C’est à l’âge de vingt-trois ans que F.C. Œtinger, alors étudiant à Tübingen, commença à s’intéresser aux écrits rabbiniques. En fait, dès le début de ses études théologiques (en 1721), il exprima l’idée que la littérature rabbinique faisait partie des sources fondamentales de la théologie chrétienne : « J’évoquerai maintenant le second moyen que j’ai utilisé pour étudier la théologie. C’étaient les écrits rabbiniques, et la philosophie que les rabbins ont tirée de l’Ecriture Sainte. Lorsque je compare le style de l’Ecclésiaste à celui des Proverbes de Salomon, il me semble y déceler une certaine saveur rabbinique. […] Dès lors, pour me familiariser avec ce mode de pensée extrêmement ancien et si différent de notre façon de penser allemande, je me suis mis à lire chaque jour, pendant des années — en partie avec l’aide du lecteur Bernhard, en partie seul —, la littérature rabbinique. Bien que j’eusse désiré m’initier entièrement à la vieille façon juive de penser, je n’y ai pas réussi parfaitement ; en fait, pour cela, si l’on n’a pas commencé déjà à l’âge d’enfant, après il est trop tard. » Dans ce même texte, Œtinger cite les noms de rabbins dont il a étudié les œuvres : Rabbi Joseph Albo (Sefer Ikarim), Rabbi Saadia (Sefer Emuna), Rabbi Abarbanel (Mashmia’h Yeshua), Rabbi Mikhael Yofi, Rabbi Be’haï. Puis il continue : « Cependant, je me suis rendu compte que les rabbins n’écrivent plus tout à fait à la manière de Rabbi Siméon ben Yohai dans le Zohar. C’est pourquoi j’ai recherché une occasion de connaître les sources kabbalistiques elles-mêmes. Cependant, comme cela est difficile, j’ai voulu d’abord rencontrer un certain nombre de juifs érudits. »
D’emblée, donc, Œtinger est attiré par l’étude des textes kabbalistiques, en même temps que par la fréquentation personnelle de connaisseurs de la tradition juive. D’emblée, également, il est intéressé par l’étude du Zohar, au même titre que par celle des écrits rabbiniques. Parmi les rabbins cités, Gaon Saadia est le représentant le plus éminent du hassidisme allemand. Isaac Abarbanel (1437-1508) est le père du fameux Léon l’Hébreu dont les Dialogues d’amour constituent une tentative de relier la tradition kabbalistique à la pensée platonicienne ou néoplatonicienne. Siméon ben Yohai, considéré par Œtinger comme l’auteur du Zohar, est en tout cas un personnage qui se place au centre de la tradition kabbalistique proprement dite.
[…]
Plus tard, ayant étudié à fond la Kabbale, Œtinger allait toujours souligner avec insistance que les Sefirot n’étaient pas des créatures de Dieu, mais des formes de la manifestation de Dieu, de l’insertion et du rayonnement de la divinité dans le monde des créatures. Cependant, il ne put apparemment jamais se défaire de la crainte que la doctrine kabbalistique des Sefirot, et surtout celle de l’Adam Kadmon, ne fût interprétée dans un sens arien, allant tout à fait à l’encontre de sa propre tentative d’interprétation orthodoxe de cette doctrine dans le sens du dogme officiel de la Trinité. Dans son principal écrit dogmatique, Theologia ex idea vitae deducta, datant de 1765 et qui avait pour objet de fonder toute la théologie naturelle et historique sur l’idée du déploiement continu et de la révélation permanente de l’indissoluble vie divine, on trouve encore une allusion à l’interprétation « arienne » de la Kabbale, telle que la faisait valoir le conseiller Fende sur la base des écrits de Rabbi Luria repris dans la Cabbaia Denudata de Knorr von Rosenroth. Œtinger, dans cet ouvrage, s’inscrit en faux contre l’identification — attribuée à Rabbi Luria — de l’Adam Kadmon avec le Logos conçu comme l’image créée de Dieu ; c’est en effet dans cette conception qu’Œtinger voit la racine même de la christologie arienne ultérieure.
C’est en 1729 qu’un voyage à Francfort allait apporter à Œtinger l’occasion d’un contact direct avec les sources kabbalistiques de ses amis et correspondants de l’époque.