Hermann Greive (CHKC) – Pico della Mirandola

Jean Pic de la mirandole (Giovanni Pico della Mirandola) naquit en 1463 à Mirandola près de Modène. Il était issu d’une lignée princière. Il étudia successivement le droit canon à Bologne (1477 à 1479), la littérature à Ferrare (1479-1480) et la philosophie à Padoue (1480-1482). C’est au cours de cette dernière période, très probablement, qu’il fit la connaissance d’Eliya del Medigo qui enseignait alors à Padoue la philosophie d’Aristote et d’Averroès. Un peu plus tard — en 1484 — on le retrouve à Florence, où il devient membre de l’Académie platonicienne. C’est sans doute peu de temps après son séjour à Paris (1485-1486) qu’il rencontra Flavius Mithridate. C’est de la même époque que date la rédaction de son écrit (particulièrement important du point de vue du sujet que nous allons traiter) Conclusiones sive Theses DCCCC, dont deux groupes concernent les doctrines kabbalistiques : à savoir, d’une part les Conclusiones (Cabalisticae) numero XLVII, secundum (secretam) doctrinam sapientum Hebreorum Cabalistarum, quorum memoriam sit semper in bonum, et d’autre part les Conclusiones Cabalisticae numéro LXXI, secundum opinionem propriam, ex ipsis Hebreorum sapientum fundamentis Christianam Religionem maxime confirmantes. Les 900 Thèses étaient destinées à être publiquement discutées à une rencontre d’érudits que Pic de la Mirandole comptait organiser à Rome, et qu’il avait d’ailleurs l’intention de financer personnellement. En guise de discours inaugural, il avait écrit — sans doute peu de temps après la rédaction des Thèses — son oraison bien connue De hominis dignitate qui contenait l’exposé de ses idées philosophiques fondamentales. Mais l’affaire allait tourner bien autrement qu’il ne l’avait prévu. Le pape Innocent VIII institua une commission chargée de vérifier les Thèses ; celle-ci en condamna sept comme « erronées » et six autres comme « douteuses ». Lorsque, par la suite, Pic de la Mirandole essaya de défendre les 13 Thèses condamnées dans son Apologia tredecim quaestionum (rédigée en 1487), le pape répliqua en condamnant en bloc les 900. Dès lors, Pic décida de s’enfuir en France. Cependant, sa fuite aussi tourna mal : sur requête du pape, il fut arrêté en 1488 à Lyon. Cependant, à la suite de l’intervention de certains princes italiens, il fut libéré de prison et put retourner en Italie. Il allait passer le restant de ses jours — mis à part un bref séjour à Ferrare — sous la protection personnelle de Laurent de Médicis, à Florence. Là, il reprit contact avec l’Académie platonicienne et établit également des relations avec Savonarole. En 1493, le pape Alexandre VI, qui avait succédé à Innocent VIII, annula toutes les condamnations prononcées par l’Eglise à son égard. Pic de la Mirandole mourut en novembre 1494.

Le respect de la langue hébraïque, cultivé à l’époque dans certains cercles humanistes, était entièrement partagé par Pic. L’une de ses Conclusions était ainsi énoncée : « S’il existe une langue première et non fortuite, il est évident, sur la base de nombreuses présomptions, que cette langue est l’hébreu. » Dans son esprit, cette primauté de l’hébreu est apparemment à la fois de nature historique (ce serait la langue la plus ancienne) — et ce n’est là nullement un aspect accessoire, dans le contexte d’une spiritualité axée sur des traditions littéraires — et systématique. Ce dernier point trouve son explication dans la Conclusion suivante : « Quiconque respecte profondément et radicalement l’ordre de la langue hébraïque, et sait le conserver de manière correspondante dans les sciences, possède par là la norme et la règle d’une connaissance totale de tout ce qui est connaissable. »

En ce qui concerne plus particulièrement la tradition kabbalistique hébraïco-araméenne, Pic de la Mirandole savait, ou du moins présumait, qu’il était le premier dans le monde chrétien à s’y référer explicitement. Dans son Apologia, il remarque, après avoir brièvement explicité ce qu’il entend par « Kabbale » : « Ceci est la première et vraie Kabbale, dont je crois être le premier parmi les Latins à avoir fait explicitement mention [explicitam fecisse mentionem]. » Cette remarque doit certes être accueillie avec quelques réserves5. Néanmoins, il est certain que Pic de la Mirandole a été reconnu et confirmé par tous ses héritiers spirituels comme premier pionnier des idées kabbalistiques chrétiennes.