Gregório de Nissa: union

De la même façon, la substance humide, par ses doubles qualités, est en harmonie avec l’une et l’autre des parties opposées. Par sa pesanteur et sa tendance vers le bas, elle a une parenté marquée avec la terre. D’un autre côté, la puissance qu’elle a de s’écouler ne la rend pas tout à fait étrangère à la nature en mouvement ; mais elle permet comme le mélange et la rencontre d’éléments opposés, à savoir de la pesanteur se transformant en mouvement, et du mouvement ne rencontrant pas d’obstacle dans un corps lourd, si bien que se rejoignent l’une l’autre des substances de nature radicalement différente, grâce à l’union que mettent entre elles les substances intermédiaires. I

« Qui a connu l’esprit du Seigneur ? » , dit l’Apôtre. Pour ma part, je dis aussi : « Qui a connu son propre esprit ? » Ceux qui s’estiment capables de « saisir » la nature de Dieu, feraient bien de dire s’ils se sont regardés eux-mêmes. Ont-ils connu la nature de leur propre esprit ? – Il a plusieurs parties et est composé. Mais comment une substance spirituelle est-elle dans la composition ? Ou de quelle façon se fait l’union d’objets hétérogènes ? – Vous dites que l’esprit est simple et sans composition ! Comment alors se dissémine-t-il dans la multiplicité des parties sensibles ? Comment dans l’unité la diversité ? Comment dans la diversité l’unité ? XI

Ces exemples montrent clairement le lien de l’esprit humain avec la nature : lorsque celle-ci est intacte et en éveil, lui aussi a de l’activité et du mouvement, mais si elle est relâchée par le sommeil, il demeure inerte, à moins qu’on ne prenne pour une activité de l’esprit les imaginations des songes qui nous viennent pendant le sommeil. Pour moi, je prétends qu’il ne faut rapporter à l’esprit que la pensée dans son activité consciente et entière ; les bagatelles qui s’offrent à l’imagination pendant le sommeil, je les crois façonnées au hasard par la partie irrationnelle de l’âme comme des images de l’action de l’esprit. Quand l’âme est déliée par le sommeil de son union avec les sens, elle se trouve nécessairement aussi hors de l’activité spirituelle. Car c’est par les sens que se fait l’union de l’esprit avec l’homme ; s’ils cessent d’agir, l’esprit reste lui aussi inactif. Nous en avons pour preuve ce fait que dans les événements étranges ou impossibles, il nous semble souvent que nous rêvons ; ce qui ne serait pas, si alors l’âme était gouvernée par la raison et la pensée. Il me semble donc que durant le sommeil, l’âme est en repos dans ses parties les plus hautes (je veux parler de ses activités spirituelles et sensibles) ; seule la partie nutritive reste en activité. En elle demeurent quelques images des événements de l’état de veille et quelques retentissements de l’activité des sens ou de l’esprit qu’y a imprimés cette partie de l’âme qu’est la mémoire. Ceux-ci sont reproduits comme ils se présentent, car certains souvenirs demeurent attachés à cette partie de l’âme. Dans ces rêves, l’homme voit par l’imagination : dans l’ensemble de ce qui lui apparaît, il n’y a aucun enchaînement logique, mais il s’égare en des tromperies embrouillées et sans suite. XIII

Ces exemples font voir que dans la partie de l’âme occupée à la nourriture et à l’accroissement, l’union de l’âme et du corps maintient des germes d’activité spirituelle, plus ou moins conformes à notre état physique, et met en harmonie les imaginations de l’esprit avec la disposition dominante du corps. XIII

La pauvreté de notre nature se fait sentir dans le besoin absolu où elle est de tout ce qui est nécessaire à son existence : non seulement elle manque d’un air qui lui appartienne et d’un souffle qui réveille sa chaleur, puisqu’elle ne cesse de l’introduire en elle de l’extérieur pour la conservation de la vie, mais aussi elle prend la nourriture au dehors pour entretenir la masse corporelle. C’est pourquoi elle satisfait à nos besoins par la nourriture et la boisson, mettant en nous le moyen d’attirer ce qui lui manque et de rejeter ce qui est de trop. En ce travail, d’ailleurs, la chaleur cardiaque fournit à la nature une aide précieuse. Selon ce que nous avons admis, en effet, la partie principale du vivant est le coeur : par son souffle (pneuma) chaud, il réchauffe chaque partie une à une. Aussi il exerce son action de partout par la puissance efficace qu’il possède, selon la disposition du créateur voulant que chaque partie ait son activité et son emploi pour le bien de l’ensemble. De là vient que placé en dessous et en arrière du poumon, par la continuité de son mouvement, il assure d’un côté, en tirant vers lui le poumon, l’élargissement des conduits pour l’aspiration et de l’autre, en le soulevant à nouveau, l’évacuation de l’air reçu. De là vient aussi que, réuni à la partie supérieure du ventre, il le réchauffe pour le rendre capable d’accomplir sa fonction : il ne l’excite pas pour aspirer l’air, mais pour qu’il reçoive sa nourriture. Les passages du souffle et de la nourriture sont en fait voisins ; sur toute leur longueur, ils viennent à la rencontre l’un de l’autre, puis ils se rejoignent vers le haut, au point de n’avoir qu’un même orifice et de terminer leurs conduits dans une seule bouche, d’où par l’un se fait l’introduction de la nourriture, par l’autre celle du souffle. Mais en profondeur, l’union entre ces conduits n’existe plus du tout : le coeur, tombant au milieu du siège de l’un et de l’autre, donne à l’un ce qu’il faut pour respirer, à l’autre ce qu’il faut pour se nourrir. La substance ignée en effet recherche naturellement une substance combustible et elle la trouve nécessairement dans le réceptacle de la nourriture. Plus ce réceptacle est chaud, à cause de la chaleur environnante, plus sont attirées en même temps les substances capables de nourrir la chaleur. Cette attirance, nous l’appelons « appétit ». XXX

Mais la suite des pensées nous a emportés à côté du sujet. Notre but n’était pas de montrer que l’activité de l’esprit est plus élevée en dignité, parmi les attributs de l’homme, que la partie matérielle de son être, mais que l’esprit ne s’attache pas à l’une des parties de notre être et qu’il est également en toutes et à travers toutes : ni il ne les contient de l’extérieur ni non plus il ne les domine de l’intérieur : de telles façons de parler s’appliquent proprement à des cubes ou à des objets semblables qui s’emboîtent les uns dans les autres. L’union de l’esprit et de l’ensemble corporel représente au contraire une liaison indicible et impensable : elle ne se fait pas dans le corps (comment l’incorporel serait-il au pouvoir du corps ?) ; elle ne se réalise pas non plus à l’extérieur (comment l’incorporel contiendrait-il en lui quoi que ce soit ?). Mais l’esprit, selon un mode hors de toute imagination et de toute pensée, s’approchant de notre nature de telle sorte qu’il se joint à elle, est à la fois en elle et autour d’elle, sans pourtant y avoir son siège ni l’enfermer en lui. On ne peut dire que ceci : la fidélité de la nature à marcher dans sa voie permet l’exercice de la pensée. Mais le moindre écart en elle en rend boiteux le mouvement. XV