De ce qu’ils disent, il faut d’abord examiner s’ils peuvent, selon leur définition, montrer juste le créateur quand il punit selon leurs démérites soit ceux qui ont péri au temps du déluge, soit les Sodomites, soit ceux qui avaient quitté l’Egypte, alors que nous voyons parfois commis des forfaits bien plus révoltants et criminels que ceux pour lesquels les gens dont nous avons parlé plus haut ont été supprimés, sans que nous ayons encore vu chacun de ces pécheurs expier ses méfaits. Diront-ils alors qu’il est devenu bon, celui qui auparavant était juste ? Ou penseront-ils plutôt qu’il est encore juste maintenant, mais qu’il supporte patiemment les fautes des hommes, et aussi qu’il n’était pas juste celui qui anéantissait des tout-petits innocents et des nourrissons en même temps que les géants cruels et impies ? Mais ils pensent ainsi parce qu’ils ne veulent rien comprendre au delà de la lettre. D’ailleurs qu’ils montrent comment il est juste selon la lettre d’imputer les péchés des parents jusqu’à la troisième et la quatrième génération à leurs fils et aux enfants de leurs fils après eux. Nous, nous ne comprenons pas ces paroles selon la lettre, mais puisque Ézéchiel nous a appris que c’était une parabole, nous cherchons ce que signifie en elle-même cette parabole. Ils doivent montrer comment ce Dieu est juste, rétribuant chacun selon ses mérites, lui qui punit les terrestres et le diable, alors qu’ils n’ont rien commis qui soit digne de peine ; en effet ils ne pouvaient rien faire de bon, puisque, selon ces hérétiques, ils avaient une nature mauvaise et perdue d’avance. Car, quand ils le disent juge, il paraît être chez eux juge non tant des actes que des natures, puisque une nature mauvaise ne peut pas faire le bien, ni une bonne le mal. Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Ensuite si celui qu’ils disent bon est bon pour tous, sans aucun doute il l’est pour ceux qui sont destinés à perdition ; comment alors ne les sauve-t-il pas ? S’il ne le veut pas, il ne sera pas bon; s’il le veut et ne le peut pas, il ne sera pas tout-puissant. Qu’ils entendent plutôt, dans les Évangiles, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ préparant le feu pour le diable et ses anges. Comment une action aussi punitive et pénible selon le sens qu’ils lui donnent pourra paraître l’oeuvre du Dieu bon ? Mais le Sauveur lui-même, fils du Dieu bon, déclare dans les Évangiles : Si ces signes et ces prodiges avaient été accomplis à Tyr et à Sidon, depuis longtemps elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre. Et lorsqu’il s’est approché de ces villes et qu’il a pénétré sur leur territoire, pourquoi, je vous le demande, a-t-il refusé d’entrer dans ces cités et de leur manifester en abondance les signes et les prodiges, puisqu’il était certain que devant cela elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre ? Puisque assurément il ne l’a pas fait, il a abandonné sans aucun doute à la perdition ces cités, qui n’étaient pas cependant d’une nature mauvaise et perdue d’après la parole même de l’Évangile, puisqu’il est dit qu’elles pouvaient se repentir. Et on trouve aussi dans une parabole évangélique : Le roi, pénétrant dans la salle pour voir les convives, qui avaient été invités, vit quelqu’un qui n’était pas vêtu de la tenue des noces et il lui dit: Ami, comment es-tu entré ici sans la tenue des noces ? Alors il dit aux serviteurs: Liez-lui mains et pieds et jetez-le dehors dans les ténèbres extérieures, là où il y aura pleurs et grincements de dents. Qu’ils nous disent quel est ce roi qui entre pour voir les convives et qui, trouvant parmi eux quelqu’un revêtu d’habits sales, ordonna à ses serviteurs de l’enchaîner et de le repousser dans les ténèbres extérieures : est-ce celui qu’ils appellent le Dieu juste ? Comment avait-il ordonné d’inviter des bons et des méchants sans avoir fait faire par ses serviteurs une enquête sur leurs mérites ? Par là ne sont pas seulement marqués les sentiments d’un juste, comme ils disent, et de quelqu’un qui rétribue selon le mérite, mais une bienveillance qui ne fait pas de distinction entre tous. S’il est vraiment nécessaire de comprendre ce passage du Dieu bon, c’est-à-dire du Christ ou de son Père, qu’a-t-il fait d’autre que ce qu’ils objectent au Dieu juste; bien plus, que reprochent-ils d’autre au Dieu de la loi que ce qu’a fait celui-là, qui, après avoir invité cet homme, par l’intermédiaire des serviteurs qu’il avait envoyés appeler les bons et les méchants, ordonne, à cause de vêtements trop sales, de lui lier les mains et les pieds et de le précipiter dans les ténèbres extérieures ? Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Mais le sens même du mot âme, tel qu’il est en grec (psyché) a paru à certains de ceux qui cherchent avec plus de soin, suggérer une signification qui n’est pas sans intérêt. Car la parole divine dit que Dieu est feu : Notre Dieu est un feu qui consume. Et de la substance des anges elle affirme : Celui qui a fait de ses anges des esprits (souffles) et de ses ministres un feu qui brûle. Et ailleurs : L’Ange du Seigneur apparut en flamme de feu dans le buisson. Bien plus, nous avons reçu le commandement d’être brûlants par l’esprit : par là sans aucun doute il est montré que la Parole de Dieu est enflammée et chaude. Mais le prophète Jérémie entendait de celui qui lui répondait : Voici que j’ai mis mes paroles dans ta bouche comme du feu. De même que Dieu est feu, que les anges sont la flamme du feu et que les saints brûlent par l’esprit, de même au contraire ceux qui sont tombés de l’amour de Dieu se sont refroidis dans leur charité pour lui et on dit qu’ils sont devenus froids. En effet le Seigneur dit : Par suite de la multiplication de l’iniquité, la charité de beaucoup se refroidira. Et tout ce qui, de quelque manière, symbolise dans les Écritures saintes la puissance adverse est toujours froid, comme on peut le remarquer. En effet le diable est appelé le serpent et le dragon : que peut-on trouver de plus froid ? Le dragon est représenté régnant dans les eaux, et ceci revient aussi à propos d’un des esprits malins que le prophète montre dans la mer. En un autre endroit le prophète dit : Je lancerai l’épée sainte sur le dragon, le serpent qui fuit, sur le dragon, le serpent pervers, et l’épée le tuera. Et ailleurs : Même s’ils s’éloignaient de mes yeux et descendaient dans les profondeurs de la mer, je commanderai au dragon et il les mordra. Dans Job, le dragon est dit le roi de tous ceux qui sont dans les eaux. Le prophète annonce que de Borée viendront des maux sur tous ceux qui habitent la terre. Or Borée désigne dans les Écritures le vent froid, comme l’écrit la Sagesse: Borée est le vent froid. Cela, sans aucun doute, il faut l’entendre du diable. Si donc les réalités saintes sont appelées feu, lumière, et sont dites brûlantes, si les réalités contraires sont froides et si la charité se refroidit, selon l’Écriture, dans les pécheurs, on peut se demander si peut-être le mot âme, qui se dit en grec psyché, ne viendrait pas au figuré de ce refroidissement à partir d’un état plus divin et meilleur, c’est-à-dire que l’âme se serait refroidie de sa chaleur naturelle et divine pour recevoir l’état et la dénomination qu’elle a actuellement. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section
Mais puisque de tels récits semblent difficilement croyables et paraissent forcés, voyons, à partir des paroles prophétiques, ce que disent ceux qui ont expérimenté la grande bonté de Dieu, ayant certes mené une bonne vie, mais ensuite ayant péché : Pourquoi nous as-tu égarés, Seigneur, loin de ta voie ? Pourquoi as-tu endurci notre coeur pour l’empêcher de craindre ton nom ? Tourne-toi (vers nous) à cause de tes serviteurs, à cause des tribus qui sont ton héritage, afin que nous héritions un peu de ta montagne sainte. Et dans Jérémie : Tu m’as trompé, Seigneur, et j’ai été trompé ; tu as prévalu et tu l’as emporté. Mais ces paroles : Pourquoi as-tu endurci notre coeur pour l’empêcher de craindre ton nom, dites par ceux qui implorent la pitié, signifient, si on les comprend de la manière dont elles sont dites : Pourquoi nous as-tu tellement épargnés sans nous visiter pour nos péchés, mais en nous abandonnant jusqu’à ce que nos fautes se soient entassées ? Dieu laisse donc la plupart sans les châtier, afin que les moeurs de chacun soient examinées à partir de leur libre arbitre, que les meilleurs soient révélés à la suite des épreuves subies, que les autres qui ne sont pas cachés aux yeux de Dieu – car il sait tout avant que cela ne se produise -, mais à ceux des êtres raisonnables et à leurs propres yeux, trouveront plus tard la voie de la guérison, car ils n’auraient pas pris conscience du bienfait (divin) s’ils ne s’étaient pas condamnés eux-mêmes : (ce délai) est utile à chacun pour lui faire prendre conscience de ce qu’il est lui-même et de la grâce qui vient de Dieu. Celui qui n’a pas pris conscience de sa propre faiblesse et de la grâce divine, si on le secourt avant qu’il n’ait fait l’expérience de lui-même et qu’il ne se soit condamné lui-même, pensera que le secours qui lui vient de la grâce céleste est sa propre oeuvre. Et ceci, engendrant la présomption et l’orgueil, sera la cause de sa chute ; à notre avis c’est ce qui est arrivé au diable, qui s’est attribué à lui-même les avantages qu’il possédait quand il était irréprochable : Quiconque s’élève sera abaissé et quiconque s’abaisse sera élevé. Remarquons qu’à cause de cela les réalités divines sont cachées aux sages et aux intelligents, afin que, dit l’Apôtre, aucune chair ne s’enorgueillisse devant Dieu. Et elles sont révélées aux petits, ceux qui après la petite enfance sont parvenus aux réalités supérieures et qui se rappellent que ce n’est pas tant par leurs propres efforts que par un bienfait indicible de Dieu qu’ils ont atteint un tel niveau de béatitude. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Septième traité (III, 2-4) : Comment le diable et les puissances adverses combattent le genre humain selon les Écritures. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Philocalie 21:
Il faut voir maintenant selon les Écritures comment les puissances contraires et le diable lui-même combattent le genre humain, le provoquant et l’incitant au péché. D’abord le Livre de la Genèse rapporte que le serpent séduisit Eve ; dans l’Ascension de Moïse, livre que mentionne dans son épître l’apôtre Jude, l’archange Michel se disputant avec le diable au sujet du corps de Moïse dit que ce serpent, inspiré par le diable, fut cause de la prévarication d’Adam et d’Eve. Mais certains se demandent aussi quel est l’ange qui du ciel parle à Abraham en ces termes : Maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé, que tu aimais, à cause de moi. Il est écrit clairement qu’il s’agit d’un ange, qui dit savoir alors qu’Abraham craignait Dieu et n’avait pas épargné son fils bien-aimé, comme l’Écriture le dit, mais il n’a pas déclaré (qu’Abraham avait fait cela) pour Dieu, mais pour lui, c’est-à-dire pour celui qui parlait ainsi. Il faut se demander aussi de qui parle l’Exode quand il est dit que ce personnage voulut tuer Moïse parce qu’il partait pour l’Egypte. Mais ensuite quel est l’ange dit exterminateur et celui qui est appelé dans le Lévitique apopompaeus, c’est-à-dire celui qui emporte, et dont l’Écriture dit : Un sort pour le Seigneur et un sort pour l’apopompaeus – c’est-à-dire pour celui qui emporte. Mais dans le premier Livre des Rois il est écrit qu’un esprit très mauvais suffoquait Saul. Dans le troisième Livre des Bois, le prophète Michée dit : J’ai vu le Dieu d’Israël siégeant sur son trône et toute la milice du ciel se tenait autour de lui à sa droite et à sa gauche. Et le Seigneur dit: Qui trompera Achab, roi d’Israël, pour qu’il monte et tombe à Ramot de Galaad. Et celui-ci parla ainsi et celui-là parla ainsi. Mais un esprit sortit (de la foule), se tint devant le Seigneur et dit: Je le tromperai. Et le Seigneur lui dit: Comment ? Il répondit: J’irai et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes. Le Seigneur lui dit: Tu le tromperas, certainement tu le pourras ; va donc et agis ainsi. Et maintenant le Seigneur a mis un esprit menteur dans la bouche de tous tes prophètes ; et le Seigneur a appelé sur toi le mal. Cela montre clairement qu’un esprit a choisi avec toute sa volonté et son propos de tromper et d’opérer le mensonge, et que Dieu s’est servi de cet esprit pour la mort d’Achab qui méritait de souffrir tout cela. Dans le premier Livre des Paralipomènes : Le diable suscita un Satan en Israël et il poussa David à recenser le peuple. D’après les Psaumes, un ange malin écrase certaines personnes. Dans l’Ecclésiaste, Salomon dit : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Nous lisons dans Zacharie que le diable se tenait à la droite de Jésus et lui résistait. Isaïe dit que le glaive de Dieu se lève sur le dragon, le serpent pervers. Que dirai-je d’Ézéchiel prophétisant très clairement dans sa seconde vision au prince de Tyr au sujet d’une puissance contraire, lui qui dit aussi que le dragon habite dans les fleuves d’Egypte ? Tout le livre qui parle de Job parle-t-il d’autre chose que du diable, demandant que lui soit donné pouvoir sur tout ce que possède Job, y compris ses fils, et même sur son corps. Et cependant, il est vaincu par la patience de Job. Dans ce livre, le Seigneur par ses réponses nous a instruits abondamment sur la puissance de ce dragon qui nous est hostile. Voici les textes de l’Ancien Testament qui ont pu pour le moment se présenter à notre mémoire : ils affirment que des puissances contraires sont mentionnées dans les Écritures, s’opposent au genre humain et seront finalement punies. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Voyons aussi dans le Nouveau Testament le passage où Satan s’approche du Seigneur pour le tenter. Des esprits malins et des démons impurs qui possédaient d’assez nombreuses personnes ont été mis en fuite par le Seigneur et chassés des corps de ces malades, que l’Écriture dit libérés par lui. Mais Judas, alors que le diable avait mis dans son coeur l’intention de livrer le Christ, reçut ensuite Satan tout entier en lui : il est écrit en effet que après la bouchée Satan entra en lui. Quant à l’apôtre Paul, il nous enseigne à ne pas donner de place au diable, mais revêtez, dit-il, les armes de Dieu, pour que vous puissiez résister aux astuces du diable, signifiant que les saints ont à lutter non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de méchanceté dans les deux. Il dit que le Sauveur a été crucifié par les princes de ce monde qui seront détruits et il affirme qu’il ne parle pas selon leur sagesse. Par tout cela, l’Écriture divine nous enseigne qu’il existe des ennemis invisibles en lutte contre nous et elle nous enjoint de nous armer contre eux. A cause de cela, les plus simples de ceux qui croient au Seigneur Christ pensent que tous les péchés commis par les hommes se font à cause de ces puissances contraires qui harcèlent l’intelligence des pécheurs, parce que, dans ce combat invisible, ces puissances se trouvent les plus fortes. Si par exemple le diable n’existait pas, aucun homme ne pécherait. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Mais, lorsque nous en examinons plus attentivement la raison, nous ne pensons pas que cela soit vrai, en considérant tout ce qui vient clairement en nous d’une nécessité corporelle. Faut-il penser que c’est le diable qui est en nous la cause de la faim et de la soif ? Personne, à mon avis, n’oserait affirmer cela. S’il n’est pas pour nous la cause de la faim et de la soif, qu’en est-il quand chacun, avançant en âge, parvient au temps de la virilité et est livré aux stimulations qu’excité l’ardeur de la nature ? Il est logique sans aucun doute de dire que, de même que le diable n’est pas la cause de la faim et de la soif, il ne l’est pas non plus des impulsions qu’apporté naturellement l’âge adulte, c’est-à-dire du désir de rechercher l’union sexuelle. Il est certain assurément que ce n’est pas toujours le diable qui soulève une telle cause : autrement on pourrait penser que si le diable n’existait pas, les corps n’éprouveraient pas le désir d’une telle union. Si, comme cela a été montré plus haut, l’appétit de nourriture qu’ont les hommes ne vient pas du diable mais d’une tendance naturelle, poussons notre réflexion plus loin : pourrait-il se faire, si le diable n’existait pas, que l’expérience humaine s’imposerait en ce qui concerne la nourriture assez de discipline pour ne jamais dépasser du tout la mesure, c’est-à-dire pour ne pas en prendre autrement que la situation ne le demande, ni davantage que la raison ne le permet, et pour qu’il n’arrive jamais aux hommes de pécher en ce qui concerne la quantité et la mesure de nourriture qui est à garder ? Quant à moi je ne pense pas que, même s’il n’y avait pas d’incitation du diable pour provoquer l’homme, elles puissent être si bien gardées qu’en prenant de la nourriture personne ne dépasse la mesure et la discipline, avant de l’avoir appris d’une longue habitude et d’une grande expérience. Qu’en est-il donc ? En matière de nourriture et de boisson, il nous serait possible de pécher même sans y être incités par le diable, simplement parce que nous serions insuffisamment tempérants et attentifs ; dans le désir de l’union sexuelle et le gouvernement des tendances de la nature faut-il penser que nous ne subirions rien de semblable ? Je crois que l’on peut appliquer le même raisonnement à tous les autres mouvements naturels, qu’il s’agisse de la cupidité, de la colère ou de la tristesse, et absolument de tout ce qui, par le vice de l’intempérance, dépasse la proportion et la mesure qu’imposé la nature. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Certes, il ne faut pas penser que de tels combats sont menés par le moyen de la force corporelle et des exercices de la palestre, mais c’est un esprit qui se bat contre un esprit, puisque Paul nous indique qu’un combat nous attend contre les principautés et les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Le genre de lutte qu’il faut entendre par là, c’est que lorsqu’on nous cause toute sorte de dommages, de périls, d’opprobres, d’accusations, l’intention des puissances adverses qui les suscitent n’est pas seulement de nous faire souffrir, mais de nous exciter à de grandes colères, à des tristesses excessives, jusqu’aux limites du désespoir, et aussi, ce qui est plus grave, de nous pousser, accablés de fatigue et vaincus par le dégoût, à nous plaindre de Dieu, comme s’il ne gouvernait pas la vie des hommes d’une manière équitable et juste ; leur but est d’affaiblir notre foi, de nous faire déchoir de l’espérance, de nous forcer à abandonner la vérité de nos doctrines et de nous persuader à avoir de Dieu des pensées impies. L’Écriture rapporte de pareilles choses au sujet de Job, lorsque le diable eut demandé à Dieu de lui donner pouvoir sur ses biens. Elle nous enseigne que nous ne sommes pas l’objet d’attaques fortuites, lorsque nous sommes atteints dans nos biens par des dommages semblables, et que ce n’est pas par hasard que l’un des nôtres est emmené en captivité ou que des maisons s’écroulent, écrasant des personnes chères ; en tout cela chaque fidèle doit dire : Tu n’aurais pas de pouvoir contre moi, s’il ne t’avait pas été donné d’en haut. Tu peux constater que la maison de Job ne serait pas tombée sur ses fils, si auparavant le diable n’avait pas reçu pouvoir contre eux ; que les cavaliers n’auraient pas fait irruption en trois bandes pour enlever ses chameaux, ses boeufs et le reste de son bétail, s’ils n’avaient pas été poussés par cet esprit dont ils s’étaient faits les serviteurs en lui obéissant par leur volonté. Même ce qui paraissait du feu ou que l’on prenait pour la foudre ne serait pas tombé sur les brebis de Job avant que le diable n’ait dit à Dieu : N’as-tu pas entouré de fortifications tout ce qu’il a au-dehors et tout ce qu’il a au-dedans, etc. ? Mais maintenant, étends la main et touche à tous ses biens, lu verras s’il te bénira en face. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Il est montré clairement et par de multiples indices que l’âme humaine, tant qu’elle se trouve dans le corps, peut être sujette à diverses actions ou opérations d’esprits divers, mauvais ou bons. Et les mauvais agissent de deux façons : ou bien en possédant complètement et entièrement l’intelligence, au point de ne pas laisser ceux qu’ils obsèdent comprendre ou penser quoi que ce soit, comme c’est le cas de ceux qu’on appelle vulgairement énergumènes et que nous voyons dans un état de démence et de folie, pareils à ceux qui d’après l’Évangile furent guéris par le Sauveur ; ou bien en dépravant par des suggestions hostiles, à l’aide d’idées diverses et de persuasions funestes, une intelligence qui pense et qui comprend, comme ce fut le cas de Judas, poussé au crime de trahison par l’action du diable, selon le témoignage de l’Écriture : Alors que le diable avait déjà mis dans le coeur de Judas l’Iscariote l’intention de le livrer. On reçoit l’action ou l’opération du bon esprit lorsqu’on est mû et poussé au bien et lorsque l’inspiration porte sur les réalités célestes et divines : comme les saints anges, Dieu lui-même a agi dans les prophètes, les invitant et les exhortant à progresser par de saintes suggestions, mais en laissant, certes, à l’homme la liberté de juger s’il consent ou non à suivre l’invitation qui l’attire vers les réalités célestes et divines. C’est pourquoi il est possible de distinguer clairement quand l’âme est mue par la présence d’un esprit meilleur : c’est le cas lorsque l’inspiration qui la presse ne lui fait subir absolument aucun trouble ni aliénation de l’intelligence et qu’elle ne perd pas le jugement de son libre arbitre ; tels étaient tous les prophètes et les apôtres qui collaboraient aux oracles divins sans aucun trouble de l’intelligence. Nous avons déjà enseigné plus haut par des exemples comment la mémoire de l’homme peut être invitée par les suggestions du bon esprit à se souvenir des biens meilleurs, quand nous avons mentionné Mardochée et Artaxerxès. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section
Tout cela est dit de ce qui paraît arriver à l’homme dès la naissance et même avant qu’il ne vienne à la lumière du jour. De tout ce qui est suggéré par des esprits divers à l’âme, c’est-à-dire aux pensées de l’homme, et le pousse au bien et au mal, il faut penser qu’il y a parfois des causes antécédentes à la naissance corporelle. Tantôt l’intelligence vigilante, rejetant d’elle le mal, s’attire l’aide des bons esprits ; ou au contraire, négligente et lâche, elle ne se tient guère sur ses gardes et donne place à ces esprits qui, comme des larrons machinant leurs embûches en cachette, s’arrangent pour faire irruption dans les intelligences humaines, lorsqu’ils voient que la paresse leur a fait place, comme le dit l’apôtre Pierre : Votre adversaire le diable tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. C’est pourquoi il faut garder de toute façon notre coeur jour et nuit et ne pas donner place au diable, mais faire tout ce qu’il faut pour que les ministres de Dieu, à savoir ces esprits envoyés au service de ceux qui sont appelés à hériter du salut, trouvent en nous une place et se réjouissent d’entrer dans le gîte de notre âme : habitant chez nous, c’est-à-dire en notre coeur, ils nous dirigeront par des conseils meilleurs, si toutefois ils trouvent l’habitacle de notre coeur orné des parures de la vertu et de la sainteté. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section
Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section