Gregório de Nissa: retour

Tant que cette dépendance est gardée entre les éléments, tous sont unis, chacun à son degré, à la beauté en soi, car l’élément supérieur transmet sa beauté à celui qui est placé sous lui. Mais lorsque dans cette harmonie naturelle, il se produit une rupture ou que, à l’inverse de l’ordre, le supérieur se met à la remorque de l’inférieur, alors la matière, mise à part de la nature, met à jour sa difformité (car d’elle-même elle n’a ni forme ni constitution) ; puis sa difformité corrompt la beauté de la nature, qui reçoit sa beauté de l’esprit. Et ainsi c’est sur l’esprit même que, par l’intermédiaire de la nature, passe la laideur de la matière, en sorte que l’on n’y voit plus l’impression de l’image divine qui s’y modelait. En effet l’esprit, comme un miroir qui ne présente à l’idée de tout bien que sa face postérieure, repousse les manifestations en lui de la splendeur du bien, tandis qu’il modèle en lui la difformité de la matière. Ainsi naît le mal, par la mise à l’écart progressive du bien. Toute bonté, quelle qu’elle soit, est de la même famille que le premier bien, mais tout ce qui n’a avec le bien ni attenance ni similitude n’a absolument aucune bonté. Si donc, selon ce que nous venons de voir, le bien réel est un, l’esprit reçoit sa beauté de la création à l’image du Bien, et la nature, qui est par l’esprit, est comme un miroir de miroir . D’où il suit que la partie matérielle de notre être reçoit toute consistance et tout ordre de la nature qui la gouverne, mais que sa séparation d’avec ce qui lui donne ordre et cohésion et sa rupture d’avec la tendance naturelle qui l’unit au bien amènent sa dissolution et son retour vers en bas. Cette chute n’a d’autre cause que le retournement de la tendance spontanée de la nature à la suite du désir qui ne tend pas vers le Bien, mais vers ce qui a besoin d’un autre pour l’embellir. En effet, de toute nécessité, la matière qui mendie sa propre forme impose sa difformité et sa laideur à celui qui veut lui ressembler. XII

Sur ces points, une fois de plus, la vérité, quelle qu’elle soit, ne saurait apparaître dans son évidence qu’aux initiés, comme Paul, des mystères indicibles du paradis. Pour nous, voici notre avis : un jour où les Sadducéens faisaient objection à la doctrine de la Résurrection et où, pour confirmer leur thèse, ils mettaient en avant le cas de cette femme mariée successivement à sept frères, en demandant à qui après la Résurrection elle appartiendrait, le Seigneur, non seulement pour instruire les Sadducéens, mais aussi pour faire connaître aux âges à venir le mystère de la vie dans la Résurrection, dit : « A la résurrection ni les hommes ni les femmes ne se marieront ; car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux Anges et fils de Dieu, étant fils de la Résurrection ». La grâce de la Résurrection ne nous est pas présentée autrement que comme le rétablissement dans le premier état de ceux qui sont tombés. En effet la grâce que nous attendons est le retour à la première vie, où sera ramené dans le paradis celui qui en avait été chassé. XVII

Si, une fois rétablie dans l’ordre, notre vie va de pair avec celle des Anges, c’est que la vie avant la faute était en quelque façon angélique . Aussi notre retour au premier état nous rend-il semblables aux Anges. Or, comme on sait, bien que le mariage n’existe pas chez eux, leurs armées constituent des myriades infinies. Ainsi le décrit Daniel dans ses visions. Donc, comme eux, si le péché ne nous avait transformés et fait déchoir de l’état d’égalité où nous étions avec eux, nous n’aurions pas eu besoin du mariage pour nous multiplier. XVII

Quelqu’un voyant la corruption des corps et jaugeant la Divinité à la mesure de ses forces soutient peut-être l’impossibilité de notre enseignement sur la Résurrection, sous prétexte qu’il ne peut admettre l’arrêt des êtres soumis au mouvement et le retour à la vie d’êtres qui ne se meuvent plus. Cet adversaire trouvera d’abord une excellente preuve de la vérité de la Résurrection, en examinant combien est digne de foi l’annonce qui en est faite : en particulier, il fondera son assentiment sur la réalisation actuelle de prophéties faites dans le passé. En effet, dans le nombre et la diversité des récits de la Sainte Écriture, il est possible de se demander si l’ensemble des prédictions qui s’y trouvent tient du mensonge ou de la vérité et de se faire par là une idée sur la doctrine de la Résurrection. Si ailleurs les paroles sont mensongères et s’écartent avec évidence de la vérité, la prophétie sur la Résurrection, elle aussi, sera fausse. Si, au contraire, les faits confirment la vérité de tout le reste, il serait logique d’en conclure à l’exactitude des prophéties sur la Résurrection. Rappelons donc une ou deux de ces prédictions et confrontons l’événement avec elles, afin de connaître par là la vérité de la Parole divine. XXV

Peut-être, si vous considérez les éléments de l’univers, il vous paraît difficile que, après le retour de l’air qui est en nous à ses éléments premiers et de même après le mélange du chaud, de l’humide et de la terre avec leurs éléments naturels, de nouveau, à partir de cette masse commune, ce qui appartient à chacun retourne à son propriétaire. N’avez-vous donc pas réfléchi, par des exemples tirés de la vie humaine, que cela même n’est pas au-dessus des bornes de la puissance divine ? Vous avez certainement vu, dans des lieux habités par des hommes, un seul troupeau formé de la réunion d’animaux appartenant à différents propriétaires : lorsque vient le moment de répartir à nouveau les bêtes entre leurs possesseurs, l’habitude des animaux de se rendre à l’étable ou certains signes qu’ils ont sur eux permettent à chaque maître de retrouver son bien. A votre propos, imaginez quelque chose de semblable et vous ne serez pas loin de la vérité. L’âme a naturellement en elle une inclination affectueuse pour le corps avec qui elle habite et, à cause de son union avec lui, elle possède une aptitude secrète à reconnaître son familier, comme si naturellement elle conservait quelques marques spéciales, lui permettant, dans cette masse commune, de discerner son bien demeuré sans mélange. Si l’âme tire de nouveau à elle ce qui lui appartient par un lien de parenté, pourquoi interdire à la puissance divine de rassembler les éléments de même famille qui, par une attraction spontanée, se portent d’eux-mêmes vers ce qui est à eux ? XXVII

Comme on le voit, le retour à un état meilleur est nécessairement impossible pour l’âme. Mais eux la font revenir de l’arbuste à l’état d’homme, sans voir que de la sorte ils donnent à penser que la vie dans l’arbuste a plus de prix que l’état de vie incorporel. Ila été admis en effet que l’âme, une fois engagée vers le mal, ne cesse naturellement de descendre. Or l’inanimé vient au-dessous des êtres insensibles et c’est vers l’inanimé que les principes admis au début entraînent l’âme. Comme ces gens ne veulent pas de cette conséquence, ou bien ils enferment l’âme dans un être privé de sensibilité, ou de là ils la font revenir vers la vie humaine ; mais alors, comme nous avons dit, ils donnent à penser que la vie de l’arbre a plus de prix que le premier état de l’âme, si précisément la chute vers le vice a commencé en cet état supérieur et si de l’état inférieur commence le retour vers la vertu. XXVIII