Gregório de Nissa: puissance

Ce n’est pas un petit objet que j’entreprends d’étudier, quelque merveille du monde d’intérêt secondaire, mais une réalité qui dépasse sans doute en grandeur tout ce que nous connaissons puisque seule, parmi les êtres, l’humanité est semblable à Dieu. Aussi la bienveillance de mes lecteurs sera disposée à l’indulgence pour ces pages même si je reste très inférieur à mon sujet. En effet, en tout ce qui concerne l’homme, on ne doit rien laisser sans examen de ce que la foi nous enseigne de son passé, de la destinée que nous espérons pour lui dans l’avenir et de sa condition présente. Je resterais évidemment en dessous de mes promesses si dans cette considération de l’homme que j’entreprends, j’omettais l’un des points essentiels à mon dessein. En particulier, à première vue, il y a, en l’homme, des contradictions : les caractères présents de sa nature et ceux qu’il eut à l’origine n’ont apparemment entre eux aucun lien nécessaire . Ces oppositions, il faudra les résoudre grâce au récit de l’Écriture et par ce que nos raisonnements nous feront découvrir ; ainsi nous mettrons en toute cette matière un enchaînement et un ordre entre ce qui parait s’opposer, mais qui en fait tend à un seul et même but, grâce à la puissance divine qui trouve une espérance pour ce qui n’en offre plus et une issue à ce qui n’en a pas. Introduction

Afin qu’il y eût entre les êtres une liaison solide, la nature reçut en elle l’art et la puissance divine pour conduire toutes choses par deux principes. C’est grâce au repos et au mouvement, en effet, que se produisent la naissance de ce qui n’est pas comme la permanence de ce qui est ; car autour de cette partie de la nature que sa densité rend immobile, Comme autour d’un axe fixe, les pôles sont entraînés, tels une roue, dans un mouvement de rotation très rapide et l’un par l’autre, ces deux éléments sont maintenus dans une union indissoluble. Ce qui se trouve emporté par la circonférence, par la rapidité du mouvement, enserre de toutes parts la terre compacte ; de l’autre côté, la substance solide et cohérente, à cause de son immuable fixité, donne au tournoiement des choses autour d’elle une intensité sans cesse accrue. I

De la même façon, la substance humide, par ses doubles qualités, est en harmonie avec l’une et l’autre des parties opposées. Par sa pesanteur et sa tendance vers le bas, elle a une parenté marquée avec la terre. D’un autre côté, la puissance qu’elle a de s’écouler ne la rend pas tout à fait étrangère à la nature en mouvement ; mais elle permet comme le mélange et la rencontre d’éléments opposés, à savoir de la pesanteur se transformant en mouvement, et du mouvement ne rencontrant pas d’obstacle dans un corps lourd, si bien que se rejoignent l’une l’autre des substances de nature radicalement différente, grâce à l’union que mettent entre elles les substances intermédiaires. I

Bien plus, pour parler avec précision, la nature des parties opposées n’est pas en fait sans aucun mélange des propriétés de l’autre, parce que, selon moi, tous les êtres de ce monde visible ont les uns pour les autres une mutuelle inclination et que toutes les créatures conspirent entre elles, même lorsqu’elles se font connaître par des caractères opposés. Le mouvement, en effet, ne consiste pas seulement en un déplacement local, mais aussi dans l’évolution et l’altération. Or, redisons-le, la nature parfaitement immobile ne connaît pas ce mouvement qui consiste en l’altération. En dehors d’elle, la sagesse de Dieu, ayant fait l’échange des propriétés, mit l’inaltérabilité dans la substance toujours en mouvement et dans la substance en repos l’altérabilité : sans doute faisait-elle ainsi dans le dessein que l’homme, voyant en quelqu’une des créatures cette propriété de la nature divine, qui est d’être inaltérable et immuable à la fois, n’en vînt pas à tenir la créature pour Dieu. Car on ne peut prendre pour divin ce qui se meut ou s’altère. C’est pourquoi la terre est fixe, mais connaît l’altération, et le ciel, qui ne s’altère pas comme la terre, n’a pas de fixité. Ainsi la puissance divine, ayant mêlé à la substance en repos l’altération et à l’inaltérable le mouvement, rapproche comme dans une même famille les unes et les autres substances par l’échange de leurs caractères et ne permet pas qu’on puisse leur attribuer la Divinité. Comme je l’ai dit, ni l’une ni l’autre ne pourrait être tenue pour divine : ni celle qui n’est jamais en repos, ni celle qui connaît l’altération. I

Cette grande et précieuse chose qu’est l’homme n’avait pas encore trouvé place dans la création. Il n’était pas naturel que le chef fît son apparition avant ses sujets, mais ce n’était qu’après la préparation de son royaume que devait logiquement être révélé le roi, lorsque le Créateur de l’univers eut pour ainsi dire préparé le trône de celui qui devait régner . Voici la terre, les îles, la mer et sur eux, la voûte du ciel comme un toit. Des richesses de toutes sortes avaient été placées dans ces palais : par richesses, j’entends toute la création, tout ce que la terre produit et fait germer, tout le monde sensible, vivant et animé et aussi (s’il faut compter dans ces richesses ces matières que leur beauté rend précieuses aux yeux des hommes, tel que l’or, l’argent et ces pierres tant convoitées) tous ces biens que Dieu cache en abondance dans le sein de la terre comme en des celliers royaux. Alors Dieu fait paraître l’homme en ce monde, pour être des merveilles de l’univers et le contemplateur et le maître : il veut que leur jouissance lui donne l’intelligence de celui qui les lui fournit, tandis que la grandiose beauté de ce qu’il voit le met sur les traces de la puissance ineffable et inexprimable du Créateur . II

Il nous faut aussi arrêter notre attention sur ce fait qu’une fois jetés les fondements d’un pareil univers et des parties qui le constituent dans sa totalité, la puissance divine improvise pour ainsi dire la création, qui vient à l’existence aussitôt qu’ordonnée. Pour la formation de l’homme, au contraire, une délibération précède et, selon la description de l’Écriture , un plan est d’abord établi par le Créateur pour déterminer l’être à venir, sa nature, l’archétype dont il portera la ressemblance, sa fin, son genre d’activité et l’exercice de son pouvoir. L’Écriture examine tout soigneusement à l’avance, pour montrer que l’homme va obtenir une dignité antérieure à sa naissance, puisqu’il a obtenu le commandement du monde avant même de venir à l’être. En effet « Dieu dit », selon les mots de Moïse, « Faisons l’homme à notre image et ressemblance ; qu’il commande aux poissons de la mer, aux bêtes de la terre, aux oiseaux des cieux, aux animaux et à toute la terre » . Chose étonnante ! Le soleil est créé et aucune délibération ne précède. Pour le ciel il en est de même. Rien pourtant ne les égale dans la création. Or, de telles merveilles, un mot suffit pour les constituer. L’Écriture n’indique ni d’où elles viennent, ni comment, ni rien de tel. Ainsi chaque chose en particulier, l’éther, les astres, l’air qui les sépare, la mer, la terre, les animaux, les plantes, tous les êtres, d’un mot viennent à l’existence. Il n’y a que pour la création de l’homme que l’auteur de l’univers s’avance avec circonspection : il prépare d’abord la matière dont il le composera, il le conforme à la beauté d’un archétype, puis, selon la fin pour laquelle il le fait, il, lui compose une nature accordée à lui-même et en rapport avec les activités humaines, selon le plan qu’il s’est proposé . III

La stature de l’homme est droite, tendue vers le ciel et regardant en haut. Cette attitude le rend apte au commandement et signifie son pouvoir royal. Si seul parmi les êtres l’homme est ainsi fait, tandis que le corps de tous les autres animaux est penché vers le sol, c’est pour indiquer clairement la différence de dignité qu’il y a entre les êtres courbés sous le pouvoir de l’homme et cette puissance placée au-dessus d’eux. Chez les autres, en effet, les membres antérieurs du corps sont des pieds, parce que l’inclination de leur corps demandait un appui en avant ; dans la constitution de l’homme, ces membres sont devenus des mains. Pour une stature droite, un seul appui suffisait qui, grâce aux deux pieds, permet de se tenir solidement . VIII

Cet animal rationnel qu’est l’homme est en effet formé de la fusion de tous les genres d’âmes : sa nourriture, il la prend par la partie « naturelle » de son âme ; à cette puissance d’accroissement, il unit la puissance des sens, qui tient naturellement le milieu entre la substance intellectuelle et la matérielle, mais plus elle participe de la lourdeur de la matière, moins elle participe de l’intelligence. Ensuite se fait l’intime fusion entre la substance spirituelle et ce qu’il y a de plus mince et de plus lumineux dans la nature sensible, en sorte que l’homme se trouve composé de ces trois substances. VIII

En conclusion, il n’y a là aucune raison de localiser dans le foie la partie supérieure de l’âme pas plus que le bouillonnement du sang autour du coeur dans les moments de colère n’en est une de placer en celui-ci le siège de l’esprit. Il faut chercher la cause de ces faits dans la constitution même des corps Au contraire il faut estimer que l’esprit, selon un mode d’union indicible, s’attache également à chacune des parties corporelles. Si certains nous opposent l’Écriture, d’après laquelle cette partie supérieure de l’âme serait dans le coeur, il n’y a qu’à vérifier leur dire, avant de le recevoir. Celui en effet qui a fait mention du coeur parle aussi des reins : « Dieu, dit-il, examine les coeurs et les reins » , en sorte qu’il faudrait enfermer la pensée dans ces deux organes ou dans aucun. Donc, lorsque l’on me dit que l’activité de l’esprit est émoussée ou même disparaît totalement dans telles ou telles dispositions du corps, je ne vois pas là une preuve suffisante pour circonscrire la puissance de l’esprit en un certain lieu : en ce cas, des tumeurs formées en ces régions diminueraient la place réservée à l’esprit. C’est seulement lorsqu’il s’agit des corps qu’on ne peut trouver où les mettre, si le récipient a été précédemment rempli. La nature spirituelle ne cherche pas à remplir le vide laissé par les corps ; elle n’est pas non plus chassée d’un endroit, quand la chair y est trop abondante. XII

Nous avons été amenés à faire ces réflexions subsidiaires à propos du but premier de ce chapitre. Nous nous demandions si la puissance spirituelle a son siège dans une partie spéciale de notre être ou si elle s’étend pareillement en toutes. Certains, disions-nous, assignent à l’esprit une localisation et ils fondent leur supposition sur ce fait que l’exercice de la pensée est arrêté chez ceux dont les méninges sont malades. Notre raisonnement a montré qu’en tout organe du composé humain, qui a de soi une activité propre, la puissance de l’âme peut rester sans effet, si l’organe en question ne se maintient pas dans l’ordre naturel. Ces considérations nous ont amenés à introduire dans la suite de l’exposé le principe énoncé ci-dessus, où nous voyons que dans le composé humain, l’esprit est gouverné par Dieu, et notre vie matérielle par l’esprit, lorsqu’elle garde l’ordre de la nature. Mais se détourne-t-elle de cet ordre, elle devient étrangère à l’influence de l’esprit. Là-dessus revenons au point d’où nous étions partis, à savoir que sur les parties de notre être qui ne se détournent pas de leur constitution naturelle à la suite de quelque passion (pathos), l’esprit exerce sa puissance propre ; il a de la force sur les organes en bon état mais il est impuissant sur ceux qui ne laissent pas place a son activité. D’autres arguments peuvent encore servir à établir cette façon de penser ; si vous n’êtes pas fatigué par ce que nous avons dit, autant que j’en suis capable, je donnerai encore quelques explications sur ces matières. XII

Dans l’activité du corps, bien que chaque partie ait une fonction propre liée à la puissance qui est en elle, il n’y en a pas moins corrélation entre la partie en repos et celle qui est soumise au mouvement ; de la même façon dans l’âme, même si une de ses parties est en repos et l’autre en mouvement, l’ensemble reste en liaison avec ses parties. Car on ne peut admettre que l’unité naturelle de l’âme soit entièrement dissoute par la prédominance de l’activité d’une des puissances sur une partie. Mais de même que chez ceux qui sont éveillés et en exercice, l’esprit domine et le sens sert, alors que cependant la partie nutritive du corps ne fait pas défaut au reste (l’esprit fournit la nourriture nécessaire, le sens la reçoit et la force nutritive du corps l’assimile) ; de la même façon durant le sommeil l’ordre de commandement de ces puissances est en nous comme inversé : alors que commande la partie irrationnelle, l’activité des autres cesse, mais ne s’éteint pas tout à fait. A ce moment la partie nutritive est occupée, grâce au sommeil, à la digestion, et elle assure le soin de toute la nature ; mais alors la force de la sensation n’est pas tout à fait détendue (ce que la nature a une fois uni ne peut être ensuite complètement séparé), sans que son activité puisse pourtant s’exercer au grand jour, à cause de l’inactivité des sens pendant le sommeil. Il faut en dire autant de l’esprit : comme il est uni à la partie sensitive de l’âme, il serait logique d’affirmer que les mouvements de celle-ci déterminent les mouvements de l’esprit et que son repos amène le repos de l’esprit. C’est ainsi que normalement il arrive pour un feu. Lorsque de tous côtés on l’a recouvert de pailles mais qu’aucun souffle ne vient agiter la flamme, celle-ci ne se répand pas sur les matières environnantes. Cependant le feu n’est pas tout à fait éteint ; mais, au lieu d’une flamme, la paille ne donne qu’une vapeur. Le vent vient-il à s’en emparer, la paille change la fumée en flamme. De la même façon l’esprit, recouvert pendant le sommeil par suite de l’inaction des sens, n’a pas la force de faire briller en eux sa lumière ; mais il n’est pas tout à fait éteint. Son mouvement est celui de la fumée : il a bien quelque activité, mais elle est sans force. Un musicien, qui frappe le plectre sur les cordes relâchées de sa lyre, ne fait pas entendre de chant régulier, car une corde, si elle n’est pas tendue, ne résonne pas. Alors sa main a beau être fidèle à son art et poser le plectre à l’endroit voulu, aucun son n’en sort, mais un bruit sourd qui n’a ni sens ni ordre et qui vient du mouvement des cordes. Ainsi l’ensemble des organes des sens est relâché par le sommeil et, ou bien l’artiste se repose tout à fait, quand une trop grande fatigue ou quelque lourdeur ont entièrement détendu l’instrument, ou bien son activité reste sans vigueur et indistincte, quand l’organe des sens est incapable de recevoir exactement son impression. La mémoire alors est confuse et notre connaissance de l’avenir sommeille sous des voiles incertains ; l’imagination nous présente l’image d’objets dont nous nous occupions éveillés et il arrive souvent que nous y trouvions l’indication d’événements à venir. Car alors la mémoire, par la subtilité de la nature, dépasse la lourdeur corporelle et peut apercevoir quelque objet existant. Sans doute n’a-t-elle pas le pouvoir de faire comprendre nettement ce qu’elle dit et d’annoncer clairement l’avenir, mais la manière dont elle le montre reste incertaine et amphibologique, à quoi les interprètes des songes donnent le nom d’énigmes. Ainsi l’échanson broie des grappes de raisin dans la coupe du pharaon ; ainsi le panetier se voit en songe en train de porter des corbeilles : chacun pendant ses songes se croit dans ses occupations de l’état de veille. L’impression, dans la partie de l’âme qui regarde l’avenir, des objets qui étaient l’occupation ordinaire de ces hommes, a fait qu’occasionnellement leur a été prédit quelque événement à venir, grâce à cette prévision de l’esprit. XIII

Les prédictions que Daniel, Joseph et leurs semblables firent par une puissance divine et sans aucun trouble causé par les sens, n’ont rien à voir avec le cas que nous envisageons. Personne ne saurait attribuer ces effets à la puissance des songes : ce serait logiquement admettre que ces manifestations de Dieu qui se font dans l’état de veille ne sont pas une vue directe, mais la suite de l’activité normale de la nature. Or, de même que tous les hommes sont conduits par leur propre esprit et qu’un petit nombre seulement est jugé digne de la fréquentation directe de Dieu, de même tous ont également reçu de la nature la même puissance d’imagination durant le sommeil, tandis que quelques-uns seulement, et non tous, peuvent recevoir par les rêves une manifestation divine. Chez tous les autres, même si les songes permettent quelque prévision, elle se fait de la façon que j’ai dite . XIII

Nous avons découvert en ce qui vit trois facultés distinctes : la première, « nutritive », n’a pas la sensation ; la seconde, nutritive et sensitive à la fois, n’a pas l’activité rationnelle ; enfin la dernière, rationnelle et parfaite, se répand à travers toutes les autres, en sorte qu’elle est présente en toutes et à l’esprit en sa partie supérieure. Cependant on ne doit pas en conclure que le composé humain soit formé d’un mélange de trois âmes que l’on pourrait considérer dans leurs délimitations propres et qui donnerait à penser que notre nature est un composé de plusieurs âmes. En réalité l’âme, dans sa vérité et sa perfection, est une par nature, étant à la fois spirituelle et sans matière et, par les sens, se trouvant mêlée à la nature matérielle. Toute partie matérielle soumise au changement et à l’altération, se développera si elle participe de la puissance de l’âme. Mais si elle s’éloigne de l’âme qui lui donne la vie, elle perd son mouvement. Aussi, comme il n’y a pas de sensation sans substance matérielle, en dehors de la puissance spirituelle, les sens à leur tour ne peuvent avoir d’activité. XIV

Par suite celui qui connaît les êtres, comme dit la Prophétie, avant leur apparition, comme il a tout suivi de près ou mieux, comme il a vu à l’avance dans sa « puissance presciente » la pente que prendra, en pleine possession de soi-même, le mouvement de la liberté humaine, dans sa connaissance de l’avenir, il établit dans son image la division en mâle et femelle, division qui ne regarde plus vers le modèle divin, mais, comme il a été dit, nous range dans la famille des êtres sans raison. XVI

Quand l’Écriture dit : « Dieu créa l’homme », par l’indétermination de cette formule, elle désigne toute l’humanité. En effet, dans cette création Adam n’est pas nommé, comme l’histoire le fait dans la suite : le nom donné à l’homme créé n’est pas « un tel » ou « un tel », mais celui de l’homme universel. Donc, par la désignation universelle de la nature, nous sommes amenés à supposer quelque chose comme ceci : par la prescience et par la puissance divine, c’est toute l’humanité qui, dans cette première institution, est embrassée . XVI

En effet, nécessairement, rien n’est indéterminé pour Dieu dans les êtres qui tiennent de lui leur origine, mais chacun a sa limite et sa mesure, circonscrites par la sagesse de son Auteur. De même que tel homme en particulier est délimité par la grandeur de son corps et que son existence est mesurée par la grandeur répondant exactement à la surface de son corps, de même, je pense, l’ensemble de l’humanité est tenue comme dans un seul corps, grâce à la « puissance presciente » que Dieu a sur toutes choses. C’est ce que veut dire l’Écriture, lorsqu’elle dit que « Dieu créa l’homme et qu’il le fit à l’image de Dieu ». XVI

C’est pourquoi un seul homme a servi à désigner l’ensemble parce que pour la puissance de Dieu, il n’y a ni passé ni futur, mais ce qui doit arriver comme ce qui est passé est pareillement soumis à son activité qui embrasse le tout. Aussi toute la nature qui s’étend du début jusqu’à la fin constitue une image unique de celui qui est. La distinction de l’humanité en homme et femme, à mon avis, a été, pour la cause que je vais dire, surajoutée après coup au modelage primitif. XVI

Celui qui amène toutes choses à l’être et qui, dans son propre vouloir, forme tout l’homme selon l’image divine, répugne à voir se constituer la plénitude numérique des âmes humaines par les apports successifs de générations ; sa puissance presciente conçoit globalement dans son ensemble toute la nature humaine et l’élève au pied d’égalité avec les anges. Mais, comme sa puissance qui voit tout lui montre à l’avance la déviation de notre liberté hors de la route droite et la chute qui s’ensuit, loin de la vie des anges, afin de ne pas mutiler le total des âmes humaines qui ont perdu le mode d’accroissement de l’espèce angélique, Dieu, pour ces raisons, établit pour notre nature un moyen plus adapté à notre glissement dans le péché : au lieu de la noblesse des anges, il nous donne de nous transmettre la vie les uns aux autres, comme les brutes et les êtres sans intelligence. De là vient sans doute que le grand David, prenant en pitié la misère humaine, gémit sur nous en ces termes : « L’homme qui était en dignité n’a pas compris » , – en dignité, c’est-à-dire dans un état pareil à celui des anges. A cause de cela, continue-t-il, il a été rejeté dans la compagnie des bêtes sans raison et leur est devenu semblable. Il est réellement devenu bestial, celui qui a reçu ce genre de naissance qui le fait déchoir, à cause de son penchant vers la matière. XVII

Le vice n’est pas si fort qu’il puisse avoir le dessus sur la puissance du bien et l’inconstance de notre nature ne saurait avoir plus de force ou de stabilité que la sagesse de Dieu. Car l’être toujours mobile et changeant ne peut l’emporter en fixité sur celui qui, établi dans le bien, est toujours identique à lui-même. Tandis que le vouloir divin, partout et toujours, reste immuable, notre nature mobile ne s’arrête pas, même dans le mal. XXI

Nous, nous croyons que tout vient de Dieu, sur l’affirmation de l’Écriture. Quant à dire comment tout était en Dieu, nous estimons ne pas devoir nous y arrêter, comme à un point dépassant notre raison. Nous croyons que tout est possible à la puissance divine : d’amener à l’existence ce qui n’est pas, comme de donner à ce qui existe les qualités qui lui conviennent. XXIII

La conclusion logique est donc : si pour tirer les choses du néant à l’être, la puissance du vouloir divin suffit, de la même façon lorsque nous ferons appel à cette même puissance pour cette restauration universelle des choses, nous n’admettrons rien qui sorte de la vraisemblance. Cependant je crois possible de persuader par quelques raisons ceux qui nous font de subtiles difficultés sur la matière ; ainsi nous ne paraîtrons pas, par manque d’arguments, passer à côté de la discussion. XXIII

Où sont maintenant ces palais ? où est le temple ? où sont ses murailles ? où sont les défenses des tours ? où est la puissance des Israélites ? N’ont-ils pas été dispersés presque par toute la terre et la ruine de leurs palais n’a-t-elle pas accompagné leur chute ? XXV

Si un agriculteur explique la puissance cachée dans une semence et si l’homme à qui il parle, ignorant l’agriculture, ne le croit pas sur parole, il suffit au paysan, pour prouver ce qu’il dit, de montrer dans une seule semence ce qu’il y a dans toutes celles d’un « médimne » et par elle de se porter garant de tout le reste. Quand on a vu un seul grain de blé ou d’orge ou toute autre graine contenue dans un « médimne » devenir un épi après son ensemencement en terre, on ne peut pas plus douter de l’ensemble que d’un seul. Aussi, à mon avis, le mystère de la Résurrection est suffisamment, prouvé, si les autres prédictions sont reconnues justes. Bien plus, nous avons l’expérience de la Résurrection et nous en sommes instruits, non pas tant par des discours, que par les faits eux-mêmes. Étant donné que la Résurrection constitue une merveille incroyable, le Christ commence par des miracles moins extraordinaires et habitue doucement notre foi à de plus grands. Une mère qui adapte la nourriture à son enfant, allaite de son sein au début la bouche encore tendre et humide ; puis, quand poussent les dents et que l’enfant grandit, elle ne commence pas à lui offrir un pain dur et impossible à digérer, qui par sa rudesse blesserait des gencives molles et sans exercice, mais avec ses propres dents elle mâche le pain, pour le mesurer et l’adapter à la force de celui à qui elle le donne ; enfin, quand le permet le développement des forces de l’enfant, elle le conduit doucement de nourritures plus tendres à une nourriture plus solide. Ainsi le Seigneur, vis-à-vis de la faiblesse de l’esprit humain : nous nourrissant et nous allaitant par des miracles comme un enfant encore imparfait, il donne d’abord une idée de la puissance qu’il a pour nous ressusciter par la guérison d’un mal incurable : cette action est grande, mais pas telle que nous ne puissions y croire. XXV

Ensuite il manifeste un peu plus sa puissance, en rendant à la vie le fils de l’officier royal qui, de l’avis de tous, était en danger et que l’on s’attendait à voir mourir (il était en effet sur le point de mourir, dit l’Évangile, et le père criait : « Descends avant que ne meure mon enfant » ). Il montre un peu plus sa puissance par le fait qu’il ne s’est pas même approché de l’endroit où était le malade, mais que de loin il lui a rendu la vie par la force de son commandement. XXV

Puis il s’élève encore dans ses miracles et, par une puissance plus grande, il met les hommes sur la route de la foi en la Résurrection. L’Écriture parle de Naïm, ville de Judée. En cette ville, était le fils unique d’une veuve ; il n’était plus un enfant, encore au rang des adolescents : il atteignait l’âge d’homme. L’Écriture l’appelle un « jeune homme ». Le récit dit beaucoup en quelques lignes : c’est un vrai chant de deuil. La mère du mort, dit-il, était veuve. Vous voyez la profondeur du malheur et combien en peu de mots l’Écriture rend tout le tragique du mal. Que dit-elle en effet ? que la mère n’avait même plus l’espoir d’avoir d’autres enfants pour se guérir de la perte de celui-là : « Cette femme était veuve. » Elle ne pouvait porter ses yeux sur un autre enfant qui remplacerait le disparu : « Ce fils était unique. » La grandeur de ce malheur, tous ceux qui ne sont pas étrangers à la nature la comprendront sans peine : elle n’avait connu que lui dans ses entrailles, elle n’avait allaité que lui à son sein ; lui seul était la gaieté de sa table ; lui seul illuminait de joie la maison, quand elle le voyait jouer, travailler, faire de la gymnastique, vivre joyeux, s’en aller en public, dans les palestres ou dans les assemblées de jeunes ; lui seul était tout ce qu’il y a de doux et de précieux aux yeux d’une mère. Il était en âge de se marier et était l’unique rejeton de sa famille, le rameau de sa succession et le bâton de sa vieillesse. La mention de l’âge, en particulier, est encore un chant de deuil : l’Écriture, le désignant comme un « jeune homme », exprime la fleur de l’âge qui s’est consumée, le duvet encore tendre, la barbe qui pousse à peine et les joues encore brillantes de beauté. Que devait donc éprouver la mère ? Ses entrailles brûlaient comme un feu. Quelle amertume devait avoir son chant de deuil, tandis qu’elle entourait le cadavre dans ses bras ! Comme elle devait retarder pour le mort les soins funèbres et se remplir du malheur par des gémissements incessants. Alors l’Évangile n’omet pas non plus ce trait : « La voyant, Jésus fut remué profondément. S’avançant, il toucha le cercueil et les porteurs s’arrêtèrent. Puis il dit au mort : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi. Et il le rendit vivant à sa mère. » Bien qu’il ne fût pas encore déposé dans le tombeau, le jeune homme était mort depuis assez longtemps. L’ordre du Seigneur est le même que précédemment, mais le miracle est plus grand. XXV

Le Christ s’en va maintenant accomplir un miracle plus sublime, afin que les oeuvres visibles nous fassent approcher du miracle incroyable de la Résurrection. Un des amis et familiers du Seigneur était malade : il s’appelait Lazare. Le Seigneur, qui se trouvait loin de lui, refuse de visiter son ami, afin de donner à la mort en l’absence de la Vie occasion et puissance de faire son oeuvre par la maladie. Le Seigneur en Galilée signifie à ses disciples l’état de Lazare ; il leur dit en particulier qu’il va partir pour aller le voir et faire lever celui qui est couché. Ceux-ci, peu assurés devant la brutalité des Juifs, trouvent pleine de difficultés et de risques la présence de Jésus en Judée au milieu de ceux qui veulent Le tuer. Aussi ils tardent et remettent toujours. Enfin, avec le temps, ils quittent la Galilée : le Seigneur les dominait par sa puissance et les conduisait. Il devait les initier à Béthanie aux préfigurations de la Résurrection universelle. XXV

Est-ce là peu de chose pour fonder notre foi en la Résurrection des morts ? Cherchez-vous encore d’autres témoignages pour confirmer votre jugement sur ce point ? EH bien ! Ce n’est pas sans raison, je crois, que le Seigneur, voulant traduire la pensée des hommes à son sujet, dit ces mots aux Capharnaïtes : « Sans doute, m’appliquerez-vous ce proverbe : « Médecin, guéris-toi toi-même. » Celui qui sur les corps des autres a habitué les hommes à la merveille de la Résurrection devait affermir sur lui-même la foi en sa parole. Vous voyez qu’un appel de lui produit son effet chez les autres : des hommes sur le point de mourir, l’enfant qui vient à peine d’expirer, le jeune homme porté au tombeau, le mort déjà corrompu, tous, à un seul commandement, sont rappelés également à la vie. Vous demandez où sont ceux qui sont morts dans des blessures et dans le sang, afin que la défaillance en ce point de sa puissance vivifiante n’amène pas le doute sur ses bienfaits : voyez celui dont les mains ont été transpercées par les clous, voyez celui dont le côté a été traversé par la lance. Portez vos doigts à l’endroit des clous. Avancez votre main dans la blessure faite par la lance. Vous pourrez constater de combien la pointe de celle-ci a dû s’enfoncer à l’intérieur, en calculant sa pénétration par la largeur de la blessure. La plaie laisse la place à une main d’homme ! Vous pouvez supposer combien le fer est allé profond. Si cet homme est ressuscité, on peut bien conclure en redisant le mot de l’Apôtre : « Comment certains disent-ils qu’il n’y a pas de Résurrection des morts ? » XXV

Il y a des gens qui, par suite du manque de vigueur de nos raisons humaines, jugent à notre mesure la puissance divine et tiennent pour impossible à Dieu tout ce que nous ne pouvons comprendre. Ils nous montrent l’anéantissement de ceux qui sont morts depuis longtemps, les restes de ceux qui ont été réduits en cendres par des bûchers ; ils y joignent le cas des carnivores, et ce poisson qui, ayant dévoré la chair d’un naufragé, est devenu à son tour la nourriture des hommes et que la digestion a transformé dans le corps même de celui qui l’a mangé . Ils passent encore en revue beaucoup d’autres raisons méprisables et indignes de la toute-puissance de Dieu, pour renverser notre doctrine, comme si Dieu ne pouvait pas à nouveau par les mêmes chemins rétablir l’homme en sa nature par le moyen de la Résurrection. XXVI

Peut-être, si vous considérez les éléments de l’univers, il vous paraît difficile que, après le retour de l’air qui est en nous à ses éléments premiers et de même après le mélange du chaud, de l’humide et de la terre avec leurs éléments naturels, de nouveau, à partir de cette masse commune, ce qui appartient à chacun retourne à son propriétaire. N’avez-vous donc pas réfléchi, par des exemples tirés de la vie humaine, que cela même n’est pas au-dessus des bornes de la puissance divine ? Vous avez certainement vu, dans des lieux habités par des hommes, un seul troupeau formé de la réunion d’animaux appartenant à différents propriétaires : lorsque vient le moment de répartir à nouveau les bêtes entre leurs possesseurs, l’habitude des animaux de se rendre à l’étable ou certains signes qu’ils ont sur eux permettent à chaque maître de retrouver son bien. A votre propos, imaginez quelque chose de semblable et vous ne serez pas loin de la vérité. L’âme a naturellement en elle une inclination affectueuse pour le corps avec qui elle habite et, à cause de son union avec lui, elle possède une aptitude secrète à reconnaître son familier, comme si naturellement elle conservait quelques marques spéciales, lui permettant, dans cette masse commune, de discerner son bien demeuré sans mélange. Si l’âme tire de nouveau à elle ce qui lui appartient par un lien de parenté, pourquoi interdire à la puissance divine de rassembler les éléments de même famille qui, par une attraction spontanée, se portent d’eux-mêmes vers ce qui est à eux ? XXVII

Puisque l’homme est un, dans sa composition d’âme et de corps, son être ne doit avoir qu’une seule et commune origine : autrement dit, si le corps venait d’abord et l’âme ensuite, il faudrait dire l’homme à la fois plus ancien et plus jeune que lui-même. Comme nous l’avons expliqué un peu plus haut, nous tenons que la puissance presciente de Dieu établit d’abord le genre humain en sa totalité, selon le témoignage du Prophète , disant que Dieu connaît toutes choses avant qu’elles viennent au monde. Quant à la création des êtres particuliers, un principe ne précède pas l’autre dans l’existence : ni l’âme ne vient avant le corps, ni l’inverse : l’homme ainsi partagé par une différence temporelle serait comme en conflit avec lui-même. XXIX

Si, dans notre nature qui, selon l’enseignement de l’Apôtre, est double, – comprenant l’homme visible et l’homme caché, – l’un était premier et l’autre ne venait qu’ensuite, la puissance du Créateur serait convaincue d’imperfection : dans ce cas, elle ne suffirait pas à créer le tout dans son ensemble, mais elle diviserait son travail et s’occuperait une à une de chacune de ces deux parties. Dans le grain de blé ou dans n’importe quelle autre semence, sont déjà contenus en puissance tous les traits de l’épi, avec l’herbe, la paille, les fruits et les épis ; dans l’ordre suivi par la nature, aucun de ces éléments n’existe ou ne vient avant la semence, mais, selon une succession naturelle, la force intérieure à la semence se manifeste peu à peu, sans qu’une autre substance ait à s’y introduire. De la même façon, pensons-nous, dès le premier moment de sa formation, la semence humaine contient répandue en elle la puissance de la nature. XXIX

Comme dans l’embryon déposé en vue de la conception du corps, on ne peut encore distinguer, avant leur formation, les articulations des membres, on ne peut pas davantage y constater les propriétés de l’âme, avant que celle-ci n’en vienne à exercer son activité. Mais comme il ne fait de doute pour personne que l’embryon ne contienne les grands traits de la différenciation en membres et en viscères, sans qu’il faille y introduire une force étrangère, puisque la force inhérente à l’embryon amène naturellement cette transformation par l’activité qu’elle possède, nous pouvons raisonner de même au sujet de l’âme : même si elle ne se manifeste pas au grand jour par certaines activités, elle n’en est pas moins présente dans l’embryon. En effet la configuration de l’homme à venir y est déjà en puissance, mais l’âme est encore cachée, puisqu’elle ne peut se manifester que selon l’ordre nécessaire. Ainsi elle est présente, mais invisible ; elle ne paraîtra que grâce à l’exercice de son activité naturelle, en accompagnant le développement du corps. XXIX

Mais nous ne parlons pas encore, à propos de l’élément corporel de cet embryon, de chair, d’os, de cheveux et de tout ce que nous voyons en l’homme fait : chacune de ces parties n’est qu’en puissance et ne paraît pas encore au grand jour ; de même en ce qui concerne l’âme, nous disons que la « raison », l’ « appétit », le « coeur » et tous ses attributs n’ont pas encore dans l’embryon la place qui leur revient : les activités de l’âme se développent en corrélation avec la formation et le perfectionnement du corps qui la reçoit. De même qu’un homme arrivé à maturité fait paraître au dehors l’activité de l’âme, ainsi dès sa formation, l’action que l’âme exerce est adaptée et mesurée au besoin présent et elle se traduit par ce fait que l’âme se construit pour elle-même, à travers la matière déposée dans le sein maternel, la demeure qui lui convient. Car, selon nous, il est impossible qu’elle s’ajuste à des demeures étrangères, comme il ne peut arriver qu’une empreinte faite dans une cire corresponde ensuite à un autre sceau. En effet, de même que le corps passe progressivement de la petitesse à sa perfection, ainsi l’activité de l’âme se développe et s’accroît en connexion avec le corps. Au temps de la première formation, comme dans une racine cachée en terre, seule apparaît la force d’accroissement et de nutrition. La petitesse du corps qui reçoit cette activité n’en supporte pas davantage. Ensuite, quand la plante vient à la lumière et produit un germe au soleil, fleurit la vie sensitive. Enfin, quand le corps vient à maturité et s’élève à sa taille propre, commence à briller comme un fruit la force de la raison ; mais cela ne se fait pas d’un coup : elle suit avec soin le perfectionnement de l’instrument et elle porte du fruit dans la mesure où le permet la force du corps qui la reçoit. XXIX

La pauvreté de notre nature se fait sentir dans le besoin absolu où elle est de tout ce qui est nécessaire à son existence : non seulement elle manque d’un air qui lui appartienne et d’un souffle qui réveille sa chaleur, puisqu’elle ne cesse de l’introduire en elle de l’extérieur pour la conservation de la vie, mais aussi elle prend la nourriture au dehors pour entretenir la masse corporelle. C’est pourquoi elle satisfait à nos besoins par la nourriture et la boisson, mettant en nous le moyen d’attirer ce qui lui manque et de rejeter ce qui est de trop. En ce travail, d’ailleurs, la chaleur cardiaque fournit à la nature une aide précieuse. Selon ce que nous avons admis, en effet, la partie principale du vivant est le coeur : par son souffle (pneuma) chaud, il réchauffe chaque partie une à une. Aussi il exerce son action de partout par la puissance efficace qu’il possède, selon la disposition du créateur voulant que chaque partie ait son activité et son emploi pour le bien de l’ensemble. De là vient que placé en dessous et en arrière du poumon, par la continuité de son mouvement, il assure d’un côté, en tirant vers lui le poumon, l’élargissement des conduits pour l’aspiration et de l’autre, en le soulevant à nouveau, l’évacuation de l’air reçu. De là vient aussi que, réuni à la partie supérieure du ventre, il le réchauffe pour le rendre capable d’accomplir sa fonction : il ne l’excite pas pour aspirer l’air, mais pour qu’il reçoive sa nourriture. Les passages du souffle et de la nourriture sont en fait voisins ; sur toute leur longueur, ils viennent à la rencontre l’un de l’autre, puis ils se rejoignent vers le haut, au point de n’avoir qu’un même orifice et de terminer leurs conduits dans une seule bouche, d’où par l’un se fait l’introduction de la nourriture, par l’autre celle du souffle. Mais en profondeur, l’union entre ces conduits n’existe plus du tout : le coeur, tombant au milieu du siège de l’un et de l’autre, donne à l’un ce qu’il faut pour respirer, à l’autre ce qu’il faut pour se nourrir. La substance ignée en effet recherche naturellement une substance combustible et elle la trouve nécessairement dans le réceptacle de la nourriture. Plus ce réceptacle est chaud, à cause de la chaleur environnante, plus sont attirées en même temps les substances capables de nourrir la chaleur. Cette attirance, nous l’appelons « appétit ». XXX

Le foie, plus que le reste, avait besoin de l’aide de la chaleur pour convertir en sang les substances humides ; mais, comme par position, il se trouve loin du coeur – (je ne crois pas possible qu’étant lui-même principe et source d’énergie, il se trouve à l’étroit par le voisinage d’un autre principe) -, pour que notre organisme n’ait cependant pas à souffrir de l’éloignement de la substance calorifique, un conduit semblable aux nerfs (que les savants en ces matières appellent « artère ») reçoit du coeur le souffle chaud et l’apporte au foie ; il communique avec le coeur près de l’endroit où s’introduisent les substances humides et comme sa chaleur fait bouillir celles-ci, il leur fait part de sa parenté avec le feu, en donnant au sang une coloration de feu. Deux conduits jumelés prennent là naissance : l’un et l’autre, en forme de tuyau, contiennent le premier le souffle, le second le sang. Il en est ainsi pour faciliter le passage à la matière humide qui suit le mouvement de la chaleur et est par elle rendue plus légère. De là ils se répandent et se divisent sur tout le corps en mille conduits et ramifications qui atteignent tous les organes. Cette union des deux principes des forces vitales – de celle qui envoie la chaleur et de celle qui envoie l’humide à travers le corps, – leur permet de communiquer à la puissance qui gouverne toute notre vie leurs propriétés comme un présent dont celle-ci ne pouvait se passer. XXX

Je veux parler ici de la force qui est dans les méninges et le cerveau. Que l’on considère les mouvements des membres, les contractions des muscles, la réception en chacune des parties du souffle (pneuma) envoyé par la volonté , cette force, comme par un dessein prémédité, apparaît être la cause de l’activité et du mouvement dans cette statue faite de terre que nous sommes. Les éléments les plus purs de la substance calorifique et les plus légers de l’humide s’unissent très intimement en ces deux puissances pour nourrir et soutenir le cerveau par le moyen des vapeurs . Ces vapeurs, pour se répartir, sont rendues excessivement minces et elles enduisent par en dessous la membrane qui entoure le cerveau ; celle-ci, allant de haut en bas, a la forme d’une flûte et, à travers les vertèbres successives, emmène avec elle la moelle qu’elle contient jusqu’à la dernière vertèbre dorsale où elle s’arrête. A toutes les jointures des os et des articulations, aux origines des muscles, comme un cocher, elle communique l’excitation et la puissance du mouvement et du repos. Cette constitution rendait, je crois, nécessaire une plus grande protection de cette membrane. Aussi dans la tête, celle-ci est encerclée de la double défense des os ; dans les vertèbres, elle est protégée à la fois par les défenses des épines et par les entrelacements de toutes sortes qu’elles présentent. Ces défenses qui l’entourent la mettent à l’abri de toute atteinte. XXX