Gorceix (FA:266-270) : Le pan séraphique (1)

Centro de um debate místico sobre a união da alma, representada como em Friedrich Spee por Psique, e de um princípio absoluto, aqui o Filho de Deus, Jesus.


Personne ne peut mettre en doute que les 123 églogues des trois premiers livres de la Sainte joie de l’âme ou églogues spirituelles de Psyché amoureuse de son Jésus, les 32 du quatrième livre publié lui aussi en 1657 et les 49 du cinquième livre édité seulement en 1668, n’aient pour centre un débat mystique, l’union de l’âme, représentée comme chez Friedrich Spee par Psyché, et d’un principe absolu, ici le Fils de Dieu, Jésus. A tous les moments de l’épopée lyrique des trois premiers livres, cette union est définie comme le désir le plus intime de la créature. Les 13 premiers poèmes évoquent « comment Psyché aspire à la naissance spirituelle de Jésus-Christ, en priant que celle-ci se réalise en son cour » (titre de l’églogue 13). Dans les autres parties, le sujet et le verbe transitif demeurent. Change seulement l’objet de l’appel : l’enfant Jésus (poèmes 14 à 40), que Psyché veut, comme nous le dit le poème 26 « avoir dans le ciel de son cour comme la véritable étoile du matin », le Christ crucifié (41 à 64), puis ressuscité (65 à 90), auquel elle remémore sa promesse, celle du don mystique et dont elle vante le corps céleste. Après une brève célébration de l’eucharistie (91 à 98), qui réalise l’union, l’appel reprend, mêlé comme toujours de louange. Le titre du dernier poème est : « Elle (Psyché) aspire à sombrer dans l’abîme aimable de Dieu ». Certes, le plan du quatrième livre n’est plus aussi rigoureux, Jésus n’est plus l’unique interlocuteur, l’auteur s’adresse aussi à Dieu, et à la mère de Dieu. La louange occupe une place importante. La plupart des textes cependant décrivent l’impatience de Psyché vraiment insatisfaite, sa recherche du Seigneur dans une nature stéréotypée, celle de la pastorale. Les mêmes remarques s’appliquent au dernier livre. Quelques textes même y consignent la venue du Seigneur : l’églogue 166, qui demande aux bergères de s’apaiser — « Car il vient, et il est déjà ici » ; l’églogue 180, dans laquelle Psyché trouve son fiancé dans son cour, « après de nombreuses recherches », les églogues 181 et 182 qui décrivent la rencontre près d’une fontaine de Jésus chasseur et de l’amante ravie.

Dans ce récit traditionnel au XVIIe siècle, ce qui nous frappe certainement est le souci du détail, qui se révèle dans la description des rapports amoureux de l’âme et de Jésus. Le langage du Pèlerin est terne, par rapport à la diversité des verbes, à la multiplicité des adjectifs de la Sainte joie… L’appauvrissement du sujet — la spéculation a disparu — est compensé par l’enrichissement du vocabulaire. Sans fin, le poète brode sur le canevas de l’amour de Psyché pour Jésus, sans même les intermezzi du Trutz-Nachtigal, avec un luxe quelque peu artificiel de comparaisons et d’images. La mièvrerie de la pastorale atténue d’autre part à peine une tension qui se révèle même dans la petite partie consacrée à l’ascèse, qui ne débouche même plus, comme dans les distiques, sur l’évocation du repos nécessaire et du renoncement ataraxique. Les thèmes de la crucifixion, de la douleur, de la mort, de la croix prennent une coloration pathétique que compense à peine l’évocation de la nécessaire naïveté de l’âme qui doit retourner à l’enfance. Nous devons être mis à nu comme Jésus, goûter sa sueur, être ensevelis avec lui, sans même l’espoir de la résurrection. La réelle cruauté de l’expérience ascétique se détache, en un étonnant contraste, du fond bucolique dont la limpidité transparaît dans les vers rimés régulièrement accentués.

Cette richesse de la langue et cette tension interne se manifestent tout particulièrement d’abord dans la thématique de l’appel. Comme chez Friedrich Spee, elle se réfère au cadre traditionnel de la pastorale. Psyché cherche Jésus comme une colombe dans la solitude des prés et des bois, soit dans un désert à peine évoqué, soit, le plus souvent, dans un décor pastoral décrit à grand luxe de détails : fleurs et tilleuls, prairies où paissent les moutons, rosée, fleuve, sources et fontaines, un tombeau, celui du pâtre, qui est aussi celui du Christ, même une crèche. Ni la saison — la plupart du temps, le printemps, le mois de mai — ni l’heure de la journée — surtout l’aube — ne sont indifférents. L’abandon des lieux, c’est aussi l’abandon du monde par la fiancée. Psyché quitte ses amis pour errer loin des sentiers fréquentés, elle ne veut plus être distraite, car elle ne veut plus nourrir qu’une unique pensée, l’aimé auquel elle désire se soumettre et se donner. L’amante est malade de désir, ses soupirs l’épuisent, ses forces diminuent d’heure en heure : « Je suis consumée et je vais à la tombe » (I, 5, p. 16). Une extrême faiblesse s’empare d’elle, une langueur traversée de douleurs trop vives et d’une angoisse trop forte. Et cependant : l’amante épuisée et apeurée est consumée d’un feu dévorant. Cette passion, au sens propre du terme, était déjà présente dans le Trutz-Nachtigal, elle atteint là un maximum d’intensité. Chaleur (Brunst), désir (Begihr) dont la teneur érotique est très dense. Les séraphins n’osent toucher ni les lèvres, ni la bouche, ni les seins de Jésus, Psyché, elle, « accède à la bouche de rose », folle de jouir de la « gelée melliflue » (III, 85, p. 117). La poitrine de l’hermaphrodite christique nourrit une amante éplorée d’un lait dont la saveur dépasse celle du vin ! Elle est comparée à un pâturage où paît une brebis amoureuse ! Elle s’écrie : « Tu es pour mes sens une maison de plaisir » (III, 104, p. 140). Non seulement la vue et le toucher, mais aussi l’odorat participent de cette célébration. L’odeur qui se dégage du corps de Jésus ne va-t-elle pas jusqu’à enivrer les anges, et satisfaire les amoureuses ? (II, 56, p. 83). Ailleurs, c’est elle qui « éveille le désir », titre l’églogue 87. Tout le corps de Jésus est en effet évoqué et décrit dans la perspective de l’amour sensuel. Le corps crucifié reprend les éléments en négatif. Mais même lui, où ne sont désormais que « bosses, coups et plaies que souillent la bave et la boue » (II, 45, p. 68) ne rebute pas une fille vraiment folle d’amour. Au contraire : les désirs de Psyché n’en sont que redoublés.

Deux motifs dominants s’imposent dans cet érotisme mystique dont le mauvais goût ne doit pas être trop dénoncé par le siècle de la pornographie. Le premier est ce que nous pouvons appeler : la thématique du lieu clos. A tous les niveaux de la méditation en effet, nous remarquons que l’appel de Jésus par l’âme est avant tout l’aspiration à un espace fermé, où elle peut goûter le vrai bonheur. Le plus souvent, cet espace fermé est identifié au cour de Jésus, qui est aussi le cour de Psyché. Le poète parle alors de : chambre du cour (Hertzens-Kammer), chambre nuptiale dans laquelle viendra le fiancé, pour célébrer avec celle qu’il aime des noces éternelles. Le cou-r est un écrin, où Jésus déverse ses flammes. Un temple, temple de la pudeur, un jardin où doit venir le très cher amant, afin que croissent mieux les fruits qui y poussent : Jésus devient un jardinier qui assure la floraison. Une caverne, une crèche, un port, un vase, une tour, un château : autant d’abris, de cachettes, dont la répétition frappe. Des métaphores plus rares encore s’inscrivent dans ce contexte, celle par exemple de l’huître perlière. Que l’écrin de mon cour, reprend le refrain de l’églogue 158, soit la nacre (en allemand : Perl-Mutter) de la perle qu’est Jésus ; pour ce faire, que le feu christique brûle dans l’âme, pour la transformer, pour inciter la nacre à produire la perle, que Jésus soit la rosée du ciel qui, tombant goutte à goutte, permette la concrétion précieuse. Une complexe alchimie préside à la naissance dans l’athanor de l’âme du fiancé céleste. Cet espace clos, plus encore, a des portes, par lesquelles s’introduit Jésus, portes qui sont dites de rose, comparées à une crevasse embaumée ! (Balsam-Ritz) (V, 174, p. 261). La clef de David y est nécessaire, afin que s’ouvre la serrure mystique ! Bien souvent, ce n’est plus le cour de Jésus qui forme l’espace fermé, mais le corps tout entier du crucifié. Ce dernier est alors identifié à une salle où se dérouleront les noces, salle dont les portes sont grand ouvertes à une âme préparée (II, 51, p. 79), ou bien à une caverne d’or, qui est aussi cité de joie. Lorsque l’on accède à lui, l’on pénètre dans une vallée de lys. Il est encore une bergerie, dans laquelle la brebis égarée trouve enfin un repos mérité. Le culte des plaies se greffe parfaitement sur cette thématique, car les plaies sont autant d’ouvertures par lesquelles nous pénétrons l’intimité de l’amant céleste, ouvertures qui sont cependant aussi autant de sources desquelles jaillit le sang, baume réconfort, rose et rouge, qui désaltère le pèlerin amoureux. Le mystique tout entier veut donc s’y noyer, parce qu’elles sont les fossés de miel, qui redonnent la vie au cour malade. II les salue donc, elles qui sont « l’asile calme de son âme », les adore et les baise (II, 46, p. 69). Il veut vivre en elles, « s’incorporer à elles » (II, 47, p. 72). Il se compare à l’abeille, mais le miel qu’il butine est le sang de Jésus. Dans un jeu étrange, et combien ambigu, le poète décrit comment le pâtre, en ces plaies et de ces plaies, entre et sort, et combien de délices chaque pénétration lui procure (III, 106, p. 145). Dans la Sainte joie… de Johannes Scheffler, le refoulement traditionnel de la mystique nuptiale, comme si elle sentait sa fin proche, va se libérant, se défoulant dans la satisfaction verbale encore de désirs presque conscients.

Le deuxième groupe de motifs est fréquent dans la langue contemplative. Son intensité n’en surprend pas moins tout au long du recueil. Il s’agit de l’alternance, qui est à la fois complémentarité et opposition, du thème de l’eau et du thème du feu, avec ses deux corollaires, la noyade et la fusion. A la fureur de l’érotisme se joint, comme toujours, le délire de la violence. L’oubli auquel aspire l’âme dans le bonheur de l’union est décrit comme un supplice soit d’ignition, soit d’immersion. L’âme s’enflamme, elle part en flammes, ou bien, elle est incendiée, elle devient un brasier, né de l’effet d’une flamme venue du ciel ou d’un éclair qui fond le cour. Les particules séparables des verbes allemands peuvent traduire en détail la soudaineté ou la totalité de ces embrasements-inondations : durchgluhen, entbrennen. D’autre part, le cour est certes abreuvé normalement par ce que l’auteur appelle : la « sève de la déité » (I, 32, p. 47). Nous avons déjà vu aussi que le sang qui coule des blessures du Christ était plus délicieux que le meilleur des vins. Mais ce sang, il est capable aussi de nous inonder au pied de la croix. Nous sombrons, nous nous noyons dans la mer de la divinité. Les termes empruntés au domaine du feu et de l’eau varient les motifs : l’amour de Jésus est une étincelle, une lumière dorée. Il a un éclat supérieur au soleil. Il est souvent comparé à une étoile, soit l’étoile polaire, soit celle du matin, soit, plus généralement, l’étoile qui nous guide (Leitstern). Mais, dans le registre opposé, il est aussi de nature aqueuse. L’auteur multiplie les expressions : il est soit une source, soit une rosée, soit une pluie. Il peut aussi être une rivière, un fleuve, voire une mer de joie ou de volupté, une huile, un nectar, un jus, une sève, un moût, un vin, un oint… Parfois, les images ignées et aqueuses sont utilisées côte à côte, par exemple :

Verse les flammes de ton amour
Comme un grand fleuve en moi (II, 51, p. 71).

Ou bien, l’âme goûte à la fois les délices de la chaleur et de la fraîcheur, d’un feu dévorant et d’une eau apaisante.