doctrine (Eckhart)

Or un évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais. » Or un autre évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui toutes choses me plaisent. » Or le troisième évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais moi-même. » Tout ce qui plait à Dieu, cela lui plaît dans son Fils unique ; tout ce que Dieu aime, il l’aime dans son Fils unique. Or l’homme doit vivre de telle sorte qu’il soit un avec le Fils unique et qu’il soit le Fils unique. Entre le Fils unique et l’âme, il n’est pas de différence. Ente le serviteur et le maître, jamais amour ne sera égal. Aussi longtemps je suis serviteur, je suis très loin du Fils unique et inégal à lui. Si je voulais voir Dieu avec mes yeux, les yeux au moyen desquels je vois la couleur, je ne serais pas du tout comme il faut, car c’est temporel ; car tout ce qui est temporel, cela est loin de Dieu et étranger ( à lui ). Lorsque l’on prend le temps, et le prend-on au plus réduit, ( un ) maintenant, cela est temps et subsiste en soi-même. Aussi longtemps l’homme a-t-il temps et espace et nombre et multiplicité et quantité, il n’est pas du tout comme il faut, et Dieu lui est lointain et étranger. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : Qui veut devenir mon disciple, il lui faut se laisser soi-même ; personne ne peut entendre ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. Toutes créatures, en elles-mêmes, ne sont rien. C’est pourquoi j’ai dit : Laissez le rien et saisissez-vous d’un être accompli, là où la volonté est droite. Qui a laissé toute sa volonté, celui-là goûte ma doctrine et entend ma parole. Or un maître dit que toutes les créatures prennent leur être de Dieu sans intermédiaire ; c’est pourquoi il en est ainsi des créatures que, par droite nature, elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes. L’esprit connaîtrait-il son nu détachement, il ne pourrait avoir inclination à chose aucune, il lui faudrait s’en tenir à son nu détachement. C’est pourquoi il dit : « Il lui a plu en ses jours ». Eckhart: Sermon 10

Les maîtres disent que la ( couleur ) jaune et la couleur verte, dans l’arc-en-ciel, se joignent l’une à l’autre de façon si égale qu’aucun oeil n’a vision si aiguë qu’il puisse le percevoir ; c’est de façon aussi égale qu’opère la nature et qu’elle s’égale au premier jaillissement, qui est si égal en les anges que Moïse ne se risqua pas à en écrire par égard au sentiment des faibles gens, pour qu’ils ne les adorent pas : si égaux sont-ils au premier jaillissement. Un grand maître dit même que l’ange le plus élevé parmi les esprits est si proche du premier jaillissement et possède en lui tant de ressemblance divine et de puissance divine qu’il a créé tout ce monde et en sus tous les anges qui sont au-dessous de lui. Ici se trouve une bonne doctrine, que Dieu est si élevé et si limpide et si simple qu’il opère dans sa créature le plus élevée de sorte qu’elle opère dans sa puissance, comme un sénéchal opère dans la puissance du roi et gouverne son pays. Il dit : « Dans la ( ville ) sanctifiée et dans la ville consacrée je me reposerai de façon égale. » Eckhart: Sermon 18

Notre Seigneur dit dans l’évangile : « Ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais plutôt de celui qui m’a envoyé. » C’est ainsi qu’un homme bon doit se tenir : « Mon oeuvre n’est pas mon oeuvre, ma vie n’est pas ma vie. » Et est-ce ( le cas ) que je me tienne ainsi : toute la perfection et toute la béatitude que possède saint Pierre, et le fait que saint Paul tendit sa tête, et toute la béatitude que là ils possédèrent, je la goûte aussi bien qu’eux, et je veux en jouir éternellement comme si j’avais moi-même opéré cela. Plus : toutes les oeuvres que tous les saints et tous les anges ont jamais opérées, et même ( celles que ) Marie, la Mère de Dieu, opéra jamais, je veux en recevoir un bonheur éternel comme si j’avais opéré cela moi-même. Eckhart: Sermon 25