égal (Eckhart)

Nous lisons dans le saint évangile que Notre Seigneur entra dans le temple et jeta dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et dit aux autres qui là avaient tourterelles et choses semblables à vendre : « Enlevez-moi ça, débarrassez-moi ça ! » Pourquoi Jésus jeta-t-il dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et commanda-t-il à ceux qui là avaient des tourterelles de les enlever ? Il ne visait rien d’autre que le fait qu’il veuille avoir le temple vide, tout comme s’il disait : J’ai un droit sur ce temple et veux y être seul et avoir seigneurie sur lui. Qu’est-ce qui est dit par là ? Ce temple où Dieu veut régner puissamment selon sa volonté, c’est l’âme de l’homme, qu’il a formée et créée si exactement égale à lui-même, comme nous lisons que Notre Seigneur dit : « Faisons l’homme selon notre image et à notre ressemblance. » Et c’est aussi ce qu’il a fait. Si égale à lui-même il a fait l’âme de l’homme qu’au ciel ni sur terre, parmi toutes les créatures magnifiques que Dieu a créées si admirablement, il n’en est aucune qui lui soit aussi égale que l’âme de l’homme seulement. C’est pourquoi Dieu veut avoir ce temple vide, en sorte qu’il n’y ait là rien de plus que lui seul. C’en est ainsi parce que ce temple lui plaît tellement dès lors qu’il lui est si exactement égal et il se complaît tellement dans ce temple chaque fois qu’il y est seul. Eckhart: Sermon 1

Je dis plus encore : Tout le temps que l’homme dans toutes ses oeuvres cherche quoi que ce soit de tout ce que Dieu peut avoir donné ou veut donner, il est égal à ces marchands. Veux-tu de mercantilisme être pleinement dépris, en sorte que Dieu te laisse dans ce temple, tu dois ( faire ) alors tout ce qui est en ton pouvoir dans toutes tes oeuvres, cela tu dois le faire limpidement pour une louange de Dieu, et du dois donc te tenir dépris de cela comme est dépris le néant qui n’est ni ici ni là. Tu ne dois désirer rien de rien en retour. Quand tu opères de la sorte, tes oeuvres sont alors spirituelles et divines et du coup les marchands sont jetés hors du temple entièrement, et Dieu y est seul lorsque l’homme ne vise rien que Dieu. Voyez, c’est ainsi que ce temple est vide de tous les marchands. Voyez, l’homme qui ne vise ni soi ni rien que seulement Dieu et l’honneur de Dieu, il est véritablement libre et dépris de tout mercantilisme dans toutes ses oeuvres et ne cherche pas ce qui est sien, tout comme Dieu est dépris dans toutes ses oeuvres et libre et ne recherche pas ce qui est sien. Eckhart: Sermon 1

Lors donc que ce temple se trouve vide de tous obstacles que sont attachement au moi propre et ignorance, alors il reluit de façon si belle et brille de façon si limpide et claire, par-delà tout ce que Dieu a créé et à travers tout ce que Dieu a créé, que personne ne peut l’égaler en éclat, si ce n’est le Dieu incréé seul. Et en juste vérité, à ce temple personne non plus n’est égal, si ce n’est le Dieu incréé seul. Tout ce qui est au-dessous des anges, cela ne s’égale en rien de rien à ce temple. Les anges les plus élevés eux-mêmes égalent quelque peu ce temple de l’âme noble, mais pas pleinement. Qu’ils soient égaux à l’âme en quelque mesure, c’est en connaissance et en amour. Cependant un but leur est fixé ; ils ne peuvent l’outrepasser. L’âme le peut certes assurément. Une âme se trouverait-elle égale à l’ange le plus élevé, ( l’âme ) de l’homme qui vivrait encore dans le temps, l’homme pourrait néanmoins, dans sa libre capacité, parvenir incomparablement plus haut au-dessus de l’ange, à nouveau, à tout maintenant, sans nombre, c’est-à-dire sans mode et au-dessus du mode des anges et de tout intellect créé. Et Dieu est seul libre et incréé, et c’est pourquoi lui seul lui est égal ( = est égal à l’âme ) quant à la liberté, et non quant au caractère-incréé, car elle est créée. Lorsque l’âme parvient à la lumière sans mélange, elle se précipite dans son néant de néant, si loin de quelque chose créé, dans ce néant de néant, qu’elle n’est aucunement en mesure de revenir, de par sa force, dans son quelque chose créé. Et Dieu, par son caractère-incréé, soutient son néant de néant et maintient l’âme dans son quelque chose de quelque chose. L’âme a couru le risque d’en venir au néant et ne peut non plus par elle-même atteindre à elle-même, si loin de soi elle est allée, et ( cela ) avant que Dieu ne l’ait soutenue. Il faut de nécessité qu’il en soit ainsi. Car, ainsi que j’ai dit plus haut : Jésus était entré dans le temple et avait jeté dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et se mit à dire aux autres : « Enlevez-moi ça ! », et ils l’enlevèrent. Voyez, il n’y avait là plus personne que Jésus seul, et ( il ) se mit à parler dans le temple. Voyez, tenez-le pour vrai : quelqu’un d’autre que Jésus seul veut-il discourir dans le temple, c’est-à-dire dans l’âme, alors Jésus se tait, comme s’il n’était pas chez lui, et il n’est certes pas chez lui dans l’âme quand elle a des hôtes étrangers avec lesquels elle s’entretient. Mais Jésus doit-il discourir dans l’âme, alors il faut qu’elle soit seule et il faut qu’elle-même se taise, si elle doit entendre Jésus discourir. Ah, il entre alors et commence à parler. Que dit le Seigneur Jésus ? Il dit ce qu’il est. Qu’est-il donc ? Il est une Parole du Père. Dans cette même Parole le Père se dit soi-même et toute la nature divine et toute ce que Dieu est, tel aussi qu’il la connaît ( = la Parole ), et il la connaît telle qu’elle est. Et parce qu’il est parfait dans sa connaissance et dans sa puissance, de là il est également parfait dans son dire. En disant la Parole, il se dit et ( dit ) toutes choses dans une autre Personne, et lui donne la même nature qu’il a lui-même, et dit dans la même Parole tous les esprits doués d’intellect, égaux à cette même Parole selon l’image, en tant qu’elle demeure à l’intérieur, ( mais ) selon qu’elle luit au dehors, en tant que tout un chacun est près de lui-même, non égaux en toute manière à cette même Parole, plutôt : ils ont reçu la capacité de recevoir égalité par grâce de cette même Parole ; et cette même Parole, telle qu’elle est en elle-même, le Père l’a dite toute, la Parole et toute ce qui est dans cette Parole. Eckhart: Sermon 1

Le Père ayant dit cela, qu’est-ce donc que Jésus dit dans l’âme ? Comme je l’ai dit : Le Père dit la Parole et dit dans la Parole et non autrement, et Jésus dit dans l’âme. Le mode de son dire, c’est qu’il se révèle soi-même et tout ce que le Père a dit dans lui, selon le mode où l’esprit est réceptif. Il révèle la seigneurie paternelle dans l’esprit dans une puissance égale sans mesure. Quand l’esprit reçoit cette puissance dans le Fils et par le Fils, il devient puissant dans toute sorte de progrès, en sorte qu’il devient égal et puissant dans toutes vertus et dans toute limpidité parfaite, de telle manière que félicité ni souffrance ni rien de ce que Dieu a créé dans le temps ne peut troubler cet homme, qu’il ne demeure puissamment en cela comme dans une force divine en regard de laquelle toutes choses sont petites et sans pouvoir. Eckhart: Sermon 1

Le second sens est : procure ton avantage en toutes choses ! c’est-à-dire : « Aime Dieu par-dessus toutes choses et ton prochain comme toi-même ! », et c’est là un commandement de Dieu. Mais je dis que ce n’est pas seulement un commandement, plutôt : c’est aussi ce que Dieu a donné et ce que Dieu a promis de donner. Et si tu aimes cent marks davantage en toi qu’en un autre, c’est un tort. Si tu aimes un homme plus que les autres, c’est un tort ; et aimes-tu ton père et ta mère et toi-même plus qu’un autre homme, c’est un tort ; et si tu aimes plus la béatitude en toi qu’en un autre, c’est un tort. « A Dieu ne plaise ! Que dites-vous ? Ne dois-je pas aimer la béatitude en moi plus qu’en un autre ? » Il se trouve bien des gens instruits qui ne comprennent pas cela, et estiment que c’est bien difficile ; mais ce n’est pas difficile, c’est tout à fait facile. Je te montrerai que ce n’est pas difficile. Voyez, la nature poursuit ( deux visées ) dans la mesure où un membre quelconque opère en l’homme. La première visée qu’il ( = le membre ) vise dans ses oeuvres, c’est qu’il serve pleinement le corps et en outre chaque membre de façon particulière comme lui-même et pas moins qu’en lui-même, et qu’il ne se vise pas soi-même davantage dans ses oeuvres qu’un autre membre. Bien plus encore doit-il en être ainsi de la grâce. Dieu doit être une règle et un fondement de ton amour. La visée première de ton amour doit être nûment vers Dieu et en outre vers ton prochain comme toi-même et pas moins que toi-même. Et si tu aimes la béatitude davantage en toi qu’en un autre, alors tu t’aimes toi-même ; là où tu t’aimes, là Dieu n’est pas nûment ton amour et c’est alors un tort. Car si tu aimes la béatitude sans saint Pierre et dans saint Paul autant qu’en toi-même, tu possèdes la même béatitude qu’ils ont eux aussi. Et si tu aimes la béatitude dans les anges autant qu’en toi, et si tu aimes la béatitude en Notre Dame autant qu’en toi, tu jouis proprement de la même béatitude qu’elle-même : elle est tienne aussi proprement qu’à elle. C’est pourquoi l’on dit dans le Livre de la Sagesse : « Il l’a fait égal à ses saints. » Eckhart: Sermon 30

Maintenant nous inversons cette parole et disons : Parce que Dieu m’a envoyé son ange, je connais vraiment. Pierre veut dire connaissance. Quant à moi, je l’ai dit souvent : Connaissance et intellect unissent l’âme à Dieu. Intellect fait tomber dans l’être limpide, connaissance court en avant, elle court en avant et fait sa percée pour que là se trouve engendré le Fils unique de Dieu. Notre Seigneur dit en Matthieu que personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils. Les maîtres disent ( que ) connaissance tient dans ressemblance. Certains maîtres disent ( que ) l’âme est faites de toutes choses, car elle a une possibilité d’entendre toutes choses. Cela paraît fou et c’est pourtant vrai. Les maîtres disent : Ce que je dois connaître, il me faut que ce me soit pleinement présent et égal à ma connaissance. Les saints disent que dans le Père est puissance et égalité dans le Fils et union dans le Saint Esprit. C’est parce que le Père est pleinement présent au Fils et Fils pleinement égal à lui que personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils. Eckhart: Sermon 3

On trouve des gens qui goûtent bien Dieu selon un mode et non selon un autre, et veulent avoir Dieu uniquement selon un type de ferveur et non selon un autre. Je laisse passer, mais pour lui ( Dieu ? ) c’est totalement injuste. Qui veut prendre Dieu de façon juste doit le prendre de façon égale en toutes choses, dans l’âpreté comme dans le bien-être, dans les pleurs comme dans les joies, en tout il doit pour toi être égal. Si, n’ayant ni ferveur ni componction sans l’avoir mérité par des péchés mortels, alors que tu aurais volontiers ferveur et componction, tu t’imagines que tu n’as pas Dieu pour cette raison que tu n’as pas ferveur et componction, ( et que ) cela t’est souffrance, c’est cela même qui maintient est ( pour toi ) ferveur et componction. C’est pourquoi vous ne devez vous attachez à aucun mode, car Dieu n’est dans aucun mode, ni ceci ni cela. C’est pourquoi ceux qui là prennent Dieu de cette façon lui font injustice. Ils prennent le mode et non pas Dieu. C’est pourquoi retenez cette parole, que vous ayiez Dieu en vue et le recherchiez de façon limpide. Quelques soient les modes qui vous échoient, contentez-vous-en totalement. Car votre visée doit être limpidement Dieu, et rien d’autre Alors, quoi qui vous agrée ou ne vous agrée pas, cela est juste envers lui, et sachez qu’autrement cela est totalement injuste pour lui. Ils poussent Dieu sous un banc ceux qui tant de modes veulent avoir. Que ce soient pleurs ou soupirs, ou tant de choses de ce type, tout cela n’est pas Dieu. Si cela vous échoit prenez-le et soyez satisfaits ; si cela n’advient pas, soyez pourtant satisfaits, et prenez ce que Dieu veut vous donner en cet instant, et demeurez en tout temps en humble anéantissement et abjection, et il doit vous sembler en tout temps que vous êtes indignes de quelque bien que ce soit que Dieu pourrait vous faire s’il le voulait. Ainsi se trouve exposée la parole que saint Jean écrit : « En cela s’est trouvé révélé pour nous l’amour de Dieu » ; si nous étions ainsi, ce bien serait révélé en nous. Qu’il nous soit caché, il n’en est d’autre cause que nous. Nous sommes cause de tous nos obstacles. Garde-toi de toi-même, ainsi auras-tu fait bonne garde. Et y a-t-il des choses que nous ne voulons pas prendre, il nous a pourtant destinés à cela ; si nous ne les prenons pas, il nous faudra le regretter, et cela nous sera grandement reproché. Si nous ne parvenons pas là où ce bien se trouve pris, cela ne tient pas à lui, mais à nous. Eckhart: Sermon 5 a

Je pensais récemment à propos d’une chose : Si Dieu ne voulait pas comme moi, moi pourtant je voudrais comme lui. Bien des gens veulent avoir leur volonté propre en toutes choses ; c’est mal, en cela tombe un défaut. Les autres sont un peu meilleurs, eux qui veulent bien ce que Dieu veut, ils ne veulent rien contre sa volonté ; seraient-ils malades, ils voudraient bien que ce soit volonté de Dieu qu’ils se portent bien. Ces gens voudraient donc bien que Dieu veuille selon leur volonté, plutôt que de vouloir selon sa volonté. Il faut passer là-dessus, mais ce n’est pas comme il faut. Les justes n’ont absolument aucune volonté ; ce que Dieu veut, cela leur est totalement égal, si grand soit le préjudice. Eckhart: Sermon 6

Pour les hommes justes, la justice est à ce point sérieuse que, s’il se trouvait que Dieu ne soit pas juste, ils ne prêteraient pas plus attention à Dieu qu’à une fève, et se tiennent si fermement dans la justice et sont si totalement sortis d’eux-mêmes qu’ils ne prêtent pas attention à la peine de l’enfer ni à la joie du ciel ni d’aucune chose. Oui, toute la peine qu’ont ceux qui sont en enfer, hommes ou démons, ou toute la peine qui fut jamais endurée sur terre ou doit jamais se trouver endurée, si elle était jointe à la justice, ils n’y prêteraient pas du tout attention ; si fermement ils se tiennent en Dieu et en la justice. Pour l’homme juste, rien n’est plus pénible ni difficile que ce qui est contraire à la justice, que de n’être pas égal en toutes choses. Comment donc ? Une chose peut-elle les réjouir et une autre les troubler, ils ne sont pas comme il faut, plutôt : s’ils sont heureux en un temps, ils sont heureux en tous temps ; s’ils sont plus heureux en un temps et en un autre moins, ils ne sont pas comme il faut. Qui aime la justice, il s’y tient si fermement que ce qu’il aime c’est son être ; aucune chose ne peut l’en détourner, et il ne prête attention à aucune autre chose. Saint Augustin dit : « Là où l’âme aime, là elle est plus propre que là où elle anime. » Cette parole résonne de façon rudimentaire et commune, et pourtant bien peu l’entendent telle qu’elle est, et elle est pourtant vraie. Qui entend l’enseignement à propos de la justice et à propos du juste, il entend tout ce que je dis. Eckhart: Sermon 6

Qui sont ceux qui sont ainsi égaux ? Ceux qui à rien ne sont égaux, ceux-là seuls sont égaux à Dieu. L’être de Dieu n’est égal à rien, en lui n’est ni image ni forme. Les âmes qui sont ainsi égale, à elles le Père donne de façon égale et ne leur retient rien de rien. Quoi que le Père puisse accomplir, il le donne à cette âme de façon égale, oui, si elle se tient pas plus égale à elle-même qu’à un autre, et elle doit ne pas être plus proche de soi que d’un autre. Son honneur propre, son utilité et quoi qu’elle ait, elle ne doit pas davantage le désirer ni y prêter attention qu’au ( bien propre ) d’un étranger. Ce qui est à quiconque, cela ne doit lui être ni étranger ni lointain, que ce soit mauvais ou bon. Tout l’amour de ce monde est bâti sur l’amour-propre. Si tu l’avais laissé, tu aurais laissé le monde entier. Eckhart: Sermon 6

Le Père engendre son Fils dans l’éternité, à lui-même égal. « La Parole était auprès de Dieu, et Dieu était la Parole » : elle était la même chose dans la même nature. Je dis plus encore : Il l’a engendré dans mon âme. Non seulement elle ( = l’âme ) est près de lui et lui près d’elle ( comme ) égale, mais il est dans elle, et le Père engendre son Fils dans l’âme selon le même mode selon lequel il l’engendre dans l’éternité, et pas autrement. Il lui faut le faire, que cela lui soit agréable ou pénible. Le Père engendre son Fils sans relâche, et je dis plus : Il m’engendre ( comme ) son Fils et le même Fils. Je dis plus : Il m’engendre non seulement ( comme ) son Fils, plutôt : il m’engendre ( comme ) soi, et soi ( comme ) moi, et moi ( comme ) son être et sa nature. Dans la source la plus intime, je sourds dans le Saint Esprit, là est une vie et un être et une oeuvre. Tout ce que Dieu opère, cela est Un ; c’est pourquoi il m’engendre ( comme ) son Fils, sans aucune différence. Mon père selon la chair n’est pas mon père à proprement parler, mais ( seulement ) en une petite part de sa nature, et je suis séparé de lui ; il peut être mort et moi vivre. C’est pourquoi le Père céleste est pour de vrai mon père, car je suis son Fils, et j’ai de lui tout ce que j’ai, et je suis le même Fils et non un autre. Car le Père opère une ( seule ) oeuvre, c’est pourquoi il m’opère ( comme ) son Fils unique, sans aucune différence. Eckhart: Sermon 6

Le quatrième enseignement est le meilleur. Il dit qu’ils sont morts. La mort leur donne un être. Un maître dit : La nature ne détruit rien qu’elle ne donne quelque chose de meilleur. Lorsque l’air devient feu, cela est meilleur ; mais lorsque l’air devient eau, cela est un dommage et ( cela ) se fourvoie. Puisque la nature fait cela, plus encore Dieu le fait-il : il ne détruit jamais qu’il ne donne quelque chose de meilleur. Les martyrs sont morts et ont perdu une vie et ont reçu un être. Un maître dit que le plus noble est être et vie et connaissance. Connaissance est plus élevée que vie ou être, car de ce qu’elle connaît elle a vie et être. Mais d’autre part, vie est plus noble qu’être ou connaissance, au sens où l’arbre vit ; alors que la pierre a un être. Maintenant prenons à nouveau l’être nu et limpide, tel qu’il est en lui-même ; alors l’être est plus élevé que connaissance ou vie, car de ce qu’il a être il a connaissance et vie. Ils ont perdu une vie et ont trouvé un être. Un maître dit que rien n’est plus égal à Dieu que être ; dans la mesure où quelque chose a être, dans cette mesure, il est égal a Dieu. Un maître dit : Etre est si limpide et si élevé que tout ce que Dieu est est un être. Dieu ne connaît rien que seulemement être, il ne sait rien que être, être est son anneau. Dieu n’aime rien que son être, il ne pense rien que son être. Je dis : Toutes les créatures sont un ( seul ) être. Un maître dit que certaines créatures sont si proches de Dieu et ont imprimée dans elles tant de lumière divine qu’aux autres créatures elles donnent l’être. Ce n’est pas vrai, car être est si élevé et si limpide et si apparenté à Dieu que personne ne peut donner être que Dieu seul dans lui-même. Le propre de Dieu est être. Un maître dit : Une créature peut bien donner vie à l’autre. C’est pourquoi c’est seulement dans l’être que réside tout ce qui est quelque chose. Etre est un nom premier. Tout ce qui est caduque est un déchet de l’être. Toute notre vie devrait être un être. Autant notre vie est un être, autant elle est en Dieu. Autant notre vie est enclose dans l’être, autant elle est apparentée à Dieu. Il n’est vie si faible que, à celui qui la prend en tant qu’elle est un être, elle ne soit plus noble que tout ce qui jamais acquit vie. J’en suis certain, une âme connaîtrait-elle la moindre chose qui ait être qu’elle ne s’en détournerait jamais un instant. Le plus misérable que l’on connaît en Dieu, celui qui ne connaîtrait ne fût-ce qu’une fleur, en tant qu’elle a un être en Dieu, cela serait plus noble que le monde entier. Le plus misérable qui est en Dieu, en tant qu’il est un être, cela est meilleur que de connaître un ange. Eckhart: Sermon 8

De petits maîtres enseignent à l’Ecole que tous les êtres sont divisés en dix modes, et ces mêmes ( maîtres ) les tiennent pleinement à l’écart de Dieu. De ces modes, Dieu ne touche aucun, et il ne manque non plus d’aucun d’entre eux. Le premier, qui possède le plus d’être, où toutes choses prennent ( leur ) être, c’est la substance, et le dernier, qui de tous comporte le moins d’être, s’appelle relation, il est égal en Dieu au plus grand de tous, celui qui de l’être à le plus ; ils ont une image égale en Dieu. En Dieu les images de toutes les choses sont égales ; mais elles sont images de choses inégales. Le plus grand ange et l’âme et la mouche ont une image égale en Dieu. Dieu n’est ni être ni bonté. Bonté adhère à être et n’est pas plus vaste qu’être ; car si être n’était pas, bonté ne serait pas, et être est encore plus limpide que bonté. Dieu n’est pas bon ni meilleur ni le meilleur de tous. Qui dirait là que Dieu est bon, il lui ferait tort, comme s’il disait que le soleil est noir. Eckhart: Sermon 9

Or un évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais. » Or un autre évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui toutes choses me plaisent. » Or le troisième évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais moi-même. » Tout ce qui plait à Dieu, cela lui plaît dans son Fils unique ; tout ce que Dieu aime, il l’aime dans son Fils unique. Or l’homme doit vivre de telle sorte qu’il soit un avec le Fils unique et qu’il soit le Fils unique. Entre le Fils unique et l’âme, il n’est pas de différence. Ente le serviteur et le maître, jamais amour ne sera égal. Aussi longtemps je suis serviteur, je suis très loin du Fils unique et inégal à lui. Si je voulais voir Dieu avec mes yeux, les yeux au moyen desquels je vois la couleur, je ne serais pas du tout comme il faut, car c’est temporel ; car tout ce qui est temporel, cela est loin de Dieu et étranger ( à lui ). Lorsque l’on prend le temps, et le prend-on au plus réduit, ( un ) maintenant, cela est temps et subsiste en soi-même. Aussi longtemps l’homme a-t-il temps et espace et nombre et multiplicité et quantité, il n’est pas du tout comme il faut, et Dieu lui est lointain et étranger. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : Qui veut devenir mon disciple, il lui faut se laisser soi-même ; personne ne peut entendre ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. Toutes créatures, en elles-mêmes, ne sont rien. C’est pourquoi j’ai dit : Laissez le rien et saisissez-vous d’un être accompli, là où la volonté est droite. Qui a laissé toute sa volonté, celui-là goûte ma doctrine et entend ma parole. Or un maître dit que toutes les créatures prennent leur être de Dieu sans intermédiaire ; c’est pourquoi il en est ainsi des créatures que, par droite nature, elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes. L’esprit connaîtrait-il son nu détachement, il ne pourrait avoir inclination à chose aucune, il lui faudrait s’en tenir à son nu détachement. C’est pourquoi il dit : « Il lui a plu en ses jours ». Eckhart: Sermon 10

Or il ( = le texte ) dit : « Il est trouvé intérieurement ». Est intérieur ce qui habité dans le fond de l’âme, dans le plus intérieur de l’âme, dans l’intellect, et ne sort pas et ne porte le regard sur aucune chose. Là toutes les puissances de l’âme sont également nobles ; c’est là qu’il est trouvé intérieurement juste. Cela est juste qui est égal dans amour et dans souffrance et dans amertume et dans douceur, et à qui absolument aucune chose n’est contraire au fait qu’il se trouve un dans la justice. L’homme juste est un avec Dieu. Egalité se trouve aimée. Amour aime toujours ( ce qui lui est ) égal ; c’est pourquoi Dieu aime l’homme juste qui lui est égal. Eckhart: Sermon 10

J’ai dit une fois : Unité unit toute multiplicité, mais multiplicité n’unit pas unité. Lorsque nous nous trouvons élevés au-dessus de toutes choses et ( que ) tout ce qui est en nous est porté vers le haut, alors rien ne nous oppresse. Ce qui est au-dessous de moi, cela ne m’oppresse pas. Si je visais Dieu limpidement, en sorte qu’au-dessus de moi il n’y ait rien que Dieu, rien de rien ne serait lourd pour moi, et je ne serais pas aussi promptement troublé. Saint Augustin dit : Seigneur, lorsque je m’incline vers toi, alors m’est ôtée toute pesanteur, souffrance et travail. Dès lors que nous avons dépassé temps et choses temporelles, nous sommes libres et joyeux en tout temps, et c’est alors qu’il y a accomplissement du temps, et alors le Fils de Dieu se trouve engendré en toi. J’ai dit une fois : Lorsque le temps fut accompli, Dieu envoya son Fils. Quelque chose d’autre que le Fils se trouve-t-il engendré en toi, alors tu n’as pas le Saint Esprit et la grâce n’opère pas en toi. L’origine du Saint Esprit est le Fils. Le Fils ne serait-il pas que le Saint Esprit ne serait pas non plus. Le Saint Esprit ne peut avoir nulle part son fluer ni son épanouissement que par le Fils. Lorsque le Père engendre son Fils, il lui donne tout ce qu’il a d’être et de nature. Dans ce don sourd le Saint Esprit. Ainsi est-ce l’intention de Dieu que de se donner pleinement à nous. De même manière que, lorsque le feu veut attirer le bois dans soi et soi en retour dans le bois, il trouve le bois inégal à lui. A cela il faut du temps. En premier lieu, il le rend chaud et brûlant, et alors il fume et craque, car il lui est inégal ; et plus le bois devient brûlant plus il devient silencieux et tranquille, et plus il est égal au feu plus paisible il est, jusqu’à ce qu’il devienne pleinement feu. Le feu doit-il assumer dans soi le bois, il faut que toute inégalité soit dehors. Eckhart: Sermon 11

« Qu’adviendra-t-il d’étonnant de cet enfant ? » J’ai dit récemment devant certaines personnes, qui peut-être sont aussi présentes ici, un petit mot, et j’ai donc affirmé : Rien n’est si caché qui ne doive se trouver découvert. Tout ce qui est néant doit être déposé et tellement caché qu’il ne doit même jamais se trouver pensé. Du néant nous ne devons rien savoir, et avec le néant nous ne devons rien avoir en commun. Toutes les créatures sont un pur néant. Ce qui n’est ni ici ni là, et là où est un oubli de toutes créatures, là est plénitude de tout être. J’ai dit alors : Rien en nous ne doit être caché que nous ne devions le découvrir pleinement à Dieu et le lui donner pleinement. Où que nous puissions nous trouver, que ce soit dans fortune ou dans infortune, dans amour ou dans souffrance, à quoi que nous nous trouvions inclinés, de cela nous devons sortir. En vérité, si nous lui découvrons tout, alors il nous découvre en retour tout ce qu’il a, et ne nous cache en vérité absolument rien de ce qu’il peut offrir, sagesse ni vérité ni intimité ni déité ni rien de rien. Cela est en vérité aussi vrai que Dieu vit, à condition que nous ne lui découvrons pas ( ce qui est à nous ), rien d’étonnant à ce qu’alors il ne nous découvre ( ce qui est à lui ) ; car il faut que cela soit exactement égal, nous envers lui comme lui envers nous. Eckhart: Sermon 11

L’homme qui se tient dans l’amour de Dieu, celui-là doit être mort à lui-même et à toutes choses créées, de sorte qu’il prête à soi-même aussi peu d’attention qu’à celui qui est distant de mille lieues. Cet homme demeure dans l’égalité et demeure dans l’unité et demeure tout à fait égal ; en lui ne tombe aucune inégalité. Cet homme, il lui faut s’être laissé soi-même et le monde entier. Y aurait-il un homme à qui appartiendrait ce monde entier, et le laisserait-il aussi nûment pour Dieu qu’il le reçut, à celui-là Notre Seigneur voudrait donner à nouveau ce monde entier et aussi la vie éternelle. Et y aurait-il un autre homme qui n’aurait rien qu’une volonté bonne, et penserait-il : Seigneur, ce monde serait-il mien, et aurais-je encore un monde et un autre, ce qui ferait trois, de sorte qu’il en viendrait à désirer ceci : Seigneur, je veux les laisser et moi-même aussi nûment que je les ai reçus de toi, à cet homme Dieu donnerait autant que si tout cela il l’avait dispensé de sa main. Un autre homme qui n’aurait à laisser ni à donner rien de corporel ni de spirituel, cet homme-là aurait laissé au plus au point. Qui se laisserait pleinement ( ne fût-ce qu’ ) un instant, à celui-là il serait donné pleinement. Et y aurait-il un homme laissé ( pendant ) vingt ans, s’il se reprenait soi-même ( ne fût-ce qu’ ) un instant, il n’aurait encore jamais été laissé. L’homme qui a laissé et qui est laissé, et qui jamais plus ne regarde ( ne fût-ce qu’ ) instant ce qu’il a laissé, et s’il demeure constamment immobile en lui-même et immuable, c’est cet homme seul qui est laissé. Eckhart: Sermon 12

Un maître païen pose les créatures ( comme ) égales à Dieu. L’Ecriture dit que nous devons devenir égaux à Dieu. Egal, c’est mauvais et trompeur. Si je m’égale à un homme et si je trouve un homme qui est égal à moi, cet homme se comporte comme s’il était moi, et il ne l’est pas et trompe. Mainte chose s’égale à l’or ; elle ment et n’est pas or. De même, toutes choses s’égalent à Dieu et elles mentent, et toutes elles ne le sont pas. L’Ecriture dit que nous devons être égaux à Dieu. Or un maître païen, qui parvint à cela par perception naturelle, dit : Dieu peut aussi peu souffrir ce qui est égal qu’il peut souffrir de n’être pas Dieu. Ressemblance est quelque chose qui n’est pas en Dieu ; il y a un être-un dans la déité et dans l’éternité ; plutôt, égalité ce n’est pas un. Serais-je un, je ne serais pas égal. Il n’est rien d’étranger dans l’unité ; il y a pour moi être-un dans l’éternité, non être-égal. Eckhart: Sermon 13

Il dit : Ils avaient leur nom et le nom de leur Père inscrits sur leurs fronts. Quel est notre nom et quel est le nom de notre Père ? Notre nom est que nous devons être engendrés, et le nom du Père est engendrer, car la déité rayonne hors de la limpidité première, qui est une plénitude de toute limpidité, ainsi que je l’ai dit au Mariengarten. Philippe dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. » Il vise en premier que nous devons être Père ; en second lieu, nous devons être grâce, car le nom du Père est engendrer ; il engendre en moi son égal. Si je vois un mets qui est égal à moi, alors provient de là un amour. Il en est de même : le Père céleste engendre en moi son égal, et de cette égalité provient un amour, c’est l’Esprit Saint. Celui qui est le père, celui-là engendre l’enfant de façon naturelle ; celui qui présent l’enfant au baptême, celui-là n’est pas son père. Boèce dit : Dieu est un bien qui se tient immobile et qui meut toutes choses. Que Dieu soit immobile, cela met toutes choses en mouvement. Il y a quelque chose de si heureux et met toutes choses en mouvement, en sortent qu’elles retournent de là où elles ont flué, et cela demeure immobile en lui-même. Et plus une chose quelconque est noble, plus elle se meut de façon constante. Le fond les pousse toutes. Sagesse et bonté et vérité ajoutent quelque chose ; Un n’ajoute rien que le fond de l’être. Eckhart: Sermon 13

Tout vase possède deux choses en lui : il reçoit et contient. Vase spirituel et vase corporel comportent une différence. Le vin est dans le vase ; le vase n’est pas dans le vin, et le vin n’est pas dans le vase comme dans la douve ; car s’il était dans le vase comme dans la douve, on ne pourrait pas le boire. Il en va autrement du vase spirituel. Tout ce qui se trouve reçu en lui, cela est dans la vase et le vase ( est ) en lui et est le vase même. Tout ce que reçoit le vase spirituel est de sa nature. La nature de Dieu est qu’il se donne à toute âme bonne, et la nature de l’âme est qu’elle reçoit Dieu ; et cela on le peut dire du plus noble dont l’âme peut faire montre. En cela l’âme porte l’image de divine et est égale à Dieu. Image ne peut être sans égalité, mais égalité peut bien être sans image. Deux oeufs sont également blancs, et l’un n’est pourtant pas image de l’autre ; car ce qui doit être image de l’autre, il faut que ce soit venu de sa nature, et il lui faut être engendré de lui et il lui faut être égal à lui. Eckhart: Sermon 16 b

Tu dois être constant et ferme, c’est-à-dire : tu dois te tenir égal dans amour et souffrance, dans fortune et infortune, et dois avoir en toi la noblesse de toutes les pierres précieuses, c’est-à-dire que toutes le vertus soient enfermées en toi et fluent essentiellement de toi. Tu dois traverser et surpasser toutes les vertus, et dois prendre la vertu dans le fond, là où elle est un avec la nature divine. Et pour autant que tu es plus uni à la nature divine que ne l’est l’ange, dans cette mesure il lui faut recevoir par toi. Pour que nous devenions Un, qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Eckhart: Sermon 16 b

Or je dis : « Il alla dans la ville ». La ville, c’est l’âme qui est bien ordonnée et affermie et protégée des défauts, et a exclu toute multiplicité et est unifiée et bien fortifiée dans le salut de Jésus, et entourée de murs et enveloppée de la lumière divine. C’est pourquoi le prophète dit : « Dieu est un mur autour de Sion. » La Sagesse éternelle dit : « Je me reposerai de façon égale dans la ( ville ) consacrée et dans la ville sanctifiée. » Rien ne repose ni n’unit autant que l’égal ; de là tout ce qui est égal est intérieur et proche et auprès de. Cette âme est consacrée dans laquelle Dieu seul est et dans laquelle aucune créature ne trouve repos. C’est pourquoi il dit : « Dans la ( ville ) consacrée et dans la ville sanctifiée je me reposerai de façon égale. » Toute sainteté vient du Saint-Esprit. La nature ne fait pas de bonds ; elle commence toujours à opérer à partir de l’inférieur et opère ainsi vers le haut, jusqu’au plus élevé. Les maîtres disent que de l’air jamais feu n’advient s’il n’est pas devenu tout d’abord subtil et brûlant. Le Saint Esprit prend l’âme et la purifie dans la lumière et dans la grâce, et l’entraîne vers le haut, jusqu’au plus élevé. C’est pourquoi il dit : « Dans la ville sanctifiée je me reposerai de façon égale. » Autant l’âme repose en Dieu, autant Dieu repose en elle. Repose-t-elle en lui en partie, alors il repose en elle en partie ; repose-t-elle pleinement en lui, alors il repose pleinement en elle. C’est pourquoi la Sagesse éternelle dit : « Je me reposerai de façon égale. » Eckhart: Sermon 18

Les maîtres disent que la ( couleur ) jaune et la couleur verte, dans l’arc-en-ciel, se joignent l’une à l’autre de façon si égale qu’aucun oeil n’a vision si aiguë qu’il puisse le percevoir ; c’est de façon aussi égale qu’opère la nature et qu’elle s’égale au premier jaillissement, qui est si égal en les anges que Moïse ne se risqua pas à en écrire par égard au sentiment des faibles gens, pour qu’ils ne les adorent pas : si égaux sont-ils au premier jaillissement. Un grand maître dit même que l’ange le plus élevé parmi les esprits est si proche du premier jaillissement et possède en lui tant de ressemblance divine et de puissance divine qu’il a créé tout ce monde et en sus tous les anges qui sont au-dessous de lui. Ici se trouve une bonne doctrine, que Dieu est si élevé et si limpide et si simple qu’il opère dans sa créature le plus élevée de sorte qu’elle opère dans sa puissance, comme un sénéchal opère dans la puissance du roi et gouverne son pays. Il dit : « Dans la ( ville ) sanctifiée et dans la ville consacrée je me reposerai de façon égale. » Eckhart: Sermon 18

Nos maîtres disent : Qu’est-ce qui loue Dieu ? Le fait l’égalité. Ainsi tout ce qui est égal à Dieu de ce qui est dans l’âme, cela loue Dieu ; lorsque quelque chose est inégal à Dieu, cela ne le loue pas ; comme une image loue son maître qui en lui a imprimé tout l’art qu’il a dans son coeur et qu’il l’a même faite égale à lui. L’égalité de l’image loue son maître sans parole. Ce que l’on peut louer avec des paroles ou prier avec la bouche, cela est une petite chose. Car Notre Seigneur dit une fois : « Vous priez, mais vous ne savez pas ce que vous priez. Viendront de vrais orants, ils adoreront mon Père en esprit et en vérité. » Qu’est-ce que la prière ? Denys dit : Une élévation intellectuelle vers Dieu, voilà qui est prière. Un païen dit : Là où est esprit et unité et éternité, c’est là que Dieu veut opérer. Là ou chair est contre esprit, là où dispersion est contre unité, là où temps est contre éternité, là Dieu n’opère pas ; il ne peut rien en faire. Plus : tout plaisir et satisfaction et joie et bien-être que l’on peut avoir ici-bas, il faut que tout cela disparaisse. Qui veut louer Dieu, il lui faut être sain et être rassemblé et être un esprit et nulle part être au dehors, plutôt : ( il lui faut être ) emporté vers le haut tout égal dans l’éternelle éternité et par delà toutes choses. Je ne vise pas ( seulement ) toutes les créatures qui sont créées, plutôt : tout ce qui serait en son pouvoir, s’il le voulait, l’âme doit le dépasser. Aussi longtemps quelque chose est au-dessus de l’âme et aussi longtemps quelque chose est devant Dieu qui n’est pas Dieu, elle ne vient pas dans le fond « dans la longueur des jours ». Eckhart: Sermon 19

Or saint Augustin dit : Lorsque la lumière de l’âme, dans laquelle les créatures prennent leur être, illumine celles-ci, il appelle cela un matin. Quand la lumière de l’ange illumine la lumière de l’âme et l’inclut en soi, il appelle cela un milieu de matinée. David dit : « Le sentier de l’homme droit croît et grandit jusqu’au plein midi. » Le sentier est beau et désirable et plaisant et familier. Plus : lorsque la lumière divine illumine la lumière de l’ange et ( que ) la lumière de l’âme et la lumière de l’ange s’incluent dans la lumière divine, il appelle cela le midi. Alors le jour est en son plus haut et en son plus long et en son plus parfait, lorsque le soleil se tient en son plus haut et verse son éclat dans les étoiles et ( que ) les étoiles versent leur éclat dans la lune, de sorte que cela se trouve ordonné sous le soleil. Ainsi la lumière divine a-t-elle inclus en soi la lumière de l’ange et la lumière de l’âme, de sorte que tout cela se tient ordonné et dressé vers le haut, et loue ainsi Dieu pleinement. Alors il n’est plus rien qui ne loue Dieu, et tout se tient égal à Dieu – plus c’est égal plus c’est plein de Dieu – et loue pleinement Dieu. Notre Seigneur dit : « J’habiterai avec vous dans votre maison. » Nous prions notre aimable Seigneur Dieu pour qu’il habite avec nous ici-bas, afin que nous en venions à habiter avec lui éternellement ; qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Eckhart: Sermon 19

Il y eut un homme, cet homme n’avait pas de nom, car cet homme est Dieu. Or un maître dit à propos de la première cause qu’elle est au-dessus de la parole. Le défaut tient au langage. Cela vient de l’excès de limpidité de son être. On ne peut discourir des choses que de trois façons : en premier lieu par ce qui est au-dessus des choses, en second lieu par ce qui est égal aux choses, en troisième lieu par l’oeuvre des choses. Je donnerai une comparaison. Lorsque la puissance du soleil tire le suc le plus noble de la racine jusqu’aux branches et réalise une fleur, la puissance du soleil est néanmoins au-dessus de cela. C’est ainsi que je dis que la lumière divine opère dans l’âme. Ce en quoi l’âme exprime Dieu, cela ne porte pourtant pas en lui la vérité proprement dite de son être : personne à propos de Dieu ne peut dire à proprement parler ce qu’il est. Parfois l’on dit : Une chose est égale à une chose. Or parce que toutes les créatures incluent en elles si peut que rien de Dieu, elles ne peuvent non plus rien révéler de lui. Un peintre qui a fait une image parfaite, il fait preuve là de son art. Néanmoins on ne peut l’éprouver totalement par là. Toutes les créatures ne peuvent pas exprimer Dieu, car elles ne sont pas capables de recevoir ce qu’il est. Ce Dieu et homme a préparé le repas du soir, l’homme inexprimable pour lequel il n’est pas de mot. Saint Augustin dit : Ce que l’on dit de Dieu, ce n’est pas vrai, et ce que l’on ne dit pas de lui, cela est vrai. Lorsqu’on dit ce que Dieu est, cela il ne l’est pas ; ce que de lui l’on ne dit pas, il l’est plus proprement que ce que l’on dit qu’il est. Qui a préparé ce festin ? Un homme : l’homme qui là est Dieu. Or le roi David dit : « Ô Seigneur, que grand et que multiple est ton festin, et le goût de la douceur que tu as préparé à ceux qui t’aiment, non à ceux qui te craignent. » Saint Augustin méditait sur cette nourriture, alors il était pris de frayeur et il en perdait le goût. Alors il entendu près de lui une voix d’en haut : « Je suis une nourriture de gens adultes, croîs et deviens grand, et consomme-moi. Mais tu ne dois pas t’imaginer que je me transformerai en toi : c’est toi qui dois te trouver transformé en moi. » Lorsque Dieu opère dans l’âme, dans le brasier de la fournaise se trouve alors purifié et jeté dehors ce qui là est inégal en l’âme. En limpide vérité ! L’âme entre davantage en Dieu qu’aucune nourriture en nous, plutôt : cela transforme l’âme en Dieu. Et une puissance est dans l’âme qui sépare le plus grossier et se trouve unie à Dieu : c’est la petite étincelle de l’âme. Encore plus une avec Dieu devient mon âme que la nourriture avec mon corps. Eckhart: Sermon 20a

Or saint Luc dit : « Un homme fit un grand festin du soir. » Cet homme n’avait pas de nom, cet homme n’avait pas d’égal ( à lui ), cet homme est Dieu. Dieu n’a pas de nom. Un maître païen dit qu’aucune langue n’est à même de produire à propos de Dieu une parole propre en raison de la hauteur et de la limpidité de son être. Lorsque nous parlons de l’arbre, nous en parlons au moyen de choses qui sont au-dessus de l’arbre, tel le soleil qui là opère dans l’arbre. C’est pourquoi de Dieu on ne peut à proprement parler rien dire, car il n’est rien au-dessus de Dieu, et Dieu n’a pas de cause. En second lieu, nous parlons des choses par référence à l’égalité. C’est pourquoi on ne peut à proprement parler discourir de Dieu en rien, car rien ne lui est égal. En troisième lieu, on discourt des choses à propos de leurs oeuvres : lorsque l’on parle de l’art du maître, l’on parle de l’image qu’il a faite ; l’image révèle l’art du maître. Toutes les créatures sont par trop misérables pour le révéler ; elles sont toutes un néant en regard de Dieu. C’est pourquoi aucune créature n’est à même de produire une seule parole à propos de Dieu en ses oeuvres. C’est pourquoi Denys dit : Tous ceux qui veulent exprimer Dieu, ceux-là ont tort, car ils ne disent rien de lui. Ceux qui ne veulent pas parler de lui, ceux-là ont raison, car aucune parole ne peut exprimer Dieu, plutôt : il se dit assurément lui-même en lui-même. C’est pourquoi David dit : « Nous verrons cette lumière dans ta lumière. » Luc dit : « Un homme ». Il est un et il est un homme, et il n’est égal à personne, et il plane au-dessus de tout. Eckhart: Sermon 20b

Le bien le plus grand que Dieu ait jamais fait à l’homme, ce fut qu’il devint homme. Ici je raconterai une histoire qui convient bien à cela. Il y avait un homme riche et une femme riche. Un accident arriva à la femme qui fit qu’elle perdit un oeil ; elle en fut fort affligée. Alors l’homme vint à elle et dit : « Dame, pourquoi êtes-vous si affligée ? Vous ne devez pas vous affliger de ce que vous avez perdu un oeil. » Alors elle dit : « Seigneur, je ne m’afflige pas de ce que j’ai perdu un oeil ; je m’afflige de ce qu’il me semble que vous m’en aimerez moins. » Alors il dit : « Dame, je vous aime. » Peu de temps après, il s’arracha lui-même un oeil et vint trouver la femme et dit : « Dame, pour que vous croyiez que je vous aime, je me suis fait égal à vous ; moi aussi je n’ai qu’un oeil. » Ainsi de l’homme, il put à peine croire que Dieu l’a en si grand amour jusqu’au jour où Dieu s’arracha lui-même un oeil et revêtit la nature humaine. C’est ce que veut dire « est devenu chair ». Notre Dame dit : « Comment cela adviendra-t-il ? » Alors l’ange dit : « Le Saint Esprit descendra en toi d’en haut », du trône le plus élevé, du Père de la lumière éternelle. Eckhart: Sermon 22

Pourquoi appelle-t-on la mer une fureur ? Parce qu’elle se met en fureur et est agitée. Il « ordonna à ses disciples de monter ». Qui veut entendre cette parole et veut être disciple du Christ, il lui faut monter et élever son intellect par delà toutes les choses corporelles, et il lui faut traverser « la fureur » de l’inconstance des choses éphémères. Aussi longtemps qu’est là quelque versatilité, que ce soit malice ou colère ou tristesse, cela couvre l’intellect, en sorte qu’il ne peut pas entendre la parole. Un maître dit : Qui doit entendre choses naturelles et aussi choses matérielles, il lui faut dénuder son entendement de toutes les autres choses. Je l’ai dit souvent aussi : lorsque le soleil déverse son éclat sur les choses corporelles, ce qu’alors il peut saisir il le rend subtil et l’entraîne vers le haut avec lui ; si l’éclat du soleil le pouvait, il l’entraînerait dans le fond d’où il a flué. Mais lorsqu’il l’entraîne vers le haut dans l’air et ( que ) cela est alors dilaté en soi-même et chaud de par le soleil et ( que cela ) monte ensuite vers le froid, il éprouve un contrecoup de par ce froid et se trouve projeté vers le bas en pluie ou en neige. Il en est ainsi du Saint Esprit : il élève l’âme vers le haut et l’enlève et l’attire vers le haut avec lui, et si elle était prête il l’entraînerait vers le fond d’où elle a flué. Il en est ainsi lorsque le Saint Esprit est dans l’âme : c’est ainsi qu’elle monte car il l’entraîne alors avec lui. Mais lorsque le Saint Esprit se retire de l’âme, elle tombe vers le bas, car ce qui est de la terre cela tombe vers le bas ; mais ce qui est de feu, cela tournoie vers le haut. C’est pourquoi il faut que l’homme ait foulé aux pieds toutes les choses qui sont terrestres et tout ce qui peut couvrir l’entendement, pour que là rien ne demeure que seulement ce qui est égal à l’entendement. Opère-t-elle ( = l’âme ) encore dans l’entendement, alors elle lui est égale. L’âme qui a ainsi transcendé toutes choses, celle-là le Saint Esprit l’élève et l’enlève avec lui dans le fond d’où il a flué. Oui, il l’emporte dans son image éternelle d’où elle a flué, dans l’image selon laquelle le Père a formé toutes choses, dans l’image où toutes choses sont Un, dans la largeur et dans la profondeur où toutes choses retrouvent leur fin. Celui qui veut parvenir là, il lui faut avoir foulé aux pieds toutes les choses qui sont inégales à cela, et ( celui qui ) veut écouter la Parole et veut être disciple de Jésus, ( qui est ) le salut. Eckhart: Sermon 23

Je pensais une fois – il n’y a pas longtemps de cela : Que je sois un homme, voilà aussi ce qu’un autre homme a en commun avec moi ; que je voie et entende et mange et boive, voilà aussi ce que fait un autre animal ; mais le fait que je suis, cela n’est à aucun homme qu’à moi seul, ni à homme ni à ange ni à Dieu, que dans la mesure où je suis un avec lui ; c’est une limpidité et une unité. Tout ce que Dieu opère, il l’opère dans le Un égal à lui-même. Dieu donne à toutes choses également, et elles sont pourtant tout à fait inégales en leurs oeuvres, et elles visent pourtant toutes dans leurs oeuvres ce qui leur est égal. La nature opéra dans mon père l’oeuvre de la nature. La visée de la nature était que je serais père, comme il fut père. Il opère toute son oeuvre en vue d’un égal à ce qui est son propre et en vue de son image propre, afin qu’il soit lui-même cette oeuvre : cela vise en tout l’« homme ». Lorsque la nature se trouve tournée ou empêchée, en sorte qu’elle n’exerce pas un pouvoir total dans son oeuvre, alors survient une femme, et là où la nature déchoit de son oeuvre, là Dieu s’attache à opérer et à créer ; car s’il n’y avait pas de femme, il n’y aurait pas d’homme non plus. Lorsque l’enfant se trouve conçu dans le corps de la mère, il acquiert image et forme et figure ; voilà ce qu’opère la nature. Ainsi demeure-t-il encore quarante jours et quarante nuits, et au quarantième jour Dieu alors crée l’âme en beaucoup moins qu’en un instant, pour que l’âme devienne une forme et une vie pour le corps. Ainsi l’oeuvre de la nature s’efface-t-elle avec tout ce que la nature peut opérer en fait de forme et en fait d’image et en fait de figure. L’oeuvre de la nature s’efface pleinement, et autant l’oeuvre de la nature s’efface pleinement, autant elle est remise tout à l’âme douée d’intellect. C’est maintenant l’oeuvre de la nature et une création de Dieu. Eckhart: Sermon 28

Notre Seigneur monta au ciel par delà toute lumière et par delà tout entendement et par delà toute compréhension. L’homme qui est ainsi porté par delà toute lumière, celui-là habite dans l’éternité. C’est pourquoi saint Paul dit : « Dieu habite dans une lumière à laquelle il n’est point d’accès » et en elle-même est un Un limpide. C’est pourquoi il faut que l’homme soit tué et soit tout à fait mort et ne soit pas en lui-même et être dépouillé de toute égalité et à personne égal, ainsi est-il égal proprement à Dieu. Car c’est propriété de Dieu et sa nature que d’être inégal et de n’être égal à personne. Eckhart: Sermon 29

Or je dis : Comment peut-il se faire que détachement de l’entendement, sans forme ni image en lui-même, entende toutes choses sans se tourner vers l’extérieur ni transformation de soi-même ? Je dis, cela vient de la simplicité ; car plus limpidement ( et ) simplement l’homme est ( détaché ) de lui-même et dans lui-même, plus simplement entend-il toute multiplicité en lui-même et demeure-t-il invariable dans lui-même. Boèce dit : Dieu est un bien immuable, en repos en lui-même, intouché et immobile et mouvant toutes choses. Un entendement simple est si limpide en lui-même qu’il comprend l’être divin limpide nu sans intermédiaire. Et dans l’influx il reçoit la nature divine à l’égal des anges, de quoi les anges éprouvent grande joie. Pou que l’on puisse voir un ange, pour cela on voudrait être mille ans en enfer. Cet entendement est si limpide et si clair en lui-même que ce que l’on verrait dans cette lumière deviendrait un ange ! Eckhart: Sermon 15

Les maîtres disent, qu’est-ce qui est meilleur : puissance des plantes ou puissance des paroles ou puissance des pierres ? Il faut s’interroger sur ce que l’on choisit. Les plantes ont grande puissance. J’ai entendu dire qu’un serpent et une belette se battirent entre eux. La belette s’enfuit et alla chercher une plante et l’enveloppa dans une autre chose et lança la plante sur le serpent, et celui-ci éclata par le milieu et tomba mort. Qu’est-ce qui donna cette sagesse à la belette ? Qu’elle savait la puissance en cette plante. En cela se trouve vraiment une grande sagesse. Les paroles aussi ont grande puissance ; on pourrait faire des miracles avec des paroles. Toutes les paroles tirent puissance de la première Parole. Les pierres aussi ont grande puissance de par l’égalité que les étoiles et la puissance du ciel y opèrent. Parce que l’égal opère à ce point dans l’égal, pour cette raison l’âme doit s’élever dans sa lumière naturelle, dans le plus élevé et le plus limpide, et entrer ainsi dans la lumière angélique, et avec la lumière angélique parvenir à la lumière divine, et se tenir ainsi entre les trois lumières au croisement des chemins, dans la hauteur, là où les lumières se rencontrent. Là la Parole éternelle lui dit la vie ; là l’âme devient vivante et répond dans la Parole. Eckhart: Sermon 18