Dionísio, o Areopagita – Excertos de suas cartas

Lettres.


Lett. 1 [à Caius, moine]. Les ténèbres se dissipent devant la lumière, surtout devant une abondante lumière ; l’ignorance se corrige par les connaissances, surtout par d’amples connaissances. Considérant l’ignorance mystique non pas comme une privation, mais comme une supériorité de science, tu peux dire en toute vérité que l’ignorance par rapport à Dieu échappe à qui possède la lumière réelle et la connaissance des êtres, et que cette sublime ténèbre est inaccessible à toute lumière et éclipse toute science. S’il advient que, voyant Dieu, on comprenne ce qu’on voit, c’est qu’on n’a pas vu Dieu lui-même, mais quelqu’une de ces choses connaissables qui lui doivent l’être. Pour lui, supérieur à tout entendement, à toute existence, il subsiste suréminemment, et il est connu d’une manière transcendante, par cela même qu’il ne subsiste pas et qu’on ne le connaît pas. Et cette absolue et heureuse ignorance constitue précisément la science de Celui qui surpasse tous les objets connaissables.

3 [à Caius, moine]. Dans l’adoption de l’humanité par le Christ, la théologie veut, à mon avis, faire entendre que l’incompréhensible Seigneur, en prenant la nature humaine, est sorti de son secret pour se révéler à nous. Il reste pourtant caché après cette manifestation, ou, pour parler un langage plus divin, dans cette manifestation même ; car le mystère de Jésus demeure caché, sans que nul discours, sans que nul entendement ne le démêle. Quoi qu’on dise de lui, il demeure indicible; de quelque façon qu’on le comprenne, il demeure inconnaissable.

5 [à Dorothée, ministre]. La ténèbre divine est cette lumière inaccessible où il est dit que Dieu habite [cf. 1 Tim 6,16]. Bien qu’elle soit invisible, à raison de ses splendeurs éblouissantes, et inabordable, à cause de l’abondance de sa surnaturelle clarté, néanmoins quiconque a mérité de voir et de connaître Dieu repose en elle, et par cela même qu’il ne voit ni ne connaît, il est véritablement en Celui qui surpasse toute vue et toute connaissance ; il sait seulement que ce Dieu s’élève par delà le monde matériel et intelligible, et il répète avec le prophète : «Votre science est trop merveilleuse pour moi, et elle dépasse tant mes forces que je n’y saurais atteindre» [Ps 138,6]. C’est en ce sens qu’on dit du divin Paul qu’il a connu Dieu, parce qu’il a su que Dieu échappe à toute pensée et à toute science. C’est pourquoi il proclame que ses voies sont impénétrables et ses jugements incompréhensibles [cf. Rom II, 33], que ses dons sont ineffables et que sa paix surpasse tout entendement [cf. Phil 4, 7] ; car il avait trouvé celui qui est supérieur à tout et il savait d’une science transcendante que Dieu, auteur de toutes choses, est aussi pardessus toutes choses.

8 [au moine Timothée], 2. Chacun des ordres qui vivent auprès de Dieu est plus conforme à Dieu que celui qui vit plus loin de lui ; et ceux qui sont plus proches de la vraie lumière sont tout ensemble plus aptes à recevoir l’illumination et à la transmettre. Mais n’imagine pas qu’il s’agisse de proximité locale, mais bien de l’aptitude à recevoir les dons de Dieu.

9 [à l’évêque Titus], 1. Celui qui pourrait voir la beauté cachée à l’intérieur de ces symboles trouverait que tout y est mystérieux, divin et rempli d’une grande lumière théologique. N’allons pas croire en effet que ces apparences allégoriques se suffisent à elles-mêmes ; elles sont destinées à déguiser la science mystérieuse que la foule ne peut avoir, les choses sacrées ne s’offrant pas aisément aux intelligences profanes, mais ne se dévoilant qu’aux véritables amis de la sainteté, parce qu’ils savent dégager ces pieux symboles de toute imagerie puérile, et que, par la simplicité de leur intelligence et la puissance de leur faculté contemplative, ils sont aptes à pénétrer jusqu’à la vérité simple, merveilleuse et transcendante des symboles.

9, 1. Il faut considérer d’ailleurs que les théologiens livrent leur savoir selon un double mode : l’un secret et mystique, l’autre évident et plus facilement connaissable. Le premier mode est symbolique et suppose initiation ; l’autre est philosophique et s’opère par voie de démonstration ; et l’inexprimable s’entrecroise avec l’exprimable. Le symbole persuade et inculque la vérité de ce qui est dit ; le mystère agit efficacement et opère l’union avec Dieu par des initiations qui ne s’enseignent point.