. Et, pour faire saisir en chaque événement sa valeur prophétique, il faut brièvement mettre en lumière les termes de comparaison. Noé, en effet, préfigure l’homme que le Seigneur assuma du sein d’une Vierge, et pour bien le reconnaître d’après les paroles de l’Écriture elle-même, il faut savoir en quels termes Lamech son père prophétisa à son sujet : ” Et Lamech engendra un fils et l’appela Noé, disant : Celui-ci nous fera reposer de nos travaux et de la peine de nos mains et de la terre que le Seigneur Dieu a maudite. ” Mais, à mon avis, cette prophétie ne peut s’appliquer pleinement au Noé dont on parle. Quel repos en effet apporta-il au genre humain et de quels travaux marqua-t-il la fin ? Bien plus, c’est de son vivant que l’ensemble du genre humain est détruit et que le déluge se déverse ; la terre est rendue à ses regards, mais le reste de sa vie s’écoule au milieu de prodiges plus terribles encore ; et où voyons-nous Noé donner le repos ? Mais c’est à celui qui devait assurer le repos que le pouvoir de le donner est ici attribué. Il ne convient pas d’ailleurs à la nature de l’homme, et nous ne trouvons nulle part écrit, ni la réalité historique ne nous découvre que Noé ait rien fait de tout cela, mais l’Écriture tout simplement nous a fait connaître la plupart des faits propres à la vie de Noé : son agrément auprès de Dieu, sa justice, l’ordre de construire l’arche, son entrée dans l’arche, l’envoi du corbeau, le retour et le deuxième envoi de la colombe, sa sortie de l’arche, la plantation de la vigne, l’ivresse qu’il tire de ses fruits et sa nudité, la dérision de Cham, la conduite de Sem et de Japhet qui le couvrent, la malédiction portée contre l’un, l’ordonnance et le genre de la bénédiction donnée aux deux autres. Ces faits doivent être compris tels qu’ils ont été accomplis par lui.

{{La préfigure du Christ.}}

Mais ces événements contiennent une grande figure du Noé à venir et nous allons examiner chaque chose à sa place, d’autant plus qu’il faut comparer entre eux événements et personnes. Nous comparerons à Noé Notre Seigneur, qui ” de Verbe s’est fait chair “, et qui a dit dans l’Évangile : ” Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes accablés et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et faites-vous mes disciples, parce que je suis doux et humble de coeur, vous trouverez le repos pour vos âmes. Mon joug, en effet, est doux et mon fardeau léger.” C’est donc Lui qui fait reposer et c’est Lui qui procure le repos aux âmes ; à cause du jugement tout proche, Il abrite dans l’arche de sa doctrine et de son Église ses fils, ceux qui le sont par la naissance et ceux qui le sont par le nom ; Il leur donne l’Esprit-Saint, Il meurt, on se moque de Lui, Il ressuscite, et Il institue pour le genre humain le châtiment et la sanctification des actes justes ou pervers. Et dans les ordres que Noé reçoit d’entrer dans l’arche ou d’en sortir, il faut considérer la figure de la sanctification de l’Église. Il est écrit, en effet : ” Tu entreras dans l’arche toi et tes fils et ta femme et les femmes de tes fils. ” Et la seconde fois : ” Le Seigneur Dieu dit à Noé : Sors de l’arche toi et ta femme et tes fils et les femmes de tes fils. ” A l’entrée dans l’arche, chaque sexe est groupé à part, les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes ; c’est évidemment le signe que ceux qui veulent entrer dans l’Église doivent pratiquer la continence, chacun devant recevoir par la suite la faculté de se marier…

{{Deuxième et troisième mission de la colombe.}}

Ce que préfigure le second envoi est bien clair. La colombe revient portant un rameau d’Olivier couvert de feuilles ; il ne faut plus la prendre avec la main, elle revient en volant. Cela fut accompli lorsque les soixante-dix disciples envoyés en mission pour prêcher l’Évangile, après avoir reçu le saint Esprit, reviennent en portant la gloire de s’être soumis les esprits impurs, – car le saint Esprit rapportait les fruits de la miséricorde divine, dont l’olivier est la figure – et lorsque l’abandon postérieur du Seigneur par les disciples l’empêcha de trouver dès ce moment un lieu de repos. La colombe revint à Noé avec des fruits pour figurer dans ce second retour les fruits rapportés par l’Esprit Saint dans la soumission des démons et l’impossibilité où le mettait l’abandon du Seigneur par les disciples de trouver dès lors un lieu de repos. Le troisième envoi préfigure son habitation chez le croyant, car une fois envoyé, le saint Esprit demeure éternellement dans l’âme des fidèles.

{{L’ivresse de Noé type de la Passion du Christ.}}

L’ivresse que tira Noé du fruit de la vigne qu’il avait plantée est le type de la Passion. “Le Seigneur, en effet, a apporté la vigne d’Égypte et la plantée. ” Et encore : ” La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël. ” Car sa Passion fut causée par les oeuvres de son peuple qu’Il avait transporté et planté. Si par hasard quelqu’un juge que l’ivresse de Noé na pas de rapport avec le type de la mort du Seigneur, il sera convaincu par les événements qui viendront puisque dans l’Évangile le calice bu par le Seigneur montre quelle mort Il devait souffrir. Or, sur les trois fils, l’un se moque de la nudité de son père, les deux autres la couvrent; mais bien que tous deux laient couverte d’un même accord, après la malédiction du troisième, une bénédiction différente leur est accordée en récompense d’une même oeuvre. Ces trois fils représentent l’ensemble du genre humain : ceux qui vivent sous la Loi, ceux qui sont justifiés par la Grâce, et les païens.

Parmi eux, les païens se moquent de la mort du Seigneur et du corps nu de Dieu ; tandis que les deux autres qui couvrent cette nudité figurent la Loi et la Grâce.

Le séjour de Japhet dans les demeures de Sem est la figure des nations qui ont été introduites à la Foi ; Sem tient le rôle du peuple d’Israël…