Gregório de Nissa: mort

Que signifie la stature droite de l’homme ? Pourquoi son corps n’a-t-il pas, pour protéger sa vie, des forces naturelles ? En fait l’homme vient au monde, dépouillé de protections naturelles, sans armes et dans la pauvreté, manquant de tout pour satisfaire aux besoins de sa vie : apparemment il mérite plus la pitié que l’envie. Comme armes, il n’a ni les défenses des cornes, ni les pointes des ongles, ni sabots, ni dents, ni aiguillon empoisonné pour donner la mort, tous ces organes enfin que la plupart des vivants ont sur eux pour se défendre des blessures ; son corps n’est pas non plus recouvert d’une enveloppe de poils. VII

Selon l’Église, en quoi consiste la grandeur de l’homme? Non à porter la ressemblance de l’univers créé, mais à être à l’image de la nature de celui qui l’a fait. Quel est le sens de cette attribution d’« image » ? Comment, dira-t-on, l’incorporel est-il semblable au corps ? Comment ce qui est soumis au temps est-il semblable à l’éternel ? Ce qui se modifie à ce qui ne change pas ? À ce qui est libre et incorruptible ce qui est soumis aux passions et à la mort ? À ce qui ne connaît pas le vice ce qui en tout temps habite et grandit avec lui ? Il y a une grande différence entre le modèle et celui qui est « à l’image ». Or l’image ne mérite parfaitement son nom que si elle ressemble au modèle. Si l’imitation n’est pas exacte, on a affaire à quelque chose d’autre, mais non à une image. Comment donc l’homme, cet être mortel, soumis aux passions et qui passe vite, est-il image de la nature incorruptible, pure et éternelle ? Seul celui qui est la vérité sait clairement ce qu’il en est. Pour nous, selon notre capacité, par des conjectures et des suppositions, nous suivrons la vérité à la trace. Voici donc sur ces points ce que nous supposons : D’un côté, la parole divine ne ment pas, lorsqu’elle fait de l’homme l’image de Dieu ; de l’autre, la pitoyable misère de notre nature n’a pas de commune mesure avec la béatitude de la vie impassible. Il faut choisir : quand nous mettons en comparaison Dieu et notre nature, ou la divinité est soumise aux passions, ou l’humanité est établie dans la liberté de l’esprit, si l’on veut chez les deux à la fois parler de ressemblance. Mais si ni la divinité ne connaît les passions ni notre nature ne les exclut, avons-nous un moyen de vérifier l’exactitude de la parole divine : « L’homme a été fait à l’image de Dieu » ? Revenons à la divine Écriture elle-même pour voir si la suite du récit ne donnera pas à nos recherches quelque fil conducteur. Après la parole : « Faisons l’homme à notre image » et après avoir indiqué la fin de cette création, elle poursuit : « Dieu fit l’homme et Il le fit à son image. Il les fit mâle et femelle…». Déjà précédemment, on a vu que cette parole a été proférée à l’avance contre l’impiété des hérétiques, afin de nous apprendre que, si Dieu le Fils unique fit l’homme « à l’image de Dieu », il n’y a pas de différence à mettre entre la divinité du Père et celle du Fils, puisque la Sainte Écriture les appelle Dieu l’un et l’autre, celui qui a fait l’homme et celui à l’image de qui il a été fait. Mais laissons ce point pour revenir à notre sujet : Comment, si la divinité est heureuse et l’humanité malheureuse, se peut-il que l’Écriture dise celle-ci « à l’image » de celle-là ? XVI

Avant d’explorer l’objet de ce chapitre, peut-être vaut-il mieux chercher la solution d’une difficulté de nos adversaires. Ils disent qu’avant la faute, le récit ne parle ni d’enfantement, ni des douleurs qui l’accompagnent, ni d’instinct de procréation. Quand Dieu chasse Adam et Ève du paradis après leur faute et que la femme est condamnée aux douleurs de l’enfantement, alors seulement Adam vient connaître sa compagne en mariage et la première procréation a lieu. Si donc dans le Paradis il n’y avait ni mariage ni douleurs ni enfantement, il est, à leur avis, nécessaire d’en conclure que la multiplication de la vie humaine ne se serait pas faite, si le bienfait de l’immortalité ne nous avait été enlevé pour nous faire mortels et si le mariage, grâce aux naissances, n’avait préservé la nature, en amenant à la vie de nouveaux êtres à la place des disparus. Si bien que d’une certaine façon la faute qui s’introduit dans la vie humaine eut son utilité : sans elle, la race humaine en serait restée au couple primitif, puisque la crainte de la mort n’aurait pas été là pour pousser la nature à se reproduire. XVII

Quand donc on parle de la plantation de Dieu dans l’Eden (Eden signifie «jouissance»), il faut penser à un fruit en rapport avec elle et ne pas hésiter à en faire la nourriture de l’homme, sans songer pour cette vie du paradis à notre nourriture passagère et fuyante : « Vous mangerez, dit Dieu, de tout arbre qui est dans le Paradis. » Qui donnera à celui qui a la véritable faim cet arbre-là, celui qui est dans le paradis, cet arbre qui renferme tout bien, qui est désigné par ce mot « tout », et dont l’Écriture accorde à l’homme la participation ? En ce mot qui désigne un ensemble et s’élève au-dessus de tout, est contenu naturellement l’idée de tout bien et par un seul arbre est signifié le tout. Qui m’écartera au contraire de goûter à cet arbre mélangé et participant de deux genres ? Ceux qui y regardent de près voient clairement quel est ce « tout », dont le fruit est la vie et aussi quel est cet arbre au fruit mélangé, dont le terme est la mort ? Celui, en effet, qui remet sans réserve à l’homme la jouissance du tout, le détourne absolument par ses paroles et ses conseils de toucher à ces biens « mélangés » . Pour interpréter cette parole, les meilleurs maîtres me semblent être le grand David et le sage Salomon. Tous les deux pensent que le bienfait unique de la jouissance qui nous est accordée, c’est le vrai Bien lui-même, qui est précisément « tout bien ». David dit : « Jouissez du Seigneur » et Salomon nomme « arbre de vie cette Sagesse même » qui est le Seigneur. XIX

Donc l’expression « tout arbre » désigne la même chose que l’arbre de vie, celui dont l’Écriture fait don pour sa nourriture à celui qui a été façonné selon Dieu. Un autre arbre est entièrement distingué de celui-là : c’est celui dont la manducation met en nous la connaissance du bien et du mal : non que de sa nature, il produise en partie l’un et l’autre de ces opposés, mais il fait fleurir un fruit tout mélangé, composé des qualités contraires. Le maître de la vie nous empêche d’en manger ; le serpent nous le conseille, afin de donner ainsi une entrée à la mort. Et son conseil est persuasif, car il entoure le fruit de belles couleurs et de charme, afin qu’il paraisse agréable et qu’il excite en nous le désir d’en goûter. XIX

Donc l’arbre qui produit cette connaissance mélangée est parmi les choses interdites. Un mélange d’éléments opposés compose ce fruit, dont le serpent est le défenseur. Peut-être la raison en est-elle que le mal ne se présente jamais dans sa nudité, tel qu’il est réellement. Le vice serait sans efficacité, s’il ne se colorait de quelque beauté excitant le désir chez celui qui se laisse tromper. En tout cas, à nous, le mal se présente toujours sous forme de mélange : dans ses profondeurs, il tient la mort comme un piège caché ; mais par une apparence trompeuse, il fait paraître une image du bien : la belle couleur de l’argent semble un bien pour les avares, ce qui n’empêche pas l’avarice d’être la racine de tous les maux. Glisserait-on vers le bourbier infect de la licence, si le plaisir n’était un bien désirable pour celui qui par cet appât se laisse entraîner vers les passions ? Ainsi des autres fautes : leur action corruptrice est cachée. Dès l’abord elles semblent désirables et sont recherchées comme un bien à la suite d’une tromperie par ceux qui n’y regardent pas de près. XX

Ni un mal absolu, puisque la bonté fleurit tout autour, ni un bien sans mélange, puisque le mal s’y cache, mais un mélange des deux, tel est le fruit de l’arbre défendu, selon l’Écriture qui n’a d’autre but que de répéter cette vérité que le bien réel est par nature sans composition, que sa forme est simple et qu’il est étranger à toute duplicité et à toute union avec son contraire, tandis que le mal est bigarré et se présente de telle sorte qu’on le tient pour une chose et qu’à l’expérience il se révèle tout autre : sa connaissance, c’est-à-dire la prise de contact avec lui dans l’expérience, est le commencement et le fondement de la mort et de la corruption. XX

C’est pourquoi le Serpent met en avant le fruit mauvais du péché, mais sans mettre au grand jour le mal tel qu’il est par nature : l’homme ne serait pas trompé par le mal, s’il éclatait à ses yeux ; mais le démon, faisant briller la grâce extérieure des apparences et, comme un charlatan, charmant notre goût par quelque plaisir des sens, apparaît à la femme digne de confiance, ainsi que dit l’Écriture : « Et la femme vit que le fruit était bon à manger et agréable à voir et agréable à contempler. Ayant pris du fruit, elle en mangea » . Cette nourriture est pour les hommes la mère de la mort. Et cela est précisément le mélange des fruits que porte l’arbre, l’Écriture voulant indiquer clairement le sens selon lequel elle déclare ce bois capable de faire connaître le bien et le mal : il a la malice de ces poisons qui sont préparés avec du miel : selon qu’ils flattent le sens, ils paraissent bons ; selon qu’ils font périr celui qui les prend, ils sont le dernier des maux. XX

Avec l’achèvement de la génération humaine, le temps cessera définitivement et alors toutes choses retourneront à leurs éléments primitifs. Dans ce bouleversement universel, l’humanité aussi sera transformée et de son état périssable et terrestre, passera dans un état impassible et éternel. C’est à quoi le divin Apôtre me semble avoir songé, lorsqu’il prédit dans son Épître aux Corinthiens l’arrêt soudain du temps et le renouvellement de tout ce qui est soumis au mouvement : « Je vous annonce, dit-il, un mystère : tous, nous ne nous endormirons pas dans la mort, mais tous nous serons transformés, dans un instant indivisible, en un clin d’oeil, au son de la dernière trompette. » A mon sens, puisque le plérôme de l’humanité est parvenu à son terme selon la mesure prévue, par le fait que le nombre des âmes n’a plus désormais à s’accroître, l’Apôtre veut dire qu’un instant suffira à la transformation de la création et il exprime par cet instant indivisible et ce clin d’oeil cette limite du temps qui n’a ni partie ni extension. Aussi celui qui est parvenu à cet ultime sommet du temps, après lequel il n’y a plus de division temporelle, ne peut obtenir cette révolution transformante de la mort que si la trompette de la Résurrection a d’abord retenti pour réveiller tous les morts et faire passer tous ensemble dans l’immortalité ceux qui resteront en vie ; ceux-ci deviendront semblables aux autres que la résurrection aura transformés, au point de n’être plus entraînés vers le bas par le poids de leur chair et de ne plus être retenus à terre par leur masse, mais de vivre dans les espaces célestes. « Nous serons ravis, en effet, dit l’Apôtre, dans les nuages, à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi pour toujours, nous serons avec le Seigneur . » Supportons donc le temps qui s’étend nécessairement le long du développement de l’humanité. XXII

Il commande à la forte fièvre qui brûlait la belle-mère de Simon , et le mal disparaît, si bien que celle dont on attendait la mort a la force de servir à manger à ceux qui étaient présents . XXV

De nouveau il s’élève régulièrement à des miracles plus grands. S’étant mis en route pour aller vers l’enfant du chef de la Synagogue , il s’attarde volontairement en chemin à rendre publique la guérison cachée de l’hémorroïsse, comme pour laisser le temps à la mort d’emporter le malade. Or l’âme était depuis peu séparée du corps et les pleureuses se pressaient là avec des cris funèbres et des lamentations : lui, d’un mot, comme s’il s’agissait du sommeil, fait lever l’enfant et le rend à la vie. Ainsi il conduit d’une marche régulière la faiblesse humaine vers des oeuvres plus grandes. XXV

Puis il s’élève encore dans ses miracles et, par une puissance plus grande, il met les hommes sur la route de la foi en la Résurrection. L’Écriture parle de Naïm, ville de Judée. En cette ville, était le fils unique d’une veuve ; il n’était plus un enfant, encore au rang des adolescents : il atteignait l’âge d’homme. L’Écriture l’appelle un « jeune homme ». Le récit dit beaucoup en quelques lignes : c’est un vrai chant de deuil. La mère du mort, dit-il, était veuve. Vous voyez la profondeur du malheur et combien en peu de mots l’Écriture rend tout le tragique du mal. Que dit-elle en effet ? que la mère n’avait même plus l’espoir d’avoir d’autres enfants pour se guérir de la perte de celui-là : « Cette femme était veuve. » Elle ne pouvait porter ses yeux sur un autre enfant qui remplacerait le disparu : « Ce fils était unique. » La grandeur de ce malheur, tous ceux qui ne sont pas étrangers à la nature la comprendront sans peine : elle n’avait connu que lui dans ses entrailles, elle n’avait allaité que lui à son sein ; lui seul était la gaieté de sa table ; lui seul illuminait de joie la maison, quand elle le voyait jouer, travailler, faire de la gymnastique, vivre joyeux, s’en aller en public, dans les palestres ou dans les assemblées de jeunes ; lui seul était tout ce qu’il y a de doux et de précieux aux yeux d’une mère. Il était en âge de se marier et était l’unique rejeton de sa famille, le rameau de sa succession et le bâton de sa vieillesse. La mention de l’âge, en particulier, est encore un chant de deuil : l’Écriture, le désignant comme un « jeune homme », exprime la fleur de l’âge qui s’est consumée, le duvet encore tendre, la barbe qui pousse à peine et les joues encore brillantes de beauté. Que devait donc éprouver la mère ? Ses entrailles brûlaient comme un feu. Quelle amertume devait avoir son chant de deuil, tandis qu’elle entourait le cadavre dans ses bras ! Comme elle devait retarder pour le mort les soins funèbres et se remplir du malheur par des gémissements incessants. Alors l’Évangile n’omet pas non plus ce trait : « La voyant, Jésus fut remué profondément. S’avançant, il toucha le cercueil et les porteurs s’arrêtèrent. Puis il dit au mort : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi. Et il le rendit vivant à sa mère. » Bien qu’il ne fût pas encore déposé dans le tombeau, le jeune homme était mort depuis assez longtemps. L’ordre du Seigneur est le même que précédemment, mais le miracle est plus grand. XXV

Le Christ s’en va maintenant accomplir un miracle plus sublime, afin que les oeuvres visibles nous fassent approcher du miracle incroyable de la Résurrection. Un des amis et familiers du Seigneur était malade : il s’appelait Lazare. Le Seigneur, qui se trouvait loin de lui, refuse de visiter son ami, afin de donner à la mort en l’absence de la Vie occasion et puissance de faire son oeuvre par la maladie. Le Seigneur en Galilée signifie à ses disciples l’état de Lazare ; il leur dit en particulier qu’il va partir pour aller le voir et faire lever celui qui est couché. Ceux-ci, peu assurés devant la brutalité des Juifs, trouvent pleine de difficultés et de risques la présence de Jésus en Judée au milieu de ceux qui veulent Le tuer. Aussi ils tardent et remettent toujours. Enfin, avec le temps, ils quittent la Galilée : le Seigneur les dominait par sa puissance et les conduisait. Il devait les initier à Béthanie aux préfigurations de la Résurrection universelle. XXV

Quatre jours s’étaient écoulés depuis l’événement ; les rites habituels avaient été accomplis pour le mort et le corps était déposé dans le tombeau. Sans doute le cadavre se gonflait déjà ; il commençait à se corrompre et à se dissoudre dans les profondeurs de la terre, selon les lois normales. C’était un objet à fuir, lorsque la nature se vit contrainte de rendre de nouveau à la vie ce qui déjà se dissolvait et était d’une odeur repoussante. Alors l’oeuvre de la résurrection universelle est amenée à l’évidence par une merveille que tous peuvent constater. Il ne s’agit pas ici d’un homme qui se relève d’une maladie grave ou qui, près du dernier soupir, est ramené à la vie ; il ne s’agit pas de faire revivre un enfant qui vient de mourir ou de délivrer du cercueil un jeune homme que l’on portait en terre. Il s’agit d’un homme âgé qui est mort et dont le cadavre, déjà flétri et gonflé, tombe en dissolution au point que ses proches ne supportent pas de faire approcher le Seigneur du tombeau, à cause de la mauvaise odeur du corps qui y est déposé. Or cet homme, par une seule parole, est rendu à la vie et ainsi est fondée l’assurance de la Résurrection : ce que nous attendons pour le tout, nous l’avons concrètement réalisé sur une partie. De même, en effet, que dans la rénovation de l’univers, comme dit l’Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d’oeil, à la voix de l’Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l’immortalité , de la même façon maintenant celui qui, au commandement donné, secoue dans le tombeau la mort comme on secoue un songe et qui laisse tomber la corruption des cadavres qui l’atteignait déjà, bondit du tombeau dans son intégrité et en pleine santé, sans que les bandelettes qui entourent ses pieds et ses mains l’empêchent de sortir. XXV

Est-ce là peu de chose pour fonder notre foi en la Résurrection des morts ? Cherchez-vous encore d’autres témoignages pour confirmer votre jugement sur ce point ? EH bien ! Ce n’est pas sans raison, je crois, que le Seigneur, voulant traduire la pensée des hommes à son sujet, dit ces mots aux Capharnaïtes : « Sans doute, m’appliquerez-vous ce proverbe : « Médecin, guéris-toi toi-même. » Celui qui sur les corps des autres a habitué les hommes à la merveille de la Résurrection devait affermir sur lui-même la foi en sa parole. Vous voyez qu’un appel de lui produit son effet chez les autres : des hommes sur le point de mourir, l’enfant qui vient à peine d’expirer, le jeune homme porté au tombeau, le mort déjà corrompu, tous, à un seul commandement, sont rappelés également à la vie. Vous demandez où sont ceux qui sont morts dans des blessures et dans le sang, afin que la défaillance en ce point de sa puissance vivifiante n’amène pas le doute sur ses bienfaits : voyez celui dont les mains ont été transpercées par les clous, voyez celui dont le côté a été traversé par la lance. Portez vos doigts à l’endroit des clous. Avancez votre main dans la blessure faite par la lance. Vous pourrez constater de combien la pointe de celle-ci a dû s’enfoncer à l’intérieur, en calculant sa pénétration par la largeur de la blessure. La plaie laisse la place à une main d’homme ! Vous pouvez supposer combien le fer est allé profond. Si cet homme est ressuscité, on peut bien conclure en redisant le mot de l’Apôtre : « Comment certains disent-ils qu’il n’y a pas de Résurrection des morts ? » XXV

Étant donné que la force nécessaire à l’enfantement ne vient pas d’un corps mort, mais d’un corps animé et vivant, nous en tirons logiquement la conséquence que ce qui sort d’un vivant pour être l’origine de la vie ne peut être mort et sans âme : car toute chair, si elle n’a pas d’âme, est morte, la mort étant la privation d’âme. Or personne n’ira jusqu’à dire que la privation est antérieure à la possession, en voulant établir que le corps inanimé, qui n’est qu’un mort, apparaît avant l’âme. XXIX

Si vous cherchez une preuve plus claire de la vie qui est dans l’embryon du vivant en voie de formation, vous pouvez examiner d’autres signes de différenciation entre l’animé et le mort. Pour constater que les hommes sont en vie, nous avons la chaleur, l’activité et le mouvement, tandis que le refroidissement et l’immobilité d’un corps ne sont rien autre que sa mort. Or l’embryon dont il s’agit est source de chaleur et d’énergie : c’est la preuve qu’il n’est pas inanimé. XXIX

Aussi, de toute évidence, si vous y regardez de près, vous trouverez que l’embryon tiré d’un corps vivant et déposé dans l’atelier de la nature pour la production d’un être n’est pas mort et sans âme. Les graines et les bourgeons, nous ne les plantons pas en terre s’ils ont perdu la force vitale qu’ils tiennent de la nature ; nous ne plantons que ceux qui conservent, cachées sans doute, mais bien réelles, les propriétés du prototype. Cette force intérieure, ce n’est pas la terre environnante qui la leur donne en la leur communiquant du dehors ; la terre ne fait que mettre au jour la force intérieure du germe, en le nourrissant de ses sucs et en l’amenant à devenir racine, écorce, tronc, bourgeons. Cette transformation ne pourrait se faire, si dans le germe il n’y avait aucune force naturelle capable de tirer à soi, dans le milieu qui l’entoure, la nourriture qui lui convient, pour devenir arbuste, grand arbre, épine ou toute autre broussaille que vous voudrez . XXIX

Le rôle du cerveau dans le maintien de la vie apparaît clairement lors des accidents qui lui surviennent. Une blessure ou une lésion de la membrane qui l’entoure cause la mort immédiate : pas même un instant, la nature ne résiste à cette blessure, comme, lorsque l’on enlève les fondements d’un édifice, celui-ci s’écroule tout entier avec ses parties. Or, ce dont le mal est la cause évidente de la mort du vivant doit être reconnu comme la cause principale de la vie . XXX

Comme après la mort la chaleur naturelle s’éteint et que le cadavre se refroidit, il nous faut ranger également la chaleur parmi les causes de la vie. Ce dont l’absence amène la mort est de toute nécessité ce dont la présence permet au vivant de subsister. De cette force, nous voyons que le coeur est comme la source et le principe, à partir duquel des conduits semblables à des flûtes se séparent les uns des autres pour répandre dans tout le corps le feu et la chaleur . XXX

Comme la nature devait absolument fournir à la chaleur une nourriture (on ne conçoit pas un feu subsistant de lui-même ; il a besoin d’un élément approprié), les conduits du sang, partis du foie comme d’une source , font route partout dans le corps avec l’esprit (pneuma) chaud pour éviter que l’isolement de l’un d’avec l’autre n’amène à sa suite la mort de la nature . Cet exemple doit servir aux hommes qui pratiquent l’injustice : la nature leur démontre que l’avarice est un mal porteur de mort . XXX

Il se passe encore en nous un phénomène semblable à ce qui a lieu dans l’agriculture, quand de grosses pluies ou la crue des rivières rendent les champs tout humides. Supposons un champ nourrissant en lui mille espèces différentes d’arbres et toutes sortes de produits, dont la forme, la qualité et la couleur varient beaucoup des uns aux autres. Toutes ces plantes reçoivent l’humidité du même endroit et la force qui pénètre de ses sucs chacune d’elles est une par nature ; cependant chaque plante en particulier transforme cette humidité en des qualités différentes. La même humidité devient amère dans l’absinthe ; dans la ciguë, elle se change en un suc qui donne la mort ; dans une plante, elle devient une chose, autre chose dans une autre, par exemple, dans le crocus, le balsamier ou le pavot. Dans l’un elle devient chaleur, dans l’autre elle se refroidit, dans une autre elle garde une température moyenne. Dans le laurier, le jonc et autres plantes semblables, elle donne une odeur agréable ; dans le figuier et le poirier, elle devient douce au goût. Dans la vigne elle devient grappe et vin ; elle se change aussi dans le jus de la pomme, la rougeur de la rose, l’éclat du lys, le bleu de la violette, la couleur pourpre du hyacinthe, et dans tous les produits possibles de la terre, qui germent à partir d’une seule et même humidité et se diversifient en autant de plantes différentes par la forme, l’espèce et les qualités. XXX