Egypte (Orígenes)

Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des doctrines qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la doctrine des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I

Mais je m’étonne que Celse ait classé “les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis, les Hyperboréens parmi les peuples les plus anciens et les plus sages”, et qu’il n’ait daigné admettre les Juifs ni avec les sages ni avec les anciens. Bien des ouvrages circulent en Egypte, en Phénicie, en Grèce qui témoignent de leur antiquité, mais j’ai jugé superflu de les citer. Tout le monde peut lire les deux livres de Flavius Josèphe sur “l’Antiquité des Juifs”, où il mentionne une importante collection d’écrivains qui attestent l’antiquité judaïque. On cite encore le “Discours aux Grecs” de Tatien le Jeune, très savant compilateur des historiens de l’antiquité des Juifs et de Moïse. Celse paraît donc avoir écrit cela sans souci de la vérité, mais par malveillance, pour attaquer l’origine du christianisme, qui dépend du judaïsme. Il dit de plus : “Les Galactophages d’Homère, les Druides de la Gaule, les Gètes sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs”. En trouve-t-on des écrits, je l’ignore. Mais aux seuls Juifs il dénie autant qu’il peut l’antiquité et la sagesse. LIVRE I

Il use alors de prosopopée, à la manière d’un enfant qui introduit une figure de rhétorique, et il met en scène un Juif qui adresse à Jésus des propos puérils indignes d’un philosophe grisonnant. Examinons-les donc de notre mieux, et prouvons qu’il n’a pas du tout gardé le personnage qui conviendrait à un Juif. Il présente alors un Juif en dialogue avec Jésus lui-même, prétendant le convaincre de plusieurs choses, et la première, “d’avoir inventé sa naissance d’une vierge”. Puis il lui reproche “d’être issu d’un bourg de Judée, et né d’une femme du pays, pauvre fileuse”. Il affirme : “Convaincue d’adultère, elle fut chassée par son mari, charpentier de son état”. Il dit ensuite que “rejetée par son mari, honteusement vagabonde, elle donna naissance à Jésus en secret”, que “celui-ci fut obligé, par pauvreté, d’aller louer ses services en Egypte, il y acquit l’expérience de certains pouvoirs magiques dont se targuent les Egyptiens, il s’en revint, tout enorgueilli de ces pouvoirs, et grâce a eux, il se proclama Dieu”. Pour moi qui ne peux laisser sans examen rien de ce que disent les incroyants et qui scrute les questions dans leurs fondements, voilà autant de traits qui me paraissent être en harmonie avec le fait que Jésus a été un être divin et digne d’être proclame fils de Dieu. LIVRE I

L’indigène de Sériphos, chez Platon, reprochait à Thémistocle, rendu célèbre par sa valeur militaire, de ne pas devoir sa gloire à son mérite personnel, mais à sa chance d’avoir la patrie la plus remarquable de toute la Grèce ; ce qui lui attira cette réponse du judicieux Thémistocle qui voyait que sa patrie avait aussi contribué à le rendre célèbre : « Eusse-je été de Sériphos, je ne serais pas devenu si célèbre ; mais aurais-tu la chance d’être d’Athènes, tu ne serais pas devenu Thémistocle ! » Or, notre Jésus, à qui on reproche d’être issu d’un bourg ne faisant partie ni de la Grèce ni d’une nation de renommée universelle, qu’on veut diffamer comme étant le fils d’une pauvre fileuse, obligé par la pauvreté d’abandonner sa patrie et de louer ses services en Egypte, comme s’il était, pour reprendre l’exemple cité, non seulement de Sériphos, issu de l’île la plus petite et la moins connue, mais même, si j’ose dire, le moins noble de ses habitants, ce Jésus a eu la puissance de secouer toute la terre habitée par les hommes, non seulement plus que Thémistocle d’Athènes, mais aussi que Pythagore, Platon et tous les autres parmi les sages, les empereurs, les généraux de n’importe quelle région de la terre. LIVRE I

De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I

Or, la loi et les prophètes sont remplis de traits aussi miraculeux que celui qu’on raconte de la colombe et de la voix céleste au baptême de Jésus. Et la preuve, à mon avis, que le Saint-Esprit est alors apparu sous la forme d’une colombe, ce sont les miracles accomplis par Jésus, en dépit des affirmations mensongères de Celse, que Jésus avait appris en Egypte l’art de les faire. Et même je ne tirerai point parti seulement de ceux-là, mais encore, comme il convient, des miracles qu’accomplirent les apôtres de Jésus. Car sans miracles et sans prodiges, ils n’auraient pas poussé ceux qui entendaient de nouvelles doctrines et des enseignements nouveaux à laisser leurs croyances ancestrales et accepter, au péril de leur vie, les enseignements qu’ils donnaient. Et de cet Esprit Saint alors apparu sous la forme d’une colombe, il subsiste encore des traces chez les chrétiens : ils chassent les démons, guérissent maintes maladies, et ont, au gré du Logos, certaines visions de l’avenir. Dussé-je provoquer les railleries de Celse ou du Juif son porte-parole par ce que je vais dire, j’affirmerai néanmoins : beaucoup sont venus au christianisme comme malgré eux, un certain esprit ayant soudain tourné leur coeur de la haine de la doctrine à la résolution de mourir pour elle, en leur présentant une vision ou un songe. J’en ai connu bien des exemples. Si je les mettais par écrit, tout témoin oculaire que j’en aie été, j’offrirais une vaste cible à la risée des incroyants qui penseraient que moi aussi, comme ceux qu’ils suspectent d’avoir forgé de telles fictions, je leur en conte. Mais Dieu est témoin de ma conscience et de son désir de confirmer, non par des récits mensongers, mais dans une évidence riche d’aspects, l’enseignement divin de Jésus. LIVRE I

Il n’est pas étonnant qu’Hérode ait tramé un complot contre le nouveau-né, même si le Juif de Celse refuse de le croire : la méchanceté est aveugle et voudrait, comme si elle était plus forte que lui, vaincre le destin. Dans ce sentiment, Hérode crut bien à la naissance du roi des Juifs, mais il prit une décision en désaccord avec cette croyance, sans avoir vu le dilemme : ou effectivement il était roi et il régnerait, ou il ne régnerait pas et vouloir sa mort était mutile. Il désira donc le mettre à mort, ayant à cause de sa méchanceté des jugements discordants, poussé par le diable aveugle et méchant qui, dès l’origine, conspirait contre le Sauveur, et présageant que Celui-ci était et deviendrait quelqu’un de grand. Cependant un ange, qui, bien que Celse refuse de le croire, veillait à la suite des événements, avertit Joseph de partir en Egypte avec l’enfant et sa mère ; mais Hérode fit tuer tous les enfants de Bethléem et des alentours, dans l’espoir de supprimer le roi des Juifs qui venait de naître. C’est qu’il ne voyait pas la Puissance toujours vigilante à protéger ceux qui méritent d’être gardés avec soin pour le salut de l’humanité. Au premier rang, supérieur à tous en honneur et en excellence, se trouvait Jésus : il serait roi, non pas au sens où l’entendait Hérode, mais où il convenait que Dieu lui conférât la royauté, pour le bienfait de ceux qui seraient sous sa loi : à lui qui allait non point accorder à ses sujets un bienfait ordinaire et pour ainsi dire indifférent, mais les former et les soumettre à des lois qui sont vraiment celles de Dieu. Cela aussi, Jésus le savait : il nia être roi au sens reçu par la multitude, et enseigna l’excellence de sa royauté personnelle en ces mots : « Si ma royauté était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais en fait, elle n’est pas de ce monde, ma royauté ». » Si Celse l’avait vu, il n’aurait pas dit : ” Si c’était de peur que, devenu grand, tu ne règnes à sa place, pourquoi, maintenant que te voilà grandi, ne règnes-tu pas, toi le Fils de Dieu, au lieu de mendier si lâchement, courbant l’échine de crainte, et te consumant par monts et par vaux ?” Mais il n’y a pas de lâcheté à éviter prudemment de s’exposer aux dangers, non par crainte de la mort, mais pour secourir utilement les autres en continuant à vivre, jusqu’à ce que vienne le temps opportun pour que Celui qui avait pris une nature humaine meure d’une mort d’homme, utile aux hommes ; c’est une évidence pour qui a compris que Jésus est mort pour le salut des hommes, comme je l’ai dit précédemment de mon mieux. LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Ensuite, le Juif dit à ses compatriotes qui croient en Jésus . “EH bien soit, on vous le concède, il a dit cela. Mais combien d’autres usent de ces contes merveilleux pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture ! Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamolxis, esclave de Pythagore, de Pythagore lui-même en Italie, de Rhampsinite en Egypte. Ce dernier, chez Hades, « jouant aux des avec Déméter», obtint d’elle « une serviette lamée d’or » qu’il remporta comme présent. Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protesilas en Thessalie, Héraclès à Tenare, et Thésée. Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, dites-vous, il ne s’est pas protégé lui-même, mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. Qui a vu cela ? Une exaltée, dites-vous, et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement, soit que par suite d’une certaine disposition il ait eu un songe et qu’au gré de son désir dans sa croyance égarée il ait eu une représentation imaginaire, chose arrivée déjà à bien d’autres, soit plutôt qu’il ait voulu frapper l’esprit des autres par ce conte merveilleux, et, par cette imposture, frayer la voie à d’autres charlatans”. LIVRE II

Tout cela, le Juif de Celse le conclut par ces mots : Toutes nos objections sont tirées de vos écrits, nous n’avons que faire d’autres témoins : vous tombez vous-mêmes dans vos pièges. Mais j’ai prouvé que c’est en déformant les textes de nos Évangiles que le Juif déclare tant de sornettes dans ses propos contre Jésus et contre nous. A mon sens, il n’a pas montré comment nous tombons dans nos pièges, il ne fait que l’imaginer. Et comme son Juif ajoute : O Très-Haut ou Céleste, quel dieu se présentant aux hommes les trouve-t-il complètement incrédules ? il faut lui répondre : il est écrit que, même au temps de la loi de Moïse, Dieu s’est présenté aux Hébreux dans le plus grand éclat, non seulement dans les signes et prodiges en Egypte, ensuite dans le passage de la Mer Rouge, la colonne de feu et la nuée lumineuse, mais encore dans la proclamation du décalogue à tout le peuple : et il trouva les témoins incrédules. Car s’ils avaient cru à celui qu’ils avaient vu et entendu, ils n’auraient pas élevé le veau d’or, ni « échangé leur gloire pour l’image d’un mangeur d’herbes », et ne se seraient pas dit mutuellement en parlant de ce veau : « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter de la terre d’Égypte ». Et vois si la caractéristique de ce peuple ne fut pas, autrefois, d’avoir été incrédule aux prodiges éclatants et aux multiples manifestations de Dieu pendant toute la période du désert, comme il est écrit dans la loi des Juifs, puis, au temps de la venue miraculeuse de Jésus, de ne pas s’être laissé convaincre par ses paroles dites avec autorité et ses actions miraculeuses faites à la vue de tout le peuple ? LIVRE II

Ensuite Celse imagine que les Juifs, Egyptiens de race, auraient abandonne l’Egypte après s’être révoltes contre l’État égyptien et avoir méprisé les cérémonies religieuses usitées en Egypte , et il affirme : ce qu’ils ont fait aux Egyptiens, ils l’ont subi de ceux qui ont pris le parti de Jésus et cru en lui comme au Christ. Dans les deux cas, la cause de l’innovation fut la révolte contre l’État. Or il faut remarquer ici le procédé de Celse. Les Egyptiens d’autrefois ont accablé d’avanies la race des Hébreux qui, par suite d’une famine sévissant en Judée, étaient venus en Egypte. Et pour les torts infligés à des hôtes et des suppliants, ils ont subi le châtiment que devait nécessairement subir de la divine Providence toute une nation unanime dans son hostilité contre toute la race de ses hôtes qui ne lui avait fait aucun tort. Sous le coup des fléaux de Dieu, peu de temps après ils laissèrent, non sans peine, aller où ils voulaient ceux qu’ils avaient injustement asservis. En égoïstes qui font plus de cas de n’importe quels compatriotes que d’hôtes plus vertueux, ils n’abandonnèrent pas une seule accusation portée contre Moïse et les Hébreux : sans nier entièrement les miracles prodigieux de Moïse, ils les attribuèrent à la magie, non à une puissance divine. Mais Moïse était non pas magicien mais un homme pieux ; consacré au Dieu de l’univers, participant d’un esprit divin, il institua des lois pour les Hébreux sous la dictée de Dieu, et consigna les événements tels qu’ils existèrent en réalité. LIVRE III

Or Celse, loin de soumettre à une critique impartiale les récits contradictoires des Egyptiens et des Hébreux, par prévention en faveur des Egyptiens ses préférés, a fait crédit aux auteurs d’injustices envers leurs hôtes, comme s’ils étaient des témoins véridiques, et a affirmé que les Hébreux, victimes de ces injustices, ont, dans un accès de révolte, abandonné l’Egypte. C’était ne pas voir à quel point il était impossible pour une telle foule révoltée d’Egyptiens, n’ayant pour origine que la révolte, de devenir une nation au moment même de sa révolte, et de changer de langage, au point que ceux qui, jusque-là, parlaient la langue égyptienne adoptent tous subitement la langue hébraïque. Mais admettons, comme il le suppose, qu’ils aient, en quittant l’Egypte, pris en haine jusqu’à leur langue maternelle : comment donc n’ont-ils pas adopté plus tard le langage des Syriens et des Phéniciens plutôt que de créer la langue hébraïque si différente de l’un et de l’autre ? Et ce que veut prouver mon argument, c’est la fausseté de l’assertion que des gens, Egyptiens de race, se soient révoltés contre des Egyptiens, aient abandonné l’Egypte, et soient venus en Palestine habiter la région appelée maintenant Judée. Car les Hébreux, avant leur descente en Egypte, avaient déjà un langage ancestral, et les lettres hébraïques différaient des lettres égyptiennes, et c’est elles que Moïse employa pour écrire les cinq livres que les Juifs tiennent pour sacrés. LIVRE III

Cependant, un examen approfondi de la question permet de dire de ceux qui sont sortis de la terre d’Egypte : c’est un miracle que tout le peuple en masse ait repris, comme un présent de Dieu, la langue dite hébraïque ; dans ce sens, un de leurs prophètes a dit : « Lorsqu’ils sortirent de la terre d’Egypte, il entendit une langue qu’il ne connaissait pas. » Et l’on peut donner une autre preuve que ceux qui sont sortis d’Egypte avec Moïse n’étaient pas des Egyptiens. S’ils l’avaient été, leurs noms auraient dû être égyptiens, puisque chaque langue a ses dénominations du même type. Mais il est clair qu’ils n’étaient pas des Egyptiens du fait que leurs noms sont hébreux, car l’Écriture est remplie de noms hébreux et de gens qui ont donné en Egypte de tels noms à leurs enfants ; il est donc manifeste que l’affirmation des Egyptiens est fausse, selon laquelle, étant des Égyptiens, ils furent chassés d’Egypte avec Moïse. Et il est parfaitement clair que, tenant leur race d’ancêtres hébreux, conformément à l’histoire écrite par Moïse, ils parlaient une langue propre dont ils tiraient aussi les noms de leurs enfants. LIVRE III

Ensuite, dans son désir de prouver que les Juifs et les chrétiens n’ont aucune supériorité sur les animaux mentionnés plus haut, il déclare : Les Juifs sont des esclaves fugitifs jadis échappés d’Egypte, qui n’ont jamais rien fait de mémorable, ni compté par le rang et le nombre. Or j’ai dit dans les pages précédentes qu’ils n’ont pu être ni Égyptiens, ni esclaves fugitifs, mais que c’étaient des Hébreux établis en Egypte. LIVRE IV

D’abord, il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et beau comme la plupart l’imaginent : rude au contraire, malpropre, va-nu-pieds, sans gîte, couchant sur la dure toujours et sans couverture, dormant au seuil des portes ou sur les routes, en bon fils de sa mère faisant toujours bon ménage avec l’indigence. Par contre, à la ressemblance de son père, il est à l’affût de tout ce qui est beau et bon ; courageux, hardi, toutes forces tendues, chasseur redoutable, toujours à tramer des ruses, avide de pensée, riche en idées expédiantes, en quête de savoir toute sa vie, expert en incantations, en philtres, en arguties. Ni immortel de nature, ni mortel, tantôt le même jour, il est en fleur, en pleine vie quand ont réussi ses expédients, tantôt il meurt, mais il reprend vie de par l’atavisme paternel. Mais le fruit de ses expédients sans cesse lui glisse entre les doigts, si bien qu’Amour jamais n’est pauvre, jamais n’est riche. Au reste, du savoir et de l’ignorance, toujours à mi-chemin. » Les lecteurs de cette page, en prenant modèle sur la malice de Celse – ce qu’à Dieu ne plaise de la part des chrétiens ! – peuvent se moquer du mythe et tourner en ridicule le sublime Platon. Mais en parvenant, dans une étude philosophique des pensées revêtues de la forme du mythe, à découvrir l’intention de Platon, on admirera la manière dont il a pu cacher les grandes doctrines pour lui évidentes sous la forme d’un mythe, à cause de la foule, et à les dire comme il fallait à ceux qui savent découvrir dans des mythes la signification véritable de leur auteur. J’ai cité ce mythe de Platon à cause de son « jardin de Zeus » qui paraît correspondre au jardin de Dieu, à cause aussi de Pauvreté, comparable au serpent qui s’y trouve, et d’Expédient à qui en veut Pauvreté, comme le serpent en veut à l’homme. Mais on peut encore se demander si Platon réussit à trouver ces histoires par hasard ; ou si, comme certains le pensent, dans son voyage en Egypte il rencontra ceux qui interprètent philosophiquement les traditions juives, apprit d’eux certaines idées, garda les unes, démarqua les autres, se gardant de heurter les Grecs en conservant intégralement les doctrines de la sagesse des Juifs, objet de l’aversion générale pour le caractère étranger de leurs lois et la forme particulière de leur régime. Mais ni le mythe de Platon, ni l’histoire « du serpent » et du jardin de Dieu avec tout ce qui s’y est passé, n’ont à recevoir ici leur explication : elle fut l’objet principal de mes efforts dans mes Commentaires sur la Genèse. LIVRE IV

La mention qu’il fait d’une procréation parfaitement absurde et après l’âge, bien qu’il ne donne pas de nom propre, désigne évidemment celle d’Abraham et de Sara. Quand il rejette les menées de frères, il veut parler de celles de Caïn contre Abel, ou encore d’Ésaü contre Jacob. La douleur d’un père peut être celle d’Isaac au départ de Jacob, peut-être encore celle de Jacob d’avoir vu Joseph emmené pour être vendu en Egypte. L’expression tromperies de mères désigne dans son texte, je crois, les dispositions prises par Rébecca pour faire tomber non sur Esaü, mais sur Jacob, les bénédictions d’Isaac. Mais qu’y a-t-il d’absurde à dire que Dieu à étroitement collaboré à tout cela, dans la persuasion où nous sommes que sa divinité ne s’éloigne jamais de ceux qui se consacrent à lui en menant une vie de vertu solide. Il raille encore l’enrichissement de Jacob chez Liban, pour n’avoir pas compris le sens de la parole : « Celles qui étaient sans marque étaient pour Liban, celles qui étaient marquées, pour Jacob. » Et il dit : Dieu a fait don à ses enfants d’ânes, de brebis et de chameaux, pour n’avoir pas vu que « tout cela leur est arrivé en figures et fut écrit pour nous qui touchons à la fin des temps » ; nous chez qui les nations variées ont été marquées et sont gouvernées par la parole de Dieu, richesse donnée qui est figurativement appelé Jacob. C’est l’arrivée de ceux qui viendront des nations à la foi au Christ qu’indiqué l’histoire de Laban et de Jacob. LIVRE IV

Celse abomine la haine, celle, je pense, que nourrissait contre Jacob Ésaü, dont la méchanceté est reconnue par l’Écriture ; puis, sans citer clairement l’histoire de Siméon et de Lévi qui cherchèrent à venger leur soeur violée par le fils du roi de Sichem, il les accuse tous deux. Il parle des frères qui vendent : les fils de Jacob ; du frère qui est vendu : Joseph ; du père qui se laisse tromper : Jacob, qui n’eut aucun soupçon quand ses fils lui montrèrent « la tunique multicolore » de Joseph, mais les crut et « pleura », comme s’il était mort, Joseph devenu esclave en Egypte. Voilà bien la haine sans amour de la vérité avec laquelle Celse entasse les traits de l’histoire. Là où elle lui paraît contenir des motifs de blâme, il la cite ; mais là où elle prouve la mémorable chasteté de Joseph, refusant, malgré ses prières et ses menaces, de céder à la passion de celle qui était légalement sa maîtresse, il ne se souvient plus de l’histoire. De manière bien supérieure aux actions que l’on rapporte de Bellérophon, on voit, en effet, Joseph préférer la prison à la perte de sa chasteté : du moins, quand il eût pu se défendre et se justifier contre son accusatrice, sa magnanimité lui fit garder le silence et remettre sa cause à Dieu. LIVRE IV

Qu’avait donc d’absurde le récit de cette histoire, même entendu littéralement, pour que Celse en ait fait un motif d’accusation, lui qui a intitulé Discours véritable un traité qui ne contient pas de doctrines mais des accusations contre chrétiens et Juifs? Il ajoute : Celui qui avait été vendu traite avec douceur ses frères qui l’avaient vendu, quand ils furent poussés par la famine à rechercher des provisions avec leurs ânes; mais il ne montre pas ce qu’il a fait. Il cite encore la reconnaissance, mais je ne sais ni son dessein, ni ce qu’il trouve d’absurde, dans la scène de la reconnaissance. Momos lui-même, si j’ose dire, n’aurait pas pu faire une critique raisonnable de cette histoire qui, hors tout sens allégorique, reste si attachante. Il présente encore Joseph, jadis vendu comme esclave, rendu à la liberté et revenant en grand cortège au tombeau de son père. Et il pense trouver dans l’histoire un motif d’accusation, quand il dit : Par lui – évidemment Joseph – l’illustre et divine race des Juifs, qui avait proliféré en Egypte, reçut l’ordre de résider quelque part ailleurs, et de paître ses troupeaux dans une région méprisée. Son dessein de haine lui fait ajouter qu’elle reçut l’ordre de paître ses troupeaux dans une région méprisée, sans montrer comment le district de Gesem en Egypte est une région méprisée. La sortie du peuple de la terre d’Egypte, il l’a nommée fuite, sans le moindre rappel de ce qui est écrit dans l’Exode sur la sortie des Hébreux de la terre d’Egypte. J’ai donné ces exemples pour montrer que même ce qui, pris au sens littéral, ne paraît pas appeler des critiques, Celse le tourne en accusation frivole, sans prouver par un argument ce qu’il juge pervers dans nos Écritures. LIVRE IV

Puis, continuant à défendre la piété des animaux sans raison, Celse donne en exemple : L’oiseau d’Arabie, le Phénix, qui après de longues années émigré en Egypte, transporte le corps de son père, enfermé dans une boule de myrrhe comme en un cercueil, et le dépose au lieu où se trouve le temple du soleil. C’est bien ce que l’on raconte ; mais le fait, fut-il exact, peut encore venir de la nature. La générosité de la divine Providence apparaît aussi dans les différences entre les animaux, pour montrer aux hommes la variété qui existe dans la constitution des êtres de ce monde, et jusque chez les oiseaux. Et elle a créé un animal unique afin de faire admirer par là, non point l’animal, mais Celui qui l’a créé. LIVRE IV

Fondé sur ces exemples, l’argument paraît à Celse amener cette conclusion : Il faut que tous les hommes vivent selon leurs traditions, et, par là, ils ne sauraient encourir de reproches ; tandis que les chrétiens, qui ont abandonné leurs traditions et ne constituent pas un peuple unique comme les Juifs, sont à blâmer de donner leur adhésion à l’enseignement de Jésus. Qu’il nous dise donc si les philosophes qui enseignent à n’être pas superstitieux ont le devoir d’abandonner les traditions, jusqu’à manger les aliments interdits dans leurs patries, ou si une telle conduite est contraire au devoir. Car si c’est à cause de la philosophie et des leçons proscrivant la superstition qu’ils peuvent, au mépris des traditions, manger des aliments interdits depuis le temps de leurs ancêtres, pourquoi pas les chrétiens ? Le Logos leur prescrit de ne point s’arrêter aux statues, aux images ou même aux créatures de Dieu, mais de les dépasser et de présenter leur âme au Créateur : pourquoi, se conduisant comme les philosophes, ne seraient-ils point irréprochables ? Si pour sauver leur thèse, Celse et ses adeptes affirment que même un philosophe devra observer les traditions, alors les philosophes deviendront parfaitement ridicules, par exemple en Egypte en se gardant de manger de l’oignon pour observer les traditions, ou certaines parties du corps telles que la tête ou l’épaule pour ne pas transgresser les coutumes ancestrales. Et je ne parle pas encore de ces Égyptiens qui frémissent aux bruits vulgaires de flatulence. Si l’un d’eux devenu philosophe gardait les traditions, ce serait un philosophe ridicule, sans philosophie dans sa conduite. Il en va de même lorsqu’on a été conduit par le Logos à adorer le Dieu de l’univers si, à cause des traditions, on reste abaissé devant les images et les statues humaines ; et si on refuse de s’élever par volonté réfléchie jusqu’au Créateur, on est semblable alors à des hommes qui, malgré les lumières de la philosophie, craindraient ce qui n’est pas à craindre et jugeraient impie de manger de tels mets. LIVRE V

Après cela il ajoute, je ne sais pourquoi, car j’ignore quel avantage il en espère pour son propos : Il vint un ange auprès de Joseph pour expliquer la grossesse de Marie, puis de nouveau pour les faire fuir en Egypte en arrachant le bébé au complot qui le menaçait. Ce point a été de même discuté plus haut dans mes répliques à ses attaques. Mais quelle est l’intention de Celse en objectant que, d’après le récit des Écritures, des anges furent envoyés à Moïse et aux autres ? Cela ne me semble être d’aucun appui à son propos, pour cette raison surtout qu’aucun d’eux n’a lutté de toutes ses forces pour détourner le genre humain de ses péchés. Il est vrai que d’autres encore ont été envoyés de Dieu et que Jésus eut un message d’une autre importance ; que les Juifs étant en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies, le Règne de Dieu a été remis à « d’autres vignerons »; à ceux qui partout prenant soin d’eux dans les églises mettent tout en oeuvre afin d’en amener d’autres encore suivant l’enseignement de Jésus, par une vie pure et une doctrine en accord avec la vie, au Dieu de l’univers. LIVRE V

Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V

Aussitôt après, il veut indiquer les énigmes que nous aurions mal comprises dans notre doctrine sur Satan et il ajoute : Les Anciens parlent en termes énigmatiques d’une guerre divine. Héraclite s’exprime ainsi: « Il faut savoir que le conflit est communauté, la justice discorde, tout devient par discorde et par nécessité. » Et Phérécyde, bien plus ancien qu’Héraclite, raconte le mythe d’une armée rangée contre une armée, dont l’une a pour chef Cronos et l’autre Ophionée. Il narre leurs défis, leurs combats, la convention intervenue que celui des deux partis qui tomberait dans l’Océan serait vaincu, et celui qui l’aurait chassé et vaincu posséderait le ciel. Telle est, dit-il, la signification que renferment les mystères traitant de la guerre des Titans et des Géants contre les dieux, et en Egypte, les mystères de Typhon, Horus et Osiris. LIVRE VI

En voilà assez, je pense, pour permettre d’établir que l’incrédulité des Juifs à l’égard de Jésus était en accord avec ce qu’on rapporte du peuple dès l’origine. Le Juif de Celse objecte : Quel Dieu, se présentant aux hommes, les trouve-t-il incrédules ? Surtout quand il apparaît à ceux qui espèrent sa venue ? Pourquoi enfin n’est-il pas reconnu de ceux qui l’attendent depuis si longtemps? A quoi je pourrais dire : Voulez-vous, braves gens, répondre à mes questions? Quels miracles, à votre avis, vous apparaissent plus grands ? Ceux de l’Egypte et du désert, ou ceux que Jésus, je le disais, accomplit parmi nous ? Si les premiers vous semblent plus grands que les derniers, n’est-ce point là une preuve flagrante qu’il est bien conforme au caractère de ceux qui ont été incrédules aux grands de mépriser les petits ? Je suppose que c’est votre opinion sur ceux que nous racontons de Jésus. Si l’on dit les miracles de Jésus égaux à ceux que l’Écriture rapporte de Moïse, qu’y a-t-il d’étonnant dans l’incrédulité de ce peuple à l’origine de l’une et l’autre alliances ? Car de Moïse date l’origine de la législation, dans laquelle sont rapportées vos fautes d’incrédulité ; et l’origine de la législation et de l’alliance nouvelles date, selon notre foi, du temps de Jésus. Et vous attestez, par votre incrédulité à Jésus, que vous êtes bien les fils de ceux qui, au désert, furent incrédules aux apparitions de Dieu. Et le reproche de notre Sauveur vaudra aussi contre vous qui n’avez pas cru en lui : « Ainsi vous êtes des témoins et vous approuvez les actes de vos pères » ; et en vous s’accomplit la prophétie : « Votre vie sera comme en suspens devant vos yeux, et vous ne croirez pas à votre vie », car vous n’avez pas cru à la Vie venue habiter parmi les hommes. LIVRE II

Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III

Je ne parle point encore d’un examen approfondi de tout le texte des Évangiles. Chacun d’eux renferme une doctrine complexe et difficile à pénétrer, non seulement par la foule, mais encore par des gens avisés : par exemple l’explication des paraboles que Jésus raconte à ceux « de l’extérieur », réservant leur claire signification à ceux qui ont dépassé le stade des enseignements exotériques et s’approchent de lui en particulier « dans la maison ». On sera dans l’admiration en comprenant pourquoi certains sont dits « à l’extérieur » et d’autres « dans la maison ». Quelle émotion aussi pour qui est capable de considérer les divers aspects de Jésus, quand il gravit la montagne pour certains discours ou certaines actions, ou pour sa transfiguration, ou lorsque, en bas, il guérit les malades qui ne peuvent monter là où ses disciples le suivent. Mais il n’y a pas lieu d’exposer ici ce que les Évangiles ont de véritablement vénérable et divin, ni la pensée du Christ, c’est-à-dire de la Sagesse et du Logos, manifestée chez Paul. Voilà qui suffit pour répondre à la raillerie de Celse, indigne d’un philosophe, qui ose assimiler les plus profonds mystères de l’Église de Dieu aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux boucs et aux chiens de l’Egypte. LIVRE III

Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de Moïse sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V

Celse me paraît donc s’être mépris sur quelques-unes des raisons mystérieuses du partage des régions terrestres. Même l’histoire grecque y touche en quelque façon lorsqu’elle représente que certains des dieux de la légende luttèrent entre eux au sujet de l’Attique, et fait avouer à certains prétendus dieux chez les poètes que certaines régions leur sont plus étroitement rattachées. L’histoire barbare elle aussi, surtout celle de l’Egypte, fait quelque allusion de ce genre à la division des « nomes » d’Egypte, quand elle dit que la même Athéné qui a obtenu Saïs possède aussi l’Attique. Les doctes d’Egypte diront mille choses pareilles, mais je ne sais s’ils comprennent aussi les Juifs et leur pays dans le partage et les assignent à quelque puissance. En fait de témoignages extérieurs à la divine Ecriture, voilà qui suffit pour l’instant. LIVRE V

Mais pour ne pas laisser de côté ce que Celse a dit dans l’intervalle, citons également ces paroles : ” On peut à ce propos produire comme témoin Hérodote qui s’exprime en ces termes: « Les gens de la ville de Maréa et d’Apis, habitant les régions de l’Egypte limitrophes de la Libye, se tenaient eux-mêmes pour Libyens et non pour Égyptiens, et ils supportaient mal la réglementation des sacrifices, désirant ne pas avoir à s’abstenir de la viande de vache ; ils envoyèrent au sanctuaire d’Ammon, et prétendirent qu’ils n’avaient rien de commun avec les Égyptiens; ils habitaient, disaient-ils, en dehors du Delta, ils ne partageaient pas leurs croyances; et ils voulaient pouvoir manger de tout. Mais le dieu ne le leur permit pas: il déclara que l’Egypte est le pays que le Nil arrose en le recouvrant, et que sont Égyptiens ceux qui, habitant au-dessous de la ville d’Eléphantine, boivent de l’eau de ce fleuve. » Tel est le récit d’Hérodote. Or Ammon n’est pas inférieur aux anges des Juifs pour transmettre les volontés divines. Il n’y a donc nulle injustice à ce que chaque peuple observe les pratiques religieuses de son pays. Assurément, nous trouverons qu’il y a une différence considérable entre les nations, et cependant chacune d’elles semble tenir les siennes pour les meilleures. Les Ethiopiens qui habitent Méroé adorent les seuls Zeus et Dionysos , les Arabes Uranie et Dionysos et ceux-là seulement. Tous les Égyptiens adorent Osiris et Isis, les Saïtes Athéné, les Naucratites, depuis quelque temps seulement, invoquent Sérapis ; les autres suivent chacun ses lois respectives. Les uns s’abstiennent des brebis, parce qu’ils honorent ces animaux comme sacrés, les autres des chèvres, ceux-ci des crocodiles, ceux-là des vaches, et ils s’abstiennent des porcs parce qu’ils les ont en horreur. Pour les Scythes, eux, c’est une action vertueuse de manger des hommes, et il y a des Indiens qui pensent accomplir une action sainte en mangeant leurs pères. Le même Hérodote le dit quelque part : en foi de quoi je citerai encore son texte. « Si en effet on imposait à tous les hommes de faire un choix parmi toutes les lois et qu’on leur enjoignît de choisir les plus belles, chacun après mûr examen choisirait celles de son pays; tant ils sont convaincus, chacun de son côté, que leurs propres lois sont de beaucoup les plus belles. Dans ces conditions, il n’est pas vraisemblable qu’un autre qu’un fou fasse des choses de ce genre un objet de risée. Et que telle soit à l’égard des lois la conviction de tous les humains, on peut en juger par de nombreux témoignages, en particulier par celui-ci. Darius, du temps qu’il régnait, appela les Grecs qui étaient près de lui et leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger leurs pères morts; ils déclarèrent qu’ils ne le feraient à aucun prix. Ensuite, Darius appela les Indiens qu’on nomme Callaties, lesquels mangent leurs pères; et, en présence des Grecs qui, grâce à un interprète, comprenaient ce qui se disait, il leur demanda à quel prix ils accepteraient de brûler leurs pères décèdes; ils poussèrent de grands cris et prièrent Darius de ne pas prononcer des paroles de mauvais augure. Telles sont donc, en fait, les coutumes établies; et, à mon avis, Pindare a eu raison de dire que la coutume règne sur tous. » LIVRE V