Il n’est guère plus estimé qu’Épicure : Péripatéticiens et Épicuriens sont englobés souvent dans les mêmes accusations. Incrédules eux aussi, ils sont sceptiques envers la magie, les oracles, les miracles; ils prétendent que les noms tirent leur origine d’une simple convention. Eux aussi, ils sont la honte de la philosophie.
Une des raisons qui attirent à l’aristotélisme ses disciples, c’est qu’il est « plus humain et qu’il professe avec plus d’indulgence que les autres sectes les biens humains ». Allusion à une doctrine ainsi résumée :
Il y en a qui distinguent trois espèces de biens : des biens concernant l’âme, d’autres le corps, d’autres l’extérieur. Puisque chaque catégorie est utile à posséder, c’est de leur somme que se compose le bien suprême.
Mais Origène ne l’approuve guère et le « plus humain » est pour lui « trop humain ». Il la réfute longuement, à propos de Ps. 4, 7 : « Qui nous montrera les biens ? » sans mentionner Aristote, qui sera désigné par les excerpteurs de la Philocalie, dans l’argument qu’ils mettront en tête du chapitre :
Il ne faut pas croire que les réalités désignées par ceux qui confondent les biens dépendant de notre libre arbitre avec ceux qui n’en dépendent pas soient vraiment des biens et des maux. Ils pensent en effet qu’il y a des biens qui concernent l’âme, d’autres le corps, d’autres l’extérieur. Il en est de même des maux. Ainsi, concernant l’âme, la vertu et les actions vertueuses, le vice et les actions vicieuses; concernant le corps, la santé, le bien-être et la beauté, ou la maladie, le mal-être et la laideur; concernant l’extérieur, la richesse, la noblesse, la gloire, ou la pauvreté, l’obscurité de la naissance, l’infamie.
Or les biens et les maux concernant le corps ou l’extérieur ne méritent pas ce titre, mais seulement ceux qui concernent l’âme : ils dépendent pour une petite part de notre libre arbitre, pour la plus grande part de la puissance divine. Origène revient assez souvent sur cette accusation, que l’on retrouve aussi chez les auteurs du temps.
Un fragment expose en ces termes la conception aristotélicienne de la fin :
La fin est ce en vue de quoi est faite autre chose, elle-même n’étant faite en vue de rien. Ou encore : ce en vue de quoi est faite autre chose, elle-même n’étant pas faite en vue de cette autre chose. Ou encore : ce pour quoi quelqu’un fait autre chose, elle-même n’étant faite pour rien d’autre.
Ces définitions sont tirées de dictionnaires.
Aristote est moins impie qu’Épicure envers la Providence. Il la restreint cependant aux sphères supralunaires, elle ne s’étend pas jusqu’à nous. Dieu ne s’occupe pas des hommes et nous ne saurions avoir de relation avec le divin : prières et sacrifices sont inutiles. Aristote a blâmé l’immortalité selon Platon et traité les idées de teretismata, fredonnements. Il tient pourtant que l’intelligence vient du dehors (thyrathen) et qu’elle aura une destinée hors de ce monde.
Est pareillement refusée la théorie de l’éther, cinquième élément en plus des quatre classiques, essence intellectuelle des astres-dieux et des intelligences humaines, telle qu’Aristote l’exposait dans son traité de jeunesse Sur la Philosophie. Origène la mentionne dans le Contre Celse sans formuler de jugement. Mais il l’avait rejetée dans le Commentaire sur Jean. En effet, selon le Péri Archon, la foi de l’Église ne reçoit pas cette théorie qui ne peut trouver d’appui dans l’Écriture. Origène professe que les anges ont des corps éthérés et que les corps glorieux des ressuscites leur seront semblables. Il n’admet cela que pour les corps, inséparables de la condition de créature, car la Trinité seule est absolument incorporelle : mais l’âme humaine n’est pas corps, tout en étant unie à un corps.
Origène n’est guère plus tendre envers Aristote qu’envers Epicure. Cependant, si on ne voit guère quel point de doctrine il a pu emprunter au second, on peut parler d’un aristotélisme d’Origène, quoique bien moins important que son platonisme ou son stoïcisme. L’usage qu’il fait des doctrines péripatéticiennes, surtout en matière de psychologie et de morale, implique un jugement plus favorable que ceux qu’il exprime. Il semble souvent plus attaché à la métriopathie d’Aristote qu’à l’apathie du Portique, dont il parle peu, à la différence de Clément. En revanche, s’il expose et utilise parfois la distinction de l’acte et de la puissance, son schème préféré est plutôt stoïcien : le logos spermatique, qui n’est pas seulement puissance, mais début d’acte.
Il est difficile de dire si Origène a une connaissance directe du Stagirite : celui-ci ne figure pas dans la liste de ses auteurs favoris dressée par Porphyre. Peut-être a-t-il lu cependant l’un ou l’autre livre, par exemple l’Ethique à Nicomaque. La plupart des éléments aristotéliciens qu’il utilise se trouvent déjà dans le fonds commun du Moyen Platonisme : Ammonios Saccas, son maître, n’est-il pas présenté par le néoplatonicien Hiérocles comme celui qui a montré l’accord profond de Platon et d’Aristote et n’a-t-il pas transmis à Plotin tout un héritage péripatéticien ? Cependant Aristote n’est pas sympathique à Origène : il n’en comprend guère les intuitions de fond. Son mysticisme, à l’aise dans le platonisme, est rebuté par cet esprit positif et rationaliste. Parallèlement la renaissance aristotélicienne du XIIIe siècle coïncidera avec le déclin de l’influence origénienne sur le Moyen Age latin. « La connaissance d’Origène décline rapidement… Il offrait moins de ressources immédiates pour la nouvelle organisation du savoir. » En effet l’esprit nouveau qui préside à l’introduction du « Philosophe » fait éclater la théologie, à la fois exégétique et spirituelle, dont l’unité se maintenait plus ou moins depuis Origène.