création (Orígenes)

Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I

Et cela, je le dis au Juif, non que je refuse, moi chrétien, de croire à Ezéchiel et à Isaïe, mais pour lui inspirer de la honte grâce à ces prophètes auxquels nous croyons comme lui : car Jésus est bien plus digne de foi lorsqu’il a dit avoir eu cette vision, et qu’il a raconté aux disciples, comme c’est probable, la vision qu’il a vue et la voix qu’il a entendue. Une autre objection pourrait être que ceux qui ont mentionné par écrit la forme de la colombe et la voix céleste n’ont pas tous entendu Jésus leur faire ce récit. Mais l’Esprit qui enseigna à Moïse l’histoire plus ancienne que lui, celle qui commence à la création et va jusqu’au récit d’Abraham son ancêtre, enseigna de même aux évangélistes le miracle survenu au moment du baptême de Jésus. Celui qui a été orné du charisme qu’on appelle « discours de sagesse » » expliquera encore la raison de l’ouverture du ciel et de la forme de la colombe, et pourquoi le Saint-Esprit n’apparut point à Jésus sous la forme d’un autre être vivant que celui-là. Mais la raison ne demande pas de m’en expliquer ici : mon propos est de prouver que Celse n’a pas été judicieux d’attribuer à un Juif, avec de telles paroles, un manque de foi en un fait plus vraisemblable que ceux auxquels il croit. LIVRE I

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Après cela, il assimile le maître à un homme aux yeux malades et les disciples à des gens aux yeux malades et il déclare. Cet homme devant des gens aux yeux malades accuse de cécité ceux dont la vue est perçante. Quels sont donc les gens aux yeux malades d’après nous, sinon ceux qui, de l’immense grandeur des choses qui sont dans le monde et de la beauté de la création sont incapables de lever les yeux et de voir qu’il faut adorer, admirer et vénérer Celui-là seul qui les a faites, tandis qu’on ne peut convenablement vénérer rien de ce qui est fabriqué chez les hommes et employé au culte des dieux, ni sans le Dieu Créateur, ni même avec lui ? Comparer ce qui n’est nullement comparable à Celui qui surpasse d’une supériorité infinie toute la nature créée, voilà le fait de gens atteints de cécité d’esprit. Nous ne disons donc pas que ceux dont la vue est perçante ont les yeux malades ou sont aveugles, mais que ceux qui, par ignorance de Dieu s’attachent aux temples, aux images, « aux fêtes de chaque mois », sont des aveugles en esprit ; ce qui est surtout vrai quand, à leur impiété, ils ajoutent une vie dans la débauche, ne cherchent jamais la moindre action honnête, mais accomplissent toutes les actions honteuses. LIVRE III

Il déclare ensuite : Les choses que l’on voit n ont pas été données a l’homme; chacune naît et périt pour le salut de l’ensemble, selon le changement que j’ai déjà dit des unes aux autres. Mais il est superflu de s’arrêter à la réfutation de ces principes, que j’ai déjà faite de mon mieux. On a répondu encore à ceci : Il ne peut g avoir plus ou moins de bien et de mal dans les êtres mortels. On a discuté de même ce point : Dieu n’a pas besoin d’appliquer de nouvelle réforme. De plus, ce n’est pas à la manière d’un artisan qui a fabriqué un ouvrage défectueux maladroitement charpenté que Dieu apporte une réforme au monde quand il le purifie par le déluge ou l’embrasement. Mais il empêche le flot du vice de s’étendre davantage ; je crois même qu’avec ordre il le détruit entièrement pour le bien de l’univers. Qu’après cette destruction du vice, il y ait ou non une raison qu’il recommence à exister, la question fera l’objet d’un traité spécial. Dieu tient donc toujours à réparer les erreurs par une nouvelle réforme. Il a certes ordonné au mieux et de la manière la plus stable toutes choses lors de la création du monde ; néanmoins il a eu besoin d’appliquer un traitement médicinal aux victimes du péché et au monde entier souillé par lui en quelque sorte. LIVRE IV

Il ne rougit même pas d’ajouter, en soulignant pour la postérité l’inconvenance de son système : Dès lors, à regarder du haut du ciel sur la terre, quelle différence pourraient offrir nos activités et celles des fourmis et des abeilles ? Dans son hypothèse, regarder du haut du ciel sur la terre les activités des hommes et les ouvrages des fourmis, est-ce fixer le regard sur les corps des hommes et des fourmis sans considérer le principe hégémonique raisonnable et mis en oeuvre par le raisonnement, et d’autre part le principe hégémonique dépourvu de raison, mû irrationnellement par tendance et représentation, grâce à une sorte de disposition naturelle? Mais il serait absurde, en regardant du haut du ciel les choses de la terre, de vouloir fixer les yeux à une si grande distance sur les corps des hommes et des fourmis sans préférer plutôt regarder les natures des principes directeurs, et la source rationnelle ou irrationnelle des tendances. Il est clair que regarder seulement la source de toutes les tendances, c’est voir aussi la différence et la supériorité de l’homme non seulement sur les fourmis mais même sur les éléphants. Car, à porter du haut du ciel son regard sur les êtres sans raison, si grand que soit leur corps, on n’y verra d’autre principe, si j’ose dire, que l’absence de raison. Dans les êtres raisonnables au contraire, on verra le logos, commun aux hommes, aux êtres divins et célestes, et peut-être au Dieu suprême lui-même. D’où l’expression de l’Écriture, d’une création « à l’image » de Dieu, car l’image du Dieu suprême est son Logos. LIVRE IV

Accordons même qu’ils soient ses hérauts, ses messagers véritablement célestes : n’est-il pas évident, même alors, qu’il faut adorer Dieu qui proclame et annonce par eux, plutôt que ses hérauts et ses messagers ? Celse suppose que nous tenons pour rien le soleil, la lune et les étoiles. Mais eux aussi, nous reconnaissons qu’ils « aspirent à la révélation des fils de Dieu », ayant été présentement soumis « à la vanité » des corps matériels « par l’autorité de celui qui les a soumis avec l’espérance ». Si Celse avait lu tout ce que nous disons encore du soleil, de la lune et des étoiles, entre autres : « Etoiles et lumière, louez-le toutes ! » et « Cieux des cieux louez-le ! », il n’aurait pas déclaré que nous tenons pour rien ces corps sublimes qui louent si hautement le Seigneur. Mais Celse ne connaît même point la parole : « La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ; car la création a été soumise à la vanité, non de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, avec l’espérance d’être elle aussi libérée de l’esclavage de la corruption pour parvenir à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » LIVRE V

Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la mort et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V

Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V

Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI

Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI

Ainsi, à qui peut comprendre, Paul présente sans ambages les choses sensibles, sous le nom de visibles et les réalités intelligibles que l’esprit seul peut saisir, sous le nom d’invisibles. Il sait que les choses sensibles ou visibles n’ont qu’un temps, que les réalités intelligibles ou invisibles sont éternelles. Pour parvenir à leur contemplation, soutenu par l’ardent désir qui le porte vers elles, il regarde toute tribulation comme un rien ou une chose bien légère. Au temps même de la tribulation et des épreuves, loin d’en être accablé, il regarde comme légère toute vicissitude, grâce à la contemplation de ces réalités. Car nous avons « un Grand-Prêtre insigne qui a pénétré les cieux » par la grandeur de sa puissance et de son esprit, « Jésus le Fils de Dieu ». Il a promis à ceux qui ont véritablement appris les choses divines et qui ont vécu d’une manière digne d’elles, de les conduire aux biens qui sont au-delà du monde. Car il dit : « Afin que là où je suis, vous soyez vous aussi ». C’est pourquoi nous espérons après les peines et les luttes d’ici-bas, parvenir aux sommets célestes, et recevoir des sources « d’eau jaillissant en vie éternelle » suivant l’enseignement de Jésus, contenir des fleuves de contemplations et être avec ces eaux dites supracélestes qui louent le nom du Seigneur. Tant que durera notre louange, nous ne serons pas emportés loin du cercle du ciel, mais nous nous appliquerons à contempler les oeuvres invisibles de Dieu : elles nous seront perceptibles non plus comme « depuis la création du monde grâce aux choses créées », mais comme l’a indiqué le véritable disciple de Jésus en disant : « mais alors, face à face », et « Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » LIVRE VI

Car nous trouvons dans le psaume : « Tu as tout fait avec sagesse ; la terre est remplie de ta création. Voici la mer, grande et vaste ; là des navires se promènent, des animaux petits et grands, et ce dragon que tu formas pour t’en jouer. » Au lieu de « dragon », il y avait en hébreu Léviathan. Or le diagramme impie disait du Léviathan ainsi ouvertement mis en cause par le prophète qu’il est l’âme répandue dans l’univers. LIVRE VI

Puis s’en prenant à l’expression, il critique avec raison l’audace d’un tel propos. Sur ce point nous partageons nous aussi l’indignation de ceux qui blâment ces gens, s’ils existent, qui appellent Dieu maudit le Dieu des Juifs, le maître de la pluie et du tonnerre, le créateur de ce monde, le Dieu de Moïse et de la création décrite par lui. Les paroles de Celse ne laissent voir aucune bienveillance ; au contraire, elles sont inspirées par sa haine, indigne d’un philosophe, d’une extrême malveillance envers nous. Il a voulu qu’à la lecture de son livre, ceux qui n’ont pas l’expérience de nos doctrines nous attaquent comme si nous disions que le magnifique Créateur de ce monde est un dieu maudit. Son procédé me semble analogue à celui des Juifs qui, au début de l’enseignement du christianisme, répandirent contre l’Évangile la calomnie qu’on immolait un petit enfant dont on se partageait la chair, et encore que les disciples de l’Évangile, pour accomplir les oeuvres de ténèbres, éteignaient la lumière et chacun s’unissait à sa voisine. LIVRE VI

Tel me paraît avoir été le but de Celse lorsqu’il allègue que les chrétiens appellent le Créateur Dieu maudit : il voulait qu’ajoutant foi à ses attaques contre nous, on fût amené, si possible, à détruire les chrétiens comme les plus impies de tous les hommes. Il confond les sujets et il prétend expliquer la raison pour laquelle le Dieu de la création mosaïque est appelé maudit, en en affirmant : Ce Dieu est vraiment digne de malédiction au jugement de ceux qui le regardent comme tel, puisqu’il a maudit le serpent qui apportait la connaissance du bien et du mal aux premiers hommes. LIVRE VI

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

Voyons la suite. Il y exprime d’un mot, sans le moindre argument plausible, son accusation contre le récit de la création de Moïse : Encore une belle naïveté que leur cosmogonie ! Or s’il avait dit pourquoi elle lui paraît une naïveté et présenté quelques raisons plausibles, j’aurais argumenté contre elles. Mais il ne me semble pas raisonnable de prouver, en réplique à son assertion, comment elle n’est pas une naïveté. LIVRE VI

Si l’on désire connaître ce qui m’a persuadé, avec preuves manifestes à l’appui, dans le récit de Moïse sur la création, on n’a qu’à prendre mon traité sur la Genèse depuis le début du livre jusqu’à « voici le livre de la génération des hommes ». Je me suis efforcé d’y établir, d’après le texte même des divines Écritures, ce que sont le ciel créé « au commencement », la terre, la partie invisible et informe de la terre ; l’abîme et les ténèbres qui le couvrent ; l’eau et « l’Esprit de Dieu porté sur elle » ; la lumière créée ; le firmament distinct du ciel créé au commencement, etc. LIVRE VI

A propos des jours de la création, comme s’il en avait des idées claires et précises, il objecte que certains ont eu lieu avant l’existence de la lumière, du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, et d’autres après cette création. Je lui répliquerai par cette simple observation : Moïse avait-il oublié ce qu’il venait de dire, que le monde fut créé en six jours, pour ajouter par oubli : « Voici le livre de la génération des hommes, le jour où Dieu créa le ciel et la terre » ? Mais il n’y a aucune vraisemblance que Moïse, après ce qu’il avait dit des six jours, ait pu ajouter sans avoir rien compris : « le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » Si l’on pense que ces mots peuvent se rapporter au texte : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », qu’on le sache, la parole : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » est dite avant les paroles : « Que la lumière soit, et la lumière fut », et « Dieu appela la lumière jour. » LIVRE VI

Pour expliquer le récit mosaïque de la création, il faudrait un long commentaire : je l’ai fait de mon mieux, bien avant d’entreprendre ce traité contre Celse, en discutant durant plusieurs années selon ma capacité d’alors les six jours du récit mosaïque de la création du monde. Il faut bien savoir pourtant que le Logos promet aux justes par Isaïe qu’il y aura encore des jours à la restauration où « le Seigneur » lui-même et non plus le soleil sera « leur lumière éternelle et où Dieu sera leur gloire ». Mais pour avoir mal compris, je pense, une secte pernicieuse qui explique à tort le mot « que la lumière soit ! » comme exprimant un souhait de la part du Créateur, Celse ajouta : Ce n’est tout de même pas de la manière dont on allume sa lampe à celle du voisin que le Créateur a emprunté d’en haut la lumière ! Et, pour avoir mal compris une autre secte impie, il dit encore : S’il y avait un dieu maudit ennemi du Grand Dieu, créant contre sa volonté, pourquoi lui prêterait-il sa lumière ? Loin de moi l’idée de répondre à ces critiques ! Je veux au contraire plus nettement convaincre ces gens d’erreur et me dresser, non pas à la manière de Celse contre celles de leurs affirmations dont je n’ai pas connaissance, mais contre celles que je connais avec précision soit pour les avoir entendues d’eux-mêmes, soit pour avoir lu soigneusement leurs traités. LIVRE VI

Ensuite, parce qu’il soupçonne ou peut-être comprend lui aussi ce qu’on peut dire pour justifier la destruction des hommes par le déluge, Celse objecte : S’il ne détruit pas ses propres enfants, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Je réponds : Dieu ne relègue pas absolument hors de l’ensemble du monde, qui est formé du ciel et de la terre, les victimes du déluge, mais il les retire de cette vie dans la chair : et en les délivrant de leur corps, il les délivre aussi en même temps de l’existence sur la terre, couramment appelée monde en bien des endroits des Écritures. C’est surtout dans l’Évangile selon Jean qu’on trouve souvent appelé monde ce lieu terrestre, comme dans ces passages : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde » ; « Dans le monde vous avez la tribulation ; mais ayez confiance, moi, j’ai vaincu le monde». » Si donc on entend l’expression reléguer hors du monde en la référant à ce lieu terrestre, il n’y a aucune absurdité à le dire. Mais si on nomme monde le système formé par le ciel et la terre, les victimes du déluge ne sont pas absolument reléguées hors du monde ainsi entendu. Toutefois, en considérant les versets : « Nous ne regardons pas à ce qu’on voit, mais à ce que l’on voit pas », « Ses oeuvres invisibles, en effet, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit », on pourrait dire : celui qui s’occupe des réalités invisibles, généralement nommées « ce qu’on ne perçoit pas », s’éloigne du monde, car le Logos le retire d’ici-bas et le transporte dans le lieu supracéleste pour en contempler les beautés. LIVRE VI

Quant à la production de la lumière, le premier jour ; à celle du firmament, le second ; le troisième, au rassemblement dans leurs réservoirs « des eaux qui sont sous le ciel », permettant à la terre de faire germer ce qui est du domaine de la seule nature ; à la production, le quatrième, des « grands luminaires et des étoiles » ; à celle des animaux aquatiques, le cinquième ; et le sixième, à celle des animaux terrestres et de l’homme, j’ai développé tout cela de mon mieux dans mon Commentaire sur la Genèse. Et plus haut, j’ai critiqué l’interprétation superficielle de ceux qui affirment que la création du monde s’est effectuée en une durée de six jours, quand j’ai cité le texte : « Voici le livre de la génération du ciel et de la terre, quand ils furent faits, le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » LIVRE VI

Ensuite, il n’a pas saisi non plus le passage : « Et Dieu acheva le sixième jour son ouvrage qu’il avait fait, et le septième jour, il s’arrêta après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Et Dieu bénit le septième jour et en fit un jour saint, car alors il s’est arrêté de tous les travaux qu’il avait entrepris de faire. » Il s’est donc imaginé que « Il s’arrêta le septième jour » a le même sens que « Il se reposa le septième jour », et il dit : Après ce travail donc, comme un fort méchant ouvrier, il fut accablé de fatigue et eut besoin de repos pour se refaire. C’est qu’il ignorait le sens que prenait, après la création du monde qu’il effectue tant que le monde dure, le jour du sabbat et de l’arrêt du travail de Dieu ; jour où ceux qui auront accompli toutes leurs oeuvres pendant les six jours festoieront ensemble avec Dieu et, n’ayant rien omis de leurs devoirs, s’élèveront à la contemplation de Dieu et à l’assemblée des justes et des bienheureux qui y prennent part. LIVRE VI

De la même manière donc, le corps sensible ne révèle pas la manière dont il vient à l’existence. On peut ajouter l’exemple des corps célestes : en les regardant nous percevons leur existence et leur splendeur ; mais sans doute la perception ne nous suggère pas s’ils sont créés ou incréés. Du moins la question divise-t-elle les écoles, et ceux-là mêmes qui disent qu’ils sont créés ne s’accordent pas sur le comment de leur création, car même si la raison nous force à reconnaître qu’ils sont créés, leur perception ne suggère pas la manière dont s’est faite leur création. LIVRE VI

Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI

Il faut répondre que Moïse, décrivant la création du monde, représente l’être humain avant sa transgression tantôt voyant, tantôt ne voyant pas : il est dit voyant, lorsqu’il est écrit de la femme : « La femme vit que l’arbre était appétissant à manger, séduisant pour les yeux, désirable pour acquérir l’entendement. » Il est dit ne voyant pas, non seulement dans les paroles du serpent à la femme, qui supposent des yeux aveugles : « Car Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront », mais encore lorsqu’il est dit : « Ils en mangèrent et leurs yeux à tous deux s’ouvrirent. » Ils s’ouvrirent donc, les yeux de leurs sens qu’ils avaient eu raison de tenir fermés, pour n’être pas empêchés par les distractions de regarder avec l’oeil de l’âme ; mais les yeux de l’âme qu’ils avaient jusqu’alors plaisir à tenir ouverts sur Dieu et son Paradis, voilà ceux, je crois, qu’ils fermèrent par leur péché. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI

Cela nous est défendu. Nous avons appris à refuser d’adorer « la création au lieu du Créateur », mais à savoir que « la création sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu », et que « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu », et que « la création fut soumise à la vanité, non de son plein gré, mais à cause de Celui qui l’y a soumise, avec l’espérance ». Nous avons appris qu’il ne faut pas honorer à la place de Dieu à qui rien ne manque, ou de son Fils Premier-né de toute créature, les choses qui ont été soumises à la servitude de la corruption et à la vanité, et sont dans l’attente d’une espérance meilleure. Voilà donc ce qu’il suffit d’ajouter à mes remarques précédentes sur la nation des Perses qui se détournent des autels et des statues, mais adorent la création au lieu du Créateur. LIVRE VI

Puisqu’il y a nombre de dieux prétendus ou réels, comme aussi de seigneurs, nous faisons tout pour nous élever au-dessus, non des seuls êtres honorés comme dieux par les nations de la terre, mais encore même de ceux qui sont appelés dieux par les Écritures. Ces derniers sont ignorés de ceux qui sont étrangers aux alliances de Dieu données par Moïse et notre Sauveur Jésus, et de ceux qui sont exclus de ses promesses qu’ils ont rendues manifestes. On s’élève au-dessus de l’esclavage de tous les démons quand on s’abstient de toute ” oeuvre chère aux démons. On s’élève au-dessus de la catégorie de ceux que Paul nomme des dieux, quand on regarde comme eux, ou de toute autre manière, « non aux choses visibles, mais aux invisibles ». Et, à voir comment « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu, car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise, avec l’espérance », à bénir la création et à considérer comment elle sera toute entière « libérée de l’esclavage de la corruption » et parviendra « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu », on ne peut être entraîné à servir Dieu et un autre avec lui, ni à servir deux maîtres. Il ne s’agit donc point d’un cri de révolte, chez ceux qui ont compris les réflexions de ce genre et qui refusent de servir plusieurs maîtres. Aussi se contentent-ils du Seigneur Jésus-Christ qui enseigne par lui-même ceux qui le servent, pour que, une fois instruits et devenus un royaume digne de Dieu, il les remette à son Dieu et Père. De plus, ils se séparent et ils rompent avec ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu, exclus de ses alliances, pour vivre en citoyens du ciel en s’avançant vers le Dieu vivant et « la cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses myriades d’anges en réunion de fête, et l’église des premiers-nés qui sont inscrits au ciel. » LIVRE VIII

Comme certains sculpteurs ont réussi d’admirables chefs d’oeuvre, par exemple Phidias et Polyclète, ou les peintres Zeuxis et Appelle, comme d’autres ont fait de moins belles oeuvres, et que d’autres sont encore inférieurs à ceux-là, comme, en un mot, il y a une infinie diversité dans la confection de statues et d’images, de la même manière il y a des statues du Dieu suprême d’une facture si parfaite et d’une science si consommée qu’on ne peut établir de comparaison entre le Zeus Olympien sculpté par Phidias et l’homme sculpté à l’image de Dieu qui l’a créé. Mais de toutes les images qui existent dans la création entière, la plus belle de beaucoup et la plus parfaite est en notre Sauveur qui dit : « Le Père est en moi. » LIVRE VIII