On ne peut réduire la doctrine de Zinzendorf ni à la théologie du monde ni à celle des enfants. L’anti-intellectualisme de Zinzendorf, comme celui de toute la mystique, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. La théologie sentimentale ne représente pour lui qu’un degré inférieur de la foi. C’est au niveau élémentaire de l’évangélisation que Zinzendorf fait du sentiment le moteur de sa prédication. Si on peut dire avec Bettermann que Zinzendorf a introduit dans la théologie le sentiment comme principe de la connaissance, c’est sur ce plan seulement. Dans cette perspective, il est bien le fils de son siècle, et sa sentimentalité fera fortune. Mais s’il nous apparaît ainsi, ce n’est pas par le fond de sa doctrine, c’est par une sorte d’aliénation.
Sur le plan le plus élevé, Zinzendorf parle de sens spirituels. Faut-il voir là un quelconque « sensualisme » ? Non, certes, et surtout, il faut bien prendre garde de ne pas attribuer à l’Aufklärung la doctrine des sens spirituels [[Max Wieser, op. cit., a tendance à expliquer la mystique par l’Aufklärung, alors que son propos initial était sans doute de montrer ce que cette dernière devait à la première.]]. Elle est aussi vieille que la mystique elle-même.
Le mot Gefühl, comme le mot Herz, a un double sens. Tantôt c’est un mode d’appréhension inférieur, tantôt c’est le sens spirituel. C’est au degré inférieur que le sentiment relève de la sensation ou du sentimental.
Zinzendorf n’était pas un sentimental. Il s’attribue lui-même une forme de pensée très abstraite. Il se décrit passant si vite d’une idée à l’autre qu’il ne reste plus de place pour les images. Il ne rejette pas le sentiment et avoue même être capable d’y céder. Mais chez lui, affirme-t-il, jamais la sensibilité ne domine et à aucun moment il ne s’y complaît.
Si Zinzendorf ne rejette pas le sentiment, c’est qu’il voit en lui un moyen. La prédication sentimentale est une manière, un « trope », dira Zinzendorf, dont use la Providence divine. C’est un moyen pédagogique dont Dieu se sert dans son commerce avec le cœur, ce mot étant pris dans son acception inférieure spécifiée, dans ce portrait qu’il dresse de lui-même, par le mot Gemüth.
C’est lorsque le mot Empfindung s’entend dans son acception proprement spirituelle que Zinzendorf en revendique sa part, si modeste soit-elle.