Sur la création de Dieu, en effet, je ne connais pas de meilleure étude que celle de Basile , cet homme « réellement créé selon Dieu » et « dont l’âme fut formée à l’image de son créateur ». Ces travaux de notre commun père et maître ont mis à la portée de tous la magnifique ordonnance de l’univers ; à ceux que sa science a poussés à l’étude, ils ont fait connaître un monde qui trouve sa cohésion dans la vérité de la sagesse divine. Or, bien qu’impuissant à l’admirer comme il faut, j’ai eu l’idée de compléter ce qui manquait aux études de ce grand homme non que je veuille, en lui attribuant mon ouvrage, contaminer le sien (ce serait une impiété outrageante pour celui dont nous prétendons magnifier le sublime enseignement), mais je voudrais que la gloire qui vient des disciples ne fasse pas défaut au maître. Si en effet, son ouvrage sur les « Six Jours » laissant de côté l’étude de l’homme, aucun de ses disciples n’avait à coeur d’achever ce qui manque, la réputation de Basile encourrait peut-être le reproche de n’avoir pas cherché à mettre dans ses auditeurs l’habitude de la réflexion. Aussi, selon mes forces, j’ose entreprendre le commentaire de ce qui reste à traiter. Si, dans ces pages, vous en trouvez qui ne soient pas indignes de l’enseignement de Basile, toute la gloire en reviendra à notre maître ; mais si je n’atteins pas à la sublimité de sa DOCTRINE, on ne lui reprochera pas d’avoir donné l’impression de négliger la formation de ses disciples et, à bon droit, les critiques me tiendront responsable de ne pas avoir eu un coeur à la mesure de la sagesse du maître. Introduction
Avant d’examiner ce sujet, revenons à un point que nous avons laissé de côté et qui allait nous échapper bien que logiquement il ait trait à ce qui précède, à savoir : pourquoi les produits du sol germent d’abord, pourquoi viennent ensuite parmi les vivants les êtres sans raison et enfin, après la formation de ces êtres, l’homme. Bien sûr, nous apprenons par là, – ce qui est à la portée de tout le monde -, que le Créateur a fait l’herbe en vue des vivants et les bêtes des champs en vue de l’homme : avant les animaux, il crée leur nourriture ; et, avant l’homme, tout ce qui doit servir à sa vie. Mais je soupçonne Moïse d’avoir voulu donner à entendre par là une DOCTRINE mystérieuse et, sous des mots cachés, de livrer une philosophie de l’âme que les « philosophes de l’extérieur » ont entrevue, sans la saisir clairement. VIII
Sur ces points, une fois de plus, la vérité, quelle qu’elle soit, ne saurait apparaître dans son évidence qu’aux initiés, comme Paul, des mystères indicibles du paradis. Pour nous, voici notre avis : un jour où les Sadducéens faisaient objection à la DOCTRINE de la Résurrection et où, pour confirmer leur thèse, ils mettaient en avant le cas de cette femme mariée successivement à sept frères, en demandant à qui après la Résurrection elle appartiendrait, le Seigneur, non seulement pour instruire les Sadducéens, mais aussi pour faire connaître aux âges à venir le mystère de la vie dans la Résurrection, dit : « A la résurrection ni les hommes ni les femmes ne se marieront ; car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux Anges et fils de Dieu, étant fils de la Résurrection ». La grâce de la Résurrection ne nous est pas présentée autrement que comme le rétablissement dans le premier état de ceux qui sont tombés. En effet la grâce que nous attendons est le retour à la première vie, où sera ramené dans le paradis celui qui en avait été chassé. XVII
Ce ne sera pas, dit-on peut-être, au même genre de vie qu’à l’origine que l’homme reviendra alors, si précisément dans le premier état nous étions dans la nécessité de manger, tandis qu’après la résurrection nous serons délivrés de cette charge. Pour ma part, quand je lis l’Écriture , je ne puis admettre qu’il s’agisse de nourriture corporelle pas plus que de jouissance charnelle, mais d’un plaisir tout autre, présentant bien une analogie avec le plaisir du corps, mais dont la jouissance s’adresse à l’âme seule. « Mangez des pains qui m’appartiennent », ordonne la Sagesse à ceux qui ont faim ; et le Seigneur béatifie ceux qui ont faim de cette nourriture, à savoir : « Si quelqu’un a soif, dit-il, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » Et le grand Isaïe : «Buvez à la joie », ordonne-t-il à ceux qui sont capables de comprendre la sublimité de sa DOCTRINE. On trouve aussi contre les coupables cette menace prophétique, qu’ils seront punis par la faim . La faim n’est pas ici une disette de pain et d’eau, mais le manque de Parole ; car l’Écriture ne veut parler ni du pain ni de l’eau, mais de la faim d’entendre les paroles du Seigneur. XIX
Sur plus d’un point, pourtant, nous pouvons être dans l’embarras et y trouver occasion de doutes sérieux sur notre foi. Des esprits habitués à la controverse peuvent se permettre par des arguments vraisemblables et logiques de mettre notre foi sens dessus dessous, en ne tenant pas pour vraie la DOCTRINE de l’Écriture sur la création matérielle, qui enseigne avec force l’origine de toutes choses en Dieu. XXIII
Ceux qui tiennent la DOCTRINE contraire, en effet, s’efforcent d’établir que la matière est coéternelle à Dieu et pour fonder cette façon de penser, ils usent des arguments suivants : d’un côté, la nature de Dieu est simple, sans matière, sans qualité, grandeur ou composition ; elle ne connaît aucune délimitation extérieure. De l’autre, toute matière se définit par son extension dans l’espace et est soumise à la perception sensible, puisqu’elle se fait connaître à nous par la couleur, la forme extérieure, le poids, la quantité, la résistance et toutes les autres qualités dont on ne peut absolument pas admettre l’existence dans la nature divine. Or comment imaginer que la matière vienne d’un être immatériel ? que ce qui a des dimensions vienne de ce qui n’en a pas ? Si l’on croit que la matière tire de Dieu son origine, il faut admettre que d’une façon inexplicable elle est en Dieu, d’où elle viendrait ainsi à l’existence. Mais si la matière est en Dieu, comment celui qui la contient est-il immatériel ? Il faut en dire autant de toutes les autres caractéristiques de la nature matérielle : si la quantité est en Dieu, comment Dieu est-il sans elle ? S’il contient en lui l’être composé, comment est-il simple, sans parties ni composition ? Aussi on doit conclure : ou Dieu est nécessairement matériel, puisque la matière tire de lui son origine, ou, si on veut éviter cette conséquence, il faut supposer qu’il prend hors de lui la matière dont il a besoin pour la formation de l’univers. En conséquence, si la matière était hors de Dieu, il faudrait absolument admettre un principe différent de lui, qui lui soit coéternel et n’ait pas d’origine. On en vient à poser la coexistence de deux principes sans commencement ni origine, celui dont l’art réalise le monde et celui sur lequel il s’applique. Une telle théorie qui admet comme une nécessité la coexistence éternelle de Dieu et de la matière est une approbation donnée aux idées des Manichéens qui mettent sur le même plan, comme incréées l’une et l’autre, la cause matérielle et la nature du bien . XXIII
Quelqu’un voyant la corruption des corps et jaugeant la Divinité à la mesure de ses forces soutient peut-être l’impossibilité de notre enseignement sur la Résurrection, sous prétexte qu’il ne peut admettre l’arrêt des êtres soumis au mouvement et le retour à la vie d’êtres qui ne se meuvent plus. Cet adversaire trouvera d’abord une excellente preuve de la vérité de la Résurrection, en examinant combien est digne de foi l’annonce qui en est faite : en particulier, il fondera son assentiment sur la réalisation actuelle de prophéties faites dans le passé. En effet, dans le nombre et la diversité des récits de la Sainte Écriture, il est possible de se demander si l’ensemble des prédictions qui s’y trouvent tient du mensonge ou de la vérité et de se faire par là une idée sur la DOCTRINE de la Résurrection. Si ailleurs les paroles sont mensongères et s’écartent avec évidence de la vérité, la prophétie sur la Résurrection, elle aussi, sera fausse. Si, au contraire, les faits confirment la vérité de tout le reste, il serait logique d’en conclure à l’exactitude des prophéties sur la Résurrection. Rappelons donc une ou deux de ces prédictions et confrontons l’événement avec elles, afin de connaître par là la vérité de la Parole divine. XXV
Il y a des gens qui, par suite du manque de vigueur de nos raisons humaines, jugent à notre mesure la puissance divine et tiennent pour impossible à Dieu tout ce que nous ne pouvons comprendre. Ils nous montrent l’anéantissement de ceux qui sont morts depuis longtemps, les restes de ceux qui ont été réduits en cendres par des bûchers ; ils y joignent le cas des carnivores, et ce poisson qui, ayant dévoré la chair d’un naufragé, est devenu à son tour la nourriture des hommes et que la digestion a transformé dans le corps même de celui qui l’a mangé . Ils passent encore en revue beaucoup d’autres raisons méprisables et indignes de la toute-puissance de Dieu, pour renverser notre DOCTRINE, comme si Dieu ne pouvait pas à nouveau par les mêmes chemins rétablir l’homme en sa nature par le moyen de la Résurrection. XXVI
Jusqu’ici leur façon de parler, dans son développement, même si elle s’emporte hors de la vérité, suit cependant un ordre logique d’invraisemblances en invraisemblances. Mais, du point où elle est parvenue, leur DOCTRINE se perd dans des imaginations incohérentes et logiquement, on entrevoit la perte absolue de l’âme. Lorsque celle-ci glissera de l’état élevé où elle se trouve, elle ne pourra s’arrêter à aucune borne dans le vice, mais, soumise aux passions, de l’état rationnel, elle passera à l’irrationnel ; de celui-ci elle se transformera dans les végétaux insensibles ; l’état des inanimés n’est pas loin de celui qui n’a pas la sensation ; et après vient l’inexistant. En somme, selon ces auteurs, par une suite logique, l’âme s’en ira vers le néant. XXVIII
On le voit, elle n’a ni queue ni tête, cette opinion cherchant à établir que les âmes vivaient indépendantes avant leur existence corporelle et que le vice a été la cause de leur union à un corps. L’invraisemblance de l’opinion qui tient au contraire que l’âme est venue après le corps a été démontrée par ce qui précède. Aussi l’une et l’autre DOCTRINE sont absolument à rejeter. XXVIII
DOCTRINEs…………..2
L’Apôtre nous apprend la même chose par ses paroles aux Éphésiens : il prie pour eux, afin qu’ils gardent dans son intégralité, pour la venue du Seigneur, la beauté du corps, de l’âme et de l’esprit. Pour désigner la partie nutritive, il dit le « corps » ; par « âme », il entend la partie sensitive ; par « esprit », la partie intellectuelle . De la même manière, le Seigneur dans l’Évangile enseigne au scribe que l’amour de Dieu vient avant tout commandement et qu’il doit s’exercer par tout le coeur, toute l’âme et toute la pensée. Là aussi l’Écriture semble faire la même distinction ; elle parle de « coeur » pour désigner l’ensemble corporel, d’ « âme » pour ce qui est intermédiaire entre le corps et l’esprit et d’ « esprit » pour la nature supérieure, la faculté de comprendre et d’agir. De là viennent les trois distinctions que l’Apôtre établit dans les principes qui inspirent notre action : il appelle l’un « charnel », celui qui ne voit que le ventre et le plaisir ; l’autre est l’ « animal », intermédiaire entre la vertu et le vice, supérieur au second, sans appartenir tout à fait au premier ; enfin le dernier est le « spirituel », qui consiste en la perfection de la vie selon Dieu. C’est pourquoi il dit aux Corinthiens, blâmant leur vie de pure jouissance et de soumission aux passions : « Vous êtes charnels et incapables de saisir des DOCTRINEs plus élevées » . Ailleurs, faisant une différence entre le degré du milieu et le degré plus parfait, il dit : « L’homme animal ne comprend pas les choses de l’esprit ; elles sont folie pour lui ; l’homme spirituel au contraire juge de tout et n’est lui-même jugé par personne » . Comme donc « l’animal » est élevé au-dessus du « charnel », de la même façon le « spirituel » est placé au-dessus de « l’animal ». VIII
Les tenants de la première opinion, qui soutiennent que la cité formée par les âmes est plus ancienne que leur existence dans la chair, ne me paraissent pas s’être purifiés de ces DOCTRINEs imaginées par les Grecs sur la métempsycose. Un examen attentif ferait voir que cette façon de penser en vient, selon une pente nécessaire, à soutenir, comme on le prête à l’un de leurs sages, que le même être devient homme, se revêt d’un corps de femme, vole parmi les oiseaux, devient arbuste et finit par vivre dans les eaux. Ce sage, il me semble, n’est pas loin de la vérité, s’il parle de lui-même ; car toutes ces conceptions, tenant qu’une âme unique passe par ces divers états, sont dignes du bavardage des grenouilles ou des geais, de l’inintelligence des poissons ou de l’insensibilité des chênes. XXVIII