Ce qui est absolument nécessaire à celui qui fait pénitence avec le ferme propos de se corriger, ce sont des règlements… La règle donne une direction à l’action, elle en détermine toute la marche, le début, le temps, l’endroit, la tournure, l’achèvement. Par exemple, il faut lire, c’est un des exercices de l’ascétisme. Une règle doit déterminer : quels livres il convient de lire, quand, combien, comment s’y préparer, comment commencer, continuer et finir, que faire avec ce qui a été lu. Il en est de même pour ce qui regarde la prière, la méditation et les autres occupations. C’est évident, la réglementation doit tout embrasser, constituer l’enveloppe extérieure, le corps. Il faut régler toutes nos énergies, toutes les issues de notre activité, de sorte que rien ne se fasse sans l’application de la règle qui convient.
C’est de toute évidence. Nous commençons une vie tout à fait nouvelle, non coutumière, dont nous ne connaissons pas la pratique, une vie à laquelle nos facultés ne sont pas habituées. Pour apprendre tel ou tel exercice et s’y habituer, il faut déterminer par des règles ce qu’il y a à faire et comment le faire ; ainsi on apprend à une nouvelle recrue comment se tenir debout, comment manier le fusil etc. Sans règles, pas de force, pas d’exactitude dans l’activité.
Celui qui ne règle pas la prière ou le jeûne, ne saura pas prier ou jeûner. En général, qui n’a pas de règle ne saura rien faire comme il faut, et par conséquent sa vie ne sera pas une vie, malgré ses travaux et ses fatigues, car la vie se compose de nos activités. De plus, la vie sans règles ne peut pas s’écouler paisiblement, elle ne peut guère se développer progressivement et harmonieusement. On met le petit enfant dans des langes pour qu’il ne devienne pas un monstre ou ici bossu. De même, toute la vie spirituelle doit être emmaillottée de façon conforme au but, pour que toute la vie se développe sans heurts et en s’épanouissant, pour qu’aucune activité ne prenne, par ignorance, une direction en désaccord avec les autres activités et ne nuise au tout, pour qu’elle ne fasse pas fausse route, par exemple en ce qui regarde le jeûne. Une jeune plante est attachée à une forte tige, pour qu’elle tienne et pousse tout droit. Qui se développe sans règles, tout seul, reste sans formation, sans expérience ; il ne sait pas faire telle chose, il fait mal telle autre, ou ce qu’il fait bien est déplacé, ne convient pas à la personne qui agit.
Enfin, et le danger n’est pas insignifiant, sans règles, sans cet appui, on fait inévitablement des chutes et des fautes. Chez tel homme tout tient à sa présence d’esprit, à ses considérations personnelles et à son désir. Mais peut-on toujours compter sur ces principes ? On ne garde pas toujours la présence d’esprit ; l’aptitude à faire des considérations doit être éduquée, elle n’est pas toujours éveillée et s’atrophie ; reste le désir, mais qui peut être toujours le maître de ses désirs ? Quand il n’y a pas de règles, les manquements, les fautes, les arrêts sont inévitables. Réglée, la conduite reste toujours égale : bon gré, mal gré, fais ce qui est de règle, et tout s’accomplit ; il n’y aura pas d’arrêt, on va de l’avant. Et en outre comment freiner le caprice et les divagations de la pensée, ces tendances de l’âme extrêmement périlleuses ?
Ainsi, avec des règles et la direction d’un père spirituel, le chrétien zélé pratique l’art de se forcer soi-même, de résister à soi-même. Il combat sans relâche et fait tous les jours des progrès en spiritualité. [La Voie du Salut (en russe). Moscou, 4 e éd. 1879, p. 219-222]