disciples (Eckhart)

Le Père engendre son Fils sans relâche. Lorsque le Fils est engendré, il ne prend rien du Père, car il a tout ; mais lorsqu’il se trouve engendré, il prend du Père. Dans cette perspective, nous ne devons non plus rien désirer de Dieu comme d’un étranger. Notre Seigneur dit à ses disciples : « Je ne vous ai pas appelés serviteurs mais amis. » Ce qui désire quelque chose de l’autre, c’est ( le ) serviteur, et ce qui récompense c’est ( le ) maître. Je pensais récemment si de Dieu je voulais prendre ou désirer quelque chose. J’y songerai très fort, car si de Dieu j’étais celui qui prend, je serais en dessous de Dieu, comme un serviteur, et lui comme un maître dans le fait de donner. Ce n’est pas ainsi que nous devons être dans la vie éternelle. Eckhart: Sermon 6

On lit à propos des martyrs qu’« ils sont morts sous le glaive ». Notre Seigneur dit à ses disciples : « Bienheureux êtes-vous lorsque vous souffrez quelque chose pour mon nom. » Eckhart: Sermon 8

J’ai dit un jour dans un monastère : l’image propre de l’âme est là où ne se trouve formé ni d’extérieur ni d’intérieur que ce qu’est Dieu lui-même. L’âme a deux yeux, un intérieur et un extérieur. L’oeil intérieur de l’âme est celui qui voit dans l’être et prend son être de Dieu sans aucun intermédiaire : c’est son oeuvre propre. L’oeil extérieur de l’âme est celui qui est tourné vers toutes les créatures et qui les perçoit sous le mode de l’image et sous le mode d’une puissance. L’homme qui maintenant se trouve tourné vers soi-même, en sorte qu’il connaît Dieu dans son goût propre et dans son propre fondement, cet homme est affranchi de toutes choses créées et est enfermé en lui-même sous un vrai verrou de vérité. Ainsi ai-je dit une fois que Notre Seigneur vint à ses disciples, le jour de Pâques, les portes fermées ; ainsi de cet homme qui là est affranchi de toute étrangèreté et de tout le créé, dans cet homme Dieu ne vient pas : il est essentiellement. Eckhart: Sermon 10

Notre Seigneur alla dans une ville qui se nommait Naïm, et avec lui beaucoup de gens, et aussi les disciples. Lorsqu’ils arrivèrent sous la porte, on emportait un jeune homme mort, un fils unique d’une veuve. Notre Seigneur s’approcha, et toucha la civière sur laquelle gisait le mort et dit : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! » Le jeune homme se dressa et commença aussitôt à venir à la parole par la vertu de l’égalité selon laquelle il avait été relevé par la Parole éternelle. Eckhart: Sermon 18

Or il dit : « Notre Seigneur alla à la ville de Naïm. » Naïm veut dire fils de colombe et signifie simplicité. L’âme ne doit jamais trouver son repos dans sa puissance opératoire, à moins qu’elle ne deviennent tout un avec Dieu. Cela veut dire aussi un flux d’eau, et signifie que l’homme doit être inébranlable quant aux péchés et quant aux défauts. « Les disciples », c’est-à-dire lumière divine, cela doit fluer en un flux dans l’âme. « La grande foule », ce sont les vertus, dont j’ai récemment parlé. Il faut que l’âme, avec désir brûlant, monte et surpasse de beaucoup la dignité des anges dans les grandes vertus. Ainsi parvient-on sous « la porte », par où on emportait le mort, le jeune homme, fils d’une veuve. Notre Seigneur s’approcha et toucha ce sur quoi gisait le mort. Comment il s’approcha et comment il toucha, cela je le laisse de côté, plutôt : ( je parle de ) ce qu’il dit « Lève-toi, jeune homme ! » Eckhart: Sermon 18

« Un homme fit un repas du soir, un grand festin. » Celui qui fait un festin le matin, celui-là invite toutes sortes de gens ; mais pour le festin du soir, on invite des gens importants et des gens aimés et des amis très intimes. On célèbre aujourd’hui dans la chrétienté le jour de la Cène que le Seigneur prépara à ses disciples, à ses amis intimes, lorsqu’il leur donna son saint corps en nourriture. C’est le premier point. Il est un autre sens à la Cène. Avant que l’on en vienne au soir, il faut qu’il y ait eu un matin et un midi. La lumière divine se lève dans l’âme et fait un matin, et l’âme s’élève dans la lumière, gagne en ampleur et en hauteur jusqu’au midi ; après cela vient le soir. Maintenant nous parlons du soir en un autre sens. Lorsque la lumière décline, alors vient le soir ; lorsque tout ce monde décline de l’âme, alors c’est le soir, alors l’âme parvient au repos. Or saint Grégoire dit de la Cène : Quand on mange le matin, après cela vient un autre repas ; mais après le repas du soir ne vient aucun autre repas. Lorsque l’âme, à la Cène, goûte la nourriture et ( que ) la petite étincelle de l’âme saisit la lumière divine, elle n’a besoin d’aucune nourriture en sus et ne recherche rien à l’extérieur et se tient toute dans la lumière divine. Or saint Augustin dit : Seigneur, si tu te dérobes à nous, donnes-nous alors un autre toi, nous ne trouvons satisfaction en rien d’autre qu’en toi, car nous ne voulons rien que toi. Notre Seigneur se déroba à ses disciples comme Dieu et homme et se donna à eux à nouveau comme Dieu et homme, mais selon une autre manière et dans une autre forme. Tout comme là où il y a une chose grandement sacrée, on ne la laisse pas toucher ni regarder nue ; on l’enserre dans un cristal ou dans quelque chose d’autre. C’est ainsi que fit Notre Seigneur lorsqu’il se donna comme un autre soi. Dieu se donne, en tout ce qu’il est, dans la Cène, en nourriture à ses chers amis. Saint Augustin était pris de frayeur devant cette nourriture ; alors une voix lui parla en esprit : « Je suis une nourriture de gens adultes ; grandis et développe-toi et consomme-moi. Tu ne me transformes pas en toi, plutôt : tu te trouves transformé en moi. » La nourriture et le breuvage que j’ai pris il y a quinze jours, de cela une puissance de mon âme prit le plus limpide et le plus subtil et porta cela dans mon corps et unit cela avec tout ce qui est en moi, en sorte qu’il n’est rien de si petit, où l’on puisse ficher une aiguille, qui ne se soit uni avec lui ; et c’est aussi proprement un avec moi que ce qui se trouva reçu dans le corps de ma mère, là où ma vie me fut infusée en premier. Aussi proprement la puissance du Saint Esprit prend-elle le plus limpide et le plus subtil et le plus élevé, la petite étincelle de l’âme, et le porte tout entier vers le haut dans la fournaise, dans l’amour, comme je te le dis maintenant de l’arbre : La puissance du soleil prend dans la racine de l’arbre le plus limpide et le plus subtil et le tire tout entier vers le haut jusqu’au rameau, là il est une fleur. Ainsi de toute manière la petite étincelle dans l’âme se trouve emportée vers le haut dans la lumière et dans le Saint Esprit et ainsi emportée vers le haut dans la première origine, et se trouve ainsi tout a fait une avec Dieu et tend ainsi tout à fait à l’Un et est plus proprement une avec Dieu que la nourriture ne l’est avec mon corps, oui, bien davantage, d’autant plus qu’elle est plus pure et plus noble. C’est pourquoi il dit : « Un grand festin du soir ». Or David dit : « Seigneur, combien grande et combien multiple est la douceur et la nourriture que tu as cachée pour tous ceux qui te craignent » ; et celui qui reçoit cette nourriture avec crainte, celui-là ne la goûte jamais comme il convient, il faut qu’on la reçoive avec amour. C’est pourquoi une âme aimant Dieu a pouvoir sur Dieu de sorte qu’il lui faut se donner pleinement à elle. Eckhart: Sermon 20b

« Jésus ordonna à ses disciples de monter dans une barque et leur ordonna de traverser la fureur. » Eckhart: Sermon 23

Pourquoi appelle-t-on la mer une fureur ? Parce qu’elle se met en fureur et est agitée. Il « ordonna à ses disciples de monter ». Qui veut entendre cette parole et veut être disciple du Christ, il lui faut monter et élever son intellect par delà toutes les choses corporelles, et il lui faut traverser « la fureur » de l’inconstance des choses éphémères. Aussi longtemps qu’est là quelque versatilité, que ce soit malice ou colère ou tristesse, cela couvre l’intellect, en sorte qu’il ne peut pas entendre la parole. Un maître dit : Qui doit entendre choses naturelles et aussi choses matérielles, il lui faut dénuder son entendement de toutes les autres choses. Je l’ai dit souvent aussi : lorsque le soleil déverse son éclat sur les choses corporelles, ce qu’alors il peut saisir il le rend subtil et l’entraîne vers le haut avec lui ; si l’éclat du soleil le pouvait, il l’entraînerait dans le fond d’où il a flué. Mais lorsqu’il l’entraîne vers le haut dans l’air et ( que ) cela est alors dilaté en soi-même et chaud de par le soleil et ( que cela ) monte ensuite vers le froid, il éprouve un contrecoup de par ce froid et se trouve projeté vers le bas en pluie ou en neige. Il en est ainsi du Saint Esprit : il élève l’âme vers le haut et l’enlève et l’attire vers le haut avec lui, et si elle était prête il l’entraînerait vers le fond d’où elle a flué. Il en est ainsi lorsque le Saint Esprit est dans l’âme : c’est ainsi qu’elle monte car il l’entraîne alors avec lui. Mais lorsque le Saint Esprit se retire de l’âme, elle tombe vers le bas, car ce qui est de la terre cela tombe vers le bas ; mais ce qui est de feu, cela tournoie vers le haut. C’est pourquoi il faut que l’homme ait foulé aux pieds toutes les choses qui sont terrestres et tout ce qui peut couvrir l’entendement, pour que là rien ne demeure que seulement ce qui est égal à l’entendement. Opère-t-elle ( = l’âme ) encore dans l’entendement, alors elle lui est égale. L’âme qui a ainsi transcendé toutes choses, celle-là le Saint Esprit l’élève et l’enlève avec lui dans le fond d’où il a flué. Oui, il l’emporte dans son image éternelle d’où elle a flué, dans l’image selon laquelle le Père a formé toutes choses, dans l’image où toutes choses sont Un, dans la largeur et dans la profondeur où toutes choses retrouvent leur fin. Celui qui veut parvenir là, il lui faut avoir foulé aux pieds toutes les choses qui sont inégales à cela, et ( celui qui ) veut écouter la Parole et veut être disciple de Jésus, ( qui est ) le salut. Eckhart: Sermon 23

Ces mots que j’ai dits en latin, on les lit en la fête ( d’aujourd’hui ) à la messe, Notre Seigneur les dit à ses disciples lorsqu’il voulut monter au ciel : « Demeurez à Jérusalem ensemble et ne vous séparez pas, et attendez la promesse que le Père vous a faite : que vous seriez baptisés dans l’Esprit Saint après ces jours peu nombreux ou ( plutôt ) rares. » Eckhart: Sermon 29