Ce travail est une recherche sur les anges dans le grand poème de Dante : sous quelle forme apparaissent-ils ? quel caractère révèlent-ils ? quel est leur mode d’action ? Les développements qui suivent devront prouver que la question méritait d’être posée.
A cette intention afférente au sujet, une autre, extérieure, s’est ajoutée. Une question plus vaste — l’image philosophique et chrétienne du monde dans la Divine Comédie — m’occupe depuis 1930 ; seule cette image donnerait à l’interprétation du poème sa véritable base. Le thème de l’ange, qui contraint à une coupe longitudinale à travers toute l’œuvre, devait éprouver la méthode pour ce travail plus vaste, permettait de constater si elle pénètre assez loin pour dire l’essentiel et se révèle assez subtile pour suivre les contours et les ramifications des pensées, des images et des formes.
Une difficulté particulière émane du texte. Le point de vue qui m’a déterminé à laisser autant que possible la parole à l’auteur lui-même dans mes études sur la pensée de Dostoïevski, de Pascal et de saint Augustin, me semble comme auparavant garder sa valeur. Il était relativement facile de s’y tenir pour ces trois auteurs qui écrivent en prose. Il existait une bonne traduction complète de Dostoïevski ; pour Pascal et Augustin, je pouvais me risquer à traduire moi-même. Au contraire, Dante est un poète, et l’un de ceux qu’il faut ranger au petit nombre des plus grands. Son œuvre peut-elle être traduite en allemand avec une telle précision qu’elle devienne le bien propre de cette langue, comme il en va, par exemple, pour Shakespeare ? Je n’ose en juger ; il semble que ce ne soit pas le cas jusqu’à présent. Le plus simple aurait donc été de prendre pour base le texte italien. Mais on ne peut poser comme préalable qu’il est suffisamment compris par le cercle de lecteurs auquel ce travail s’adresse. Ainsi, comme c’était le contenu qui m’importait avant tout, j’ai tenté d’abord de négliger la rime et le rythme. Par cette voie, non seulement l’atmosphère, mais encore une partie du contenu se perdait en même temps que la forme. Or, lorsque le rythme se faisait sentir dans les phrases en prose sans que je l’eusse spécialement recherché, un compromis fut par hasard trouvé. Il tente de suivre d’aussi près que possible les pensées et les images, mais en même temps de faire sentir quelque peu la vibration interne de l’original.
Pour développer le thème comme il convenait, il fallait avant tout, en décrivant les visions des anges dans le Paradis, parler de beaucoup de choses qui, à vrai dire, ne s’y rattachent pas directement. Il en est résulté l’esquisse d’une interprétation de la Divine Comédie aussi involontaire qu’inévitable. Au sens strict, le titre indique donc seulement le point où je me suis placé pour établir cette esquisse.
Comme pour les chapitres qui suivent l’étude sur l’ange, le texte qui a servi de base est celui de la Société Dante italienne : Le opère di Dante, Florence, 1921.1
J’ai cru devoir traduire cette introduction, comme celle de la seconde partie de ce volume (pp. 95 et suiv.). L’une et l’autre projettent en effet une lumière sur les méthodes de travail de Romano Guardini. Les commentaires de tous les écrivains qu’il étudie serrent de si près le texte original, et parfois mot à mot, que, pour ne pas poser d’énigmes au lecteur, il faut traduire littéralement les citations qu’il en donne. (Ce qui, soit dit en passant, rend à peu près impossible la traduction de ses livres sur Hölderlin et surtout sur Rilke, la traduction littérale de ces poètes aboutissant souvent au non-sens ou au ridicule.)
Pour traduire les textes de Dante, je me suis donc inspirée des principes de Romano Guardini ; quand ils nécessitaient une interprétation, j’ai naturellement adopté la sienne. J. A.-H. ↩