Gregório de Nissa: Sagesse

Ce ne sera pas, dit-on peut-être, au même genre de vie qu’à l’origine que l’homme reviendra alors, si précisément dans le premier état nous étions dans la nécessité de manger, tandis qu’après la résurrection nous serons délivrés de cette charge. Pour ma part, quand je lis l’Écriture , je ne puis admettre qu’il s’agisse de nourriture corporelle pas plus que de jouissance charnelle, mais d’un plaisir tout autre, présentant bien une analogie avec le plaisir du corps, mais dont la jouissance s’adresse à l’âme seule. « Mangez des pains qui m’appartiennent », ordonne la Sagesse à ceux qui ont faim ; et le Seigneur béatifie ceux qui ont faim de cette nourriture, à savoir : « Si quelqu’un a soif, dit-il, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » Et le grand Isaïe : «Buvez à la joie », ordonne-t-il à ceux qui sont capables de comprendre la sublimité de sa doctrine. On trouve aussi contre les coupables cette menace prophétique, qu’ils seront punis par la faim . La faim n’est pas ici une disette de pain et d’eau, mais le manque de Parole ; car l’Écriture ne veut parler ni du pain ni de l’eau, mais de la faim d’entendre les paroles du Seigneur. XIX

Quand donc on parle de la plantation de Dieu dans l’Eden (Eden signifie «jouissance»), il faut penser à un fruit en rapport avec elle et ne pas hésiter à en faire la nourriture de l’homme, sans songer pour cette vie du paradis à notre nourriture passagère et fuyante : « Vous mangerez, dit Dieu, de tout arbre qui est dans le Paradis. » Qui donnera à celui qui a la véritable faim cet arbre-là, celui qui est dans le paradis, cet arbre qui renferme tout bien, qui est désigné par ce mot « tout », et dont l’Écriture accorde à l’homme la participation ? En ce mot qui désigne un ensemble et s’élève au-dessus de tout, est contenu naturellement l’idée de tout bien et par un seul arbre est signifié le tout. Qui m’écartera au contraire de goûter à cet arbre mélangé et participant de deux genres ? Ceux qui y regardent de près voient clairement quel est ce « tout », dont le fruit est la vie et aussi quel est cet arbre au fruit mélangé, dont le terme est la mort ? Celui, en effet, qui remet sans réserve à l’homme la jouissance du tout, le détourne absolument par ses paroles et ses conseils de toucher à ces biens « mélangés » . Pour interpréter cette parole, les meilleurs maîtres me semblent être le grand David et le sage Salomon. Tous les deux pensent que le bienfait unique de la jouissance qui nous est accordée, c’est le vrai Bien lui-même, qui est précisément « tout bien ». David dit : « Jouissez du Seigneur » et Salomon nomme « arbre de vie cette Sagesse même » qui est le Seigneur. XIX