Lors donc que ce temple se trouve vide de tous obstacles que sont attachement au moi propre et ignorance, alors il reluit de façon si belle et brille de façon si limpide et claire, par-delà tout ce que Dieu a créé et à travers tout ce que Dieu a créé, que personne ne peut l’égaler en éclat, si ce n’est le Dieu incréé seul. Et en juste vérité, à ce temple personne non plus n’est égal, si ce n’est le Dieu incréé seul. Tout ce qui est au-dessous des anges, cela ne s’égale en rien de rien à ce temple. Les anges les plus élevés eux-mêmes égalent quelque peu ce temple de l’âme noble, mais pas pleinement. Qu’ils soient égaux à l’âme en quelque mesure, c’est en connaissance et en amour. Cependant un but leur est fixé ; ils ne peuvent l’outrepasser. L’âme le peut certes assurément. Une âme se trouverait-elle égale à l’ange le plus élevé, ( l’âme ) de l’homme qui vivrait encore dans le temps, l’homme pourrait néanmoins, dans sa libre capacité, parvenir incomparablement plus haut au-dessus de l’ange, à nouveau, à tout maintenant, sans nombre, c’est-à-dire sans mode et au-dessus du mode des anges et de tout intellect créé. Et Dieu est seul libre et incréé, et c’est pourquoi lui seul lui est égal ( = est égal à l’âme ) quant à la liberté, et non quant au caractère-incréé, car elle est créée. Lorsque l’âme parvient à la lumière sans mélange, elle se précipite dans son néant de néant, si loin de quelque chose créé, dans ce néant de néant, qu’elle n’est aucunement en mesure de revenir, de par sa force, dans son quelque chose créé. Et Dieu, par son caractère-incréé, soutient son néant de néant et maintient l’âme dans son quelque chose de quelque chose. L’âme a couru le risque d’en venir au néant et ne peut non plus par elle-même atteindre à elle-même, si loin de soi elle est allée, et ( cela ) avant que Dieu ne l’ait soutenue. Il faut de nécessité qu’il en soit ainsi. Car, ainsi que j’ai dit plus haut : Jésus était entré dans le temple et avait jeté dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et se mit à dire aux autres : « Enlevez-moi ça ! », et ils l’enlevèrent. Voyez, il n’y avait là plus personne que Jésus seul, et ( il ) se mit à parler dans le temple. Voyez, tenez-le pour vrai : quelqu’un d’autre que Jésus seul veut-il discourir dans le temple, c’est-à-dire dans l’âme, alors Jésus se tait, comme s’il n’était pas chez lui, et il n’est certes pas chez lui dans l’âme quand elle a des hôtes étrangers avec lesquels elle s’entretient. Mais Jésus doit-il discourir dans l’âme, alors il faut qu’elle soit seule et il faut qu’elle-même se taise, si elle doit entendre Jésus discourir. Ah, il entre alors et commence à parler. Que dit le Seigneur Jésus ? Il dit ce qu’il est. Qu’est-il donc ? Il est une Parole du Père. Dans cette même Parole le Père se dit soi-même et toute la nature divine et toute ce que Dieu est, tel aussi qu’il la connaît ( = la Parole ), et il la connaît telle qu’elle est. Et parce qu’il est parfait dans sa connaissance et dans sa puissance, de là il est également parfait dans son dire. En disant la Parole, il se dit et ( dit ) toutes choses dans une autre Personne, et lui donne la même nature qu’il a lui-même, et dit dans la même Parole tous les esprits doués d’intellect, égaux à cette même Parole selon l’image, en tant qu’elle demeure à l’intérieur, ( mais ) selon qu’elle luit au dehors, en tant que tout un chacun est près de lui-même, non égaux en toute manière à cette même Parole, plutôt : ils ont reçu la capacité de recevoir égalité par grâce de cette même Parole ; et cette même Parole, telle qu’elle est en elle-même, le Père l’a dite toute, la Parole et toute ce qui est dans cette Parole. Eckhart: Sermon 1
Le Père ayant dit cela, qu’est-ce donc que Jésus dit dans l’âme ? Comme je l’ai dit : Le Père dit la Parole et dit dans la Parole et non autrement, et Jésus dit dans l’âme. Le mode de son dire, c’est qu’il se révèle soi-même et tout ce que le Père a dit dans lui, selon le mode où l’esprit est réceptif. Il révèle la seigneurie paternelle dans l’esprit dans une puissance égale sans mesure. Quand l’esprit reçoit cette puissance dans le Fils et par le Fils, il devient puissant dans toute sorte de progrès, en sorte qu’il devient égal et puissant dans toutes vertus et dans toute limpidité parfaite, de telle manière que félicité ni souffrance ni rien de ce que Dieu a créé dans le temps ne peut troubler cet homme, qu’il ne demeure puissamment en cela comme dans une force divine en regard de laquelle toutes choses sont petites et sans pouvoir. Eckhart: Sermon 1
Le mot : « Travaille en toutes choses ! » possède en lui trois sens. Il veut dire : procure ton avantage en toutes choses ! c’est-à-dire : prends Dieu en toutes choses ! car Dieu est en toutes choses. Saint Augustin dit : « Dieu a créé toutes choses non pas qu’il les ait fait advenir et ait poursuivi son chemin, plutôt : il est demeuré en elle. » Les gens s’imaginent qu’ils ont davantage lorsqu’ils ont les choses en même temps que Dieu que s’ils avaient Dieu sans les choses. Mais c’est un tort, car toutes choses avec Dieu ce n’est pas davantage que Dieu seul ; si celui qui avait le Fils et le Père en même temps que lui s’imaginait qu’il a davantage que s’il avait le Fils sans le Père, ce serait un tort. Car le Père en même temps que le Fils n’est pas davantage que le Fils seul, ni le Fils en même temps que le Père n’est davantage que le Père seul. C’est pourquoi prends Dieu ainsi en toutes choses, et c’est là un signe de ce qu’il t’a engendré ( comme ) son Fils unique et non pas moins. Eckhart: Sermon 30
Par ailleurs, tu dois être pur de coeur, car seul est pur le coeur qui a anéanti tout ce qui est créé. En troisième lieu, tu dois être nu de néant. Il est une question, qu’est-ce qui brûle en enfer ? Les maîtres disent communément : C’est la volonté propre qui le fait. Mais je dis pour de vrai que c’est le néant qui brûle en enfer. Prend maintenant une comparaison ! Que l’on prenne un charbon ardent et qu’on le pose sur ma main. Si je disais que c’est le charbon qui brûle ma main, je lui ferais grand tort. Mais dois-je dire à proprement parler ce qui me brûle : c’est le néant qui le fait, car le charbon a en lui quelque chose que ma main n’a pas. Voyez, c’est ce néant même qui me brûle. Mais ma main aurait-elle en elle tout ce que le charbon est et peut faire, elle aurait la nature du feu entièrement. Qui prendrait alors tout le feu qui jamais ait brûlé et le secouerait sur ma main, cela ne pourrait me faire souffrir. De la même manière je dis donc : Lorsque Dieu et tous ceux qui se tiennent devant sa face ont intérieurement quelque chose selon la juste béatitude que n’ont pas ceux qui sont séparés de Dieu, ce néant à lui seul fait plus souffrir les âmes qui sont en enfer que volonté propre ou quelque feu. Je dis pour de vrai : Autant le néant t’affecte, autant es-tu imparfait. C’est pourquoi si vous voulez être parfaits, vous devez être nus de néant. Eckhart: Sermon 5 b
Là où finit la créature, là Dieu commence à être. Or Dieu ne désire rien de plus de toi que le fait que tu sortes de toi-même selon ton mode de créature, et que tu laisses Dieu être Dieu en toi. La plus minime image de créature qui jamais se forme en toi est aussi grande que Dieu est grand. Pourquoi ? Parce qu’elle entrave en toi le tout de Dieu. C’est justement là où pénètre l’image qu’il faut que Dieu recule et toute sa déité. Mais là où l’image sort, là Dieu entre. Dieu désire tellement que tu sortes de toi-même dans ton mode de créature, comme si toute sa béatitude tenait à cela. Ah, mon cher, en quoi te porte tort que tu permettes à Dieu que Dieu soit Dieu en toi ? Si tu sors pleinement de toi-même pour Dieu, alors Dieu sort pleinement de soi-même pour toi. Lorsque sortent ces deux, ce qui demeure est un Un simple. C’est dans cet Un que le Père engendre son Fils dans la source la plus intérieure. Là fleurit l’Esprit Saint, et là bondit en Dieu une volonté qui appartient à l’âme. Tout le temps que la volonté se tient intacte de toutes créatures et de tout le créé, cette volonté est libre. Christ dit : « Personne ne vient au ciel que celui qui du ciel est venu ». Toutes choses sont créées de néant ; c’est pourquoi leur juste origine est le néant, et pour autant que cette noble volonté s’incline vers les créatures, elle s’écoule avec les créatures vers leur néant. Eckhart: Sermon 5 b
Maintenant il est une question, si cette noble volonté s’écoule de telle sorte qu’elle ne puisse jamais faire retour ? Les maîtres disent communément qu’elle ne fait jamais retour pour autant qu’elle s’est écoulée avec le temps. Mais je dis : Lorsque cette volonté se détourne un instant d’elle-même et de tout le créé vers son origine première alors la volonté se tient dans sa juste libre manière et est libre, et dans cet instant tout le temps perdu se trouve réintégré. Eckhart: Sermon 5 b
J’ai dit un jour dans un monastère : l’image propre de l’âme est là où ne se trouve formé ni d’extérieur ni d’intérieur que ce qu’est Dieu lui-même. L’âme a deux yeux, un intérieur et un extérieur. L’oeil intérieur de l’âme est celui qui voit dans l’être et prend son être de Dieu sans aucun intermédiaire : c’est son oeuvre propre. L’oeil extérieur de l’âme est celui qui est tourné vers toutes les créatures et qui les perçoit sous le mode de l’image et sous le mode d’une puissance. L’homme qui maintenant se trouve tourné vers soi-même, en sorte qu’il connaît Dieu dans son goût propre et dans son propre fondement, cet homme est affranchi de toutes choses créées et est enfermé en lui-même sous un vrai verrou de vérité. Ainsi ai-je dit une fois que Notre Seigneur vint à ses disciples, le jour de Pâques, les portes fermées ; ainsi de cet homme qui là est affranchi de toute étrangèreté et de tout le créé, dans cet homme Dieu ne vient pas : il est essentiellement. Eckhart: Sermon 10
Le plus élevé et ultime que l’homme puisse laisser, c’est qu’il laisse Dieu pour Dieu. Or saint Paul laissa Dieu pour Dieu ; il laissa ce qu’il pouvait prendre de Dieu, il laissa tout ce que Dieu pouvait lui donner, et tout ce que de Dieu il pouvait recevoir. Lorsqu’il laissa cela, il laissa Dieu pour Dieu, et alors Dieu lui resta tel que Dieu est celui qui est à soi-même, non pas à la manière d’une réception de soi-même ni à la lumière d’un gain de soi-même, plutôt : dans une étantité que Dieu est en lui-même. Il ne donna jamais rien à Dieu, ni ne reçut jamais rien de Dieu ; c’est un ( seul ) Un et une ( seule ) union limpide. C’est ici que l’homme est un homme vrai, et dans cet homme ne tombe aucune souffrance, aussi peu qu’il peut en tomber dans l’être divin ; selon que j’ai dit souvent qu’il est quelque chose dans l’âme qui est si apparentée à Dieu que c’est Un et non uni. C’est Un, cela n’a rien de commun avec rien, et rien de rien de tout ce qui est créé ne lui est commun. Tout ce qui est créé, cela n’est rien. Quant à cela, c’est éloigné de tout le créé et étranger à lui. L’homme serait-il tout entier ainsi qu’il serait pleinement incréé et incréable ; si tout ce qui est corporel et fragile était ainsi entendu dans l’unité, ce ne serait rien d’autre que ce qui est l’unité elle-même. Si je me trouvais un instant dans cet être, je prêterais aussi peu d’attention à moi-même qu’à un vermisseau de fumier. Eckhart: Sermon 12
Les maîtres païens disent que Dieu a ordonné les créatures de telle sorte que toujours l’une est au-dessus de l’autre et que les plus élevées touchent les moins élevées et les moins élevées les plus élevées. Ce que les maîtres ont dit avec des mots scellés, cela un autre le dit de façon manifeste, et il dit que la chaîne d’or est la nature nue limpide qui est élevée en Dieu, et qui ne goûte rien de ce qui lui est extérieur, et qui saisit Dieu. Chacune touche l’autre, et la plus élevée à le pied posé sur la tête de l’inférieure. Toutes les créatures touchent Dieu non pas selon leur nature créée, et ce qui est créé il lui faut être brisé si le bien doit en sortir. Il faut que la coque soit fendue en deux si le noyau doit sortir. Tout cela vise un dépassement, car l’ange, en dehors de cette nue nature, ne sait pas plus que ce bois ; oui, l’ange, sans cette nature, n’a pas davantage que n’a une mouche sans Dieu. Eckhart: Sermon 13
Il est une puissance dans l’âme dont j’ai souvent parlé – et l’âme serait-elle toute ainsi, elle serait incréée et incréable. Or il n’en est pas ainsi. Selon l’autre partie, elle a un regard vers le temps et une dépendance à son égard, et là elle touche le créé et est créée – intellect : cette puissance n’est pas loin ni à l’extérieur. Ce qui est au-delà de la mer où a mille lieux, cela lui est aussi proprement connu et présent que ce lieu où je me tiens. Cette puissance est vierge, et suit l’agneau partout où il va. Cette puissance prend Dieu nu pleinement dans son être essentiel ; elle est dans l’unité, non pas égale dans l’égalité. Eckhart: Sermon 13
Cette parole qui est écrite dans l’évangile, et dit en français : « Il y avait un homme qui sortit de lui-même vers une terre étrangère et s’en revint plus riche chez lui. » Or on lit dans un évangile que le Christ a dit : « Personne ne peut être mon disciple qu’il ne me suive » et se voit laissé soi-même et n’ait rien gardé pour lui ; et celui-là a toutes choses, car ne rien avoir c’est avoir toutes choses. Mais avec désir et avec coeur se soumettre à Dieu et mettre pleinement sa volonté dans la volonté de Dieu, et n’avoir aucun regard sur le créé : qui serait ainsi sorti de soi-même, celui-là se trouvera proprement donné à nouveau à lui-même. Eckhart: Sermon 15
Et comme je l’ai dit ci-dessus, de même que saint Augustin est comparé à un vase d’or, qui en bas est fermé et ouvert en haut, vois, ainsi dois-tu être : veux-tu tenir près de saint Augustin et dans la sainteté de tous les saints, ton coeur doit être fermé à tout le créé et doit prendre Dieu tel qu’il est en lui-même. C’est pourquoi les hommes sont comparés aux puissances supérieures, car en tout temps ils ont la tête découverte, et les femmes aux puissances inférieures, car pour elles la tête est couverte en tout temps. Les puissances supérieures sont par delà temps et par delà espace, et s’originent sans intermédiaire dans l’être de l’âme ; et delà elles sont comparées aux hommes, car en tout temps elles se tiennent nues. De là leur oeuvre est éternelle. Un maître dit que toutes les puissances inférieures de l’âme, dans la mesure où elles ont touché temps ou espace, dans cette mesure elles ont perdu leur pureté virginale et ne peuvent jamais se trouver si totalement dévêtues ni se trouver si totalement passées au crible qu’elles puissent jamais parvenir jusqu’aux puissances supérieures ; il leur sera pourtant donné l’empreinte intérieure d’une image égale. Eckhart: Sermon 16 b
Les maîtres disent que la ( couleur ) jaune et la couleur verte, dans l’arc-en-ciel, se joignent l’une à l’autre de façon si égale qu’aucun oeil n’a vision si aiguë qu’il puisse le percevoir ; c’est de façon aussi égale qu’opère la nature et qu’elle s’égale au premier jaillissement, qui est si égal en les anges que Moïse ne se risqua pas à en écrire par égard au sentiment des faibles gens, pour qu’ils ne les adorent pas : si égaux sont-ils au premier jaillissement. Un grand maître dit même que l’ange le plus élevé parmi les esprits est si proche du premier jaillissement et possède en lui tant de ressemblance divine et de puissance divine qu’il a créé tout ce monde et en sus tous les anges qui sont au-dessous de lui. Ici se trouve une bonne doctrine, que Dieu est si élevé et si limpide et si simple qu’il opère dans sa créature le plus élevée de sorte qu’elle opère dans sa puissance, comme un sénéchal opère dans la puissance du roi et gouverne son pays. Il dit : « Dans la ( ville ) sanctifiée et dans la ville consacrée je me reposerai de façon égale. » Eckhart: Sermon 18
In principio. « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné », un enfant selon l’infériorité de la nature humaine, un Fils selon la déité éternelle. Les maîtres disent : Toutes les créatures oeuvrent dans la volonté d’enfanter et dans la volonté de s’égaler au Père. Un autre maître dit : Toute cause opérante opère en vue de sa fin en sorte qu’elle trouve répit et repos dans sa fin. Un maître dit : Toutes les créatures opèrent selon leur limpidité première et selon leur perfection la plus haute. Feu en tant que feu n’embrase pas : il est si limpide et si subtil qu’il n’embrase ; plutôt : la nature du feu enflamme et déverse dans le bois sec sa nature et sa clarté selon sa perfection la plus haute. C’est ainsi que Dieu a fait. Il a créé l’âme selon la perfection le plus haute et a déversé en elle toute sa clarté dans la limpidité première, et est cependant demeuré sans mélange. Eckhart: Sermon 22
En tant que l’homme se déprend, alors il prend ( en lui ) Christ, Dieu, béatitude et sainteté. Et si un jeune garçon disait des choses étranges, on le croirait, et Paul promet de grandes choses, et vous le croyez à peine. Il te promet, si tu te déprends de toi, Dieu et béatitude et sainteté. C’est étonnant : et s’il se trouve que l’homme doive se déprendre de soi, en tant qu’il se déprend de soi il prend ( en lui ) Christ et sainteté et béatitude et est très grand. Le prophète s’étonne de deux choses. La première : ce que Dieu fait avec les étoiles, avec la lune et avec le soleil. Le second étonnement est à propos de l’âme, que Dieu ait fait et fasse de si grandes choses avec elle et pour elle, car il fait pour elle tout ce qui lui est possible ; il fait nombreuses et grandes choses pour elle et est pleinement pris par elle, et cela à cause de la grandeur dans laquelle elle est faite. A quel point elle est faite grande, notez-le ! Je trace une lettre selon le modèle que la lettre a en moi, dans mon âme, et non pas selon mon âme. Il en est ainsi de Dieu. Dieu a fait toutes choses communément selon l’image qu’il a de toutes choses en lui, et non pas selon lui. Certaines, il les a faites particulièrement selon quelque chose qui se tient en dehors de lui, comme bonté, sagesse et ce que l’on dit de Dieu. Mais l’âme, il ne l’a pas faite uniquement selon l’image qui est en lui, ni selon ce qui se tient en dehors de lui, ainsi que l’on parle à son propos ; plutôt : il l’a faite selon lui-même, oui, selon tout ce qu’il est, selon ( sa ) nature, selon ( son ) être et selon son oeuvre fluant à l’extérieur demeurant intérieurement, et selon le fond où il demeure en lui-même, où il engendre son Fils unique, d’où s’épanouit le Saint Esprit : selon cette oeuvre fluant à l’extérieur demeurant intérieurement, Dieu a créé l’âme. Eckhart: Sermon 24
Ainsi ai-je dit une fois ici – il n’y a pas longtemps de cela : Qui aime la justice, la justice le fait sien, et ( il ) se trouve saisi par la justice, et il est la justice. J’ai écrit une fois dans mon livre : L’homme juste n’a besoin ni de Dieu ni des créatures, car il est libre ; et plus il est proche de la justice, plus il est la liberté elle-même et plus il est la liberté. Tout ce qui est créé, ce n’est pas libre. Aussi longtemps chose quelconque est au-dessus de moi qui n’est pas Dieu lui-même, cela m’opprime, si petit que ce soit ou quoi que ce soit, et serait-ce même intellect et amour, pour autant qu’ils sont créés et ne sont pas Dieu lui-même, cela m’opprime, car c’est non-libre. L’homme injuste sert la vérité, que ce lui soit joie ou souffrance, et ( il ) sert le monde entier et toutes les créatures et est un serviteur du péché. Eckhart: Sermon 28
Tout ce qui est créé – comme je l’ai dit souvent – en cela il n’est pas de vérité. Il est quelque chose qui est au-dessus de l’être créé de l’âme, que ne touche rien de créé, qui est néant ; même l’ange ne le possède pas, lui qui a un être limpide qui est limpide et ample ; ce qui est sien ne touche pas cela. C’est une parenté de type divin, c’est Un en lui-même, cela n’a rien de commun avec rien. C’est ici qu’achoppent maints grands clercs. C’est une étrangeté et c’est un désert et c’est davantage innomé que cela n’a de nom, et c’est davantage inconnu que cela n’est connu. Si tu pouvais t’anéantir toi-même en un instant, je dis même plus brièvement qu’un instant, alors tu aurais en propre ce que c’est en soi-même. Aussi longtemps que tu prêtes attention à quelque chose, à toi-même ou à aucune chose, tu sais aussi peu ce que Dieu est que ma bouche sait ce qu’est la couleur, et que mon oeil sait ce qu’est le goût : aussi peu sais-tu et t’est connu ce que Dieu est. Eckhart: Sermon 28
Aussi longtemps que dans l’âme peut jeter un regard une différence quelconque d’aucunes choses créées, ce lui est une désolation. Je dis comme j’ai dit souvent : Là où l’âme a son être créé naturel, là il n’est pas de vérité. Je dis que quelque chose est au-dessus de la nature créée de l’âme. Et certains clercs n’entendent rien de ce qu’il y a quelque chose qui est tellement apparenté à Dieu et tellement Un. Cela n’a rien de commun avec rien. Tout ce qui est créé ou créable, c’est néant, alors que pour ceci est lointain et étranger tout créé et toute créabilité. C’est un Un en lui-même qui en dehors de lui-même n’accueille rien. Eckhart: Sermon 29