divinations

Puisqu’on vient de toucher à la question des prophètes, ce qui va suivre ne sera pas inutile, non seulement pour les Juifs qui croient que les prophètes ont parlé par l’esprit divin, mais même pour les Grecs de bonne foi. Je leur dirai qu’il est nécessaire d’admettre que les Juifs aussi ont eu des prophètes, puisqu’ils devaient être maintenus rassemblés sous la législation qui leur a été donnée, croire au Créateur selon les traditions qu’ils avaient reçues, et n’avoir, en vertu de la loi, aucun prétexte de passer par apostasie au polythéisme des païens. Et cette nécessité, je l’établirai ainsi. « Les païens », comme il est écrit dans la loi même des Juifs, « écouteront augures et devins », tandis qu’à ce peuple il est dit : « Mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu » ; et il est ajouté : « Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi parmi tes frères un prophète. » Les païens usaient de DIVINATIONS par les augures, les présages, les auspices, les ventriloques, les aruspices, les Chaldéens tireurs d’horoscopes, toutes choses interdites aux Juifs ; les Juifs dès lors, s’ils n’avaient eu aucune consolation de connaître le futur, sous la poussée de cet insatiable appétit humain de connaître l’avenir, auraient méprisé leurs propres prophètes comme n’ayant en eux rien de divin, et n’auraient pas reçu de prophètes après Moïse, ni inscrit leurs paroles dans les Écritures, mais se seraient tournés spontanément vers la divination et les oracles des païens ou auraient tenté d’établir chez eux quelque chose de semblable. Aussi n’y a-t-il rien d’étrange à ce que leurs prophètes aient fait des prédictions même sur des événements quotidiens, pour la consolation de ceux qui désiraient de tels oracles : ainsi la prophétie de Samuel même sur des ânesses perdues, et celle qu’on mentionne dans le troisième livre des Rois, sur la maladie du fils du roi. Sinon, comment ceux qui veillaient à l’observation des commandements de la loi auraient-ils condamné le désir d’obtenir un oracle des idoles ? C’est ainsi qu’on trouve Élie faisant à Ochosias cette réprimande : « N’y a-t-il pas de Dieu en Israël que vous alliez consulter en Baal une mouche, dieu d’Akkaron ? » LIVRE I

Que Celse donc, et ceux qui se plaisent à ses attaques contre nous le disent : quel rapport y a-t-il entre l’ombre d’un âne et le fait que les prophètes juifs ont prédit le lieu de naissance du futur chef de ceux à qui leur vie vertueuse mériterait d’être appelés « la part d’héritage » de Dieu ; qu’une vierge concevrait l’Emmanuel ; que tels signes et prodiges seraient accomplis par le personnage prédit et que « sa parole courrait si vite » que la voix de ses apôtres « parviendrait à toute la terre » ; quelles souffrances il subirait après sa condamnation par les Juifs et comment il ressusciterait ? Peut-on voir en ces paroles un effet du hasard sans qu’aucun motif plausible incitât les prophètes non seulement à les prononcer mais à les juger dignes d’être notées ? Est-ce que la puissante nation des Juifs qui s’était emparée depuis longtemps d’une contrée particulière pour l’habiter, n’avait pas de motif plausible pour proclamer certains d’entre eux prophètes et rejeter les autres comme faux prophètes ? Est-ce que rien ne les engageait à joindre aux livres de Moïse qu’ils tenaient pour sacrés les discours de ceux que dans la suite ils ont considérés comme des prophètes ? Et peuvent-ils nous prouver, ceux qui reprochent leur sottise aux Juifs et aux chrétiens, que la nation juive aurait pu subsister sans qu’il y ait eu chez elle aucune annonce d’événements connus d’avance ? Les nations dont elle était environnée croyaient chacune selon ses traditions recevoir des oracles et des DIVINATIONS de ceux qu’elles vénéraient comme dieux ; eux au contraire avaient été élevés dans le mépris de tous ceux que les nations tenaient pour dieux et y voyaient non pas des dieux mais des démons puisque leurs prophètes disaient : « Tous les dieux des nations sont des démons » : auraient-ils été les seuls à n’avoir personne qui fît profession de prédire et fût capable de retenir ceux qui, par désir de prévision des événements futurs, voulaient s’en aller vers les démons des autres nations ? Juge, dès lors, s’il n’était pas nécessaire qu’une nation entière, élevée dans le mépris pour les dieux des autres nations, eût en abondance des prophètes manifestant d’emblée leur excellence et leur supériorité sur les oracles de tout pays. LIVRE III

Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et DIVINATIONS ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV

La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de DIVINATIONS, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. EH bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V

Mais nous admirons ceux des prophètes de la Judée, voyant que leur vie pleine de force, de fermeté, de sainteté était digne de l’Esprit de Dieu qui prophétise d’une manière nouvelle sans rien de commun avec les DIVINATIONS des démons. LIVRE VI

Il n’est pas d’étrangers à la foi qui aient rien fait de semblable à ce que firent les prophètes ; il n’en est pas de plus récents, même postérieurs à la venue de Jésus, dont l’histoire dise qu’ils aient prophétisé parmi les Juifs. Car, de l’aveu de tous, le Saint-Esprit a abandonné les Juifs coupables d’impiété envers Dieu et envers Celui qui avait été prédit par leurs prophètes. Mais les signes du Saint-Esprit sont apparus, d’abord au temps de l’enseignement de Jésus, et en plus grand nombre après son ascension, mais par la suite en moins grand nombre. Cependant il en reste encore aujourd’hui des vestiges chez quelques-uns dont les âmes ont été purifiées par le Logos et les actions qu’il inspire. « Car l’Esprit Saint qui nous éduque fuit la duplicité, il s’éloigne des pensées sans intelligence. » Celse promet d’indiquer la manière dont se font les DIVINATIONS en Phénicie et en Palestine, comme une chose dont il est instruit et qu’il sait de première main. Examinons donc ce point. Il dit d’abord qu’il y a plusieurs espèces de prophéties, mais sans les indiquer : il en était incapable, ce n’était là qu’une hâblerie. Mais voyons celle qu’il présente comme le type le plus achevé chez les hommes de celte région. LIVRE VI

Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la mort pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos doctrines à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses doctrines propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de DIVINATIONS. Il prétend donc par là que notre doctrine sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la doctrine capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette doctrine n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des DIVINATIONS. LIVRE VIII