Le monachisme ascétique oriental
Le monachisme sous la forme d'un ascétisme rigoureux prit, de bonne heure, un très grand développement dans l'Eglise orientale. Tel était son prestige qu'Empereurs et Patriarches devaient prendre en considération le point de vue des moines dans les grandes affaires ecclésiastiques et religieuses.
A tout ascétisme un certain mysticisme est sous-jacent. La première forme sous laquelle le mysticisme monastique se présenta en Orient fut d'une veine toute populaire, irrationnel, matérialiste même, où régnaient l'empirisme et le réalisme. Le thème fondamental sur lequel il se déroule et qui le consomme c'est la lutte âpre contre l'étreinte de la matière impure. Et, comme cet ennemi redoutable prend des formes multiples et subtiles, on doit être toujours prêt et apte à démêler dans tout acte, dans toute démarche de l'esprit et de l'âme, la part qui éventuellement vient de lui pour lui tenir tête. De là une analyse méticuleuse de différents cas, une vraie stratégie pour obtenir la victoire. Meurtrir le corps dans les exploits d'une ascèse impitoyable, tel paraît être le principal objectif, l'unique presque de la vie du moine. Si nous nous rappelons, d'autre part, que sur la terre tourmentée de l'Empire oriental les âmes ont toujours eu à se garder de la poussée constante de l'hérésie, vraie ou supposée, nous aurons les traits essentiels qui confèrent à la piété byzantine, en général, une figure mystérieuse et inquiète. Tout ceci oblige le moine à se maîtriser constamment, d'où les affinités du rythme de la pensée et du langage ascétiques avec les stoïciens et les cyniques. Il convient de noter ici, que le pessimisme, qui se dégage de la conception de l'impureté de la matière, est de source néoplatonicienne. Saint Maxime flagella ce pessimisme, comme nous allons le Voir, lui substituant un bel optimisme, qui fait penser à l'optimisme platonicien, puisqu'il cherche la justice et la sainteté dans la clarté de l'esprit et offre par là une base saine au mysticisme spéculatif.
Il nous reste deux sources, précieuses à tous points de vue, pour la vie des ascètes ; ce sont l'Histoire Lausiaque de Palladius (Ve siècle) et le Pré spirituel de Jean Eucratos (Eucratos ou Eucratas, celui qui a un bon empire sur lui-même), dit Moschus (VIe-VIIe siècle). Dans le Pré spirituel surtout, qui devint une lecture favorite des Byzantins de l'ancienne Russie et d'autres pays, se dessine vivement la vie religieuse dans les monastères de Palestine. Cette pratique pieuse cherche à se systématiser, et nous avons déjà dans l'œuvre de Diadoque de Photiké (Ve siècle), Cent chapitres sur la perfection, un chef-d'œuvre de spiritualité, où l'auteur se charge de présenter la meilleure manière d'obtenir la perfection monastique. Dans un esprit analogue saint Dorothée (vie siècle) composa ses 24 conférences spirituelles d'un contenu mi-théologique, mi-ascétique, qui ont également joui d'une grande considération dans la vie monastique. Tout dans la vie du moine est organisé de manière à lui rappeler incessamment son devoir ; jusqu'à son vêtement qui est sans manchettes, pour lui crier qu'il n'a pas des mains pour commettre des mauvais actes ; toutes les parties du vêtement monastique symbolisent, chacune à sa manière, le but poursuivi. Nous avons là une influence manifeste de la symbolique du pseudo-Denys.
Un autre auteur ascétique est Jean de Carpathos, au sujet duquel on ne sait rien de certain ; selon toute probabilité il est contemporain de Maxime (VIIe siècle). Les traités ascétiques qu'il nous a laissés, fruits d'une rare expérience, sont tous rédigés sous forme de brèves sentences, pouvant aisément se retenir. Deux traits essentiels de son œuvre dénotent chez lui la spiritualité pré-byzantine que Maxime sut éviter. C'est d'abord le rôle prépondérant que le démon joue chez lui, analogue au rôle que celui-ci tenait au désert ; c'est ensuite l'opposition radicale entre l'hellénisme et la vraie philosophie, c'est-à-dire, le christianisme. Le disciple de Jean de Carpathos doit se considérer comme définitivement mort à l'hellénisme qu'il a abandonné.
