Gregório de Nissa: résurrection

Sur ces points, une fois de plus, la vérité, quelle qu’elle soit, ne saurait apparaître dans son évidence qu’aux initiés, comme Paul, des mystères indicibles du paradis. Pour nous, voici notre avis : un jour où les Sadducéens faisaient objection à la doctrine de la Résurrection et où, pour confirmer leur thèse, ils mettaient en avant le cas de cette femme mariée successivement à sept frères, en demandant à qui après la Résurrection elle appartiendrait, le Seigneur, non seulement pour instruire les Sadducéens, mais aussi pour faire connaître aux âges à venir le mystère de la vie dans la Résurrection, dit : « A la résurrection ni les hommes ni les femmes ne se marieront ; car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux Anges et fils de Dieu, étant fils de la Résurrection ». La grâce de la Résurrection ne nous est pas présentée autrement que comme le rétablissement dans le premier état de ceux qui sont tombés. En effet la grâce que nous attendons est le retour à la première vie, où sera ramené dans le paradis celui qui en avait été chassé. XVII

Malgré tout, quelqu’un rougit peut-être de la nécessité où nous sommes de manger comme les animaux pour entretenir notre vie et il en conclut qu’il est indigne de croire l’homme à l’image de Dieu. EH bien ! qu’il espère que cette charge sera un jour enlevée à la nature dans la vie que nous attendons : « Le royaume de Dieu, comme dit l’Apôtre, n’est pas manger et boire » et le Seigneur a affirmé que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu . La résurrection fera paraître en nous une vie semblable à celle des anges. Or pour les anges, il n’est pas question de manger. Nous avons donc tout ce qu’il faut pour croire qu’un jour l’homme sera débarrassé de cette charge, lui qui vivra comme les anges. XVIII

Ce ne sera pas, dit-on peut-être, au même genre de vie qu’à l’origine que l’homme reviendra alors, si précisément dans le premier état nous étions dans la nécessité de manger, tandis qu’après la résurrection nous serons délivrés de cette charge. Pour ma part, quand je lis l’Écriture , je ne puis admettre qu’il s’agisse de nourriture corporelle pas plus que de jouissance charnelle, mais d’un plaisir tout autre, présentant bien une analogie avec le plaisir du corps, mais dont la jouissance s’adresse à l’âme seule. « Mangez des pains qui m’appartiennent », ordonne la Sagesse à ceux qui ont faim ; et le Seigneur béatifie ceux qui ont faim de cette nourriture, à savoir : « Si quelqu’un a soif, dit-il, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » Et le grand Isaïe : «Buvez à la joie », ordonne-t-il à ceux qui sont capables de comprendre la sublimité de sa doctrine. On trouve aussi contre les coupables cette menace prophétique, qu’ils seront punis par la faim . La faim n’est pas ici une disette de pain et d’eau, mais le manque de Parole ; car l’Écriture ne veut parler ni du pain ni de l’eau, mais de la faim d’entendre les paroles du Seigneur. XIX

Avec l’achèvement de la génération humaine, le temps cessera définitivement et alors toutes choses retourneront à leurs éléments primitifs. Dans ce bouleversement universel, l’humanité aussi sera transformée et de son état périssable et terrestre, passera dans un état impassible et éternel. C’est à quoi le divin Apôtre me semble avoir songé, lorsqu’il prédit dans son Épître aux Corinthiens l’arrêt soudain du temps et le renouvellement de tout ce qui est soumis au mouvement : « Je vous annonce, dit-il, un mystère : tous, nous ne nous endormirons pas dans la mort, mais tous nous serons transformés, dans un instant indivisible, en un clin d’oeil, au son de la dernière trompette. » A mon sens, puisque le plérôme de l’humanité est parvenu à son terme selon la mesure prévue, par le fait que le nombre des âmes n’a plus désormais à s’accroître, l’Apôtre veut dire qu’un instant suffira à la transformation de la création et il exprime par cet instant indivisible et ce clin d’oeil cette limite du temps qui n’a ni partie ni extension. Aussi celui qui est parvenu à cet ultime sommet du temps, après lequel il n’y a plus de division temporelle, ne peut obtenir cette révolution transformante de la mort que si la trompette de la Résurrection a d’abord retenti pour réveiller tous les morts et faire passer tous ensemble dans l’immortalité ceux qui resteront en vie ; ceux-ci deviendront semblables aux autres que la résurrection aura transformés, au point de n’être plus entraînés vers le bas par le poids de leur chair et de ne plus être retenus à terre par leur masse, mais de vivre dans les espaces célestes. « Nous serons ravis, en effet, dit l’Apôtre, dans les nuages, à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi pour toujours, nous serons avec le Seigneur . » Supportons donc le temps qui s’étend nécessairement le long du développement de l’humanité. XXII

Quatre jours s’étaient écoulés depuis l’événement ; les rites habituels avaient été accomplis pour le mort et le corps était déposé dans le tombeau. Sans doute le cadavre se gonflait déjà ; il commençait à se corrompre et à se dissoudre dans les profondeurs de la terre, selon les lois normales. C’était un objet à fuir, lorsque la nature se vit contrainte de rendre de nouveau à la vie ce qui déjà se dissolvait et était d’une odeur repoussante. Alors l’oeuvre de la résurrection universelle est amenée à l’évidence par une merveille que tous peuvent constater. Il ne s’agit pas ici d’un homme qui se relève d’une maladie grave ou qui, près du dernier soupir, est ramené à la vie ; il ne s’agit pas de faire revivre un enfant qui vient de mourir ou de délivrer du cercueil un jeune homme que l’on portait en terre. Il s’agit d’un homme âgé qui est mort et dont le cadavre, déjà flétri et gonflé, tombe en dissolution au point que ses proches ne supportent pas de faire approcher le Seigneur du tombeau, à cause de la mauvaise odeur du corps qui y est déposé. Or cet homme, par une seule parole, est rendu à la vie et ainsi est fondée l’assurance de la Résurrection : ce que nous attendons pour le tout, nous l’avons concrètement réalisé sur une partie. De même, en effet, que dans la rénovation de l’univers, comme dit l’Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d’oeil, à la voix de l’Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l’immortalité , de la même façon maintenant celui qui, au commandement donné, secoue dans le tombeau la mort comme on secoue un songe et qui laisse tomber la corruption des cadavres qui l’atteignait déjà, bondit du tombeau dans son intégrité et en pleine santé, sans que les bandelettes qui entourent ses pieds et ses mains l’empêchent de sortir. XXV

Le témoignage des événements passés confirme donc la vérité de toute prédiction du Seigneur : non seulement la Résurrection nous est enseignée par des paroles, mais, grâce à ceux-là même que la résurrection a rendus à la vie, les faits nous donnent la preuve de la promesse. Maintenant, quel argument reste-t-il à ceux qui ne croient pas ? Nous laisserons là tous ceux qui se fondent sur la « philosophie » ou sur de vaines erreurs pour repousser la foi dans sa simplicité et nous donnerons notre assentiment sans réserve aux brèves paroles du Prophète qui nous enseigne la manière dont se fera ce don : « On leur enlèvera, dit-il, le souffle et ils expireront et ils retourneront en leur poussière. Tu enverras ton Esprit et ils seront créés et tu renouvelleras la face de la terre. » Alors le Seigneur trouvera sa joie en ses oeuvres, les pécheurs ayant débarrassé la terre. Comment pourrait-on appeler quelqu’un pécheur, quand le péché n’existe plus ? XXV

La résurrection n’est pas plus extraordinaire que le développement d’une semence XXVII