Sur la création de Dieu, en effet, je ne connais pas de meilleure étude que celle de Basile , cet homme « réellement créé selon Dieu » et « dont l’âme fut formée à l’image de son créateur ». Ces travaux de notre commun père et maître ont mis à la portée de tous la magnifique ordonnance de l’univers ; à ceux que sa science a poussés à l’étude, ils ont fait connaître un monde qui trouve sa cohésion dans la vérité de la sagesse divine. Or, bien qu’impuissant à l’admirer comme il faut, j’ai eu l’idée de compléter ce qui manquait aux études de ce grand homme non que je veuille, en lui attribuant mon ouvrage, contaminer le sien (ce serait une impiété outrageante pour celui dont nous prétendons magnifier le sublime enseignement), mais je voudrais que la gloire qui vient des disciples ne fasse pas défaut au maître. Si en effet, son ouvrage sur les « Six Jours » laissant de côté l’étude de l’homme, aucun de ses disciples n’avait à coeur d’achever ce qui manque, la réputation de Basile encourrait peut-être le reproche de n’avoir pas cherché à mettre dans ses auditeurs l’habitude de la réflexion. Aussi, selon mes forces, j’ose entreprendre le commentaire de ce qui reste à traiter. Si, dans ces pages, vous en trouvez qui ne soient pas indignes de l’enseignement de Basile, toute la gloire en reviendra à notre maître ; mais si je n’atteins pas à la sublimité de sa doctrine, on ne lui reprochera pas d’avoir donné l’impression de négliger la formation de ses disciples et, à bon droit, les critiques me tiendront responsable de ne pas avoir eu un coeur à la mesure de la sagesse du maître. Introduction
Voici donc les premiers éléments que la sagesse du Créateur a établis comme principes de tout le mécanisme du monde, et le grand Moïse, en disant qu’à l’origine Dieu fit le ciel et la terre, veut montrer, je pense, que le mouvement et le repos sont à l’origine de tout cet univers visible que la volonté de Dieu a amené à l’existence. I
Bien plus, pour parler avec précision, la nature des parties opposées n’est pas en fait sans aucun mélange des propriétés de l’autre, parce que, selon moi, tous les êtres de ce monde visible ont les uns pour les autres une mutuelle inclination et que toutes les créatures conspirent entre elles, même lorsqu’elles se font connaître par des caractères opposés. Le mouvement, en effet, ne consiste pas seulement en un déplacement local, mais aussi dans l’évolution et l’altération. Or, redisons-le, la nature parfaitement immobile ne connaît pas ce mouvement qui consiste en l’altération. En dehors d’elle, la sagesse de Dieu, ayant fait l’échange des propriétés, mit l’inaltérabilité dans la substance toujours en mouvement et dans la substance en repos l’altérabilité : sans doute faisait-elle ainsi dans le dessein que l’homme, voyant en quelqu’une des créatures cette propriété de la nature divine, qui est d’être inaltérable et immuable à la fois, n’en vînt pas à tenir la créature pour Dieu. Car on ne peut prendre pour divin ce qui se meut ou s’altère. C’est pourquoi la terre est fixe, mais connaît l’altération, et le ciel, qui ne s’altère pas comme la terre, n’a pas de fixité. Ainsi la puissance divine, ayant mêlé à la substance en repos l’altération et à l’inaltérable le mouvement, rapproche comme dans une même famille les unes et les autres substances par l’échange de leurs caractères et ne permet pas qu’on puisse leur attribuer la Divinité. Comme je l’ai dit, ni l’une ni l’autre ne pourrait être tenue pour divine : ni celle qui n’est jamais en repos, ni celle qui connaît l’altération. I
Si Dieu mit sur la voie de la connaissance de l’avenir le tyran d’Égypte ou, celui d’Assyrie, c’est qu’il se proposait par là un but spécial : il voulait manifester au jour la sagesse des saints restée cachée, afin de la faire servir au bien des hommes. Comment Daniel eût-il été connu pour ce qu’il était, si les enchanteurs et les mages n’étaient restés impuissants à découvrir les songes ? Comment le peuple d’Égypte eût-il été sauvé, si Joseph était demeuré en prison et si son explication du songe ne l’avait mis en évidence ? Aussi ces événements sont différents des premiers et il ne faut pas les juger d’après les imaginations communes. En général tous peuvent avoir des songes et ceux-ci naissent dans l’imagination de façons très diverses. Ou bien en effet, comme j’ai dit, demeurent dans la mémoire les retentissements des actions du jour ; ou souvent aussi, les songes se forment selon les dispositions du corps. Ainsi celui qui a soif se croit à une source ; celui qui a faim dans des banquets ; le jeune homme, gonflé par la jeunesse, se construit des chimères conformes à sa passion. XIII
La recension de ces bienfaits un à un serait longue : aussi n’est-il pas possible d’en parler en détail. L’Écriture, les résumant d’un mot qui englobe tout, les a désignés de la sorte : « C’est à l’image de Dieu que l’homme a été fait. » Ce qui équivaut à dire : il a rendu la nature humaine participante de tout bien. En effet, si la Divinité est la plénitude de tout bien et si l’homme est à son image, est-ce que ce n’est pas dans cette plénitude que l’image aura sa ressemblance avec l’archétype ? Donc, en nous, sont toutes les sortes de bien, toute vertu, toute sagesse et tout ce que l’on peut penser de mieux. Un de ces biens consiste à être libre de tout déterminisme, à n’être soumis à aucun pouvoir physique, mais à avoir, dans ses décisions, une volonté indépendante. La vertu, en effet, est sans maître et spontanée ; tout ce qui se fait par contrainte ou violence n’en est pas. XVI
En effet, nécessairement, rien n’est indéterminé pour Dieu dans les êtres qui tiennent de lui leur origine, mais chacun a sa limite et sa mesure, circonscrites par la sagesse de son Auteur. De même que tel homme en particulier est délimité par la grandeur de son corps et que son existence est mesurée par la grandeur répondant exactement à la surface de son corps, de même, je pense, l’ensemble de l’humanité est tenue comme dans un seul corps, grâce à la « puissance presciente » que Dieu a sur toutes choses. C’est ce que veut dire l’Écriture, lorsqu’elle dit que « Dieu créa l’homme et qu’il le fit à l’image de Dieu ». XVI
Le vice n’est pas si fort qu’il puisse avoir le dessus sur la puissance du bien et l’inconstance de notre nature ne saurait avoir plus de force ou de stabilité que la sagesse de Dieu. Car l’être toujours mobile et changeant ne peut l’emporter en fixité sur celui qui, établi dans le bien, est toujours identique à lui-même. Tandis que le vouloir divin, partout et toujours, reste immuable, notre nature mobile ne s’arrête pas, même dans le mal. XXI
Attachons-nous à suivre notre étude. Quelqu’un à qui la douceur de notre espérance a peut-être donné des ailes trouvera dur et pénible de ne pas obtenir plus tôt ces biens dépassant tout sentiment et toute connaissance humaine et ce laps de temps qui nous sépare de l’objet de nos désirs lui sera intolérable. N’allons pas, comme des enfants, resserrer nos coeurs et nous fâcher de ce court délai apporté à la réalisation de notre joie . Puisque l’intelligence et la sagesse règlent tout, il faut bien penser qu’aucun événement particulier ne leur échappe. XXII
Je reprends ce que j’ai dit au début : « Faisons l’homme, dit Dieu, à notre image et ressemblance. Et Dieu fit l’homme ; à l’image de Dieu, Il le fit. » Cette image de Dieu, qui réside en la nature humaine prise dans son ensemble, a atteint sa perfection. Adam, à ce moment, n’existait pas encore. En effet, étymologiquement, d’après ceux qui savent l’hébreu, Adam signifie « ce qui est formé de terre ». Aussi l’Apôtre, qui connaît bien sa langue maternelle, appelle l’homme fait de la terre « le terreux » , traduisant en grec le nom d’Adam. Donc l’homme a été fait selon l’image, c’est-à-dire la nature du tout, la créature semblable à Dieu. La toute-puissance de sa sagesse n’a pas produit une partie seulement de ce tout, mais en bloc tout le « plérôme » de notre nature. Il savait bien, lui qui a en ses mains les limites de toutes choses, selon le mot de l’Écriture : « En sa main, sont les limites de la terre » , il savait, lui qui connaît chaque être avant même son apparition, et il tenait dans sa pensée le nombre exact de tous les individus composant l’humanité. XXII