Nous lisons dans le saint évangile que Notre Seigneur entra dans le temple et jeta dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et dit aux autres qui là avaient tourterelles et choses semblables à vendre : « Enlevez-moi ça, débarrassez-moi ça ! » Pourquoi Jésus jeta-t-il dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et commanda-t-il à ceux qui là avaient des tourterelles de les enlever ? Il ne visait rien d’autre que le fait qu’il veuille avoir le temple vide, tout comme s’il disait : J’ai un droit sur ce temple et veux y être seul et avoir seigneurie sur lui. Qu’est-ce qui est dit par là ? Ce temple où Dieu veut régner puissamment selon sa volonté, c’est l’âme de l’homme, qu’il a formée et créée si exactement égale à lui-même, comme nous lisons que Notre Seigneur dit : « Faisons l’homme selon notre image et à notre ressemblance. » Et c’est aussi ce qu’il a fait. Si égale à lui-même il a fait l’âme de l’homme qu’au ciel ni sur terre, parmi toutes les créatures magnifiques que Dieu a créées si admirablement, il n’en est aucune qui lui soit aussi égale que l’âme de l’homme seulement. C’est pourquoi Dieu veut avoir ce temple vide, en sorte qu’il n’y ait là rien de plus que lui seul. C’en est ainsi parce que ce temple lui plaît tellement dès lors qu’il lui est si exactement égal et il se complaît tellement dans ce temple chaque fois qu’il y est seul. Eckhart: Sermon 1
C’est une chose étonnante qu’une chose flue au dehors et pourtant demeure à l’intérieur. Que la Parole flue au dehors et pourtant demeure à l’intérieur, cela est tout à fait étonnant ; que toutes créatures fluent au dehors et cependant demeurent à l’intérieur, cela est tout à fait étonnant ; ce que Dieu a donné et ce que Dieu a promis de donné, cela est tout à fait étonnant et est incompréhensible et incroyable. Et c’est dans l’ordre ; car si c’était compréhensible et si c’était croyable, ce ne serait pas dans l’ordre. Dieu est en toutes choses. Plus il est dans les choses, plus il est en dehors des choses : plus à l’intérieur, plus à l’extérieur, et plus à l’extérieur, plus à l’intérieur. Je l’ai dit souvent, Dieu crée tout ce monde maintenant en plénitude. Tout ce que Dieu créa jamais il y a six mille ans et davantage, lorsque Dieu fit le monde, il le crée maintenant en plénitude. Dieu est en toutes choses, mais parce que Dieu est divin et parce que Dieu est doué d’intellect, Dieu n’est jamais aussi proprement que dans l’âme et dans l’ange, si tu veux, dans le plus intime de l’âme et dans le plus élevé de l’âme. Et lorsque je dis « le plus intime », je vise alors le plus élevé, et lorsque je dis « le plus élevé », je vise alors le plus intime de l’âme. Dans le plus intime et dans le plus élevé de l’âme, là je les vise tous deux en un. Là où jamais temps ne pénétra, là où jamais image ne brilla, dans le plus intime et dans le plus élevé de l’âme Dieu crée tout ce monde. Tout ce que Dieu créa il y a six mille ans, lorsqu’il fit le monde, et tout ce que Dieu doit encore créer dans mille ans, si le monde dure aussi longtemps, cela il le crée dans le plus intime et dans le plus élevé de l’âme. Tout ce qui est passé, et tout ce qui est présent, et tout ce qui est à venir, cela Dieu le crée dans le plus intime de l’âme. Tout ce que Dieu opère dans tous les saints, cela Dieu l’opère dans le plus intime de l’âme. Le Père engendre son Fils dans le plus intime de l’âme et t’engendre avec son Fils unique, pas moins. Dois-je être Fils, il me faut alors être Fils dans le même être dans lequel il est Fils, et en nul autre. Dois-je être un homme, alors je ne peux pas être un homme dans un être d’animal, il me faut être un homme dans l’être d’un homme. Mais dois-je être cet homme, il me faut être cet homme dans cet être. Or saint Jean dit : « Vous êtes enfants de Dieu. » Eckhart: Sermon 30
Prêche la Parole, prêche-la au dehors, propose-la, porte-la au dehors, enfante la Parole ! » « Prêche-la au dehors ! » Ce que l’on vous dit du dehors, c’est une chose grossière ; cela ( = la Parole ) est dit à l’intérieur. « Prêche-la au dehors ! », c’est-à-dire : Trouve que cela est en toi. Le prophète dit : « Dieu dit une chose, et j’en entendis deux. » C’est vrai : Dieu ne dit jamais qu’une chose. Son dire n’est rien qu’une chose. En un dire un il dit son Fils et en même temps le Saint Esprit et toutes créatures, et il n’est rien qu’un ( seul ) dire en Dieu. Mais le prophète dit : « J’en entendis deux », c’est-à-dire : J’ai perçu Dieu et ( les ) créatures. Là où Dieu dit cela, là c’est Dieu ; mais ici c’est créature. Les gens s’imaginent que c’est là-bas seulement que Dieu est devenu homme. Il n’en est pas ainsi, car Dieu est devenu homme ici aussi bien que là-bas, et la raison pour laquelle il est devenu homme, c’est pour qu’il t’engendre ( comme ) son Fils unique et non pas moins. Eckhart: Sermon 30
J’étais assis hier en un lieu où je dis un petit mot qui se trouve dans le Pater Noster et déclare : « Que ta volonté soit ! » Plutôt : ce serait mieux : « Que volonté soit tienne » ; que ma volonté soit ta volonté, que je sois lui ; c’est cela que vise le Pater Noster. Ce mot a deux sens. Le premier est : sois en sommeil de toutes choses ! c’est-à-dire que tu ne saches rien ni de temps ni de créatures ni d’images – les maîtres disent : Un homme qui dormirait pour de bon, dormirait-il cent ans, il ne saurait ( rien ) d’aucune créature, il ne saurait ( rien ) de temps ni d’anges – et alors tu peux percevoir ce que Dieu opère en toi. C’est pourquoi l’âme dit sans le Livre de l’amour : « Je dors et mon coeur veille. » C’est pourquoi : si toutes créatures dorment en toi, alors tu peux percevoir ce que Dieu opère en toi. Eckhart: Sermon 30
Il est encore un autre sens, notez-le avec zèle ! Il dit « Tout don. » Ce qui est le meilleur et le plus haut, ce sont les dons au sens propre et au sens le plus propre de tous. Dieu ne donne rien aussi volontiers que de grands dons. J’ai dit une fois en ce lieu que Dieu pardonne même plus volontiers de grands péchés que des petits. Et plus ils sont grands, plus volontiers il les pardonne et plus vite. Et il en est tout à fait ainsi en ce qui concerne grâce et don et vertu : plus ils sont grands, plus volontiers il les donne ; car sa nature tient en ce qu’il donne de grandes choses. Et c’est pourquoi meilleures sont les choses plus il y en a. Les créatures les plus nobles, ce sont les anges, et ils sont pleinement doués d’intellect et n’ont pas de corporéité en eux, et ils sont les plus nombreux de tous et il en est plus que le nombre de toutes choses corporelles. Ce sont les grandes choses qui s’appellent à proprement parler dons, et qui lui sont les plus propres et les plus intimes. Eckhart: Sermon 4
J’ai dit une fois : Ce qui à proprement parler est à même de se trouver exprimé en mots, il faut que cela provienne de l’intérieur et se meuve de par la forme intérieure, et ne pénètre pas de l’extérieur, plutôt : c’est de l’intérieur qu’il doit procéder. Cela vit à proprement parler dans le plus intime de l’âme. C’est là que toutes choses te sont présentes et intérieurement vivantes et en recherche et sont au mieux et sont au plus élevé. Pourquoi n’en trouves-tu rien ? Parce que tu n’es pas là chez toi. Plus noble est la chose, plus elle est commune. Le sens, je l’ai en commun avec les animaux, et la vie m’est commune avec les arbres. L’être m’est encore plus intérieur, je l’ai en commun avec toutes les créatures. Le ciel est plus vaste que tout ce qui est au-dessous de lui ; c’est pourquoi aussi il est plus noble. Plus nobles sont les choses, plus vastes et plus communes elles sont. L’amour est noble, parce qu’il est commun. Eckhart: Sermon 4
Paraît difficile ce que Notre Seigneur a commandé, que l’on doive aimer son frère chrétien comme soi-même. Ce que disent communément des gens grossiers, c’est que ce devrait être ainsi : on devrait les aimer eu égard au bien dont on s’aime soi-même. Non, ce n’est pas ainsi. On doit les aimer autant que soi-même, et cela n’est pas difficile. Veuillez bien le noter, amour est plus digne de récompense qu’un commandement. Le commandement semble difficile, et la récompense est désirable. Qui aime Dieu comme il doit l’aimer et aussi comme il faut qu’il l’aime, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, et comment l’aiment toutes les créatures, il lui faut aimer son prochain comme soi-même et se réjouir de ses joies et désirer son honneur autant que son honneur propre, et l’étranger comme l’un des siens. Et c’est ainsi que l’homme est en tout temps en joie, en honneur et en prospérité, ainsi est-il exactement comme dans le royaume des cieux, et c’est ainsi qu’il a davantage de joie que s’il se réjouissait uniquement de son bien. Et sachez-le dans la vérité : ton propre honneur t’apporte-t-il plus de satisfaction que celui d’un autre, alors c’est injuste pour lui. Eckhart: Sermon 4
Sache que si tu cherches quelque chose de ce qui est tien, tu ne trouveras jamais Dieu, car tu ne cherches pas Dieu de façon limpide. Tu cherches quelque chose en même temps que Dieu, et fait justement comme si tu faisais de Dieu une chandelle avec laquelle on cherche quelque chose ; et lorsque l’on trouve les choses que l’on cherche, alors on jette de côté les chandelles. Ainsi fais-tu : quoi que tu cherches en même temps que Dieu, c’est néant, quoi que ce soit par ailleurs, que ce soit profit ou récompense ou intériorité ou quoi que ce soit ; tu cherches néant, c’est pourquoi aussi tu trouves néant. Que tu trouves néant cela n’a pas d’autre cause que le fait que tu recherches néant. Toutes créatures sont un limpide néant. Je ne dis pas qu’elles sont petites ou sont quelque chose : elles sont un limpide néant. Ce qui n’a pas d’être, cela est néant. Toutes les créatures n’ont pas d’être, car leur être tient à la présence de Dieu. Dieu se détournerait-il un instant de toutes les créatures, elles deviendraient néant. J’ai dit parfois, et c’est bien vrai : Qui prendrait le monde entier en même temps que Dieu n’aurait pas davantage que s’il n’avait que Dieu. Toutes les créatures n’ont pas davantage sans Dieu que n’aurait une mouche sans Dieu, de façon exactement égale, ni moins ni plus. Eckhart: Sermon 4
Et bien notez maintenant un mot vrai ! Un homme donnerait-il mille marks d’or, pour qu’avec cela on fasse églises et cloîtres, ce serait une grande chose. Néanmoins, il aurait donné beaucoup plus celui qui pourrait tenir mille marks d’or pour rien ; il aurait de loin fait plus que l’autre. Lorsque Dieu créa toutes les créatures, elles étaient si pitoyables et si étroites qu’il ne pouvait se mouvoir en elles. Pourtant il fit l’âme si égale à lui et si semblable de mesure, afin qu’il pût se donner à l’âme ; car quoi qu’il lui donnerait d’autre, elle l’estimerait néant. Il faut que Dieu se donne lui-même à moi en propre, tel qu’il est à soi-même, ou bien rien ne m’est imparti ni n’a de saveur pour moi. Celui donc qui doit le recevoir pleinement, il lui faut pleinement s’être donné soi-même et être sorti de soi-même ; celui-là reçoit de Dieu dans l’égalité tout ce qu’il a, autant en propre qu’il le possède lui-même et Notre Dame et tous ceux qui sont dans le royaume des cieux : cela leur appartient de façon aussi égale et autant en propre. Ceux donc qui dans l’égalité sont sortis et se sont livrés eux-mêmes, ceux-là doivent aussi recevoir dans l’égalité, et non pas moins. Eckhart: Sermon 4
Un maître dit : Lorsque je pense au fait que notre nature est élevée au-dessus des créatures et siège au ciel au-dessus des anges et se trouve adorée par eux, il me faut me réjouir pleinement dans mon coeur, car Jésus Christ on aimable seigneur m’a donné en propre tout ce qu’il a en lui. Il dit aussi que le Père, à propos de tout ce qu’il a jamais donné à son Fils Jésus Christ dans la nature humaine, m’a considéré plutôt que lui et m’a davantage aimé que lui et m’a donné plutôt qu’à lui : comment donc ? Il lui a donné à cause de moi, parce que ce m’était nécessaire. C’est pourquoi, ce qu’il lui a donné, en cela c’est moi qu’il visait, et il me l’a donné aussi bien qu’à lui ; je n’excepte rien, ni union ni sainteté de la déité ni quoi que ce soit. Tout ce qui jamais il lui donna dans la nature humaine, cela ne m’est pas plus étranger ni plus lointain qu’à lui. Car Dieu ne peut donner peu de chose ; ou bien il lui faut donner pleinement, ou bien ne rien donner du tout. Son don est pleinement simple et parfait, sans partage et non dans le temps, totalement dans l’éternité, et soyez-en aussi sûrs que du fait que je vis : si donc nous devons recevoir de lui, il nous faut être dans l’éternité, élevés au-dessus du temps. Dans l’éternité, toutes choses sont présentes. Ce qui est au-dessus de moi, cela m’est aussi proche et aussi présent que ce qui est près de moi ; et c’est là que nous devons recevoir ce que nous devons avoir de par Dieu. Dieu ne connaît rien qui soit en dehors de lui, mais son oeil est seulement tourné vers lui-même. Ce qu’il voit, il le voit totalement dans lui. C’est pourquoi Dieu ne nous voit pas lorsque nous sommes dans le péché. C’est pourquoi autant nous sommes en lui, autant Dieu nous connaît, ce qui veut dire : autant nous sommes sans péché. Et toutes les oeuvres que Notre Seigneur a jamais opérées, il me les a si bien données en propre qu’elles ne me sont pas moins méritoires que les oeuvres que j’opère. Puisqu’à nous tous est propre de façon égale sa noblesse, et ( qu’elle ) est proche de façon égale de moi comme de lui, pourquoi ne la recevons pas de façon égale ? Ah entendez-le ! Qui veut venir à cette largesse, en sorte qu’il reçoive de façon égale ce bien et la nature humaine commune et également proche de tous les hommes, pour autant que dans la nature humaine il n’est plus alors rien d’étranger ni de lointain ni de proche, alors il faut aussi de nécessité que tu sois de façon égale dans la communauté humaine, n’étant pas plus proche de toi-même que d’un autre. Tu dois aimer tous les hommes à égalité avec toi, les estimer et les tenir à égalité ; ce qui arrive à un autre, que ce soi mal ou bien, cela doit être pour toi comme si cela t’arrivait. Eckhart: Sermon 5 a
« Il l’envoya dans le monde ». Mundus, en une certaine acception, veut dire « pur ». Notez-le ! Dieu n’a d’autre lieu propre qu’un coeur pur et une âme pure ; là Dieu engendre son Fils comme il l’engendre dans l’éternité, ni plus ni moins. Qu’est-ce qu’un coeur pur ? Est pur ce qui est séparé et détaché de toutes créatures, car toutes les créatures souillent, parce qu’elles sont néant ; car le néant est un défaut et souille l’âme. Toutes les créatures sont un pur néant ; ni anges ni créatures ne sont quelque chose. Elles ont tout en tout et souillent, car elles sont faites de néant. Si je mettais un charbon incandescent dans ma main, cela me ferait mal. Voilà qui est seulement à cause du néant, et serions-nous dépris du néant, nous ne serions pas impurs. Eckhart: Sermon 5 a
Là où finit la créature, là Dieu commence à être. Or Dieu ne désire rien de plus de toi que le fait que tu sortes de toi-même selon ton mode de créature, et que tu laisses Dieu être Dieu en toi. La plus minime image de créature qui jamais se forme en toi est aussi grande que Dieu est grand. Pourquoi ? Parce qu’elle entrave en toi le tout de Dieu. C’est justement là où pénètre l’image qu’il faut que Dieu recule et toute sa déité. Mais là où l’image sort, là Dieu entre. Dieu désire tellement que tu sortes de toi-même dans ton mode de créature, comme si toute sa béatitude tenait à cela. Ah, mon cher, en quoi te porte tort que tu permettes à Dieu que Dieu soit Dieu en toi ? Si tu sors pleinement de toi-même pour Dieu, alors Dieu sort pleinement de soi-même pour toi. Lorsque sortent ces deux, ce qui demeure est un Un simple. C’est dans cet Un que le Père engendre son Fils dans la source la plus intérieure. Là fleurit l’Esprit Saint, et là bondit en Dieu une volonté qui appartient à l’âme. Tout le temps que la volonté se tient intacte de toutes créatures et de tout le créé, cette volonté est libre. Christ dit : « Personne ne vient au ciel que celui qui du ciel est venu ». Toutes choses sont créées de néant ; c’est pourquoi leur juste origine est le néant, et pour autant que cette noble volonté s’incline vers les créatures, elle s’écoule avec les créatures vers leur néant. Eckhart: Sermon 5 b
Un maître dit : L’oeuvre la plus haute que Dieu opéra jamais en toutes les créatures, c’est la miséricorde. Le plus secret et le plus caché, même ce que jamais il opéra dans les anges, cela se trouve transposé dans la miséricorde, l’oeucre de miséricorde, telle qu’elle est en elle-même et telle qu’elle est en Dieu. Quoi que Dieu opère, la première irruption de Dieu est miséricorde, non à la manière dont il pardonne à l’homme son péché et où un homme a miséricorde de l’autre ; plutôt veut-il dire : L’oeuvre la plus haute que Dieu opère est la miséricorde. Un maître dit : L’oeuvre de miséricorde est si apparentée à Dieu ( que ), même si vérité, richesse et bonté sont des noms de Dieu, une chose le nomme davantage que l’autre. L’oeuvre la plus haute de Dieu est miséricorde, et veut dire que Dieu établit l’âme dans le plus élevé et le plus limpide qu’elle puisse recevoir, dans la vastitude, dans la mer, dans une mer sans fond. C’est pourquoi le prophète dit : « Seigneur, du peuple qui est en toi, aie pitié. » Eckhart: Sermon 7
Maintenant il dit : « Ils sont morts ». En premier lieu, qu’ils sont morts veut dire que tout ce que l’on pâtit dans ce monde et dans ce corps, cela à une fin. Saint Augustin dit : Toute peine et labeurs, cela a une fin, mais la récompense que Dieu donne pour cela est éternelle. En second lieu, que nous devons considérer que toute cette vie est mortelle, que nous ne devons pas craindre toute peine et tous les labeurs qui nous reviennent, car cela a une fin. En troisième lieu, que nous nous tenions comme si nous étions morts, que ne nous touche ni joie ni souffrance. Un maître dit : Rien ne peut toucher le ciel, et il veut dire que l’homme est un homme céleste pour qui toutes choses ne sont pas de telle importance qu’elles puissent le toucher. Un maître dit : Puisque toutes créatures sont si misérables, d’où vient donc qu’elle détournent l’homme si facilement de Dieu ; l’âme n’est-elle pas pourtant, dans ce qu’elle a de plis misérable, meilleure que le ciel et toutes créatures ? Il dit : cela vient de ce qu’il prête peu d’attention à Dieu. L’homme prêterait-il attention à Dieu comme il devrait qu’il serait presque impossible que jamais il tombe. Et c’est là un bon enseignement, que l’homme se tienne en ce monde comme s’il était mort. Saint Grégoire dit que de Dieu personne ne peut posséder beaucoup à moins que d’être fondamentalement mort à ce monde. Eckhart: Sermon 8
Le quatrième enseignement est le meilleur. Il dit qu’ils sont morts. La mort leur donne un être. Un maître dit : La nature ne détruit rien qu’elle ne donne quelque chose de meilleur. Lorsque l’air devient feu, cela est meilleur ; mais lorsque l’air devient eau, cela est un dommage et ( cela ) se fourvoie. Puisque la nature fait cela, plus encore Dieu le fait-il : il ne détruit jamais qu’il ne donne quelque chose de meilleur. Les martyrs sont morts et ont perdu une vie et ont reçu un être. Un maître dit que le plus noble est être et vie et connaissance. Connaissance est plus élevée que vie ou être, car de ce qu’elle connaît elle a vie et être. Mais d’autre part, vie est plus noble qu’être ou connaissance, au sens où l’arbre vit ; alors que la pierre a un être. Maintenant prenons à nouveau l’être nu et limpide, tel qu’il est en lui-même ; alors l’être est plus élevé que connaissance ou vie, car de ce qu’il a être il a connaissance et vie. Ils ont perdu une vie et ont trouvé un être. Un maître dit que rien n’est plus égal à Dieu que être ; dans la mesure où quelque chose a être, dans cette mesure, il est égal a Dieu. Un maître dit : Etre est si limpide et si élevé que tout ce que Dieu est est un être. Dieu ne connaît rien que seulemement être, il ne sait rien que être, être est son anneau. Dieu n’aime rien que son être, il ne pense rien que son être. Je dis : Toutes les créatures sont un ( seul ) être. Un maître dit que certaines créatures sont si proches de Dieu et ont imprimée dans elles tant de lumière divine qu’aux autres créatures elles donnent l’être. Ce n’est pas vrai, car être est si élevé et si limpide et si apparenté à Dieu que personne ne peut donner être que Dieu seul dans lui-même. Le propre de Dieu est être. Un maître dit : Une créature peut bien donner vie à l’autre. C’est pourquoi c’est seulement dans l’être que réside tout ce qui est quelque chose. Etre est un nom premier. Tout ce qui est caduque est un déchet de l’être. Toute notre vie devrait être un être. Autant notre vie est un être, autant elle est en Dieu. Autant notre vie est enclose dans l’être, autant elle est apparentée à Dieu. Il n’est vie si faible que, à celui qui la prend en tant qu’elle est un être, elle ne soit plus noble que tout ce qui jamais acquit vie. J’en suis certain, une âme connaîtrait-elle la moindre chose qui ait être qu’elle ne s’en détournerait jamais un instant. Le plus misérable que l’on connaît en Dieu, celui qui ne connaîtrait ne fût-ce qu’une fleur, en tant qu’elle a un être en Dieu, cela serait plus noble que le monde entier. Le plus misérable qui est en Dieu, en tant qu’il est un être, cela est meilleur que de connaître un ange. Eckhart: Sermon 8
L’ange, s’il se tournait vers les créatures pour les connaître, il ferait nuit. Saint Augustin dit : Lorsque les anges connaissent les créatures sans Dieu, c’est une lumière vespérale ; mais lorsqu’ils connaissent les créatures en Dieu, c’est une lumière matutinale. Qu’ils connaissent Dieu tel que seul il est en lui-même être, c’est le midi lumineux. Je dis : C’est cela que l’homme devrait comprendre et connaître, que l’être est si noble. Il n’est aucune créature si misérable qu’elle ne désire l’être. Les chenilles, lorsqu’elles tombent des arbres, rampent le long du mur pour conserver leur être. Si noble est l’être. Nous exaltons en Dieu le mourir, pour qu’il nous mette dans un être qui est meilleur qu’une vie : un être ou notre vie vive à l’intérieur, où notre vie devienne un être. L’homme doit se livrer volontiers à la mort et mourir pour que lui advienne un être meilleur. Eckhart: Sermon 8
Je laisse la première et la dernière et parle de la seconde, selon laquelle Dieu est quelque chose dont il faut de nécessité qu’il soit au-dessus de l’être. Ce qui a être, temps ou lieu, cela ne touche pas Dieu, il est au-delà. Dieu est dans toutes les créatures dans la mesure où elles ont l’être, et pourtant il est au-delà. Cela même qu’il est dans toutes les créatures, il l’est pourtant au-delà ; ce qui est un en beaucoup de choses, il faut de nécessité qu’il soit au-delà de ces choses. Certains maîtres voulurent que l’âme soit seulement dans le coeur. Il n’en est pas ainsi, et là de grands maîtres ont erré. L’âme est tout entière et indivisée pleinement dans le pied et pleinement dans l’oeil et dans chaque membre. Si je prends un morceau de temps, ce n’est alors ni le jour d’aujourd’hui ni le jour d’hier. Mais si je prends ( le ) maintenant, il comprend en lui tout le temps. Le maintenant dans lequel Dieu fit le monde est aussi proche de ce temps que le maintenant dans lequel je parle à présent, et le dernier jour est aussi proche de ce maintenant que le jour qui fut hier. Eckhart: Sermon 9
Or Dieu dit pourtant : Nul n’est bon que Dieu seul. Qu’est-ce qui est bon ? Est bon ce qui se communique. Celui-là nous l’appelons un homme bon qui se communique et est utile. C’est pourquoi un maître païen dit : Un ermite n’est ni bon ni mauvais en ce sens, parce qu’il ne se communique pas et n’est pas utile. Dieu est ce qui se communique le plus. Aucune chose ne se communique à partir de ce qui est sien, car toutes les créatures ne sont pas par elles-mêmes. Quoi qu’elles communiquent, elles l’ont d’un autre. Elles ne se donnent pas non plus elles-mêmes. Le soleil donne son éclat et demeure pourtant en son lieu, le feu donne son ardeur et demeure pourtant feu ; mais Dieu communique ce qui est sien, car il est par lui-même ce qu’il est, et dans tous les dons qu’il donne, il se donne toujours lui-même en premier lieu. Il se donne Dieu, tel qu’il est en tous ses dons, selon la mesure qui est en celui qui voudrait le recevoir. Saint Jacques dit : « Tous les dons bons fluent d’en haut du Père des lumières. » Eckhart: Sermon 9
Le texte dit aussi : « Comme une pleine lune en ses jours ». La lune a maîtrise sur toute la nature humide. Jamais la lune n’est si proche du soleil que lorsqu’elle est pleine et lorsqu’elle prend immédiatement sa lumière du soleil ; et de ce qu’elle est plus proche de la terre qu’aucune étoile, elle a deux désavantages : qu’elle soir pâle et tachée et qu’elle perde sa lumière. Jamais elle n’est aussi puissante que lorsqu’elle est au plus loin de la terre, car c’est alors qu’elle repousse la mer au plus loin ; plus elle décroît, moins elle peut a repousser. Plus l’âme est élevée au-dessus des choses terrestres, plus elle est puissante. Qui ne connaîtrait que les créatures, il n’aurait jamais besoin de penser à aucun sermon, car toute créature est pleine de Dieu et est un livre. L’homme qui veut parvenir à ce dont je viens de parler – à quoi tend ce discours tout entier – il doit être comme une étoile du matin ; toujours présent à Dieu et toujours auprès et exactement proche et élevé au-dessus de toutes choses terrestres et près du Verbe être un adverbe. Eckhart: Sermon 9
Il est une parole qui fut produite, c’est l’ange et l’homme et toutes créatures. Il est une autre parole, pensée et produite, grâce à quoi peut advenir que je forme en moi des images. Il est encore une autre parole, qui là est non produite et non pensée, qui jamais ne vient au-dehors, plutôt elle est éternellement en celui qui la dit ; elle est toujours dans un acte de recevoir, dans le Père qui la dit, et demeurant à l’intérieur. Intellect, sans cesse, opère vers l’intérieur. Plus subtile et plus spirituelle est la chose, plus puissamment elle opère vers l’intérieur, et plus l’intellect est puissant et subtil, plus ce qu’il connaît se trouve davantage uni à lui et se trouve davantage un avec lui. Il n’en est pas ainsi des choses corporelles ; plus elles sont puissantes, plus elles opèrent vers l’extérieur. Béatitude de Dieu tient à l’opération de l’intellect vers l’intérieur, là où le Verbe demeure à l’intérieur. Là l’âme doit être un adverbe, et avec Dieu opérer une ( seule ) oeuvre, afin de prendre sa béatitude dans la connaissance qui se déploie à l’intérieur, là même où Dieu est bienheureux. Eckhart: Sermon 9
J’ai dit un jour dans un monastère : l’image propre de l’âme est là où ne se trouve formé ni d’extérieur ni d’intérieur que ce qu’est Dieu lui-même. L’âme a deux yeux, un intérieur et un extérieur. L’oeil intérieur de l’âme est celui qui voit dans l’être et prend son être de Dieu sans aucun intermédiaire : c’est son oeuvre propre. L’oeil extérieur de l’âme est celui qui est tourné vers toutes les créatures et qui les perçoit sous le mode de l’image et sous le mode d’une puissance. L’homme qui maintenant se trouve tourné vers soi-même, en sorte qu’il connaît Dieu dans son goût propre et dans son propre fondement, cet homme est affranchi de toutes choses créées et est enfermé en lui-même sous un vrai verrou de vérité. Ainsi ai-je dit une fois que Notre Seigneur vint à ses disciples, le jour de Pâques, les portes fermées ; ainsi de cet homme qui là est affranchi de toute étrangèreté et de tout le créé, dans cet homme Dieu ne vient pas : il est essentiellement. Eckhart: Sermon 10
Or l’homme est tout à fait comme il faut qui vit dans les vertus, car j’ai dit il y a huit jours que les vertus sont dans le coeur de Dieu. Qui vit dans la vertu et opère dans la vertu, il est tout à fait comme il faut. Qui ne recherche pas ce qui est sien en aucune chose, ni en Dieu ni en créatures, celui-là demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Pour cet homme c’est joie que de laisser et de mépriser toutes choses, et c’est joie que d’accomplir toutes choses jusqu’à leur plus haut point. Saint Jean dit : « Dieu est charité », « Dieu est l’amour », et l’amour est Dieu, « et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ». Celui qui là demeure en Dieu, il a bon gîte et est un héritier de Dieu, et celui en qui Dieu habite, il a de dignes compagnons près de lui. Or un maître dit qu’à l’âme se trouve donné de par Dieu un don par quoi l’âme se trouve mue aux choses intérieures. Un maître dit que l’âme se trouve touchée sans intermédiaire par le Saint Esprit, car dans l’amour où Dieu s’aime soi-même, dans cet amour il m’aime, et l’âme aime Dieu dans le même amour où il s’aime soi-même, et cet amour dans lequel Dieu aime l’âme ne serait-il pas que l’Esprit Saint ne serait pas. C’est une ardeur et un épanouissement du Saint Esprit où l’âme aime Dieu. Eckhart: Sermon 10
Or un évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais. » Or un autre évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui toutes choses me plaisent. » Or le troisième évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais moi-même. » Tout ce qui plait à Dieu, cela lui plaît dans son Fils unique ; tout ce que Dieu aime, il l’aime dans son Fils unique. Or l’homme doit vivre de telle sorte qu’il soit un avec le Fils unique et qu’il soit le Fils unique. Entre le Fils unique et l’âme, il n’est pas de différence. Ente le serviteur et le maître, jamais amour ne sera égal. Aussi longtemps je suis serviteur, je suis très loin du Fils unique et inégal à lui. Si je voulais voir Dieu avec mes yeux, les yeux au moyen desquels je vois la couleur, je ne serais pas du tout comme il faut, car c’est temporel ; car tout ce qui est temporel, cela est loin de Dieu et étranger ( à lui ). Lorsque l’on prend le temps, et le prend-on au plus réduit, ( un ) maintenant, cela est temps et subsiste en soi-même. Aussi longtemps l’homme a-t-il temps et espace et nombre et multiplicité et quantité, il n’est pas du tout comme il faut, et Dieu lui est lointain et étranger. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : Qui veut devenir mon disciple, il lui faut se laisser soi-même ; personne ne peut entendre ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. Toutes créatures, en elles-mêmes, ne sont rien. C’est pourquoi j’ai dit : Laissez le rien et saisissez-vous d’un être accompli, là où la volonté est droite. Qui a laissé toute sa volonté, celui-là goûte ma doctrine et entend ma parole. Or un maître dit que toutes les créatures prennent leur être de Dieu sans intermédiaire ; c’est pourquoi il en est ainsi des créatures que, par droite nature, elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes. L’esprit connaîtrait-il son nu détachement, il ne pourrait avoir inclination à chose aucune, il lui faudrait s’en tenir à son nu détachement. C’est pourquoi il dit : « Il lui a plu en ses jours ». Eckhart: Sermon 10
« Qu’adviendra-t-il d’étonnant de cet enfant ? » J’ai dit récemment devant certaines personnes, qui peut-être sont aussi présentes ici, un petit mot, et j’ai donc affirmé : Rien n’est si caché qui ne doive se trouver découvert. Tout ce qui est néant doit être déposé et tellement caché qu’il ne doit même jamais se trouver pensé. Du néant nous ne devons rien savoir, et avec le néant nous ne devons rien avoir en commun. Toutes les créatures sont un pur néant. Ce qui n’est ni ici ni là, et là où est un oubli de toutes créatures, là est plénitude de tout être. J’ai dit alors : Rien en nous ne doit être caché que nous ne devions le découvrir pleinement à Dieu et le lui donner pleinement. Où que nous puissions nous trouver, que ce soit dans fortune ou dans infortune, dans amour ou dans souffrance, à quoi que nous nous trouvions inclinés, de cela nous devons sortir. En vérité, si nous lui découvrons tout, alors il nous découvre en retour tout ce qu’il a, et ne nous cache en vérité absolument rien de ce qu’il peut offrir, sagesse ni vérité ni intimité ni déité ni rien de rien. Cela est en vérité aussi vrai que Dieu vit, à condition que nous ne lui découvrons pas ( ce qui est à nous ), rien d’étonnant à ce qu’alors il ne nous découvre ( ce qui est à lui ) ; car il faut que cela soit exactement égal, nous envers lui comme lui envers nous. Eckhart: Sermon 11
Dieu donne à toutes choses également, et telles qu’elles fluent de Dieu, ainsi sont-elles égales ; oui, anges et hommes et toutes créatures fluent de Dieu égales dans leur première effusion. Qui maintenant prendrait ces choses dans leur première effusion, celui-là prendrait toutes choses égales. Sont-elles donc égales dans le temps, en Dieu et dans l’éternité elles sont bien plus égales. Qui prend une mouche en Dieu, celle-ci est plus noble en Dieu que ne l’est l’ange le plus élevé en lui-même. Or toutes choses sont égales en Dieu et sont Dieu même. Ici Dieu a tant de plaisir dans cette égalité que toute sa nature et son être il les épanche pleinement dans cette égalité en lui-même. Cela lui est plaisir ; de même manière que celui qui fait courir un cheval dans une verte lande qui serait totalement plane et égale, il serait de la nature du cheval de s’épancher pleinement de toute sa force en bondissant dans la lande, ce lui serait plaisir et serai sa nature Pareillement est-ce plaisir et satisfaction pour Dieu lorsqu’il trouve égalité. Ce lui est plaisir que sa nature et son être se répandent pleinement dans l’égalité, car il est lui-même l’égalité. Eckhart: Sermon 12
Les maîtres païens disent que Dieu a ordonné les créatures de telle sorte que toujours l’une est au-dessus de l’autre et que les plus élevées touchent les moins élevées et les moins élevées les plus élevées. Ce que les maîtres ont dit avec des mots scellés, cela un autre le dit de façon manifeste, et il dit que la chaîne d’or est la nature nue limpide qui est élevée en Dieu, et qui ne goûte rien de ce qui lui est extérieur, et qui saisit Dieu. Chacune touche l’autre, et la plus élevée à le pied posé sur la tête de l’inférieure. Toutes les créatures touchent Dieu non pas selon leur nature créée, et ce qui est créé il lui faut être brisé si le bien doit en sortir. Il faut que la coque soit fendue en deux si le noyau doit sortir. Tout cela vise un dépassement, car l’ange, en dehors de cette nue nature, ne sait pas plus que ce bois ; oui, l’ange, sans cette nature, n’a pas davantage que n’a une mouche sans Dieu. Eckhart: Sermon 13
Il dit : « Sur la montagne ». Comment cela doit-il advenir que l’on parvienne à cette limpidité ? Ils étaient vierges et étaient en haut sur la montagne et étaient fiancés à l’agneau et refusés à toutes créatures, et suivaient l’agneau partout où il allait. Certaines gens suivent l’agneau aussi longtemps que tout va bien pour eux ; mais dès lors que cela ne va pas selon leur volonté, ils rebroussent chemin. Cela n’est pas entendu dans ce sens, car il dit : « Ils suivaient l’agneau partout où il allait. » Si tu es vierge et que tu es fiancé à l’agneau et refusé à toutes créatures, alors tu suis l’agneau partout où il va ; tu ne te trouves pas alors désarçonné, lorsque viennent souffrances de la part de tes amis ou de la part de toi-même par quelque tentation. Eckhart: Sermon 13
Il dit : Ils étaient en haut. Ce qui est en haut, cela ne souffre pas de ce qui est sous lui, mais seulement lorsque quelque chose est au-dessus de lui qui soit plus élevé qu’il n’est. Un maître incroyant dit : Aussi longtemps l’homme est près de Dieu, il est impossible qu’il souffre. L’homme qui est en haut et refusé à toutes créatures et fiancé à Dieu, celui-là ne souffre pas ; et devrait-il souffrir, le coeur de Dieu s’en trouverait atteint. Eckhart: Sermon 13
Un maître païen pose les créatures ( comme ) égales à Dieu. L’Ecriture dit que nous devons devenir égaux à Dieu. Egal, c’est mauvais et trompeur. Si je m’égale à un homme et si je trouve un homme qui est égal à moi, cet homme se comporte comme s’il était moi, et il ne l’est pas et trompe. Mainte chose s’égale à l’or ; elle ment et n’est pas or. De même, toutes choses s’égalent à Dieu et elles mentent, et toutes elles ne le sont pas. L’Ecriture dit que nous devons être égaux à Dieu. Or un maître païen, qui parvint à cela par perception naturelle, dit : Dieu peut aussi peu souffrir ce qui est égal qu’il peut souffrir de n’être pas Dieu. Ressemblance est quelque chose qui n’est pas en Dieu ; il y a un être-un dans la déité et dans l’éternité ; plutôt, égalité ce n’est pas un. Serais-je un, je ne serais pas égal. Il n’est rien d’étranger dans l’unité ; il y a pour moi être-un dans l’éternité, non être-égal. Eckhart: Sermon 13
Or Jean dit qu’il vit un agneau debout sur la montagne. Je dis : Jean était lui-même la montagne sur laquelle il vit l’agneau, et qui veut voir le divin agneau, il lui faut lui-même être la montagne, et parvenir à ce qu’il a de plus élevé et à ce qu’il a de plus limpide. La seconde chose qu’il dit est qu’il vit l’agneau debout sur la montagne. Ce qui se tient sur quelque chose d’autre, cela touche, avec sa face inférieure, la face supérieure de ce qui est au-dessous. Dieu touche toutes choses et demeure intouché. Dieu est au-dessus de toutes choses un se-tenir dans soi-même et son se-tenir contient toutes les créatures. Toutes les créatures ont une face supérieure et une face inférieure ; cela Dieu ne l’a pas. Dieu est au-dessus de toutes choses et nulle part ne se trouve touché par rien. Toutes les créatures cherchent en dehors d’elles-mêmes, chacune en l’autre ce qu’elle n’a pas ; cela Dieu ne le fait pas. Dieu ne cherche pas en dehors de lui-même. Ce que toutes les créatures ont, cela Dieu l’a pleinement en lui. Il est le sol, le cercle de toutes les créatures. Il est certes vrai que l’une est avant l’autre, et pour le moins que l’une se trouve engendrée par l’autre. Néanmoins, elle ne lui donne pas son être ; elle conserve quelque chose de ce qui est sien. Dieu est un se-tenir simple, un résider dans soi-même. Chaque créature, selon la noblesse de sa nature, plus elle réside dans soi-même plus elle s’offre à l’extérieur. Une simple pierre comme un tuffeau n’atteste rien de plus que le fait qu’elle est une pierre. Mais une pierre précieuse, qui a grande puissance, en ce qu’elle a se-tenir, un résider dans soi-même, en cela même dresse en même temps la tête et regarde vers le dehors. Les maîtres disent qu’aucune créature n’a ( un ) résider aussi grand dans soi-même que corps et âme, et qu’aucune non plus n’a sortir aussi grand que l’âme selon sa partie supérieure. Eckhart: Sermon 13a
Jérusalem veut dire une hauteur, comme je l’ai dit au Mariengarten : Ce qui est en haut, on lui dit : Descends. Ce qui est en bas, on lui dit : Monte. Si tu es en bas et si j’étais au-dessus de toi il me faudrait m’abaisser vers toi. Ainsi fait Dieu ; si tu t’humilies, alors Dieu s’abaisse d’en haut et vient vers toi. La terre est ce qu’il y a de plus éloigné du ciel, et ( elle ) s’est recroquevillée dans un recoin et a honte et voudrait échapper au beau ciel, d’un recoin vers l’autre. Quel sera donc son point d’arrêt ? Echappe-t-elle vers le bas, elle parvient au ciel ; échappe-t-elle vers le haut, elle ne peut pourtant lui échapper. Il la pourchasse dans un recoin, et imprime sa force en elle et la rend féconde. Pourquoi ? Ce qui est le plus élevé flue dans ce qui est le plus bas. Une étoile est au-dessus du soleil ; c’est l’étoile la plus élevée ; elle est plus noble que le soleil ; elle flue dans le soleil et illumine le soleil, et toute la lumière qu’a le soleil, il l’a de cette étoile. Que veut dire que le soleil ne brille pas aussi bien de nuit que de jour. Cela veut dire que le soleil, en sa toute solitude, n’est pas assez puissant à partir de lui-même, qu’il est quelque déficience dans le soleil, ce que pouvez voir en ce qu’il est sombre en une de ses extrémités et, pendant la nuit, la lune et les étoiles prennent de lui leur lumière et la portent ailleurs ; alors il brille ailleurs, dans un autre pays. Cette étoile flue non pas seulement dans le soleil, mais elle flue à travers le soleil et à travers toutes les étoiles, et flue dans la terre et la rend féconde. Il en est tout ainsi de l’homme vraiment humble, qui a rejeté au-dessous de soi toutes créatures et se soumet à Dieu ; Dieu de par sa bonté ne manque pas de s’épancher pleinement en cet homme ; il se trouve contraint de le faire de toute nécessité. Veux-tu être en haut et être élevé, il te faut être alors en bas, loin du flux du sang et de la chair, car une racine de tous péchés et de toutes souillures est la superbe cachée, dissimulée, d’où ne proviennent que souffrance et douleur. C’est ainsi que l’humilité est une racine de tout bien, et là-dessus ce qui suit. Eckhart: Sermon 14
Toutes les créatures ont flué hors de la volonté de Dieu. Saurais-je désirer seulement le bien de Dieu, cette volonté est si noble que le Saint Esprit fluerait de là sans intermédiaire. Tout bien flue du superflu de la bonté de Dieu. Oui, et la volonté de Dieu a goût pour moi seulement dans l’unité, là où le repos de Dieu est orienté au bien de toutes les créatures ; où celle-ci repose, et toute ce qui jamais acquit être et vie, comme dans leur fin dernière, là tu dois aimer le Saint Esprit, tel qu’il est dans l’unité ; non en lui-même, mais là où avec la bonté de Dieu il a goût seulement dans l’unité, là où toute bonté flue du superflu de la bonté de Dieu. Cet homme. Cet homme s’en revient plus riche chez lui que lorsqu’il était sorti. Qui serait ainsi sorti de soi-même, celui-là devrait se trouver plus proprement donné à nouveau à lui-même. Et toute chose qu’il aura laissée dans la multiplicité, cela lui sera ( donné ) pleinement à nouveau dans la simplicité, car il se trouve soi-même et dans toute chose dans le maintenant présent de l’unité. Et celui qui serait ainsi sorti, il reviendrait chez lui bien plus noble qu’il n’était sorti. Cet homme vit maintenant dans une liberté déprise et dans une limpide nudité, car il n’a à se soumettre à aucune chose ni à prendre peu ni beaucoup ; car tout ce qui est le propre de Dieu, cela lui est propre. Eckhart: Sermon 15
Et ( il ) dit : « Un homme sortit. » Aristote entreprit un livre et voulut ( y ) parler de toutes choses. Or notez ce qu’Aristote dit cet homme. Homo, cela signifie un homme a qui a été conférée une forme, et ( elle ) lui donne être et vie en commun avec toutes créatures, avec celles qui sont douées de raison et avec celles qui ne sont pas douées de raison, ( il est privé de raison ) avec toutes les créatures corporelles et doué de raison avec les anges. Et il dit : De même que toutes les créatures avec images et formes sont intellectuellement comprises par les anges, et les anges connaissent intellectuellement chaque chose dans sa différence – en quoi l’ange a si grand plaisir que ce serait une merveille pour ceux qui ne l’ont pas éprouvé et qui ne l’auraient pas goûté : de même l’homme entend intellectuellement image et forme de toute créature dans sa différence. Ce qu’Aristote mit à l’actif de l’homme, c’est que l’homme est un homme en ce qu’il entend toute image et forme ; c’est pour cela qu’un homme est un homme. Et c’était l’explication suprême par quoi Aristote pouvait expliquer un homme. Eckhart: Sermon 15
J’ai aussi souvent parlé du commencement premier et de la fin dernière. Le Père est un commencement de la déité, car il se saisit soi-même dans soi-même. De lui vient la parole éternelle qui demeure à l’intérieur, et ( le Père ) ne l’engendre pas, car il est une fin de la déité, qui demeure à l’intérieur, et de toutes les créatures, là où est un limpide repos et une quiétude de tout ce qui jamais acquit l’être. Le commencement est en vue de la fin, car dans la fin dernière repose tout ce qui jamais acquit être doué d’intellect. ( La fin dernière ) de l’être est la ténèbre ou l’inconnaissance de la déité cachée, d’où brille cette lumière, et cette ténèbre ne l’a pas saisie. C’est pourquoi Moïse dit : « Celui qui est là m’a envoyé », lui qui est sans nom, qui est une négation de tous noms et qui jamais n’acquit de nom. Et c’est pourquoi le prophète dit : « En vérité, tu es le Dieu caché » dans le fond de l’âme, là où le fond de Dieu et le fond de l’âme son un ( seul ) fond. Plus on te cherche, moins on te trouve. Tu dois le chercher de sorte que tu ne le trouves nulle part. Si tu ne le cherches pas, alors tu le trouves. Pour que nous le cherchions de telle sorte que nous demeurions près de lui éternellement, qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Eckhart: Sermon 15
Ce qui de l’âme est dans ce monde ou lorgne vers ce monde, et ce qui d’elle est atteint en quelque chose et lorgne vers l’extérieur, elle doit le haïr. Un maître dit que l’âme, dans ce qu’elle a de plus élevé et de plus limpide, est au-dessus du monde. Rien n’attire l’âme vers ce monde qu’amour seulement. Parfois elle a un amour naturel qu’elle porte au corps. Parfois elle a un amour de volonté, qu’elle porte à la créature. Un maître dit : Aussi peu l’oeil a à faire avec le chant et l’oreille avec la couleur, aussi peu l’âme dans sa nature a-t-elle à faire avec tout ce qui est dans ce monde. C’est pourquoi nos maîtres ( ès sciences ) naturelles disent que le corps est davantage dans l’âme que l’âme n’est dans le corps. Tout comme le vase contient davantage le vin que le vin le vase, ainsi l’âme contient-elle davantage en elle le corps que le corps l’âme. Ce que l’âme aime dans ce monde, de cela elle est nue dans sa nature. Un maître dit : Il est de la nature et de la perfection naturelle de l’âme qu’elle devienne dans elle un monde doué d’intellect, là où Dieu a formé dans elle les images de toutes choses. Qui dit alors qu’il est parvenu à sa nature, celui-là doit trouver toutes choses formées en lui dans la limpidité, comme elles sont en Dieu, non comme elles sont dans leur nature, plutôt : comme elles sont en Dieu. Ni esprit ni ange ne touchent le fond de l’âme pas plus que la nature de l’âme. C’est en cela qu’elle parvient dans ce qui est premier, dans le commencement, où Dieu jaillit avec bonté dans toutes les créatures. Là elle prend toutes choses en Dieu, non dans la limpidité, telles qu’elles sont dans leur limpidité naturelle, plutôt : dans la limpide simplicité, telles qu’elles sont en Dieu. Dieu a fait tout ce monde comme en charbon. L’image qui est en or est plus ferme que celle qui est en charbon. C’est ainsi que toutes choses dans l’âme sont plus limpides et plus nobles qu’elles ne le sont dans ce monde. La matière dont Dieu a fait toutes choses est plus médiocre que ne l’est le charbon en regard de l’or. Qui veut faire un pot, celui-là prend un peu de terre ; c’est là sa matière, avec laquelle il opère. Après il lui donne une forme, qui est en lui, qui est en lui plus noblement que la matière. Ici j’estime que toutes choses sont immensément plus nobles dans le monde doué d’intellect qu’est l’âme qu’elles ne le sont dans ce monde ; exactement comme l’image qui est taillée et gravée dans l’or, ainsi les images de toutes choses sont-elles simples dans l’âme. Un maître dit : L’âme a en elle une capacité que les images de toutes choses se trouvent imprimées en elle. Un autre dit : Jamais l’âme n’est parvenue à sa nature qu’elle ne trouve toutes choses formées en elle dans ce monde doué d’intellect, qui est incompréhensible ; aucune pensée n’y parvient. Grégoire dit : Ce que nous énonçons des choses divines, il nous faut le balbutier, car il faut qu’on le dise avec des mots. Eckhart: Sermon 17
J’ai parlé récemment de la porte d’où Dieu se diffuse, c’est bonté. Mais l’être est ce qui se tient en soi-même et ne se diffuse pas, plutôt : il s’in-fuse. Mais unité est ce qui se tient Un dans soi-même et Un par rapport à toutes choses, et ne se communique pas à l’extérieur. Mais bonté, c’est là où Dieu se diffuse et se communique à toutes créatures. Etre est le Père, unité est le Fils avec le Père, bonté est le Saint Esprit. Or le Saint Esprit prend l’âme, la ville sanctifiée, dans le plus limpide et le plus élevé, et l’entraîne vers le haut dans son origine, c’est-à-dire le Fils, le Fils l’entraîne plus avant dans son origine, c’est-à-dire dans le Père, dans le fond, dans le principe, là où le Fils a son être, là où la Sagesse éternelle repose de façon égale « dans la ( ville ) consacrée et dans la ville sanctifiée », dans le plus intérieur. Eckhart: Sermon 18
Notre Seigneur dit : « A la porte de la maison de Dieu, tiens-toi et proclame la parole et profère la parole ! » Le Père céleste dit une parole et la dit éternellement, et dans cette parole il consume toute sa puissance et dit sa nature divine pleinement dans cette Parole, et toutes créatures. La Parole gît cachées dans l’âme, de sorte qu’on ne la sait ni ne l’entend, à moins qu’on ne lui ménage une écoute dans le fond, autrement elle n’est pas entendue ; plutôt, toutes les voix et tous les bruits il faut qu’ils disparaissent et il faut que ce soit là un calme limpide, un silence. De ce sens je ne parle pas davantage. Eckhart: Sermon 19
Nos maîtres disent : Qu’est-ce qui loue Dieu ? Le fait l’égalité. Ainsi tout ce qui est égal à Dieu de ce qui est dans l’âme, cela loue Dieu ; lorsque quelque chose est inégal à Dieu, cela ne le loue pas ; comme une image loue son maître qui en lui a imprimé tout l’art qu’il a dans son coeur et qu’il l’a même faite égale à lui. L’égalité de l’image loue son maître sans parole. Ce que l’on peut louer avec des paroles ou prier avec la bouche, cela est une petite chose. Car Notre Seigneur dit une fois : « Vous priez, mais vous ne savez pas ce que vous priez. Viendront de vrais orants, ils adoreront mon Père en esprit et en vérité. » Qu’est-ce que la prière ? Denys dit : Une élévation intellectuelle vers Dieu, voilà qui est prière. Un païen dit : Là où est esprit et unité et éternité, c’est là que Dieu veut opérer. Là ou chair est contre esprit, là où dispersion est contre unité, là où temps est contre éternité, là Dieu n’opère pas ; il ne peut rien en faire. Plus : tout plaisir et satisfaction et joie et bien-être que l’on peut avoir ici-bas, il faut que tout cela disparaisse. Qui veut louer Dieu, il lui faut être sain et être rassemblé et être un esprit et nulle part être au dehors, plutôt : ( il lui faut être ) emporté vers le haut tout égal dans l’éternelle éternité et par delà toutes choses. Je ne vise pas ( seulement ) toutes les créatures qui sont créées, plutôt : tout ce qui serait en son pouvoir, s’il le voulait, l’âme doit le dépasser. Aussi longtemps quelque chose est au-dessus de l’âme et aussi longtemps quelque chose est devant Dieu qui n’est pas Dieu, elle ne vient pas dans le fond « dans la longueur des jours ». Eckhart: Sermon 19
Or saint Augustin dit : Lorsque la lumière de l’âme, dans laquelle les créatures prennent leur être, illumine celles-ci, il appelle cela un matin. Quand la lumière de l’ange illumine la lumière de l’âme et l’inclut en soi, il appelle cela un milieu de matinée. David dit : « Le sentier de l’homme droit croît et grandit jusqu’au plein midi. » Le sentier est beau et désirable et plaisant et familier. Plus : lorsque la lumière divine illumine la lumière de l’ange et ( que ) la lumière de l’âme et la lumière de l’ange s’incluent dans la lumière divine, il appelle cela le midi. Alors le jour est en son plus haut et en son plus long et en son plus parfait, lorsque le soleil se tient en son plus haut et verse son éclat dans les étoiles et ( que ) les étoiles versent leur éclat dans la lune, de sorte que cela se trouve ordonné sous le soleil. Ainsi la lumière divine a-t-elle inclus en soi la lumière de l’ange et la lumière de l’âme, de sorte que tout cela se tient ordonné et dressé vers le haut, et loue ainsi Dieu pleinement. Alors il n’est plus rien qui ne loue Dieu, et tout se tient égal à Dieu – plus c’est égal plus c’est plein de Dieu – et loue pleinement Dieu. Notre Seigneur dit : « J’habiterai avec vous dans votre maison. » Nous prions notre aimable Seigneur Dieu pour qu’il habite avec nous ici-bas, afin que nous en venions à habiter avec lui éternellement ; qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Eckhart: Sermon 19
Il y eut un homme, cet homme n’avait pas de nom, car cet homme est Dieu. Or un maître dit à propos de la première cause qu’elle est au-dessus de la parole. Le défaut tient au langage. Cela vient de l’excès de limpidité de son être. On ne peut discourir des choses que de trois façons : en premier lieu par ce qui est au-dessus des choses, en second lieu par ce qui est égal aux choses, en troisième lieu par l’oeuvre des choses. Je donnerai une comparaison. Lorsque la puissance du soleil tire le suc le plus noble de la racine jusqu’aux branches et réalise une fleur, la puissance du soleil est néanmoins au-dessus de cela. C’est ainsi que je dis que la lumière divine opère dans l’âme. Ce en quoi l’âme exprime Dieu, cela ne porte pourtant pas en lui la vérité proprement dite de son être : personne à propos de Dieu ne peut dire à proprement parler ce qu’il est. Parfois l’on dit : Une chose est égale à une chose. Or parce que toutes les créatures incluent en elles si peut que rien de Dieu, elles ne peuvent non plus rien révéler de lui. Un peintre qui a fait une image parfaite, il fait preuve là de son art. Néanmoins on ne peut l’éprouver totalement par là. Toutes les créatures ne peuvent pas exprimer Dieu, car elles ne sont pas capables de recevoir ce qu’il est. Ce Dieu et homme a préparé le repas du soir, l’homme inexprimable pour lequel il n’est pas de mot. Saint Augustin dit : Ce que l’on dit de Dieu, ce n’est pas vrai, et ce que l’on ne dit pas de lui, cela est vrai. Lorsqu’on dit ce que Dieu est, cela il ne l’est pas ; ce que de lui l’on ne dit pas, il l’est plus proprement que ce que l’on dit qu’il est. Qui a préparé ce festin ? Un homme : l’homme qui là est Dieu. Or le roi David dit : « Ô Seigneur, que grand et que multiple est ton festin, et le goût de la douceur que tu as préparé à ceux qui t’aiment, non à ceux qui te craignent. » Saint Augustin méditait sur cette nourriture, alors il était pris de frayeur et il en perdait le goût. Alors il entendu près de lui une voix d’en haut : « Je suis une nourriture de gens adultes, croîs et deviens grand, et consomme-moi. Mais tu ne dois pas t’imaginer que je me transformerai en toi : c’est toi qui dois te trouver transformé en moi. » Lorsque Dieu opère dans l’âme, dans le brasier de la fournaise se trouve alors purifié et jeté dehors ce qui là est inégal en l’âme. En limpide vérité ! L’âme entre davantage en Dieu qu’aucune nourriture en nous, plutôt : cela transforme l’âme en Dieu. Et une puissance est dans l’âme qui sépare le plus grossier et se trouve unie à Dieu : c’est la petite étincelle de l’âme. Encore plus une avec Dieu devient mon âme que la nourriture avec mon corps. Eckhart: Sermon 20a
Or saint Luc dit : « Un homme fit un grand festin du soir. » Cet homme n’avait pas de nom, cet homme n’avait pas d’égal ( à lui ), cet homme est Dieu. Dieu n’a pas de nom. Un maître païen dit qu’aucune langue n’est à même de produire à propos de Dieu une parole propre en raison de la hauteur et de la limpidité de son être. Lorsque nous parlons de l’arbre, nous en parlons au moyen de choses qui sont au-dessus de l’arbre, tel le soleil qui là opère dans l’arbre. C’est pourquoi de Dieu on ne peut à proprement parler rien dire, car il n’est rien au-dessus de Dieu, et Dieu n’a pas de cause. En second lieu, nous parlons des choses par référence à l’égalité. C’est pourquoi on ne peut à proprement parler discourir de Dieu en rien, car rien ne lui est égal. En troisième lieu, on discourt des choses à propos de leurs oeuvres : lorsque l’on parle de l’art du maître, l’on parle de l’image qu’il a faite ; l’image révèle l’art du maître. Toutes les créatures sont par trop misérables pour le révéler ; elles sont toutes un néant en regard de Dieu. C’est pourquoi aucune créature n’est à même de produire une seule parole à propos de Dieu en ses oeuvres. C’est pourquoi Denys dit : Tous ceux qui veulent exprimer Dieu, ceux-là ont tort, car ils ne disent rien de lui. Ceux qui ne veulent pas parler de lui, ceux-là ont raison, car aucune parole ne peut exprimer Dieu, plutôt : il se dit assurément lui-même en lui-même. C’est pourquoi David dit : « Nous verrons cette lumière dans ta lumière. » Luc dit : « Un homme ». Il est un et il est un homme, et il n’est égal à personne, et il plane au-dessus de tout. Eckhart: Sermon 20b
L’autre parole : « Ami, monte plus haut, va plus haut. » De ces deux, j’en fais une. Lorsqu’il dit : « Ami, monte plus haut, va plus haut », c’est un dialogue entre l’âme et Dieu, et il lui fut répondu : « Un Dieu et Père de tous ». Un maître dit : Amitié se trouve dans volonté. Pour autant qu’amitié se trouve dans volonté, elle n’unit pas. Je l’ai dit également souvent : Amour n’unit pas. Il unit certes en une oeuvre, non pas en un être. C’est pourquoi il ( = l’amour ) dit seulement : « Un Dieu », « monte plus haut, va plus haut ». Dans le fond de l’âme rien ne peut ( être ) que limpide déité. Même l’ange le plus élevé, si proche qu’il soit de Dieu et si apparenté ( à lui ) et si riche soit ce que de Dieu il a en lui – ses oeuvres sont constamment en Dieu, il est uni à Dieu en un être, non en une oeuvre, il a un demeurer-intérieur en Dieu et un constant séjourner auprès ( de lui ) – si noble soit l’ange, c’est pour sûr merveille, il ne peut pourtant entrer dans l’âme. Un maître dit : Toutes les créatures qui possèdent distinction sont indignes de ce que Dieu lui-même opère en elles. L’âme dans elle-même, étant donné qu’elle est au-dessus du corps, est si limpide et si délicate qu’elle n’aime rien que déité nue limpide. Cependant Dieu ne peut pas ( entrer ) en elle, à moins que lui soit retirer tout ce qui lui est ajouté. C’est pourquoi il lui fut répondu : « Un Dieu ». Eckhart: Sermon 21
Saint Paul dit : « Un Dieu ». Un est quelque chose de plus limpide que bonté et vérité. Bonté et vérité n’ajoutent rien, elles ajoutent dans une pensée ; lorsque l’on pense, alors on ajoute. Un n’ajoute rien, étant donné qu’il est dans lui-même avant qu’il ne flue dans Fils et Saint Esprit. C’est pourquoi il dit : « Ami, monte plus haut ». Un maître dit : Un est un nier du nier. Si je dis Dieu est bon, cela ajoute quelque chose. Un est un nier du nier et un dénier du dénier. Que signifie Un ? Un signifie ce à quoi rien n’est ajouté. L’âme prend la déité telle qu’elle est purifiée en elle( -même ), là où rien n’est ajouté, là où rien n’est pensé. Un est un nier du nier. Toutes les créatures ont un nier en elles-mêmes ; l’une nie qu’elle soit l’autre en quoi que ce soit. Mais Dieu a un nier du nier ; il est Un et nie tout autre, car rien n’est en dehors de Dieu. Toutes les créatures sont en Dieu et sont sa déité propre, et ( cela ) vise une plénitude comme je l’ai dit plus haut. Il est un Père de toute déité. Je dis une déité pour la raison qu’il n’est rien encore qui flue au-dehors et qui en aucune façon se trouve touché ni pensé. Dans la mesure où je nie quelque chose de Dieu – si de Dieu je nie la bonté, je ne peux ( par là ) rien nier de Dieu – dans la mesure où je nie ( quelque chose ) de Dieu, alors je saisis quelque chose de lui qu’il n’est pas ; c’est cela même qu’il faut écarter. Dieu est Un, il est un nier du nier Eckhart: Sermon 21
« Un Dieu » : en tant que Dieu est Un, alors est accomplie la déité de Dieu. Je dis : Dieu ne pourrait jamais engendrer son Fils unique s’il n’était Un. En tant que Dieu est Un, il prend là tout ce qu’il opère en les créatures et en la déité. Je dis plus ; L’unité, Dieu seul l’a. Propriété de Dieu est l’unité ; c’est là que Dieu prend le fait qu’il est Dieu, autrement il ne serait pas Dieu. Tout ce qui est nombre, cela dépend du Un, et le Un ne dépend de rien. Richesse de Dieu et sagesse et vérité sont pleinement Un en Dieu ; ce n’est pas Un, c’est Unité. Tout ce que Dieu a, il l’a dans le Un ; c’est Un en lui. Les maîtres disent que le ciel opère sa révolution de telle sorte qu’il amène toutes choses en Un ; c’est pourquoi il évolue si vite. Dieu a toute plénitude comme Un, et la nature de Dieu en dépend, c’est là la béatitude de l’âme que Dieu soit Un ; c’est sa parure et son honneur. Il dit : « Ami, monte plus haut, ainsi t’adviendra-t-il honneur. » C’est honneur et parure de l’âme que Dieu soit Un. Dieu fait comme s’il n’était Un que pour plaire à l’âme, et comme s’il se parait pour que l’âme s’éprenne uniquement de lui. C’est pourquoi l’homme veut tantôt une chose, tantôt une autre ; tantôt il s’exerce en sagesse, et tantôt en art. Parce qu’elle n’a pas le Un, l’âme ne trouve jamais le repos que tout ne devienne Un en Dieu. Dieu est Un ; c’est là béatitude de l’âme et sa parure et son repos. Un maître dit : Dieu, dans toutes ses oeuvres, vise toutes choses. L’âme est toutes choses. Ce qui en toutes choses au-dessous de l’âme est le plus noble, le plus limpide, le plus élevé, cela Dieu le verse pleinement en elle. Dieu est tout et est Un. Eckhart: Sermon 21
En cela est à entendre que nous sommes un Fils unique que le Père a éternellement engendré. Lorsque le Père engendra toutes les créatures, alors il m’engendra, et je fluai au dehors avec toutes les créatures et demeurai pourtant intérieurement dans le Père. De la même manière que la parole que je dis maintenant bondit en moi, en second lieu je me repose sur cette image, en troisième lieu je l’exprime à l’extérieur et vous la recevez tous ; cependant elle demeure à proprement parler en moi. C’est ainsi que je suis demeuré dans le Père. Dans le Père sont les images de toutes les créatures. Ce bois-ci a une image intellectuelle en Dieu. Elle n’est pas seulement intellectuelle, plutôt : elle est un intellect limpide. Eckhart: Sermon 22
In principio. « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné », un enfant selon l’infériorité de la nature humaine, un Fils selon la déité éternelle. Les maîtres disent : Toutes les créatures oeuvrent dans la volonté d’enfanter et dans la volonté de s’égaler au Père. Un autre maître dit : Toute cause opérante opère en vue de sa fin en sorte qu’elle trouve répit et repos dans sa fin. Un maître dit : Toutes les créatures opèrent selon leur limpidité première et selon leur perfection la plus haute. Feu en tant que feu n’embrase pas : il est si limpide et si subtil qu’il n’embrase ; plutôt : la nature du feu enflamme et déverse dans le bois sec sa nature et sa clarté selon sa perfection la plus haute. C’est ainsi que Dieu a fait. Il a créé l’âme selon la perfection le plus haute et a déversé en elle toute sa clarté dans la limpidité première, et est cependant demeuré sans mélange. Eckhart: Sermon 22
J’ai dit récemment en un lieu : Lorsque Dieu créa toutes les créatures, Dieu n’aurait-il pas auparavant engendré quelque chose qui fût incréé, qui en lui eût porté les images de toutes les créatures – c’est l’étincelle, comme j’ai dit naguère au ( monastère ) des Saints-Macchabées, à supposer que vous n’ayez pas été là en vain -, cette petite étincelle est si apparentée à Dieu qu’elle est un unique Un non séparé, et porte en soi l’image de toutes les créatures, images sans images et images par-delà les images. Eckhart: Sermon 22
J’ai pensé – il y a de cela plusieurs années – au cas où je me trouverais interrogé sur ce qui fait que chaque brin d’herbe est si inégal aux autres, et il advint ( de fait ) que je fus interrogé sur ce qui fait qu’ils sont si inégaux. Je dis alors : Que tous les brins d’herbe soient si égaux, c’est encore plus étonnant. Un maître dit : Que tous les brins d’herbe soient si inégaux, cela provient de la surabondance de la bonté de Dieu qu’il déverse avec surabondance dans toutes les créatures, afin que sa seigneurie s’en trouve d’autant plus révélée. Je dis alors : Il est plus étonnant que tous les brins d’herbe soient aussi égaux, et dis : De même que tous les anges sont un ange dans la limpidité première, tout à fait Un, ainsi tous les brins d’herbe dans la limpidité première sont-ils Un, et toutes choses là sont Un. Eckhart: Sermon 22
J’ai pensé parfois, tandis que je venais ici, que l’homme dans le temps peut en venir à pouvoir contraindre Dieu. Si j’étais ici en haut et disais à quelqu’un : « Monte ! », cela serait difficile. Si je disais plutôt : « Assieds-toi ! », cela serait facile. Ainsi fait Dieu. Lorsque l’homme s’humilie, Dieu ne peut pas se retenir, de par sa bonté propre, il lui faut s’abaisser et s’épancher dans l’homme humble, et là celui qui est le plus petit il se donne le plus et se donne à lui pleinement. Ce que Dieu donne, c’est son être, et son être fait sa bonté, et sa bonté fait son amour. Toute souffrance et toute joie proviennent d’amour. J’ai pensé en chemin, lorsque je devais venir ici, que je ne voulais pas venir ici, car je serais inondé ( de larmes ) par amour. Quand avez-vous été inondés ( de larmes ) par amour, laissons cela. Joie et souffrance proviennent d’amour. L’homme ne doit pas craindre Dieu, car celui qui le craint celui-là le fuit. Cette crainte est une crainte dommageable. ( Mais ) c’est une crainte comme il faut ( qu’éprouve ) celui qui craint de perdre Dieu. L’homme ne doit pas le craindre, il doit l’aimer, car Dieu aime l’homme avec toute sa perfection la plus haute. Les maîtres disent que toutes choses opèrent selon qu’elles veulent engendrer et veulent s’égaler au Père, et disent : La terre fuit le ciel ; si elle fuit vers le bas, elle parvient au ciel vers le bas ; fuit-elle vers le haut, elle parvient à ce qui du ciel est le plus bas. La terre ne peut fuir si bas que la terre ne se déverse en elle et ne la rende fertile, que ce lui soit agréable ou non. Ainsi fait l’homme qui s’imagine fuir Dieu et ne peut pourtant pas le fuir ; tous les recoins lui sont une révélation. Il s’imagine fuir Dieu et s’engouffre ( pourtant ) dans son sein. Dieu engendre son Fils unique en toi, que ce te soit agrément ou souffrance, que tu dormes ou que tu veilles, il fait ce qui est sien. Je disais récemment, qu’est-ce ( donc ) qui serait responsable de ce que l’homme ne le goûte pas, et dis ( que ) serait responsable le fait que sa langue serait chargée d’autre impureté, c’est-à-dire des créatures. De même façon que chez un homme à qui toute nourriture est amère et n’a pas de goût pour lui. Qu’est-ce qui est responsable de ce que la nourriture n’a pas de goût pour nous ? Responsable le fait que nous n’avons pas de sel. Le sel est l’amour divin. Aurions-nous l’amour divin, nous goûterions Dieu et toutes les oeuvres que Dieu a jamais opérées, et nous recevrions toutes choses de Dieu, et opérerions toutes les mêmes oeuvres qu’il opère. Dans cette égalité nous sommes tous un Fils unique. Eckhart: Sermon 22
Lorsque Dieu créa l’âme, il la créa selon sa plus haute perfection, pour qu’elle soit une fiancée du Fils unique. Etant donné que celui-ci le savait bien, il voulut sortir hors de sa chambre secrète du trésor de la paternité éternelle, dans laquelle il a sommeillé éternellement, demeurant à l’intérieur inexprimé. In principio. Dans le premier commencement de la limpidité première, le Fils a ouvert la tente de sa gloire éternelle, et pour cette raison est venu de là, du Très-Haut, parce qu’il voulait élever son amie à qui le Père l’avait fiancé éternellement, en sorte qu’il l’a reconduise au Très-Haut dont elle est venue, et il est écrit en un autre lieu : « Vois ! ton roi vient à toi. » C’est pourquoi il sortit et s’en vint en bondissant comme un chevreau et souffrit sa peine par amour ; et il ne sortit pas qu’il ne veuille rentrer à nouveau dans sa chambre avec sa fiancée. Cette chambre est la ténèbre silencieuse de la paternité cachée. Quand il sortit du Très-Haut, il voulut rentrer à nouveau avec sa fiancée dans le tout-limpide, et voulut lui révéler l’intimité cachée de sa déité cachée, là où il repose avec lui-même et avec toutes les créatures. Eckhart: Sermon 22
Or notez-le ! Saint Paul dit : Lorsque nous contemplons à visage dénudé l’éclat et la clarté de Dieu, alors nous nous trouvons formés en retour et formés intérieurement dans l’image qui est comme une image de Dieu et de la déité. Lorsque la déité se donna pleinement à l’intellect de Notre Dame, parce qu’il était nu et limpide, alors il conçut Dieu en soi ; et de la surabondance de la déité cela jaillit et s’écoula dans le corps de Notre Dame, et un corps fut formé par le Saint Esprit dans le corps de Notre Dame. Et n’aurait-elle pas porté la déité dans l’intellect, elle ne l’aurait jamais conçu corporellement. Un maître dit : C’est une grâce particulière et un grand don qu’avec l’aile de la connaissance l’on s’envole vers le haut et élève l’intellect vers Dieu et que l’on se trouve transporté de clarté en clarté, et avec la clarté dans la clarté. L’intellect de l’âme, c’est là le plus élevé de l’âme. Lorsqu’il est fixé en Dieu, alors il se trouve emporté par le Saint Esprit dans l’image et uni a elle. Et avec l’image et avec le Saint Esprit il se trouve conduit et introduit dans le fond. Là où le Fils est formé à l’intérieur, là aussi l’âme doit se trouver formée à l’intérieur. Celle donc qui est ainsi introduite et qui est enfermée et enclose en Dieu, à celle-là toutes créatures sont soumises, comme à saint Pierre : aussi longtemps sa pensée fut simplement enfermée et enclose en Dieu, alors la mer se referma sous ses pieds en sorte qu’il marcha sur l’eau ; aussitôt qu’il se détourna de cette pensée, il sombra. Eckhart: Sermon 23
Or il dit : « Ils adorent le Père. » Ah, combien sont-ils ceux qui adorent une chaussure ou une vache ou une autre créature et s’en préoccupent, et ce sont de grands fous. Sitôt donc que tu adores Dieu en raison de la créatures, tu pries pour ton propre préjudice, car sitôt qu’est la créature, elle porte intérieurement amertume et préjudice et mal et inconfort. Et c’est pourquoi advient toute justice aux gens qui ont de là inconfort et amertume. Pourquoi ? C’est pour cela qu’ils ont prié ! Eckhart: Sermon 26
Ainsi ai-je dit une fois ici – il n’y a pas longtemps de cela : Qui aime la justice, la justice le fait sien, et ( il ) se trouve saisi par la justice, et il est la justice. J’ai écrit une fois dans mon livre : L’homme juste n’a besoin ni de Dieu ni des créatures, car il est libre ; et plus il est proche de la justice, plus il est la liberté elle-même et plus il est la liberté. Tout ce qui est créé, ce n’est pas libre. Aussi longtemps chose quelconque est au-dessus de moi qui n’est pas Dieu lui-même, cela m’opprime, si petit que ce soit ou quoi que ce soit, et serait-ce même intellect et amour, pour autant qu’ils sont créés et ne sont pas Dieu lui-même, cela m’opprime, car c’est non-libre. L’homme injuste sert la vérité, que ce lui soit joie ou souffrance, et ( il ) sert le monde entier et toutes les créatures et est un serviteur du péché. Eckhart: Sermon 28