corps (Orígenes)

De plus, je le demande, au sujet de la foule des croyants qui se sont échappés de l’immense flot du vice où ils se roulaient auparavant : lequel était préférable pour eux ? D’avoir, dans une foi non réfléchie, un peu réformé leurs moeurs et trouvé secours dans la croyance aux châtiments des fautes et aux récompenses des bonnes oeuvres, ou bien de différer leur conversion par simple foi jusqu’à ce qu’ils puissent se livrer à l’examen des doctrines ? Il est clair que tous les hommes, sauf de très rares exceptions, ne pourraient ainsi obtenir l’avantage retiré de la simple foi, mais resteraient dans une vie corrompue. Aux autres preuves que l’amour du Logos pour les hommes n’est point parvenu à la vie des hommes sans l’action de Dieu, il faut donc ajouter celle-là. L’homme pieux ne croira pas qu’un simple médecin des corps qui a ramené nombre de malades à la santé vient résider dans les villes et les nations sans l’action de Dieu : car aucun bienfait n’arrive aux hommes sans l’action de Dieu. Mais si celui qui a soigné les corps d’une multitude et les a ramenés à la santé ne guérit pas sans l’action de Dieu, combien est-ce plus vrai de Celui qui a soigné, converti, amélioré les âmes d’une multitude, les a soumises au Dieu suprême, leur a appris à conformer toute action à son bon plaisir et à éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, jusqu’à la moindre des paroles, des actions, ou même des pensées ! LIVRE I

“C’est donc cette doctrine, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que Moïse a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que Moïse ait appris une doctrine plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une doctrine mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des doctrines sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette doctrine ! Le monde n’eût pas été plein d’une doctrine qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I

Si l’on est capable de réflexion philosophique sur la signification mystérieuse des noms, on peut trouver beaucoup à dire encore sur l’appellation des anges de Dieu l’un d’eux se nomme Michel, un autre Gabriel, un autre Raphaël, d’après les fonctions qu’ils ont à remplir dans le monde entier de par la volonté du Dieu de l’univers. D’une semblable philosophie des noms relève notre Jésus on a déjà vu clairement son nom expulser d’innombrables démons des âmes et des corps, et exercer sa vertu sur ceux dont ils ont été chassés. LIVRE I

Et après avoir promis de “continuer son enseignement sur le judaïsme”, Celse engage le débat sur notre Sauveur devenu notre chef à notre naissance comme chrétiens, et il affirme : “Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et les chrétiens ont cru qu’il était Fils de Dieu”. Sur son existence même, il y a peu d’années, voici la réponse. Pouvait-il arriver sans l’aide de Dieu qu’en si peu d’années, ayant formé le projet de répandre sa doctrine et son enseignement, Jésus ait pu le réaliser au point de convertir à sa doctrine en beaucoup d’endroits de notre terre un grand nombre de Grecs et de barbares, de savants et d’ignorants, qui préfèrent mourir en luttant pour le christianisme plutôt que de l’abjurer, chose inouïe dans l’histoire d’une autre doctrine ? Quant à moi, sans flatter la doctrine, mais tentant d’examiner à fond l’histoire, je puis dire : même les médecins qui traitent de nombreux corps malades n’atteignent pas sans l’aide de Dieu leur but de rendre la santé au corps. Mais qu’un homme puisse délivrer les âmes du flot de vice, du désordre, de l’injustice et du mépris de la divinité, et donner en preuve d’un tel acte une centaine de convertis, pour prendre un chiffre, n’aura-t-on point raison de dire qu’il n’a pu implanter sans l’aide de Dieu dans une centaine d’hommes une doctrine délivrant de tous ces maux ? Un examen judicieux fera convenir qu’aucune amélioration n’arrive aux hommes sans l’aide de Dieu ; combien plus hardiment le dira-t-on de Jésus en comparant l’ancienne conduite de nombreux convertis à sa doctrine avec celle qu’ils ont menée depuis, en réfléchissant à l’abîme de licence, d’injustice et de convoitise où chacun d’eux se trouvait plongé avant, pour prendre l’expression de Celse et de ses adeptes, “d’être égarés et d’embrasser”, c’est leur mot, “une doctrine nuisible à la vie humaine”. De quelle manière au contraire, depuis qu’ils ont reçu cette doctrine, ils ont acquis plus de raison, de sérieux et de fermeté, si bien que certains d’entre eux, par désir d’une éminente pureté et pour honorer d’un culte plus pur la divinité, refusent même de goûter les plaisirs de l’amour permis par la loi ! LIVRE I

Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il est écrit que “la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte des oeuvres d’un soldat nommé Panthère”, et voyons si les auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. Ils auraient pu, en effet, à cause de son caractère tout à fait miraculeux, falsifier l’histoire d’une autre manière, même sans admettre involontairement pour ainsi dire que Jésus n’était pas né d’un mariage humain ordinaire. Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait sans vraisemblance et en maintenant que la Vierge n’avait pas conçu Jésus de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable de discerner et de réfuter les fictions. Serait-ce une chose raisonnable, en effet : l’homme qui a tant osé entreprendre pour le salut du genre humain afin que tous, Grecs et barbares, autant qu’il dépend de lui, dans l’attente du jugement de Dieu, s’abstiennent du vice et fassent tout pour plaire au Créateur de l’univers, cet homme n’aurait pas eu de naissance miraculeuse, mais la plus illégitime et la plus honteuse de toutes les naissances ? Je le demande aux Grecs et en particulier à Celse qui, partageât-il ou non ses idées, en tout cas cite Platon : Celui qui fait descendre les âmes dans les corps des hommes va-t-il pousser à la naissance plus honteuse qu’aucune autre, sans même l’introduire dans la vie des hommes par un mariage légitime, l’être qui allait tant oser entreprendre, instruire tant de disciples, détourner du flot du vice une foule d’hommes ? N’est-il pas plus raisonnable que chaque âme, introduite dans un corps pour des raisons mystérieuses — je parle ici d’après la doctrine de Pythagore, Platon, Empédocle, dont Celse fait souvent mention —, soit ainsi introduite pour son mérite et son caractère antérieurs ? Il est donc probable que cette âme, plus utile par sa venue à la vie des hommes que celle d’un grand nombre, pour ne point paraître préjuger en disant de tous, ait eu besoin d’un corps qui, non seulement se distingue des corps humains, mais encore est supérieur à tous. LIVRE I

Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la doctrine des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I

Il me paraît indigne de combattre un propos dit sans sérieux et par moquerie : “Serait-ce que la mère de Jésus était belle, et que pour sa beauté Dieu s’est uni à elle, lui qui par nature ne peut être épris d’un corps périssable ? Il ne convenait pas que Dieu s’éprît d’elle : elle était sans fortune, sans naissance royale, car nul ne la connaissait même parmi ses voisins”. Il badine encore en ajoutant : “Lorsque le charpentier se prit d’aversion pour elle et la chassa, nulle puissance divine, nul don de persuasion ne l’ont sauvée. Aussi bien n’y a-t-il rien là qui concerne le Règne de Dieu”. Y a-t-il là rien qui diffère des insultes qu’on se lance aux carrefours sans un mot qui mérite l’attention ? LIVRE I

Le Juif peut bien demeurer sans réponse sur Ézéchiel et Isaïe, lorsque je rattache le récit de l’ouverture du ciel au-dessus de Jésus et de la voix entendue par lui à des récits semblables que l’on trouve dans Ézéchiel, Isaïe ou quelque autre prophète, pour moi du moins, j’étaierai autant que possible mon argumentation. C’est une croyance générale qu’en songe beaucoup se représentent certaines réalités divines et certains signes annonçant des événements futurs de cette vie, clairement ou par énigmes, et la chose est évidente pour tous ceux qui admettent une providence ; aussi pourquoi serait-il absurde que ce qui affecte l’esprit dans un songe puisse encore l’affecter dans une vision pour l’utilité du sujet affecté ou de ceux qui l’entendront de sa bouche ? Et de même qu’en songe nous recevons l’impression que nous entendons et que des sons frappent notre oreille physique ou que nous voyons avec nos yeux, sans que rien n’atteigne ni les yeux du corps, ni l’oreille, mais parce que l’esprit reçoit ces impressions, ainsi n’y a-t-il aucune absurdité que tel ait été le cas des prophètes, quand l’Écriture rapporte qu’ils ont eu des visions merveilleuses, entendu les paroles du Seigneur, vu le ciel s’entrouvrir. Car je ne pense pas que le ciel sensible ait été ouvert et que sa réalité physique, en s’entrouvrant, se soit partagée pour permettre à Ézéchiel de décrire une telle vision. Peut-être faut-il donc que dans le cas du Sauveur aussi le lecteur sensé des Evangiles admette la même chose, fût-ce au scandale des simples qui dans leur grande naïveté remuent le monde et fendent l’immense masse unifiée de tout le ciel. LIVRE I

Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

On voit donc comment, par ces propos, il semble admettre l’existence de la magie. J’ignore s’il est aussi l’auteur de plusieurs livres contre la magie. Mais, le jugeant utile à son objet, il assimile les actes qu’on rapporte de Jésus aux effets de la magie. Ils leur seraient bien semblables si Jésus y avait d’abord fait montre d’une vaine exhibition à la manière des magiciens. Mais, en fait, aucun sorcier n’appelle par ses tours les spectateurs à une réforme des moeurs, ni n’enseigne la crainte de Dieu à ceux qu’ébahit le spectacle, ni ne s’efforce de persuader aux témoins de vivre en hommes qui seront jugés par Dieu. Les sorciers ne font rien de tel, car ils n’ont ni le pouvoir, ni le désir, ni la volonté de s’occuper de corriger les hommes, remplis qu’ils sont eux-mêmes des péchés les plus honteux et les plus infâmes. Mais Jésus ne faisait ses miracles que pour inviter les spectateurs à la réforme des moeurs : n’était-il pas naturel qu’il se présentât lui-même, non seulement à ses vrais disciples, mais encore au reste des hommes, comme le modèle de la vie la plus excellente ? A ses disciples pour qu’ils se consacrent à enseigner les hommes selon la volonté de Dieu ; au reste des hommes pour que, instruits tant par sa doctrine que par ses moeurs et ses miracles sur la manière de vivre comme il se doit, ils fassent tout en vue de plaire au Dieu suprême. Mais si la vie de Jésus avait ce caractère, comment raisonnablement la comparer aux prétentions des sorciers, et ne pas croire que, selon la promesse de Dieu, il est Dieu manifesté dans un corps d’homme pour le bienfait de notre race? LIVRE I

Après cela, Celse confond le christianisme avec les dires de certaine secte, comme si les chrétiens les partageaient, et il adresse ses accusations à tous ceux qui croient à la divine parole : “Le corps d’un Dieu ne saurait être comme le tien”. Je répondrai : à sa venue à l’existence, Jésus prit un corps tel qu’il vient de la femme, humain et sujet à la mort humaine. LIVRE I

Aussi, pour cette raison entre autres, affirmons-nous qu’il a été un grand lutteur, du fait de son corps humain « éprouvé en tout » comme tous les hommes, non toutefois comme les hommes pécheurs, mais absolument « sans péché» ». Car nous le voyons clairement : « Il n’a pas commis de péché, et nulle ruse n’a été trouvée dans sa bouche », et lui « qui n’a pas connu de péché », Dieu l’a livré, victime pure, pour tous ceux qui ont péché. Celse dit ensuite : “Le corps d’un Dieu n’aurait pas été engendré comme toi, Jésus, tu as été engendré”. Il soupçonnait pourtant que s’il était né comme le dit l’Écriture, son corps pourrait bien être plus divin que tous les autres et, en un certain sens, le corps d’un Dieu. Malheureusement, il ne croit pas à ce qui est écrit de sa conception par le Saint-Esprit, mais le croit engendré par un certain Panthère, séducteur de la Vierge ; voilà pourquoi il dit : Le corps d’un Dieu n’aurait pas été engendré comme toi tu as été engendré. Mais de cela j’ai longuement parlé plus haut. LIVRE I

Il dit que “le corps d’un Dieu ne se nourrit pas de la sorte” : comme s’il pouvait établir par les écrits évangéliques que Jésus se nourrissait et de quelle sorte de nourritures ! Mais soit, qu’il dise que Jésus a mangé la Pâque avec ses disciples, qu’il ne s’est pas contenté de dire : « J’ai désiré avec ardeur manger cette Pâque avec vous », mais qu’il l’a effectivement mangée. Qu’il dise que, ayant soif au puits de Jacob, il a bu. En quoi cela contredit-il ce que nous disons de son corps ? Et il paraît manifestement avoir mangé du poisson après sa résurrection. Selon nous, en effet, il a pris un corps, puisqu’il est né d’une femme. LIVRE I

Celse affirme : “Le corps d’un Dieu n’use pas d’une voix comme la tienne, ni d’une pareille méthode de persuasion”. C’est là encore une objection sans valeur et absolument méprisable. Il suffira de lui répondre : Apollon de Delphes et celui de Didymes, un dieu d’après la foi des Grecs, use d’une voix pareille, celle de la Pythie ou de la prophétesse de Milet : ce n’est pas pour les Grecs une raison de refuser la divinité d’Apollon de Delphes ou de Didymes ou de tout autre dieu semblable établi en un lieu particulier. Mais combien il était plus excellent que Dieu usât d’une voix proférée avec puissance, faisant naître chez les auditeurs une persuasion indicible ! LIVRE I

Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la doctrine des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II

Puisque le récit de la résurrection est pour des incroyants un objet de raillerie, je citerai Platon Er, fils d’Armenios, raconte-t-il, après douze jours, s’est relevé de son bûcher et a raconté ses aventures chez Hades. Et, à l’adresse d’incroyants, le récit de la femme privée de respiration chez Heraclide ne sera pas non plus, ici, sans utilité. On raconte encore que beaucoup sont sortis de leurs tombeaux, non seulement le jour même, mais aussi le lendemain. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que l’auteur de tant de prodiges à caractère surhumain, et si évidents que ceux qui ne peuvent en nier la réalité les déprécient en les assimilant à des actes de sorcellerie, ait eu jusque dans sa mort quelque chose d’extraordinaire, au point que son âme soit sortie librement de son corps, et après l’accomplissement de certains ministères hors de lui, y soit revenue quand elle l’a voulu ? Or il est écrit chez Jean que Jésus prononça cette parole : « Personne ne m’ôte la vie, mais c’est moi qui la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Et peut-être la raison de sa hâte à sortir de son corps était-elle de le conserver intact et d’éviter que ses jambes ne fussent brisées comme celles des brigands crucifiés avec lui : « Car les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec lui, mais, arrivés à Jésus, et voyant qu’il avait expiré, ils ne lui brisèrent pas les jambes. » LIVRE II

Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II

Il accuse ensuite ” les chrétiens d’user de sophismes quand ils disent que le Fils de Dieu est son propre Logos “, et il croît renforcer son accusation en disant que ” tout en proclamant que le Logos est Fils de Dieu, nous présentons au lieu du Logos pur et saint, un homme ignominieusement battu de verges et conduit au supplice “. Sur ce point aussi on a déjà sommairement répondu aux accusations de Celse, en montrant que, premier-né de toute créature, il avait pris un corps et une âme d’homme, que Dieu avait prononcé un ordre sur la multitude des choses qui sont dans le monde, qu’elles avaient été créées, et que Celui qui avait reçu cet ordre était le Dieu Logos. Puisque c’est un Juif qui parle ainsi chez Celse, il sera fort à propos d’utiliser la citation « Il a envoyé son Logos et il les guérit, et il les a tirés de leurs corruptions » Je l’ai rappelée plus haut. Pour ma part, dans mes entretiens avec de nombreux Juifs renommés pour leur science, je n’en ai entendu aucun qui approuvât l’opinion que le Logos fût le Fils de Dieu, comme l’a dit Celse en l’attribuant au personnage du Juif à qui il fait dire ” Si vraiment le Logos est pour vous Fils de Dieu, nous aussi nous approuvons “. J’ai déjà dit que Jésus ne peut être ni arrogant ni charlatan. Aussi n’est-il pas nécessaire d’y revenir, pour éviter de répondre aux redites de Celse par mes propres redites. Mais dans ses critiques de la généalogie, il ne fait nulle mention des recherches existant même chez les chrétiens, ni des griefs que certains tirent de la discordance des généalogies. Celse en effet, cet arrogant véritable qui se vante de tout savoir du christianisme, ne sait pas élever un doute prudent sur l’Écriture. Il déclare ” Quelle présomption de rattacher la généalogie de Jésus au premier homme et aux rois des Juifs “. Et il se figure ajouter un trait d’esprit en disant ” La femme du charpentier, si elle avait été de race si illustre, ne l’eût pas ignore “. Qu’est-ce que cela vient faire dans la question ? Admettons qu’elle ne l’ait pas ignoré quel inconvénient en résulterait-il ? Qu’elle l’ait ignoré au contraire, comment, de ce qu’elle ignorait, conclure qu’elle ne descendait pas du premier homme et que sa race ne remontait point aux rois des Juifs ? Est-il nécessaire, au jugement de Celse, que les pauvres naissent d’ancêtres tous pauvres, ou que les rois naissent des rois ? S’attarder à cet argument me paraît vain, car il est clair que, même de notre temps, des gens plus pauvres que Marie sont issus d’ancêtres riches et glorieux, tandis que des rois et des chefs de nations sont nés de gens fort obscurs. LIVRE II

A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II

Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II

Après cela, il s’adresse à nous :” Vous n’irez pas prétendre que n’ayant pu persuader ceux d’ici-bas, il s’en est allé dans l’Hadès pour en persuader les habitants ? ” Or, qu’il le veuille ou non, nous affirmons ceci : déjà lorsqu’il était dans son corps, il a persuadé non pas un petit nombre mais un si grand nombre que la cause de la conspiration contre lui fut la multitude de gens persuadés. Et, son âme une fois dépouillée de son corps, il est allé s’entretenir avec des âmes dépouillées de leur corps, et il a converti à lui celles d’entre elles qui le voulaient ou qu’il voyait, pour des raisons connues de lui, mieux disposées. LIVRE II

Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II

Ensuite, le Juif dit à ses compatriotes qui croient en Jésus . “EH bien soit, on vous le concède, il a dit cela. Mais combien d’autres usent de ces contes merveilleux pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture ! Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamolxis, esclave de Pythagore, de Pythagore lui-même en Italie, de Rhampsinite en Egypte. Ce dernier, chez Hades, « jouant aux des avec Déméter», obtint d’elle « une serviette lamée d’or » qu’il remporta comme présent. Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protesilas en Thessalie, Héraclès à Tenare, et Thésée. Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, dites-vous, il ne s’est pas protégé lui-même, mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. Qui a vu cela ? Une exaltée, dites-vous, et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement, soit que par suite d’une certaine disposition il ait eu un songe et qu’au gré de son désir dans sa croyance égarée il ait eu une représentation imaginaire, chose arrivée déjà à bien d’autres, soit plutôt qu’il ait voulu frapper l’esprit des autres par ce conte merveilleux, et, par cette imposture, frayer la voie à d’autres charlatans”. LIVRE II

Mais les histoires des héros soi-disant descendus chez Hadès et remontés de là-bas sont des contes merveilleux, au dire du Juif de Celse. Il pense que les héros, se rendant invisibles pour un temps, se sont dérobés à la vue de tous les hommes, et qu’ensuite ils se sont montrés, comme s’ils étaient revenus de chez Hadès, car telle semble bien être sa pensée quand il parle d’Orphée chez les Odryses, de Protésilas en Thessalie, d’Héraclès à Ténare, et encore de Thésée ; EH bien donc, prouvons qu’il n’est pas possible de leur comparer ce qu’on raconte sur la résurrection de Jésus d’entre les morts. Chacun des héros qu’il mentionne avec leur pays respectif aurait pu, s’il l’avait voulu, se dérober à la vue des hommes, et revenir, quand il l’eût jugé bon, vers ceux qu’il avait laissés. Mais Jésus fut crucifié devant tous les Juifs, son corps fut descendu de la croix à la vue de leur peuple : comment peut-on dire qu’il a imaginé une fiction analogue à celle des héros légendaires descendus chez Hadès et remontés de là-bas ? Nous disons que, pour justifier la crucifixion de Jésus, on pourrait peut-être avancer cette raison, surtout à cause de ce qu’on raconte sur les héros dont on admet la descente forcée chez Hadès : si, par hypothèse, Jésus était mort d’une mort obscure, sans que sa mort fût évidente à tout le peuple juif, et qu’ensuite il fût réellement ressuscité des morts, il y aurait eu prétexte à formuler sur lui aussi le même soupçon que sur les héros. Aux autres causes de la crucifixion de Jésus, on peut donc peut-être ajouter celle-ci : il est mort bien en vue sur la croix pour que personne ne puisse dire qu’il s’est volontairement dérobé aux yeux des hommes et qu’il a paru mort sans l’être réellement, réapparaissant à son gré et contant la merveille de sa résurrection des morts. Mais je considère comme une évidence décisive la conduite de ses disciples. Au péril de leur vie, ils se sont dévoués à un enseignement qu’ils n’auraient pas soutenu avec une telle vigueur s’ils avaient inventé que Jésus est ressuscité d’entre les morts. En outre, se conformant à cette doctrine, non seulement ils préparaient les autres à mépriser la mort, mais ils étaient bien les premiers à le faire. Considère l’étrange aveuglement du Juif de Celse qui dit, comme s’il était impossible que quelqu’un ressuscitât des morts avec le même corps : « Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. » Le Juif ne saurait le dire : il croit les récits du troisième et du quatrième livre des Rois sur les petits enfants ressuscites l’un par Élie, l’autre par Élisée. Voici même, je pense, pourquoi Jésus n’est pas venu dans une autre nation que celle des Juifs : ils étaient habitués aux miracles et ainsi, par la comparaison de ceux auxquels ils croyaient avec ceux réalisés par Jésus ou racontés à son sujet, ils pouvaient admettre l’idée que, entouré de ces prodiges supérieurs et auteur de ces actions plus étonnantes, il était un être supérieur à tous. LIVRE II

Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II

Bien plus, que ce miracle supérieur a tous se soit produit était dans la logique de tout ce qui avait été prophétise de lui, cet événement y compris, et accompli par lui, et subi par lui. Car le prophète avait fait cette prédiction attribuée à Jésus « Ma chair reposera dans l’espérance tu n’abandonneras pas mon âme aux Enfers, tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption » Et justement sa résurrection l’a mis dans un état intermédiaire entre l’épaisseur du corps avant la passion, et la condition ou une âme apparaît dépouillée d’un pareil corps. Aussi, lors de la réunion en un même lieu « de ses disciples et de Thomas avec eux, Jésus arrive, toutes portes closes, se place au milieu d’eux et dit. La paix soit avec vous ! Puis il dit a Thomas : “Avance ton doigt ici ” etc.. Et dans l’Évangile selon Luc, alors que Simon et Cléophas s’entretenaient l’un l’autre de tout ce qui venait de leur arriver, Jésus survint près d’eux, « et il fit route avec eux , mais leurs yeux étaient empêches de le reconnaître. Il leur dit quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? ». Et lorsque « leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils le reconnurent », alors, l’Écriture le dit en propres termes, « lui, il avait disparu à leurs regards ». En dépit donc du désir de Celse d’assimiler a d’autres fantômes et à d’autres visionnaires les apparitions de Jésus et ceux qui l’ont vu après la résurrection, tout examen judicieux et prudent des événements fera éclater la supériorité du miracle. LIVRE II

Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II

La signification de l’ensevelissement, du tombeau, de celui qui l’ensevelit, je l’expliquerai d’une manière plus opportune et plus développée en d’autres écrits qui auront pour but essentiel d’en traiter. Pour l’instant, il suffit de mentionner le linceul pur où il fallait que le corps pur de Jésus fût enveloppé, et le sépulcre neuf que Joseph « avait taillé dans le roc, où personne n’avait encore été déposé », ou bien comme dit Jean, « dans lequel personne n’avait encore été placé ». Considère si l’accord des trois Evangélistes n’est pas impressionnant ! Ils ont pris la peine de noter le fait que le tombeau était taillé ou creusé dans le roc, pour qu’en examinant les paroles de la Bible, on puisse contempler là encore un aspect qui mérite réflexion, soit le caractère neuf du tombeau que Matthieu et Jean ont noté, soit d’après Luc et Jean, le fait que personne n’y eût été mis. Il fallait, en effet, que Celui qui n’était pas semblable aux autres morts, ayant montré jusque dans son état de mort des signes de vie dans l’eau et le sang, et qui, pour ainsi dire, était un mort d’un genre nouveau, fût déposé dans un tombeau neuf et pur. Ainsi, comme sa naissance avait été plus pure que toute autre, provenant non d’une union des sexes, mais d’une vierge, son tombeau aurait aussi la pureté symbolisée par la déposition de son corps dans un tombeau resté neuf, non point construit de pierres ramassées, dépourvues d’unité naturelle, mais taillé ou creusé dans un seul roc, tout d’une pièce. LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de Moïse et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la doctrine n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de Moïse et des prophètes. LIVRE III

Et même si j’accordais qu’un démon médecin, du nom d’Asclépios, guérit les corps, je dirais à ceux qui admirent ce pouvoir comme la faculté divinatoire d’Apollon : l’art de guérir les corps est chose indifférente, don qui peut échoir aux bons comme aux méchants ; indifférente aussi la prévision de l’avenir, car le voyant ne manifeste pas nécessairement de la vertu. Etablissez alors que ces guérisseurs et ces voyants n’ont aucune méchanceté, que, de toute manière, ils font preuve de vertu et ne sont pas loin d’être considérés comme dieux. Mais ils ne pourront pas montrer cette vertu des guérisseurs et des voyants, puisqu’on rapporte la guérison de bien des gens indignes de vivre qu’un sage médecin n’eût pas voulu guérir à cause de leur vie désordonnée. LIVRE III

Même dans les oracles d’Apollon Pythien on trouverait des injonctions déraisonnables. J’en citerai deux exemples. Il ordonna que Cléomèdès, le pugiliste, je crois, reçût les honneurs divins, comme s’il voyait je ne sais quoi de vénérable dans l’art du pugilat ; mais il n’attribua ni à Pythagore ni à Socrate les mêmes honneurs qu’à ce pugiliste. En outre il a qualifié de « serviteur des Muses » Archiloque, auteur qui manifeste son talent poétique en un sujet d’une extrême grossièreté et impudeur, et révéla un caractère immoral et impur : en le qualifiant de « serviteur des Muses » qui passent pour des déesses, il proclamait sa piété. Or je ne sais si même le premier venu appellerait pieux l’homme qui n’est pas orné de toute modération et vertu, et si un homme honnête oserait dire les propos des ïambes inconvenants d’Archiloque. Mais s’il est flagrant que rien de divin ne caractérise la médecine d’Asclépios et la divination d’Apollon, comment, même en concédant les faits, raisonnablement les adorer comme de pures divinités ? Et surtout lorsqu’Apollon, l’esprit divinateur pur de toute corporalité terrestre, s’introduit par le sexe dans la prophétesse assise à l’ouverture de la grotte de Pytho. Nous ne croyons rien de pareil sur Jésus et sa puissance : son corps, né de la Vierge, était constitué d’une matière humaine, apte à subir blessures et mort d’homme. LIVRE III

Voyons encore ce que Celse dit ensuite, empruntant aux histoires des prodiges qui d’eux-mêmes semblent incroyables, mais auxquels il ne refuse point sa foi, à en juger du moins par la manière dont il s’exprime. Voici d’abord ceux d’Aristéas de Proconnèse, dont il dit : Ensuite, Aristéas, après avoir si miraculeusement disparu aux yeux des hommes, apparut de nouveau clairement, et beaucoup plus tard il visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes: malgré la recommandation d’Apollon aux Mésapontins de placer Aristéas au rang des dieux, il n’est plus personne pour le croire dieu. Il semble avoir tiré l’histoire de Pindare et d’Hérodote. Mais il suffit de citer ici le passage d’Hérodote qui se trouve dans le quatrième livre des Histoires, et que voici : « J’ai dit d’où était Aristéas, l’auteur de ce poème. Je vais dire ce que j’ai entendu raconter de lui à Proconnèse et à Cyzique. Aristéas, dit-on, ne le cédait à aucun concitoyen pour la noblesse de sa famille. Étant entré, à Proconnèse, dans la boutique d’un foulon, il y mourut ; et le foulon, ayant fermé son atelier, se mit en route pour porter la nouvelle aux parents du défunt. Le bruit de la mort d’Aristéas s’était déjà répandu dans la ville, quand un homme qui venait de la ville d’Atarkè entra en contestation avec ceux qui le propageait : il avait, disait-il, en se rendant à Cyzique, rencontré Aristéas et conversé avec lui. Comme il le soutenait avec force en face de ses contradicteurs, les parents du défunt se présentèrent à la boutique du foulon avec un brancard pour enlever le corps ; on ouvrit la maison, et on n’y aperçut Aristéas ni mort ni vif. Sept ans après, il aurait reparu à Proconnèse, aurait composé ce poème que les Grecs appellent maintenant Arismaspées, et, le poème composé, aurait disparu pour la deuxième fois. Voilà ce qu’on raconte dans ces deux villes. Et voici ce que je sais être arrivé aux Métapontins, en Italie, deux cent quarante ans après la seconde disparition d’Aristéas, ainsi que mes calculs à Proconnèse et à Métaponte m’ont permis de le reconnaître. Les Métapontins racontent qu’Aristéas en personne leur apparut dans leur pays, qu’il leur ordonna d’élever un autel à Apollon et de dresser auprès de cet autel une statue sous le nom d’Aristéas de Proconnèse ; il leur aurait dit qu’ils étaient les seuls Italiotes chez qui Apollon était venu jusqu’alors ; et que lui, qui présentement était Aristéas, l’avait accompagné ; en ce temps-là, quand il accompagnait le dieu, il était un corbeau. Cela dit, il avait disparu et les Métapontins, à ce qu’ils disent, avaient envoyé à Delphes demander au Dieu ce qu’il fallait penser de l’apparition de cet homme. La Pythie leur aurait conseillé d’obéir à l’apparition, car s’ils obéissaient ils s’en trouveraient mieux. Et eux, ayant accueilli avec foi cette réponse, s’y seraient conformés. De fait, une statue qui porte le nom d’Aristéas se dresse aujourd’hui près du monument dédié à Apollon ; tout autour, il y a des lauriers et le monument est érigé sur la place. Mais en voilà assez sur Aristéas. » LIVRE III

Jésus lui-même et ses disciples voulaient en effet que leurs adhérents ne croient pas seulement à sa divinité et à ses miracles comme s’il n’avait point participé à la nature humaine et pris cette chair qui chez les hommes convoite « contre l’esprit ». Mais ils voyaient en outre que la puissance qui est descendue jusqu’à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, et a pris une âme et un corps d’homme, contribuerait, parce qu’elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au salut des croyants. Ceux-ci voient qu’avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s’entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit divinisée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec la foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l’amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus. LIVRE III

Apollon, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à Apollon, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III

Puisque Celse rappelle ensuite l’histoire du héros de Clazomène et y ajoute : Ne raconte-t-on pas que son âme s’échappait fréquemment de son corps pour errer ça et là incorporelle ? Et pourtant les hommes ne le considérèrent pas comme dieu, je répliquerai : il se peut que des démons pervers se soient arrangés pour que ces merveilles fussent écrites – car je ne pense pas qu’ils soient parvenus à les réaliser -, afin que les prophéties sur Jésus et ses enseignements fussent ou bien attaqués comme fictions du même genre que celles-là, ou bien que, n’ayant rien de plus que les autres, elles n’excitent aucune admiration. Or, mon Jésus disait à propos de la séparation entre son âme et son corps, non par une nécessité humaine, mais en vertu du pouvoir miraculeux qui lui avait été donné à cet effet : « Personne ne m’enlève mon âme, mais je la livre de moi-même. J’ai le pouvoir de la livrer, et le pouvoir de la reprendre. » Et puisqu’il avait le pouvoir de la livrer, il l’a livrée lorsqu’il a dit : « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et que, « poussant un grand cri, il rendit l’esprit », devançant ainsi les bourreaux chargés du supplice qui brisaient les jambes des crucifiés, afin que le châtiment ne les fît pas souffrir trop longtemps. Mais il reprit « son âme » lorsqu’il se manifesta à ses disciples, selon la prédiction faite en leur présence aux Juifs incrédules : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Mais « il parlait du temple de son corps », car les prophètes l’avaient annoncé par avance dans ce passage entre bien d’autres : « Bien plus, ma chair reposera dans l’espérance, car tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès, tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. » LIVRE III

Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III

Il revient ensuite au reproche sur Jésus : Bien qu’il soit formé d’un corps mortel, nous le croyons Dieu, en quoi nous jugeons faire un acte de piété. Inutile de répondre encore à l’objection, car on l’a déjà fait plus haut tout au long. Cependant les critiques doivent savoir que Celui que nous croyons avec conviction être dès l’origine Dieu et Fils de Dieu est, par le fait, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne. Et nous affirmons que son corps mortel et l’âme humaine qui l’habite, ont acquis la plus haute dignité non seulement par l’association, mais encore par l’union et le mélange avec Lui et que, participant à sa divinité, ils ont été transformés en Dieu. Est-on choqué de cette affirmation même à propos de son corps? Qu’on se réfère aux affirmations des Grecs sur la matière : à proprement parler dépourvue de qualités, elle est revêtue des qualités dont il plaît au Créateur de l’entourer, et fréquemment, elle abandonne ses qualités antérieures pour en recevoir d’autres supérieures et différentes. S’il y a là une vue saine, quoi d’étonnant que par la Providence de Dieu qui en décrète ainsi, la qualité mortelle du corps de Jésus ait été changée en une qualité éthérée et divine ? LIVRE III

Aussi n’est-ce pas en bon dialecticien que Celse compare la chair humaine de Jésus à l’or, à l’argent et à ta pierre et dit qu’elle était davantage corruptible. Car, en rigueur de terme, il n’est pas vrai qu’une chose incorruptible soit plus incorruptible qu’une autre chose incorruptible, ni qu’une chose corruptible soit plus corruptible qu’une autre chose corruptible. Mais admettons qu’elle puisse être plus corruptible, je n’en répliquerai pas moins : s’il est possible que la matière sous-jacente à toutes les qualités change de qualités, pourquoi ne serait-il pas possible aussi que la chair de Jésus ait changé de qualités et soit devenue telle qu’il le fallait pour séjourner dans l’éther et les régions au-dessus de lui, après avoir dépouillé les caractéristiques de la faiblesse charnelle, qualifiées par Celse d’impuretés. C’est encore une erreur philosophique. Est impur, au sens propre, ce qui provient de la malice ; mais la nature du corps n’est pas impure ; ce n’est pas en tant qu’elle est nature d’un corps qu’elle possède la malice, principe générateur de l’impureté. LIVRE III

Alors, soupçonnant la défense qu’on lui opposerait, il dit du changement du corps de Jésus : Mais, une fois déposée cette chair, peut-être sera-t-il devenu Dieu ? Et pourquoi pas plutôt Asclépios, Dionysios, Héraclès ? Je répondrai : quelle oevre aussi admirable ont donc accompli Asclépios, Dionysos, Héraclès ? Pour avoir un titre à devenir dieux, qui pourront-ils présenter qu’ils aient rendu moralement meilleur, plus vertueux, grâce à leurs discours et leur conduite ? A la lecture des nombreuses histoires qui parlent d’eux, voyons s’ils furent exempts d’inconduite, d’injustice, de déraison, de lâcheté ? Que l’on ne trouve en eux rien de tel, l’argument de Celse qui égale ces personnages à Jésus aurait du poids. Mais s’il est manifeste que, à côté de quelques actions honnêtes qu’on rapporte d’eux, ils en ont fait une infinité d’autres contraires à la droite raison que les écrits attestent, comment maintenir raisonnablement qu’ils seraient, plutôt que Jésus, devenus dieux une fois déposé leur corps mortel ? LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III

Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III

Il ajoute : Celui qui enseigne la doctrine chrétienne ressemble à celui qui promet la guérison des corps en détournant de consulter les médecins compétents de peur d’être alors convaincu par eux d’ignorance. Nous répliquerons : quels sont, d’après toi, les médecins dont nous détournons les simples ? Tu n’admets certes pas que notre exhortation à embrasser la doctrine s’adresse aux philosophes pour croire qu’ils soient les médecins dont nous détournons ceux que nous appelons à la doctrine divine ? Dès lors, ou il ne répond pas, incapable de désigner les médecins en question, ou il lui faut se rabattre sur les simples qui, eux aussi, célèbrent servilement le culte des dieux multiples et répètent toutes les erreurs vulgaires. Ainsi, dans les deux cas, on le convaincra d’avoir évoqué en pure perte celui qui détourne des médecins compétents. LIVRE III

Comme Celse reproche aux chrétiens d’être attirés par de vaines espérances, je répondrai à ses attaques contre la doctrine de la vie bienheureuse et de la communion avec Dieu : alors d’après toi, mon brave, ils sont attirés par des espérances vaines ceux qui ont accepté la doctrine de Pythagore et de Platon sur l’âme naturellement faite pour monter à la voûte du ciel, et dans un lieu supracéleste contempler les mêmes spectacles que les bienheureux. Et pour toi, Celse, ceux là aussi qui, ayant admis la survie de l’âme, vivent de manière à devenir des héros et à partager le séjour des dieux, sont attirés par des espérances vaines. Et probablement, même ceux qui sont persuadés que l’esprit qui vient « du dehors » est immortel et sera seul à survivre, au dire de Celse sont attirés par des espérances vaines. Qu’il vienne donc, sans plus cacher à quelle secte il appartient, mais s’avouant épicurien, combattre les raisons solides données parmi les Grecs et les barbares sur l’immortalité de l’âme et sa survie, ou sur l’immortalité de l’esprit. Qu’il prouve que ce sont là des raisons qui trompent par des espérances vaines ceux qui les admettent ; tandis que les raisons de sa propre philosophie, au lieu d’espérances vaines, ou inspirent de bonnes espérances ou, ce qui est plus conforme à ses principes, n’inspirent aucune espérance puisque l’âme subit une destruction immédiate et totale. A moins que Celse et les Epicuriens refusent de considérer comme vaine l’espérance de leur fin, le plaisir, qui est pour eux le bien suprême, et n’est que le sain équilibre du corps et la confiance assurée que met en lui Épicure. LIVRE III

Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV

Est-ce que ces récits, surtout compris comme il faut, ne paraissent pas beaucoup plus dignes de respect que celui de Dionysos, trompé par les Titans, précipité du trône de Zeus et mis en pièces par eux, et ensuite reconstitué et semblant revenir à la vie et monter au ciel ? Est-il permis aux Grecs d’en faire l’application à la doctrine de l’âme et de l’interpréter au figuré, tandis qu’on nous ferme la porte, nous interdisant une interprétation logique, concordante et harmonisée en tous points avec les Écritures inspirées par l’Esprit divin qui habite les âmes pures ? Celse n’a donc pas vu du tout l’intention de nos Écritures ; aussi est-ce sa propre interprétation qu’il attaque, et non celle des Écritures. S’il avait compris la destinée de l’âme dans l’éternelle vie future, et ce qu’impliquent son essence et son origine, il n’aurait point raillé de la sorte la venue de l’être immortel dans un corps mortel, expliquée non suivant la théorie platonicienne de la métensomatose, mais dans une perspective plus haute. Il aurait vu, au contraire, une descente extraordinaire due à un excès d’amour pour les hommes, en vue de ramener, suivant l’expression mystérieuse de la divine Écriture, « les brebis perdues de la maison d’Israël », descendues des montagnes, et vers lesquelles, le berger de certaines paraboles, « est descendu » laissant sur les montagnes celles qui ne s’étaient pas égarées. LIVRE IV

En insistant sur des questions qu’il n’a pas comprises, Celse provoque mes redites, car je ne veux point, fût-ce en apparence, laisser une seule de ses critiques sans l’examiner. Il dit donc ensuite : Ou bien véritablement Dieu change, comme ils prétendent, pour devenir un corps mortel, et on vient de dire que c’est impossible. Ou bien il ne change pas lui-même, mais fait que ceux qui le voient en jugent ainsi, alors il les trompe et il ment. Or tromperie et mensonge sont toujours un mal, hormis le seul cas où on en use en guise de remède, soit à l’égard d’amis malades et atteints de folie afin de les guérir, soit à l’égard d’ennemis dans l’intention d’esquiver un danger. Mais nul, s’il est malade ou atteint de folie, n’est ami de Dieu, et Dieu ne redoute personne au point d’en venir à le tromper pour se soustraire au danger. LIVRE IV

En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV

Pour répondre, je pose à ceux qui approuvent cette attaque contre nous la question : Est-ce l’ensemble des hommes que vous considérez comme une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles, au prix de l’excellence de Dieu ? Ou bien exceptez-vous les autres hommes de la comparaison en leur gardant leur dignité d’hommes à cause de la raison et des lois établies, tandis que vous méprisez les chrétiens et les Juifs pour leurs doctrines qui vous déplaisent, les comparant à ces vils animaux ? Quelle que soit votre réponse, je répliquerai en m’efforçant de montrer qu’il ne convient de parler ainsi ni de l’humanité ni de nous-mêmes. Supposons donc que vous disiez d’abord que l’ensemble des hommes relativement à Dieu est comparable à ces vils animaux, puisque leur petitesse est sans commune mesure avec l’excellence de Dieu. Mais de quelle petitesse s’agit-il ? Répondez-moi, braves gens ! De celle des corps ? Apprenez que l’excellence ou l’infériorité au tribunal de la vérité ne se juge pas d’après le corps ; sinon, les griffons et les éléphants seraient supérieurs à nous les hommes, car ils sont plus grands, plus forts et vivent plus longtemps. LIVRE IV

Mais nul homme sensé ne dirait que ces êtres sans raison sont supérieurs aux êtres raisonnables à cause de leur corps, car la raison élève l’être raisonnable bien au-dessus de tous les êtres sans raison. Ce n’est pas vrai non plus des êtres vertueux et bienheureux, bons démons, comme vous dites, ou anges de Dieu, à notre appellation habituelle, ou de toutes les natures qu’on peut trouver au-dessus des hommes : puisqu’on eux la raison atteint sa perfection, embellie par toute sorte de vertus. LIVRE IV

Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV

Il nous reproche de présenter l’homme comme modelé par les mains de Dieu. Mais le livre de la Genèse ne parle des mains de Dieu ni quand Dieu forme l’homme ni quand il le modèle. Seuls Job et David disent : « Tes mains m’ont formé et m’ont modelé » : sur quoi il faudrait une longue explication pour établir la pensée de ceux qui parlent ainsi, non seulement de la différence entre faire et modeler, mais encore des mains de Dieu. Faute d’avoir compris ces locutions et leurs pareilles dans les divines Écritures, on imagine que nous attribuons au Dieu suprême une forme semblable à celle de l’homme ; et à ce compte il serait logique que nous croyions qu’il y a aussi des ailes au corps de Dieu, puisque c’est ainsi que s’expriment sur Dieu nos Écritures prises à la lettre. LIVRE IV

Mais il est déraisonnable de ne point rire de la première histoire comme d’un mythe, d’en admirer au contraire le sens philosophique sous le voile du mythe, et pour la seconde, en n’appliquant son esprit qu’à la lettre seule, de railler et de penser qu’elle est sans raison. Car s’il fallait, d’après la simple lettre, mettre en cause la signification allégorique, vois si les vers d’Hésiode, auteur que tu dis inspiré, ne vont pas davantage encourir la raillerie. Voici ce qu’il a écrit : « Et courroucé, Zeus qui assemble les nuées lui dit : ” Fils de Japet, qui en sais plus long que tous les autres, puisses-tu rire d’avoir volé le feu et trompé mon âme, pour ton plus grand malheur, à toi, comme aux hommes à naître ! Moi, en place de feu, je leur ferai présent d’un mal, en qui tous, au fond du coeur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur.” Il dit et exécute le père des dieux et des hommes ; il commande à l’illustre Héphaistos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athénée lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un coeur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, tueur d’Argos. Il dit, et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéné, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné ajuste sur son corps toute sa parure. Et dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole, et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain. » LIVRE IV

Ensuite, parmi tous les traités renfermant des allégories et des interprétations en un style qui n’est pas sans beauté, il a fait choix du plus ordinaire, apte peut-être à favoriser la foi de la multitude des simples, mais bien incapable d’impressionner les intelligents. Il dit : De ce genre, justement, je connais une controverse d’un certain Papiscos et Jason, qui mérite moins le rire que la pitié et la haine. Donc loin de moi le propos d’en réfuter les inepties : elles sautent aux yeux de tous, surtout de celui qui a la patience de supporter la lecture du livre lui-même. Je préfère enseigner ceci conformément à la nature : Dieu n’a rien fait de mortel; mais tous les êtres immortels sont oeuvres de Dieu, et les êtres mortels sont leurs oeuvres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme: la matière en est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. Néanmoins je voudrais que quiconque a entendu Celse s’indigner et déclarer que le traité intitulé “Controverse de Papiscos et de Jason” sur le Christ mérite moins le rire que la haine prenne en mains le petit traité, et ait la patience de supporter la lecture de ce qu’il contient, afin de condamner aussitôt Celse, parce qu’il n’y trouve rien qui mérite la haine. Un lecteur sans parti pris trouvera que le livre ne porte même point à rire : on y présente un chrétien discutant avec un Juif, à partir des Écritures juives, et montrant que les prophéties sur le Christ s’appliquent à Jésus, bien que l’autre s’oppose à l’argument d’une manière qui n’est pas sans noblesse et qui convient au personnage d’un Juif. LIVRE IV

Dans le passage de Celse que j’ai cité, qui est une paraphrase du “Timée, se trouvent expressions telles que : « Dieu n’a rien fait de mortel, mais seuls les êtres immortels, et les êtres mortels sont oeuvres d’autres êtres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. Et un corps d’homme n’aura aucune différence avec un corps de chauve-souris, de ver ou de grenouille ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » Discutons donc quelque peu ces points, et prouvons ou qu’il dissimule son opinion épicurienne, ou, dira-t-on peut-être, qu’il l’a abandonnée pour de meilleures doctrines, ou même, pourrait-on dire, qu’il est un homonyme du Celse épicurien. Puisqu’il manifestait de telles opinions et se proposait de contredire, avec nous, l’illustre école philosophique des disciples de Zénon de Cittium, il aurait dû prouver que les corps des animaux ne sont pas des oeuvres de Dieu, et que leur si minutieuse organisation ne procède pas de l’intelligence première. Au sujet des plantes, si nombreuses et si variées, régies de l’intérieur par une nature qu’on ne peut imaginer et créées pour l’importante fonction dans l’univers d’être à l’usage des hommes et des animaux qui sont au service des hommes ou dans toute autre situation, il aurait dû ne pas se contenter de déclarer, mais enseigner qu’une intelligence parfaite ne pouvait avoir introduit ces innombrables qualités dans la matière qui constitue les plantes. LIVRE IV

Une fois qu’il a présenté les dieux comme créateurs de tous les corps, tandis que seule l’âme serait l’oeuvre de Dieu, s’il voulait répartir la multitude des oeuvres créées et l’attribuer à plusieurs dieux, ne devait-il pas établir par un argument valable les différences entre les dieux produisant, certains les corps des hommes, d’autres ceux des bestiaux, d’autres ceux des bêtes sauvages ? Voyant des dieux créateurs de dragons, d’aspics, de basilics, d’autres créateurs de chaque espèce d’insectes, d’autres de chaque espèce de plantes et d’herbes, il lui fallait donner les raisons de cette division du travail. Car peut-être s’il s’était livré à un examen précis de la question, ou bien il aurait maintenu qu’un seul Dieu est créateur de toutes choses et a fait chacune en vue d’une fin et pour une raison, ou bien, s’il ne le maintenait pas, il aurait vu la réplique à faire à l’objection que ce qui est corruptible est de sa propre nature matière indifférente, et qu’il n’y a aucune absurdité à soutenir que le monde, constitué d’éléments dissemblables, est l’oeuvre d’un unique Artisan qui établit les différences entre les espèces pour le bien du tout. Ou, finalement, s’il ne savait pas établir ce qu’il professait d’enseigner, il aurait dû ne pas faire connaître du tout son avis sur une doctrine de cette importance ; à moins, par hasard, que lui qui se moque de ceux qui professent une foi simple ait voulu lui-même que nous ajoutions foi à ce qu’il avançait, bien qu’il ait prétendu non pas exprimer son avis, mais enseigner. LIVRE IV

Mais encore, Celse dit : « L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » A cet argument, il faut répondre : si vraiment, parce que la même matière est sous-jacente aux corps d’une chauve-souris, d’un ver, d’une grenouille, d’un homme, ces corps ne doivent différer en rien l’un de l’autre, il est évident que les corps de ces êtres ne différeront en rien du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, de n’importe quel autre être appelé chez les Grecs divinité sensible. Car la matière qui est sous-jacente à tous les corps est la même : elle est, à parler strictement, sans qualité ni forme, et je ne sais pas d’où elle reçoit ses qualités d’après Celse qui ne veut pas que rien de corruptible soit l’oeuvre de Dieu. Car, selon l’argument de Celse, le principe de corruption de quelque être que ce soit, provenant de la même matière qui les soutient, est nécessairement de même espèce. A moins qu’ici, devant la difficulté, Celse ne s’écarte de Platon qui fait sortir l’âme d’un certain cratère, et ne se réfugie vers Aristote et les Péripatéticiens qui affirment que l’éther est immatériel et d’une cinquième nature, autre que les quatre éléments : doctrine à laquelle les Platoniciens et les Stoïciens se sont noblement opposés. Et nous aussi, malgré le mépris de Celse, nous nous opposerons à elle, puisqu’on nous demande d’exposer et de prouver ce qui est dit en ces termes chez le prophète : « Les cieux périront, mais tu resteras ; tous, comme un vêtement, s’useront, comme un habit tu les retourneras et ils seront changés. Mais toi, tu es toujours le même. » Cependant, ces paroles sont une réplique suffisante à l’assertion de Celse : L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps, argument ayant pour conséquence : Il n’y a aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille et le corps éthéré. LIVRE IV

Vois donc s’il faut prendre parti pour l’homme qui, avec de pareilles doctrines, accuse les chrétiens, et s’il faut abandonner une doctrine qui explique la diversité par les qualités inhérentes aux corps ou qui leur sont extérieures. Nous savons, nous aussi, qu’il y a « des corps célestes et des corps terrestres » et que, autre est « l’éclat des corps célestes » et autre celui des « terrestres » ; et que, même entre « les corps célestes » il n’est pas identique, car « autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat des étoiles » ; et que, parmi les étoiles, « une étoile diffère d’une étoile en éclat ». Et c’est pourquoi, comme nous attendons la résurrection des morts, nous disons que les qualités inhérentes « aux corps » changent ; certains d’entre eux, semés « dans la corruption, se lèvent dans l’incorruptibilité » ; semés « dans l’ignominie, ils se lèvent dans la gloire » ; semés « dans la faiblesse, ils se lèvent dans la puissance », semés corps psychiques, ils se lèvent spirituels. Que la matière fondamentale est capable de recevoir les qualités que veut le Créateur, nous tous qui avons admis la Providence, nous en sommes assurés : par la volonté de Dieu, quelle que soit la qualité actuelle de telle matière, elle sera dans la suite, disons-le, meilleure et supérieure. De plus, puisqu’il y a des lois établies concernant les changements qui s’effectuent dans les corps depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, leur succédera peut-être une loi nouvelle et différente après la destruction du monde que nos Écritures nomment sa consommation. Aussi n’est-il pas étonnant que dès à présent, comme on le dit couramment, d’un cadavre d’homme soit formé un serpent venant de la moelle épinière, du boeuf une abeille, d’un cheval une guêpe, d’un âne un scarabée, et généralement de la plupart, des vers. Celse juge que cela peut fournir la preuve qu’aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, qu’au contraire, les qualités, déterminées pour je ne sais quelles raisons à changer d’un caractère à l’autre, ne sont pas l’oeuvre d’une raison divine qui ferait se succéder les qualités inhérentes à la matière. LIVRE IV

Voici ce qui me reste à dire contre l’affirmation de Celse que l’âme est oeuvre de Dieu, mais qu’autre est la nature du corps. Il a lancé une doctrine de cette importance sans preuve, bien plus sans définir ses termes, sans avoir clairement indiqué si toute âme est oeuvre de Dieu, ou seule l’âme raisonnable. Je lui dirai donc : si toute âme est oeuvre de Dieu, évidemment celle des animaux sans raison, même les plus vils, l’est aussi, de façon que chaque corps ait une nature autre que celle de l’âme. En vérité, quand il dit plus loin que les animaux sans raison sont plus aimés de Dieu que nous, et ont de la divinité une notion plus pure, il a semblé établir que ce n’est pas seulement celle des hommes qui est oeuvre de Dieu, mais davantage encore l’âme des animaux sans raison ; c’est la conséquence de son propos qu’ils sont plus aimés de Dieu que nous. Et si seule l’âme raisonnable est l’oeuvre de Dieu, d’abord, il ne l’a pas dit clairement, ensuite, de sa manière confuse de parler de l’âme, d’après laquelle non pas toute âme, mais seule l’âme raisonnable serait oeuvre de Dieu, il résulte que pour tous les corps non plus la nature ne saurait être autre. Et si la nature de tous les corps ne peut être autre, et si chaque animal a un corps correspondant a son âme, il est clair que le corps dont l’âme est l’oeuvre de Dieu, l’emporte sur le corps où habite une âme qui n’est pas oeuvre de Dieu. Aussi est-ce un mensonge de dire qu’il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille, et le corps d’un homme. LIVRE IV

En effet, il serait absurde de croire que des pierres ou des édifices sont plus ou moins purs que d’autres pierres ou d’autres édifices, parce qu’ils ont été construits pour l’honneur de Dieu ou pour recevoir des corps sans honneur et maudits, mais que des corps ne différeraient pas d’autres corps selon qu’ils sont habités par des êtres raisonnables ou des êtres sans raison, et par les plus vertueux des êtres raisonnables ou les pires des hommes. Voilà pourtant la raison qui a poussé certains à prétendre diviniser les corps des gens supérieurs, pour avoir reçu une âme vertueuse, et à rejeter et déshonorer ceux des scélérats. Non que cette pratique soit parfaitement saine, mais elle dérive d’une saine notion. Est-ce que le sage, après la mort d’Anytos et de Socrate, prendrait un soin égal de la sépulture du corps de Socrate et de celle d’Anytos, et élèverait-il à la mémoire des deux le même tertre funéraire ? Voilà les réflexions amenées par la formule de Celse : aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, le mot « eux » pouvant se rapporter au corps de l’homme ou des serpents qui viennent de ce corps, et à celui du boeuf ou des abeilles qui viennent du corps de boeuf, et à celui du cheval ou de l’âne et des guêpes issues du cheval, des scarabées issus de l’âne. LIVRE IV

C’est la raison pour laquelle nous avons dû reprendre l’assertion : l’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. LIVRE IV

Il ajoute encore : Commune est la nature de tous les corps susnommés, unique dans le flux et le reflux de changements alternés. Il faut répondre que manifestement, d’après ce qu’on a dit, la nature est commune, non seulement celle des corps précédemment nommés, mais aussi celle des corps supracélestes. Dans cette perspective, évidemment pour lui, mais j’ignore si c’est vrai, unique est la nature de tous les corps dans le flux et le reflux de changements alternés. C’est évidemment la pensée de ceux qui pensent que le monde est corruptible. Et même ceux qui refusent de le croire corruptible et n’admettent pas un cinquième élément s’efforceront de montrer que d’après eux aussi, unique est la nature de tous les corps dans le flux et le reflux de changements alternés. Mais ainsi, même ce qui est périssable demeure à travers le changement ; car d’après ceux qui tiennent qu’elle est incréée la matière qui est le substrat de la qualité périssable demeure lorsque périt la qualité. Si toutefois un argument peut établir qu’elle n’est pas incréée, mais qu’elle a été créée pour un usage déterminé, manifestement elle n’aura pas la même nature permanente que dans l’hypothèse où elle serait incréée. Mais il ne s’agit pas ici de philosopher sur la nature pour répondre aux critiques de Celse. LIVRE IV

Après quoi, oubliant son propos d’accuser les Juifs et les chrétiens, il s’objecte à lui-même un ïambe d’Euripide, contraire à sa pensée, et il s’en prend à l’affirmation qu’il accuse d’être mal fondée. Voici le passage de Celse : Allègue-t-on ce vers d’Euripide: « Le soleil et la nuit sont au service des mortels » ? Mais pourquoi à notre service plutôt qu’à celui des fourmis et des mouches ? A elles aussi la nuit permet de se reposer, et le jour de voir et de travailler. Il est bien clair que certains des Juifs et des chrétiens ne sont pas les seuls à avoir dit que le soleil et les autres corps célestes sont à notre service. Celui qui fut auditeur des leçons d’Anaxagore sur la nature, et que l’on considère comme le philosophe de la scène, le dit également : c’est au service de tous les êtres raisonnables, désignés par synecdoque comme un seul être raisonnable, l’homme, que sont les choses ayant leur place dans l’univers, désignées encore par synecdoque comme « le soleil et la nuit ». Peut-être aussi, le poète tragique, en parlant du soleil qui fait le jour, pour désigner le jour, a-t-il voulu enseigner que les êtres qui ont surtout besoin du jour et de la nuit sont les êtres sublunaires, et que les autres ne sont pas dans la même situation que ceux de la terre. Donc le jour et la nuit sont au service des mortels, parce qu’ils sont faits pour les êtres raisonnables. Que les fourmis et les mouches, au travail le jour, au repos la nuit, profitent de ce qui a été créé pour les hommes, ne permet pas de dire que le jour et la nuit ont été créés aussi pour les fourmis et les mouches, ou pour aucun autre être. Mais il faut croire que dans les desseins de la Providence ils ont été créés pour les hommes. LIVRE IV

Ceux que la nature a faits domesticables, nous les apprivoisons par la douceur. Contre ceux qui naturellement ne peuvent l’être, ou qui, une fois domestiqués, ne paraîtraient devoir être d’aucune utilité, nous pourvoyons si bien à notre sécurité que, quand nous le voulons, nous tenons enfermés ces énormes fauves, et quand nous avons besoin de nous nourrir de leurs corps, nous les tuons aussi facilement que des animaux domestiques. Le Créateur les a donc tous mis au service de l’animal raisonnable et de son intelligence naturelle. A certains emplois nous utilisons, par exemple, les chiens pour garder les troupeaux de moutons, de vaches, de chèvres ou les maisons ; à d’autres les boeufs, pour travailler les champs ; à d’autres les bêtes de somme, pour porter les fardeaux. Et on dit que les races de lions, d’ours, de panthères, de sangliers et des animaux de ce genre nous ont été données également pour développer les germes de courage que nous possédons. LIVRE IV

Peut-être même ces sortes de guerres des abeilles sont-elles un enseignement, pour que les guerres parmi les hommes, si jamais il le fallait, soient justes et ordonnées. Et il n’y a pas de villes ni de faubourgs chez les abeilles ; mais elles ont leurs ruches, leurs alvéoles hexagonales, elles se livrent à leurs travaux respectifs, parce que les hommes ont besoin de miel pour beaucoup de choses, comme remède des corps malades ou nourriture saine. Et il ne faut point comparer les procédés des abeilles contre les frelons aux jugements portés dans les villes contre les paresseux et les méchants, ni aux châtiments qu’on leur inflige. Mais, comme je l’ai dit, il faut en tout cela admirer la nature ; et il faut admettre que l’homme, capable d’embrasser l’univers et d’y mettre de l’ordre, en coopérateur de la Providence, accomplit les travaux non seulement de la Providence de Dieu mais de sa prévoyance humaine. LIVRE IV

Même si les fourmis enlèvent les pousses des grains mis en réserve pour qu’ils ne germent pas mais subsistent pendant l’année pour leur nourriture, il ne faut pas supposer que la cause en soit un raisonnement de la part des fourmis, mais la nature, mère de tous les êtres : elle a si bien disposé même ceux qui sont privés de raison qu’elle n’a pas laissé le plus petit entièrement dépourvu d’un vestige de cette raison qui vient de la nature. A moins peut-être que par là Celse ne veuille dire à mots couverts – car en bien des points il entend platoniser -, que toutes les âmes sont de la même espèce et que celle de l’homme ne l’emporte en rien sur celle des fourmis et des abeilles. C’est la logique du système qui fait descendre l’âme de la voûte du ciel, non seulement dans le corps humain, mais aussi dans les autres corps. Les chrétiens n’y souscriront pas, car ils ont déjà appris que l’âme humaine a été créée à l’image de Dieu, et ils voient bien l’impossibilité pour sa nature façonnée à l’image de Dieu de perdre absolument tous ses caractères et d’en recouvrer d’autres, à l’image de je ne sais quoi, dans les êtres sans raison. LIVRE IV

Il ne rougit même pas d’ajouter, en soulignant pour la postérité l’inconvenance de son système : Dès lors, à regarder du haut du ciel sur la terre, quelle différence pourraient offrir nos activités et celles des fourmis et des abeilles ? Dans son hypothèse, regarder du haut du ciel sur la terre les activités des hommes et les ouvrages des fourmis, est-ce fixer le regard sur les corps des hommes et des fourmis sans considérer le principe hégémonique raisonnable et mis en oeuvre par le raisonnement, et d’autre part le principe hégémonique dépourvu de raison, mû irrationnellement par tendance et représentation, grâce à une sorte de disposition naturelle? Mais il serait absurde, en regardant du haut du ciel les choses de la terre, de vouloir fixer les yeux à une si grande distance sur les corps des hommes et des fourmis sans préférer plutôt regarder les natures des principes directeurs, et la source rationnelle ou irrationnelle des tendances. Il est clair que regarder seulement la source de toutes les tendances, c’est voir aussi la différence et la supériorité de l’homme non seulement sur les fourmis mais même sur les éléphants. Car, à porter du haut du ciel son regard sur les êtres sans raison, si grand que soit leur corps, on n’y verra d’autre principe, si j’ose dire, que l’absence de raison. Dans les êtres raisonnables au contraire, on verra le logos, commun aux hommes, aux êtres divins et célestes, et peut-être au Dieu suprême lui-même. D’où l’expression de l’Écriture, d’une création « à l’image » de Dieu, car l’image du Dieu suprême est son Logos. LIVRE IV

D’après nous, certains mauvais démons, titans ou géants si j’ose dire, devenus impies envers la divinité véritable et les anges du ciel, sont tombés du ciel, et rôdent sur terre autour des corps épaissis et impurs. LIVRE IV

N’étant pas revêtus de corps terrestres, ils ont quelque discernement de l’avenir, et ils exercent cette activité pour détourner le genre humain du Dieu véritable. Ils s’insinuent dans les plus rapaces et les plus cruels animaux, et dans d’autres plus rusés, et ils les poussent à accomplir, quand ils le veulent, les actions qu’ils veulent. Ou bien ils dirigent les représentations de ces animaux vers les vols et les mouvements de telle ou telle sorte, pour que les hommes, séduits par le pouvoir divinateur inhérent à ces animaux sans raison, cessent de chercher le Dieu qui contient l’univers et d’approfondir la vraie piété, mais retombent par leur raisonnement au niveau de la terre, des oiseaux et des serpents, et même des renards et des loups. En effet les gens experts en ce domaine ont observé que les prévisions les plus claires viennent d’animaux de ce genre, car les démons n’ont pas sur les animaux plus doux un aussi grand pouvoir que celui qu’ils exercent pour mouvoir ces animaux, en vertu d’une affinité de malice qui, en ces animaux-là, n’est pas malice, mais un semblant de malice. LIVRE IV

Puis, continuant à défendre la piété des animaux sans raison, Celse donne en exemple : L’oiseau d’Arabie, le Phénix, qui après de longues années émigré en Egypte, transporte le corps de son père, enfermé dans une boule de myrrhe comme en un cercueil, et le dépose au lieu où se trouve le temple du soleil. C’est bien ce que l’on raconte ; mais le fait, fut-il exact, peut encore venir de la nature. La générosité de la divine Providence apparaît aussi dans les différences entre les animaux, pour montrer aux hommes la variété qui existe dans la constitution des êtres de ce monde, et jusque chez les oiseaux. Et elle a créé un animal unique afin de faire admirer par là, non point l’animal, mais Celui qui l’a créé. LIVRE IV

Car invoquer les anges sans avoir reçu à leur sujet une science dépassant l’homme n’est pas raisonnable. Mais supposons, par hypothèse, qu’on ait reçu cette science merveilleuse et mystérieuse : cette science elle-même fait connaître leur nature et les offices auxquels chacun est préposé, elle ne permettra pas que l’on ose prier personne sinon le Dieu suprême qui suffit parfaitement à tout, par notre Sauveur, le Fils de Dieu, lui qui est Logos, Sagesse, Vérité, et tout ce que disent encore de lui les Écritures des prophètes de Dieu et des apôtres de Jésus. Pour nous rendre favorables les saints anges de Dieu et les porter à tout faire pour nous, il suffit, autant qu’il est possible à la nature humaine, d’imiter dans notre attitude envers Dieu leur disposition personnelle puisqu’ils imitent Dieu ; et la conception que nous avons de son Fils le Logos, autant qu’il est possible, au lieu de contredire la conception plus claire qu’en ont les saints anges, se rapproche d’elle de jour en jour en clarté et en netteté. Celse, comme s’il n’avait pas lu nos saintes Écritures, se fait à lui-même une réponse qu’il nous attribue : selon nous, les anges qui descendent d’auprès de Dieu pour faire du bien aux hommes sont d’une autre espèce, et, à notre avis, sans doute des démons. Il ne remarque pas que le nom de démons n’est pas un terme indifférent comme celui d’hommes, parmi lesquels il en est de bons et de mauvais, ni un terme noble comme celui de dieux qui n’est pas appliqué aux démons mauvais, aux statues, aux animaux, mais par ceux qui sont instruits des choses divines, aux êtres véritablement divins et bienheureux. Le nom de démons est toujours appliqué à ces puissances mauvaises qui, dégagées du corps grossier, séduisent et tiraillent les hommes et les rabaissent loin de Dieu et des réalités célestes aux choses d’ici-bas. LIVRE V

Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V

Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de Moïse sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V

Accordons même qu’ils soient ses hérauts, ses messagers véritablement célestes : n’est-il pas évident, même alors, qu’il faut adorer Dieu qui proclame et annonce par eux, plutôt que ses hérauts et ses messagers ? Celse suppose que nous tenons pour rien le soleil, la lune et les étoiles. Mais eux aussi, nous reconnaissons qu’ils « aspirent à la révélation des fils de Dieu », ayant été présentement soumis « à la vanité » des corps matériels « par l’autorité de celui qui les a soumis avec l’espérance ». Si Celse avait lu tout ce que nous disons encore du soleil, de la lune et des étoiles, entre autres : « Etoiles et lumière, louez-le toutes ! » et « Cieux des cieux louez-le ! », il n’aurait pas déclaré que nous tenons pour rien ces corps sublimes qui louent si hautement le Seigneur. Mais Celse ne connaît même point la parole : « La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ; car la création a été soumise à la vanité, non de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, avec l’espérance d’être elle aussi libérée de l’esclavage de la corruption pour parvenir à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » LIVRE V

Voici ce qu’il dit : ” C’est une autre sottise de leur part de penser que quand Dieu tel un cuisinier appliquera le feu, toute autre race sera grillée, et qu’ils seront seuls à survivre: et non seulement les vivants d’alors mais même ceux qui seront morts depuis longtemps, qui surgiront de la terre avec la même chair que jadis absolument l’espérance des vers ! Quelle âme d’homme regretterait un corps putréfié? Alors que cette doctrine n’est pas même admise par certains de vous et des chrétiens, et que son extrême impureté montre que c’est à la fois révoltant et impossible: quel corps, après une corruption complète, pourrait-il revenir à sa nature originelle et à cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous ? N’ayant rien à répondre, ils recourent à la plus absurde échappatoire: tout est possible à Dieu ! En vérité, Dieu ne peut rien faire de honteux et ne veut rien de contraire à la nature. Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer et il ne faut pas croire d’emblée qu’elle va être assouvie. Car Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste. A l’âme il peut bien accorder une vie immortelle ; mais, comme dit Héraclite, « les cadavres sont plus à rejeter que le fumier ». Donc une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même.” LIVRE V

Il a longuement raillé la résurrection de la chair qui est prêchée dans les églises, mais plus nettement comprise par l’élite des penseurs. Inutile donc de redonner son texte déjà cité une fois. Mais puisque cette défense est écrite contre un homme étranger à notre foi, et à cause de ceux qui sont encore de tout petits enfants, ballottés par les flots et emportés « à tout vent de doctrine par la piperie des hommes pour fourvoyer dans l’erreur », qu’on me permette, sur ce problème, d’exposer de mon mieux et d’établir quelques points adaptés aux besoins des lecteurs. Pas plus que les divines Écritures nous ne disons que ceux qui sont morts depuis longtemps, surgissant de terre, vivront avec la même chair sans qu’elle ait reçu d’amélioration ; en le prétendant, Celse nous calomnie. Car nous entendons aussi maints passages scripturaires qui traitent de la résurrection d’une manière digne de Dieu. Il suffît de citer ici le mot de Paul, de la Première aux Corinthiens : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? ? Insensé ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un simple grain, de blé par exemple ou d’une des autres plantes ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps qui lui est propre ». » Vois donc comment il indique ici que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé, mais qu’il y a comme une résurrection de la semence jetée nue en terre, Dieu donnant « à chaque semence un corps qui lui est propre » : de la semence jetée en terre se lève tantôt un épi, tantôt un arbre comme pour le grain de la moutarde, ou encore un arbre plus grand pour un noyau d’olive ou un des autres fruits. LIVRE V

« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V

De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette doctrine, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des doctrines pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la doctrine des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la doctrine de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la doctrine étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V

Nous ne disons donc pas que le corps putréfié reviendra à sa nature originelle, pas plus que le grain de blé, une fois corrompu, ne revient à son état de grain de blé. Nous tenons que, comme du grain de blé se lève un épi, il y a aussi dans le corps un principe qui n’est pas soumis à la corruption, à partir duquel le corps surgit « incorruptible ». A l’inverse, les gens du Portique soutiennent que le corps complètement putréfié revient à sa nature originelle, en vertu de leur théorie sur le retour à chaque période des êtres tout semblables ; ils disent donc qu’il retrouve cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous, croyant l’établir par des raisons contraignantes. Nous ne recourons pas à la plus absurde échappatoire : tout est possible à Dieu ; car nous savons entendre le mot tout sans y comprendre ce qui n’a pas d’existence ou n’est pas concevable. Nous convenons ainsi que Dieu ne peut rien faire de honteux, puisque alors Dieu pourrait n’être pas Dieu : car si Dieu fait quelque chose de honteux, il n’est pas Dieu. Mais lorsqu’il pose : Dieu ne veut rien de contraire à la nature, nous distinguons : si par contraire à la nature on veut dire la malice, nous aussi nous disons que Dieu ne veut rien de contraire à la nature, ni ce qui provient de la malice, ni ce qui est contraire à la raison. Mais pour ce qui arrive conformément au Logos de Dieu et à sa volonté, de toute évidence cela ne doit pas être contraire à la nature ; quelles que soient les opérations de Dieu, pour extraordinaires qu’elles soient ou qu’elles paraissent aux yeux de certains, elles ne sont pas contraires à la nature. S’il faut presser les termes on dira, en prenant la nature dans son acception la plus commune, que Dieu fait bien certaines choses au-dessus de la nature : comme de promouvoir l’homme au-dessus de sa nature d’homme, de le faire se transformer en une nature supérieure et divine et l’y maintenir aussi longtemps que l’homme ainsi maintenu prouve par ses actes qu’il veut l’être. LIVRE V

Une fois dit que Dieu ne veut rien qui ne lui convienne ou qui tende à nier qu’il soit Dieu, on dira bien : Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer. Et ainsi, loin de chercher chicane aux propos de Celse, dans un examen loyal nous accorderons que Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste, puisqu’il est l’auteur de tout bien. De plus, nous concevons qu’il peut accorder à l’âme une vie immortelle, et non seulement il peut, mais en fait il l’accorde. La dernière remarque de Celse ne nous fait pas la moindre difficulté, pas même le mot d’Héraclite qu’il cite : « Les cadavres sont plus à rejeter que le fumier. » Encore pourrait-on dire sur ce point que le fumier est à rejeter, mais par égard pour l’âme qui les a habités, surtout si elle a été vertueuse, les cadavres humains ne sont pas à rejeter. Car selon les coutumes des peuples les plus civilisés, ils sont jugés dignes d’une sépulture aussi honorable que possible en pareilles matières : on veut ainsi éviter soigneusement de faire injure à l’âme qui l’habitait en jetant le corps, après que l’âme en est sortie, comme on le fait pour le corps des bêtes. On accorde donc que Dieu ne voudrait pas contre toute raison déclarer immortel ni le grain de blé, mais bien sans doute l’épi qui en sort, ni ce qui est semé dans la corruption, mais ce qui en ressuscite incorruptible. De plus, selon Celse, Dieu est lui-même la raison de tout ce qui existe, mais selon nous, c’est son Fils ; nous disons de lui en termes philosophiques : « Au commencement était le Logos, et le Logos était près de Dieu et le Logos était Dieu . » Et pour nous non plus, Dieu ne peut rien faire ni contre la raison ni contre lui-même. LIVRE V

Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V

Fondé sur ces exemples, l’argument paraît à Celse amener cette conclusion : Il faut que tous les hommes vivent selon leurs traditions, et, par là, ils ne sauraient encourir de reproches ; tandis que les chrétiens, qui ont abandonné leurs traditions et ne constituent pas un peuple unique comme les Juifs, sont à blâmer de donner leur adhésion à l’enseignement de Jésus. Qu’il nous dise donc si les philosophes qui enseignent à n’être pas superstitieux ont le devoir d’abandonner les traditions, jusqu’à manger les aliments interdits dans leurs patries, ou si une telle conduite est contraire au devoir. Car si c’est à cause de la philosophie et des leçons proscrivant la superstition qu’ils peuvent, au mépris des traditions, manger des aliments interdits depuis le temps de leurs ancêtres, pourquoi pas les chrétiens ? Le Logos leur prescrit de ne point s’arrêter aux statues, aux images ou même aux créatures de Dieu, mais de les dépasser et de présenter leur âme au Créateur : pourquoi, se conduisant comme les philosophes, ne seraient-ils point irréprochables ? Si pour sauver leur thèse, Celse et ses adeptes affirment que même un philosophe devra observer les traditions, alors les philosophes deviendront parfaitement ridicules, par exemple en Egypte en se gardant de manger de l’oignon pour observer les traditions, ou certaines parties du corps telles que la tête ou l’épaule pour ne pas transgresser les coutumes ancestrales. Et je ne parle pas encore de ces Égyptiens qui frémissent aux bruits vulgaires de flatulence. Si l’un d’eux devenu philosophe gardait les traditions, ce serait un philosophe ridicule, sans philosophie dans sa conduite. Il en va de même lorsqu’on a été conduit par le Logos à adorer le Dieu de l’univers si, à cause des traditions, on reste abaissé devant les images et les statues humaines ; et si on refuse de s’élever par volonté réfléchie jusqu’au Créateur, on est semblable alors à des hommes qui, malgré les lumières de la philosophie, craindraient ce qui n’est pas à craindre et jugeraient impie de manger de tels mets. LIVRE V

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

A ces considérations, pouvant paraître superflues et inadaptées à l’audience de la foule, que j’ai eu la hardiesse de développer, j’ajouterai, avant de passer à la suite, une réflexion plus chrétienne. Cet ange, d’après moi, avait un pouvoir contre ceux du peuple qui étaient incirconcis et, en général, contre ceux-là qui n’adoraient que le Créateur ; de plus, il avait ce pouvoir aussi longtemps que Jésus n’avait pas pris un corps. Quand il l’eut fait et que son corps fut circoncis, alors fut détruit tout le pouvoir de cet ange contre les incirconcis de cette religion ; car Jésus le détruisit par son ineffable divinité. D’où la défense à ses disciples d’être circoncis, et l’affirmation : « Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous servira de rien. » LIVRE V

De plus, si les Juifs s’enorgueillissent de s’abstenir des porcs, ce n’est pas qu’il y ait là un grand mérite, mais c’est qu’ils ont appris la différence naturelle entre animaux purs et impurs, qu’ils en savent la raison, et que le porc se trouve parmi les animaux impurs. Gela n’était que figures d’autres réalités avant l’arrivée de Jésus ; après elle, son disciple ne comprenait pas encore la raison de ces interdits et objectait : « Jamais je n’ai rien mangé de souillé ni d’impur » ; il entendit la parole : « Ce que Dieu a déclaré pur, ne va pas le dire souillé. » Il n’importe donc ni aux Juifs ni à nous-mêmes que les prêtres d’Egypte s’abstiennent non seulement des porcs, mais en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons. Comme « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme » et que « ce n’est pas un aliment qui nous recommandera auprès de Dieu », nous ne nous glorifions pas de nos abstinences, mais nous n’allons pas non plus manger par gloutonnerie. Aussi, en ce qui nous concerne, nous disons bonne chance aux disciples de Pythagore qui s’abstiennent des êtres vivants. Mais il faut voir la différence du motif pour lequel s’abstiennent des êtres vivants les disciples de Pythagore et nos ascètes. Eux pratiquent cette abstinence des êtres vivants à cause du mythe de la métensomatose de l’âme. Et qui donc « serait assez fou pour élever vers le ciel son fils bien-aimé et l’immoler avec imprécation ? » Mais nous, par cette même pratique nous châtions notre corps et le réduisons en servitude ; nous voulons mortifier « nos membres terrestres : fornication, impureté, impudicité, passion, mauvais désir » ; nous faisons tout pour mortifier « les oeuvres de notre corps ». LIVRE V

Il continue : Même si cet ange est venu aux hommes, fut-il le premier à venir et le seul, ou y en eut-il d’autres auparavant ? Et il pense répondre à chaque membre de l’alternative par plusieurs arguments. En fait, aucun véritable chrétien ne dit que le Christ est le seul à être venu visiter le genre humain. Mais comme si on répondait qu’il fut le seul, Celse réplique que d’autres sont apparus aux hommes. Ensuite, il se réfute lui-même à sa guise : ” On est bien loin de dire qu’il est le seul à être venu au genre humain. Même ceux qui sous prétexte d’enseigner au nom de Jésus se sont écartés du Créateur comme d’un être inférieur, et sont allés comme à un être supérieur au Dieu et Père de celui qui est venu, reconnaissent que même avant lui quelques-uns sont venus d’auprès du Créateur visiter le genre humain.” Examinant loyalement la question, je dirai qu’Apelles, le disciple de Marcion, qui devint l’auteur d’une hérésie et regarde comme un mythe les Ecritures juives, affirme que seul Jésus est venu visiter le genre humain. Donc, à son affirmation que Jésus est le seul à être venu aux hommes de la part de Dieu, Celse ne pourrait logiquement opposer que d’autres encore sont venus, puisque Apelles, comme on l’a déjà dit, ne croit pas aux Ecritures juives rapportant les miracles : à bien plus forte raison refusera-t-il d’admettre le passage que Celse paraît avoir cité du livre d’Enoch sans l’avoir compris. Personne donc ne nous convainc de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est venu seul et que cependant il en est souvent venu d’autres. C’est avec une confusion totale, quand il discute la venue des anges vers les hommes, qu’il cite des passages obscurs tirés du livre d’Enoch. Il ne semble ni l’avoir lu, ni avoir su que le livre intitulé Enoch n’est pas généralement tenu pour divin dans les églises ; on pourrait cependant croire qu’il en a tiré l’affirmation : Il en est descendu à la fois soixante et soixante-dix qui se sont pervertis. Mais accordons-lui généreusement ce qu’il n’a pas découvert du livre de la Genèse : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et prirent pour femmes celles qu’ils avaient choisies entre toutes. » Néanmoins à ce sujet je persuaderai ceux qui sont capables de comprendre l’intention du prophète que, selon un de nos prédécesseurs, le passage concerne la doctrine des âmes qui se trouvaient désireuses de vivre dans un corps humain et que, selon lui, on appelle au figuré « filles des hommes ». Mais quoi qu’il en soit du passage sur les fils de Dieu qui désirèrent les filles des hommes, il ne fournit à Celse aucun appui pour soutenir que Jésus ne fut pas le seul à venir comme un ange auprès des hommes, lui qui manifestement est le Sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui se sont convertis du flot du vice. Puis, brouillant et confondant ce qu’il a appris on ne sait quand, dans on ne sait quel texte, que ce soit tenu ou non comme doctrine divine par les chrétiens, il dit que ceux qui sont descendus à la fois soixante ou soixante-dix ont été en punition enchaînés sous terre. Et il cite apparemment Enoch, mais sans le nommer : D’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes, ce que l’on ne dit ni n’entend dans les églises de Dieu. Car personne n’est assez stupide pour se représenter matériellement comme des larmes d’hommes les larmes des anges descendus du ciel. Et, s’il était permis de répondre par une plaisanterie au sérieux des objections de Celse contre nous, on pourrait dire : personne, parlant des sources chaudes, dont la plupart sont de l’eau douce, ne les appellerait des larmes d’anges, puisque les larmes sont naturellement salées ; à moins peut-être que les anges de Celse ne pleurent des larmes d’eau douce ! LIVRE V

Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V

Mais d’abord nos sages, Moïse le plus ancien et les prophètes après lui, savaient que le Souverain Bien est absolument ineffable. Et comme Dieu se manifeste à ceux qui en sont dignes et prêts à le recevoir, ils ont écrit qu’il apparut entre autres à Abraham, à Isaac, à Jacob. Mais avec quelle qualité, en quel état, de quelle manière, et auquel d’entre nous apparut-il ? Ils ont laissé ces questions à résoudre par ceux qui peuvent montrer eux-mêmes qu’ils sont semblables à ceux auxquels Dieu est apparu : Dieu qu’ils ont vu non par les yeux de leur corps mais par leur coeur pur ; car, selon notre Jésus, « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu ». LIVRE VI

Ensuite, dans son propos de vilipender les passages de nos Écritures relatifs au Royaume de Dieu, il n’en cite aucun, comme s’ils étaient indignes même d’une mention, ou peut-être parce qu’il n’en connaissait pas. Mais il cite des passages de Platon tirés des Lettres et du Phèdre; il les donne comme des paroles inspirées, tandis que nos Écritures n’auraient rien de tel. Prenons-en quelques exemples pour les comparer aux sentences de Platon qui ne manquent pas de puissance persuasive, mais n’ont pourtant pas disposé le philosophe à vivre d’une manière digne de lui dans la piété envers le Créateur de l’univers ; il n’aurait dû ni adultérer ni souiller cette piété par ce que nous nommons l’idolâtrie, ou d’un terme courant, par la superstition. Il est dit de Dieu, dans le psaume dix-septième : « Dieu a fait des ténèbres sa retraite. » Cette tournure hébraïque signifie que les idées de Dieu qui seraient dignes de lui restent secrètes et inconnaissables ; car il s’est comme voilé lui-même d’obscurité pour les esprits qui ne supportent pas l’éclat de sa connaissance, incapables de le voir, en raison soit de la souillure qui affecte l’intelligence liée au corps de misère des hommes, soit de sa trop faible capacité de comprendre Dieu. LIVRE VI

Dans nos discussions avec les Juifs aussi bien qu’entre nous, nous savons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, celui-là même que les Juifs adoraient autrefois et encore maintenant font profession d’adorer, et nous sommes purs de toute impiété à son égard. Nous ne disons pas non plus que Dieu ressuscitera les hommes d’entre les morts avec la même chair et le même sang, comme on l’a vu plus haut ; nous disons que ce qui a été semé « dans la corruption, dans l’abjection, dans la faiblesse corps psychique » ne ressuscite pas dans l’état où il a été semé. Mais j’en ai déjà convenablement traité plus haut. LIVRE VI

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de Moïse, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la doctrine de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette doctrine est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de Moïse, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en sacrifice expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que Moïse lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI

Voilà quelques réflexions que j’ai eu l’audace et la témérité de confier à cet écrit inutilement peut-être. Si on avait le loisir, en examinant les saintes Écritures, de réunir en un seul corps la doctrine partout éparse sur la malice, son origine, la manière dont elle est détruite, on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes sur Satan n’a été aperçue même en songe ni par Celse ni par aucun de ceux dont l’âme est précipitée par ce démon mauvais et emportée loin de Dieu et de sa notion droite et loin de son Logos. LIVRE VI

Pour persuader d’admettre cette affirmation quiconque désire suivre les conséquence des doctrines et en tirer profit, j’affirme que les divines Écritures présentent l’ensemble de l’Église de Dieu comme le Corps du Christ, animé par le Fils de Dieu, et que les croyants quels qu’ils soient sont les membres de ce corps considéré comme un tout. En effet, comme l’âme vivifie et meut le corps incapable naturellement de tirer de lui-même un mouvement vital, le Logos lui aussi, par les motions au bien et l’action qu’il imprime au corps entier, meut l’Église et chacun de ses membres qui ne fait rien indépendamment du Logos. Si donc il y a là, comme je pense, une logique non négligeable, quelle difficulté y a-t-il à dire que, en vertu de sa souveraine et insurpassable communion avec le Logos en personne, l’âme de Jésus ou en un mot Jésus n’est point séparé du Fils unique et Premier-né de toute créature et ne diffère plus de lui ? Voilà qui suffit sur la question. LIVRE VI

Ensuite, parce qu’il soupçonne ou peut-être comprend lui aussi ce qu’on peut dire pour justifier la destruction des hommes par le déluge, Celse objecte : S’il ne détruit pas ses propres enfants, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Je réponds : Dieu ne relègue pas absolument hors de l’ensemble du monde, qui est formé du ciel et de la terre, les victimes du déluge, mais il les retire de cette vie dans la chair : et en les délivrant de leur corps, il les délivre aussi en même temps de l’existence sur la terre, couramment appelée monde en bien des endroits des Écritures. C’est surtout dans l’Évangile selon Jean qu’on trouve souvent appelé monde ce lieu terrestre, comme dans ces passages : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde » ; « Dans le monde vous avez la tribulation ; mais ayez confiance, moi, j’ai vaincu le monde». » Si donc on entend l’expression reléguer hors du monde en la référant à ce lieu terrestre, il n’y a aucune absurdité à le dire. Mais si on nomme monde le système formé par le ciel et la terre, les victimes du déluge ne sont pas absolument reléguées hors du monde ainsi entendu. Toutefois, en considérant les versets : « Nous ne regardons pas à ce qu’on voit, mais à ce que l’on voit pas », « Ses oeuvres invisibles, en effet, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit », on pourrait dire : celui qui s’occupe des réalités invisibles, généralement nommées « ce qu’on ne perçoit pas », s’éloigne du monde, car le Logos le retire d’ici-bas et le transporte dans le lieu supracéleste pour en contempler les beautés. LIVRE VI

Ensuite, comme si l’affirmation de l’Écriture ou notre interprétation était que Dieu, fatigué, se reposa, il déclare : Il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue, ni qu’il travaille de ses mains, ni qu’il commande. Donc Celse déclare qu’il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue. Mais je dirais que ni le Logos de Dieu ne se fatigue, ni ceux qui sont déjà dans l’ordre supérieur et divin. Car il n’y a de fatigue que pour ceux qui sont dans un corps. On pourrait chercher s’il s’agit d’êtres ayant n’importe quel corps ou de ceux qui ont un corps terrestre et légèrement supérieur au nôtre. En outre, il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier travaille de ses mains ; et à prendre « travailler de ses mains » au sens propre, on ne peut l’entendre du Second, ni de tout autre être divin. Mais à supposer que l’expression « travailler de ses mains » soit prise au sens impropre ou figuré pour expliquer : « Le firmament annonce l’oeuvre de ses mains », « Ses mains ont affermi le ciel », et toute autre semblable où nous prenons au sens figuré les mains et les membres de Dieu, qu’y a-t-il d’absurde à dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains ? Et comme il n’est point absurde de dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains, il ne l’est pas davantage de dire qu’il commande afin que les oeuvres accomplies par celui à qui il commande soient belles et louables, parce que c’est Dieu qui les lui a commandées. LIVRE VI

Peut-être par une méprise sur le sens des mots : « Car la bouche du Seigneur a proféré ces paroles », ou peut-être à cause de l’interprétation téméraire donnée par les simples à de pareils textes, Celse n’a point saisi en quel sens on applique aux puissances de Dieu ce qu’expriment les noms des membres du corps, et il dit : Dieu n’a ni bouche ni voix. Il est vrai que Dieu n’aurait point de voix, si la voix n’était que de l’air en vibration ou un ébranlement d’air ou une espèce d’air ou toute autre réalité qu’attribuent à la voix les hommes compétents en la matière. Mais cette voix de Dieu est présentée comme une voix de Dieu vue par le peuple dans le passage : « Et tout le peuple voyait la voix de Dieu », le mot vision étant compris au sens spirituel selon l’usage constant de l’Écriture. Or il ajoute : En Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons; mais il ne précise pas ces choses que nous connaissons. S’agit-il de membres, nous sommes d’accord avec lui, en sous-entendant : des choses que nous connaissons corporellement, dans l’acception la plus commune des termes. Mais à prendre « les choses que nous connaissons » en général, nous connaissons beaucoup de ce qu’on lui attribue : sa vertu, sa béatitude, sa divinité. A prendre « les choses que nous connaissons » au sens le plus élevé, comme Dieu dépasse tout ce que nous connaissons, il n’y a rien d’absurde à admettre, nous aussi, qu’en Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons. Car les attributs de Dieu sont supérieurs à tout ce que connaît non seulement la nature de l’homme, mais encore celle des êtres qui la dépassent. Mais s’il avait lu les paroles des prophètes, de David : « Mais toi, tu es toujours le même », et de Malachie, je crois : « Je ne change jamais », il aurait vu qu’aucun d’entre nous ne dit qu’il y a du changement en Dieu, ni en action, ni en pensée. C’est en restant « le même » qu’il gouverne les choses qui changent, selon leur nature, et comme la raison elle-même exige qu’elles soient gouvernées. LIVRE VI

Celse n’a pas vu la différence qu’il y a entre les expressions «à l’image de Dieu » et «son image » : L’image de Dieu est « le premier-né de toute créature », le Logos en personne, la Vérité en personne, et encore la Sagesse en personne, « image de sa bonté »; tandis que l’homme a été créé « à l’image de Dieu », et en outre tout homme dont le Christ « est la tête » est image et gloire de Dieu. Il n’a même pas su en quelle partie de l’homme s’imprime un caractère « à l’image de Dieu » : c’est dans l’âme qui n’a pas eu ou qui n’a plus « le vieil homme avec ses agissements » et, du fait qu’elle ne les a point, possède la qualité d’être « à l’image » du Créateur. Il dit donc : Dieu n’a pas non plus fait l’homme à son image ; car il n’est pas tel que l’homme et il ne ressemble à aucune autre forme. Mais pourrait-on croire que, dans la partie inférieure du composé humain, je veux dire dans le corps, existe ce qui est « à l’image de Dieu » et que, comme Celse l’a compris, le corps soit « à son image » ? Car si ce qui est « à l’image de Dieu » est dans le corps seul, l’élément supérieur, l’âme, se trouve privé de ce qui est « à l’image » et qui se trouve dans le corps corruptible : nul d’entre nous ne le prétend. Mais si ce qui est « à l’image de Dieu » se trouve dans les deux ensemble, il est nécessaire que Dieu soit composé et pour ainsi dire constitué lui-même d’une âme et d’un corps, pour que l’élément supérieur qui est « à l’image » soit dans l’âme, et que l’inférieur correspondant au corps soit dans le corps : nul d’entre nous ne le prétend. Il reste donc à comprendre que ce qui est « à l’image de Dieu » se réalise dans ce que nous nommons l’homme intérieur, renouvelé, apte à devenir « à l’image du Créateur », quand l’homme devient « parfait comme le Père céleste est parfait » ; quand il entend : « Vous serez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint »; quand il apprend le commandement : « Soyez les imitateurs de Dieu » et qu’il reçoit dans son âme vertueuse les traits de Dieu. Alors aussi le corps de celui qui a reçu les traits de Dieu dans la partie qui est faite « à l’image de Dieu » est « un temple », puisqu’il possède une âme de cette qualité et dans l’âme, Dieu, à cause de l’élément « à son image ». LIVRE VI

Néanmoins, Celse nous attribue la réplique suivante, avouant faire une conjecture probable sur notre réponse: Parce que Dieu est grand et difficile à contempler, il a introduit son propre esprit dans un corps semblable au nôtre et l’a envoyé ici-bas pour que nous puissions l’entendre et recevoir ses leçons. Mais selon nous, le Dieu et Père de toutes choses n’est pas le seul à être grand : il a fait part de lui-même et de sa grandeur à son Fils unique, « Premier-né de toute créature », afin qu’étant lui-même « image du Dieu invisible» », il conservât l’image du Père, même en grandeur. Car il était impossible qu’une belle image, proportionnée pour ainsi dire au Dieu invisible, ne présentât aussi l’image de sa grandeur. LIVRE VI

De plus, selon nous, Dieu, n’étant pas un corps, est invisible. Mais par qui s’adonne à la contemplation il peut être contemplé avec le coeur, c’est-à-dire l’esprit, et non pas n’importe quel coeur, mais le coeur pur”. Car il n’est pas permis que le coeur souillé voie Dieu, mais il faut la pureté pour pouvoir dignement contempler Celui qui est pur. LIVRE VI

Accordons en outre que Dieu est difficile à contempler. Il n’est pas le seul à être difficile à contempler : son Fils l’est également. Car le Dieu Logos est difficile à contempler ; et aussi difficile à contempler, la sagesse dans laquelle Dieu a fait toutes choses. Qui en effet peut contempler dans chaque partie de l’univers la sagesse dans laquelle Dieu a fait même chaque partie de l’univers ? Ce n’est donc point parce qu’il est difficile à contempler que Dieu a envoyé son Fils qui serait facile à contempler. C’est pour ne point l’avoir compris que Celse nous fait dire : Parce qu’il est difficile à contempler, il a introduit son propre esprit dans un corps semblable au nôtre et l’a envoyé ici-bas pour que nous puissions l’entendre et recevoir ses leçons. Mais, comme on l’a montré, le Fils aussi est difficile à contempler, étant donné qu’il est le Dieu Logos par qui tout a été fait, « lui qui a habité parmi nous ». LIVRE VI

Si Celse avait compris ce que nous disons sur l’Esprit de Dieu, et que « ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu », il ne nous aurait point attribué la déclaration : Dieu a introduit son propre esprit dans un corps et l’a envoyé ici-bas. Dieu, en effet, communique sans cesse à qui est capable de le recevoir son propre Esprit qui, du reste, habite dans ceux qui en sont dignes, sans subir de coupure ou de division. Car l’Esprit, d’après nous, n’est pas un corps, pas plus que n’est un corps ce feu qui désigne Dieu d’après le texte : « Notre Dieu est un feu dévorant. » Ce sont là autant d’expressions figurées pour désigner la nature intelligible par des termes habituellement appliqués aux corps. LIVRE VI

Dire que les péchés sont bois, herbe ou chaume ne veut pas dire que les péchés soient des corps, et dire que les bonnes actions sont or, argent, pierres précieuses ne veut pas déclarer que les bonnes actions soient des corps ; ainsi, la parole : « Dieu est un feu qui dévore le bois, l’herbe, le chaume » et toute réalité de péché, ne veut pas faire penser que Dieu soit un corps. Et comme le dire « feu » n’est pas comprendre qu’il soit un corps, de même dire que Dieu est esprit ne veut pas dire qu’il soit un corps. C’est pour les opposer aux choses sensibles que l’Écriture a coutume de nommer esprits et spirituelles les réalités intelligibles. Par exemple, quand Paul dit : « Mais notre qualité vient de Dieu, qui nous a qualifiés pour être ministres d’une alliance nouvelle, non de la lettre mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais l’esprit vivifie », il a nommé l’interprétation sensible des divines Écritures « la lettre », et « l’esprit » l’interprétation intelligible. LIVRE VI

Celse n’a donc pas compris la doctrine sur l’Esprit de Dieu ; « l’homme psychique, en effet, n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu : c’est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c’est par l’Esprit qu’on en juge. » C’est pourquoi il tire cette conclusion gratuite que, en disant que Dieu est esprit nous n’avons sur ce point aucune différence avec les Stoïciens parmi les Grecs, qui affirment que Dieu est un esprit pénétrant tout et contenant tout en lui-même. Car la surveillance et la providence de Dieu s’étendent bien à tout, mais non pas comme l’esprit des Stoïciens. La providence contient tout ce à quoi elle pourvoit et elle le comprend, non pas à la manière d’un corps qui contient son contenu quand il est aussi un corps, mais comme une puissance divine qui comprend ce qu’elle contient. LIVRE VI

Les philosophes du Portique disent que les principes premiers sont corporels et, pour cette raison, jugent tout périssable ; ils risqueraient même de rendre périssable le Dieu suprême, si cette conclusion ne leur paraissait trop absurde ; à les en croire, même le Logos de Dieu descendant jusqu’aux hommes et aux moindres choses n’est rien d’autre qu’un esprit corporel. Mais pour nous, qui prenons à tâche de démontrer que l’âme raisonnable est supérieure à toute nature corporelle, qu’elle est une réalité invisible et incorporelle, le Logos Dieu ne peut être un corps : lui par qui tout a été fait et qui est venu, pour que tout fût fait par le Logos, non seulement les hommes mais les êtres tenus pour les moindres et régis par la nature. Libre donc aux gens du Portique de tout vouer à l’embrasement ! Nous savons, nous, qu’aucune réalité incorporelle n’est vouée à l’embrasement et que ne peuvent se dissoudre en feu ni l’âme de l’homme, ni la substance des anges, trônes, dominations, principautés, puissances. LIVRE VI

C’est donc par ignorance de la doctrine sur l’Esprit de Dieu que Celse fait cette remarque vaine : Puisque le Fils est un esprit venu de Dieu né dans un corps humain, le Fils de Dieu lui-même ne peut être immortel. LIVRE VI

Puis de nouveau il nous prête cette explication : Il est nécessaire que Dieu ait aspiré son esprit. De là suit l’impossibilité pour Jésus de ressusciter avec son corps, car Dieu n’aurait pu reprendre l’esprit qu’il a donné, une fois qu’il a été souillé par la nature du corps. Il y aurait donc sottise de notre part à répondre aux paroles qu’on nous attribue gratuitement. LIVRE VI

Et puis il se répète : à propos d’un Dieu naissant d’une vierge il a multiplié plus haut ses railleries, auxquelles j’ai répondu de mon mieux; il ajoute : Si Dieu voulait faire descendre de lui un esprit, quel besoin de l’insuffler dans le sein d’une femme ? Il savait déjà façonner des hommes, il aurait pu former pour cet esprit un corps sans jeter son propre esprit dans un pareil cloaque. Ainsi, engendré directement d’en haut, n’aurait-il pas trouvé d’incrédules. Il dit cela n’ayant pas compris que ce corps qui devait servir au salut des hommes aurait une naissance virginale et pure, exempte de toute corruption. Lui qui cite les doctrines des Stoïciens, affectant d’ignorer leur thèse sur les choses indifférentes, il croit que la nature divine est jetée dans un cloaque, qu’elle est souillée pour avoir résidé dans un corps de femme jusqu’à la formation d’un corps personnel ou pour avoir assumé un corps. Autant dire que les rayons du soleil sont souillés dans les bourbiers et les corps nauséabonds et n’y gardent pas leur pureté. LIVRE VI

A suivre l’hypothèse de Celse, même si le corps avait été formé pour Jésus sans qu’il ait eu de naissance, à le voir on n’eût pas pensé qu’il n’avait pas eu de naissance ; car l’aspect d’une chose ne révèle pas la nature de son origine. Ainsi, à supposer qu’un miel ne soit pas produit par des abeilles, personne ne pourrait dire, à le goûter ou à le voir, qu’il ne vient pas des abeilles. De même, celui qui vient des abeilles ne révèle pas son origine à la perception : seule l’expérience montre qu’il vient des abeilles. C’est elle encore qui enseigne que le vin provient de la vigne, le goût n’indique pas qu’il provient de la vigne. LIVRE VI

De la même manière donc, le corps sensible ne révèle pas la manière dont il vient à l’existence. On peut ajouter l’exemple des corps célestes : en les regardant nous percevons leur existence et leur splendeur ; mais sans doute la perception ne nous suggère pas s’ils sont créés ou incréés. Du moins la question divise-t-elle les écoles, et ceux-là mêmes qui disent qu’ils sont créés ne s’accordent pas sur le comment de leur création, car même si la raison nous force à reconnaître qu’ils sont créés, leur perception ne suggère pas la manière dont s’est faite leur création. LIVRE VI

Il dit ensuite : Puisque l’esprit divin était un corps, du moins eut-il fallu que celui-ci surpassât tous les autres par la taille ou la beauté ou la force ou la voix ou la majesté ou l’éloquence. Car il est impossible qu’un corps plus divin que les autres ne l’emporte en rien sur un autre. Or celui-ci ne l’emportait en rien sur un autre, mais, dit-on, était petit, laid, vulgaire. Il semble bien là encore que quand il veut accuser Jésus, comme s’il croyait aux Écritures qui lui semblent fournir matière à ses griefs, il en cite des passages ; mais là où l’on verrait dans les mêmes Écritures des textes contraires à ceux qu’il tourne en accusation, il affecte de ne même pas les connaître. LIVRE VI

Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « Moïse et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI

De nouveau, quand il dit : Puisque l’esprit divin était dans un corps, du moins eut-il fallu que celui-ci surpassât tous les autres par la taille ou la beauté ou la force ou la voix ou la majesté ou l’éloquence, comment ne voit-il pas que la supériorité de son corps était proportionnée à la capacité de ceux qui le voyaient, et pour cette raison apparaissait sous la forme utile que demandait chaque vision individuelle ? Il n’est pas étonnant que la matière, qui par nature est susceptible d’être altérée, changée et transformée en tout ce que veut le Créateur, et capable de recevoir toute qualité au gré de l’Artisan, fût tantôt dans l’état dont il est dit : « Il n’avait ni forme ni beauté », tantôt si glorieuse, stupéfiante et admirable qu’au spectacle de son éclatante beauté elle fît tomber face contre terre les trois apôtres qui avaient accompagné Jésus. LIVRE VI

Celse continue en ces termes : Il y a plus. Si Dieu, comme le Zeus de la comédie qui se réveille d’un long sommeil, voulait délivrer le genre humain de ses maux, pourquoi envoya-t-il cet esprit que vous dites dans un seul coin de terre? Il aurait fallu insuffler de la même manière un grand nombre de corps et les envoyer par toute la terre. Le poêle comique, pour provoquer le rire au théâtre, écrit que Zeus à son réveil envoya Hermès aux Athéniens et aux Lacédémoniens. Et toi, ne crois-tu pas que le Fils de Dieu envoyé aux Juifs est une fiction plus dérisoire ? Vois donc là encore le manque de sérieux de Celse, qui, d’une façon indigne d’un philosophe, évoque la bouffonnerie du poète comique et compare notre Dieu, le Créateur de l’univers, au personnage de sa pièce qui à son réveil envoie Hermès. LIVRE VI

En outre la venue de Jésus, apparemment dans un seul coin de terre, avait ses raisons : il fallait que celui qui fut prophétisé vînt à ceux qui ont appris qu’il y a un seul Dieu, qui lisent ses prophètes et apprennent l’annonce du Christ et qu’il vînt au moment opportun où la doctrine allait d’un seul coin se répandre sur toute la terre. Et c’est pourquoi il n’était pas besoin qu’il existât partout un grand nombre de corps et un grand nombre d’esprits tels que Jésus, pour que toute la terre des hommes fût illuminée par le Logos de Dieu. Il suffisait que le Logos unique « levé comme un soleil de justice », envoyât de la Judée ses rayons jusqu’aux âmes de ceux qui veulent l’accueillir Désire-t-on voir un grand nombre de corps remplis de l’esprit divin, à l’imitation de ce Christ unique, se dévouer en tous lieux au salut des hommes ? Que l’on considère ceux qui en tous lieux vivent dans la pureté et la droiture enseignent la doctrine de Jésus, et sont eux aussi appelés « christs » par les divines Écritures : « Ne touchez pas à mes christs, ne faites point de mal à mes prophètes ! » LIVRE VI

En effet, comme nous avons appris que « l’Antéchrist vient », et néanmoins savons qu’il y a dans le monde « un grand nombre d’antéchrists », de la même manière nous savons que le Christ est venu et nous voyons aussi que par lui il y a dans le monde un grand nombre de christs qui, à son exemple, ont « aimé la justice et haï l’injustice ». Voilà pourquoi Dieu, le Dieu du Christ, leur a donné à eux aussi « l’onction d’une huile d’allégresse4 ». Mais lui-même « a aimé la justice et haï l’iniquité » plus que ceux qui ont part avec lui : il a reçu les prémices de l’onction et, si j’ose dire, dans sa plénitude l’onction de l’huile d’allégresse ; et ceux qui ont part avec lui, chacun à sa mesure, ont participé de même à son onction. Voilà pourquoi, le Christ étant « tête de l’Église », au point que le Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps, « l’huile précieuse, répandue sur la tête » est descendue « sur la barbe d’Aaron », type de l’homme parfait, et cette huile est parvenue en descendant «jusqu’à la bordure de sa robe ». LIVRE VI

Voilà ce que j’avais à dire contre le propos inconvenant de Celse : Il aurait fallu qu’il insufflât de la même manière un grand nombre de corps et les envoyât par toute la terre. Le poète comique, donc, fait rire en représentant Zeus endormi qui à son réveil envoie Hermès aux Grecs. Mais que le Logos, qui sait que la nature de Dieu n’est pas sujette au sommeil, nous enseigne que Dieu administre les affaires du monde à tout moment, comme l’exige la droite raison ! Rien d’étonnant si, dans la profondeur inscrutable des jugements de Dieu, les âmes sans instruction s’égarent, et Celse avec elles. Il n’y a donc rien de dérisoire à ce que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs chez qui avaient vécu les prophètes, afin que, partant de là corporellement, il se levât avec sa puissance et son esprit sur le monde des âmes qui ne voulait plus rester vide de Dieu. LIVRE VI

Aussi démontrons-nous, en réunissant les textes des Écritures sacrées, que les prophètes juifs, illuminés par l’Esprit divin autant qu’il leur était utile quand ils prophétisaient, étaient les premiers à jouir de la venue en eux de l’Esprit d’en haut. Le contact, pour ainsi dire, de ce qu’on appelle l’Esprit Saint avec leur âme rendait leur intelligence plus perspicace, leur âme plus limpide ; et même leur corps qui, étant mort au désir de la chair, n’offrait plus d’obstacle à la vie vertueuse. LIVRE VI

Car selon notre foi, l’Esprit divin fait mourir les pratiques du corps et les inimitiés qui ont leur origine dans le désir de la chair, ennemi de Dieu. LIVRE VI

Si la Pythie est hors d’elle-même et sans conscience lorsqu’elle rend des oracles, quelle nature faut-il attribuer à l’esprit qui répand la nuit sur son intelligence et ses pensées ? N’est-ce pas ce genre de démons que beaucoup de chrétiens chassent des malades à l’aide non point d’un procédé magique, incantatoire ou médical, mais par la seule prière, de simples adjurations et des paroles à la portée de l’homme le plus simple ? Car ce sont généralement des gens simples qui l’opèrent. La grâce contenue dans la parole du Christ a prouvé la faiblesse et l’impuissance des démons : pour qu’ils soient vaincus et se retirent sans résistance de l’âme et du corps de l’homme, il n’est pas besoin d’un savant capable de fournir des démonstrations rationnelles de la foi. LIVRE VI

Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI

Pourquoi serait-ce là des choses très abominables et très impures, comme le dit Celse ? Cependant il semblera enseigner comment les souffrances qu’il a endurées étaient très abominables et très impures quand il dit : Pour un Dieu se nourrir de chair de brebis, boire du fiel ou du vinaigre, était-ce autre chose que de manger des excréments ? Mais d’après nous, Dieu n’a pas mangé de la chair de brebis ; quand il semble qu’il mangeait, c’était Jésus qui mangeait parce qu’il avait un corps. Par ailleurs, sur le fiel et le vinaigre prédits par le prophète : « Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif ils m’ont fait boire du vinaigre », bien qu’on en ait parlé plus haut, Celse me contraint aux redites. Ceux qui conspirent contre l’Évangile de la vérité présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leur malice et le vinaigre de leur perversité ; et lui, « après avoir goûté, refuse d’en boire ». LIVRE VI

Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI

Après cela, ayant cité plusieurs affirmations sur Dieu, qu’il présente comme tenues par nous alors qu’elles ne le sont point, par exemple que Dieu serait un corps, par nature, et un corps à forme humaine, Celse entend réfuter ce que nous n’avons pas affirmé. Il serait superflu de le rapporter ou de le réfuter. Si nous disions de Dieu ce qu’il nous attribue et contre quoi il s’élève, nous aurions le devoir de citer ses affirmations, de prouver nos thèses et de détruire les siennes. Mais s’il débite des propos qu’il n’a entendus de personne, ou qui viennent, si jamais il les a entendus, de gens simples, naïfs et ignorant le sens de l’Écriture, on n’a point à s’attarder à une tâche inutile. Car les Écritures disent clairement que Dieu est incorporel. Aussi, « personne n’a jamais vu Dieu », et « le Premier-né de toute créature » est présenté comme « l’Image du Dieu invisible », autrement dit, incorporel. LIVRE VI

Celse n’a pas compris notre doctrine de la résurrection, doctrine riche, difficile à exposer, requérant plus qu’aucune autre un interprète fort avancé pour montrer combien cette doctrine est digne de Dieu et sublime : d’après elle, il y a une raison séminale dans ce que l’Écriture appelle la tente de l’âme, dans laquelle les justes gémissent accablés ; et ils voudraient non « s’en dévêtir, mais revêtir par-dessus un autre vêtement ». Celse, parce qu’il en a entendu parler par des gens simples, incapables de l’étayer d’aucune raison, tourne en dérision ce qu’on affirme. Il sera utile d’ajouter à ce que j’en ai dit plus haut cette simple observation sur la doctrine : ce n’est pas, comme le croit Celse, pour avoir compris de travers la doctrine de la métensomatose que nous parlons de résurrection; c’est parce que nous savons que l’âme, qui par sa propre nature est incorporelle et invisible, a besoin, lorsqu’elle se trouve dans un lieu corporel quelconque, d’un corps approprié par sa nature à ce lieu. Ce corps, elle le porte d’abord après avoir quitté le vêtement autrefois nécessaire, mais superflu pour un second état, ensuite après l’avoir revêtu au-dessus de celui qu’elle avait d’abord, parce qu’elle a besoin d’un vêtement meilleur pour parvenir aux régions plus pures, éthérées et célestes. Elle a quitté, en naissant au monde, le placenta qui était utile à sa formation dans le sein de sa mère tant qu’elle y était ; elle a revêtu sous lui ce qui était nécessaire à un être qui allait vivre sur terre. LIVRE VI

Croyant que nous enseignons le mystère de la résurrection pour connaître et voir Dieu, il invente des griefs à plaisir : Pressés de toutes parts et confondus, comme s’ils n’avaient rien compris ils ne cessent de revenir à la même question : comment donc connaître et voir Dieu? Comment aller à lui ? Qu’on le sache donc si on le désire : pour d’autres fonctions, on a besoin d’un corps, parce qu’on se trouve dans un lieu matériel, et d’un corps approprié à la nature du lieu matériel ; ayant besoin du corps, on revêt par-dessus la tente les qualités dont on a parlé. Mais pour connaître Dieu, il n’est nul besoin du corps. La connaissance de Dieu ne dépend pas de l’oeil du corps, mais de l’esprit : celui-ci voit ce qui est à l’image du Créateur et il a reçu de la providence de Dieu le pouvoir de connaître Dieu. Et ce qui voit Dieu, c’est le coeur pur d’où ne proviennent plus pensées perverses, ni meurtres, ni adultères, ni fornications, ni vols, ni faux témoignages, ni diffamations ni regard mauvais, ni aucune autre inconvenance». Aussi est-il dit : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » Et comme notre libre détermination n’est pas suffisante pour nous donner un coeur entièrement pur, mais que nous avons besoin de Dieu qui le crée tel, pour cette raison l’homme qui prie avec l’intelligence dit : « Dieu, crée en moi un coeur pur. » LIVRE VI

Jamais non plus on ne poserait la question, comme si Dieu était dans un lieu : comment aller à lui ? Car Dieu est supérieur à tout lieu et contient tout ce qui peut être, et il n’est rien qui contienne Dieu. Ce n’est point d’aller à Dieu corporellement que nous ordonne le précepte : « Marche à la suite du Seigneur ton Dieu » ; ce n’est pas corporellement que le prophète veut adhérer à Dieu, quand il dit, dans la prière : « Mon âme adhère à toi. » Celse nous calomnie donc en disant que nous espérons voir Dieu des yeux de notre corps, entendre sa voix de nos oreilles, le toucher de nos mains sensibles. Nous savons au contraire que les divines Écritures emploient des termes homonymes pour des yeux autres que les yeux du corps, de même que pour les oreilles ou les mains ; et, ce qui est plus remarquable, pour un sens divin et d’un autre ordre que le sens désigné communément par ce mot. Car lorsque le prophète dit : « Ouvre mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi » ; « Le commandement du Seigneur est plein de lumière, il illumine mes yeux » ; « Illumine mes yeux afin que je ne m’endorme pas dans la mort », personne n’est assez stupide pour penser que les yeux du corps comprennent les merveilles de la loi divine, ou que le commandement du Seigneur illumine les yeux du corps, ou qu’il puisse leur survenir un sommeil qui cause la mort. LIVRE VI

Après ces attaques auxquelles j’ai répondu de mon mieux, Celse reprend : Mais ils demanderont encore : Comment connaîtront-ils Dieu s’ils ne l’atteignent par les sens ? Que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Puis il répond lui-même : Ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. Qu’ils écoutent pourtant, si du moins est capable d’entendre quelque chose celle engeance pusillanime et attachée au corps. Quand, après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. El si vous cherchez un guide pour celle voie, vous devez fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes, afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal en les traitant de fantômes des autres dieux rendus visibles, tandis que vous adorez un homme plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme mais en réalité un mort, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI

En disant que le Dieu de l’univers est esprit, ou qu’il est au delà de l’esprit et de l’essence, simple, invisible, incorporel, nous affirmons que Dieu n’est pas compris par un autre que par celui qui a été créé à l’image de cet esprit ; maintenant, pour employer l’expression de Paul, « dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors, face à face. » Si je dis « face », qu’on ne vienne point, à cause du terme, critiquer le sens qu’il comporte. Mais cette phrase : « Le visage découvert, nous réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image de plus en plus resplendissante », doit nous apprendre qu’il n’est point question ici d’une face perceptible aux sens, mais entendue au figuré, comme quand il s’agit des yeux, des oreilles et, on l’a montré plus haut, de tout ce qui porte le même nom que les organes du corps. LIVRE VI

L’homme, donc, c’est-à-dire l’âme usant d’un corps, appelée « l’homme intérieur », et aussi « l’âme », ne va pas répondre ce qu’écrit Celse, mais ce qu’enseigne l’homme de Dieu. Le chrétien ne saurait tenir un propos de la chair ; il a appris à mortifier « par l’Esprit les actions du corps », et à porter « toujours dans son corps la mort de Jésus », et il a reçu cet ordre : « Mortifiez vos membres terrestres ». Il connaît le sens de la parole : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils sont chair », il sait que « ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », il fait tout pour n’être plus aucunement dans la chair mais seulement dans l’esprit. LIVRE VI

Voyons maintenant à quoi il nous invite, pour que nous entendions de lui la manière dont nous connaîtrons Dieu ; bien que, pense-t-il, aucun des chrétiens ne soit capable d’entendre ses paroles, car il dit : Qu’ils écoutent pourtant, si du moins ils sont capables d’entendre quelque chose. Voyons donc quelles paroles veut nous faire entendre de lui ce philosophe. Il devait nous enseigner, et il nous injurie. Il devait témoigner de la bienveillance pour ceux qui l’écoutent, au début de son argumentation, et il traite d’engeance pusillanime ceux qui affrontent jusqu’à la mort pour ne point abjurer, même d’un mot, le christianisme, et qui sont prêts à tout mauvais traitement et à tout genre de mort. Il nous traite de race attachée au corps, nous qui affirmons : « Même si autrefois nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent », et qui sommes plus prompts à nous défaire du corps pour la religion qu’un philosophe à quitter son manteau. LIVRE VI

Il se manifeste à ceux à qui il juge raisonnable d’apparaître dans la mesure où il est naturellement possible à Dieu d’être connu de l’homme et à l’âme humaine toujours dans le corps de connaître Dieu. LIVRE VI

Nous affirmons donc que voir l’auteur et le père de l’univers est laborieux. On le voit cependant, de la manière qu’indiqué non seulement la promesse : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu », mais aussi la déclaration de Celui qui est l’« Image du Dieu invisible » : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé. » En effet, nul homme sensé ne dira que Jésus a dit : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » en rapportant ces mots à son corps sensible et visible aux hommes. Sinon, ils auraient aussi vu Dieu le Père tous ceux qui disaient : « Crucifie-le, crucifie-le ! » ainsi que Pilate qui avait reçu le pouvoir sur la nature humaine de Jésus : ce qui est absurde. Que la parole : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » ne doive pas être prise dans son acception ordinaire, la preuve en est dans celle qui est dite à Philippe : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, Philippe, tu ne me connais pas ? » c’était une réponse à la demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » Donc, quand on a compris qu’il faut entendre ces paroles du Dieu monogène Fils de Dieu, le Premier-né de toute créature, en tant que le Logos s’est fait chair, on saura comment, voyant l’Image du Dieu invisibles, on connaîtra le père et l’auteur de cet univers. LIVRE VI

Ces réflexions s’adressent aux intelligents. Si vous en comprenez quelque chose vous aussi, c’est tant mieux pour vous. Et si vous croyez qu’un esprit descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela; en vérité, c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Si vous ne pouvez les entendre, taisez-vous, cachez votre ignorance, ne traitez pas d’aveugles ceux qui voient, de boiteux ceux qui courent, quand c’est vous-mêmes qui êtes boiteux et mutilés dans l’âme, et ne vivez que pour le corps, c’est-à-dire une chose morte ». LIVRE VI

Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI

On peut donc voir comment ceux qui « se flattent d’être sages » ont donné des exemples d’une grande folie. Après avoir discuté ces belles doctrines sur Dieu et les intelligibles, « ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». Aussi, abandonnés par la Providence pour leur vie indigne des vérités que Dieu leur avait manifestées, ils se vautrent dans les convoitises de leur coeur qui les poussent à l’impureté, et avilissent leurs corps dans toutes les turpitudes d’une vie licencieuse ; tout cela, pour avoir échangé « la vérité divine contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur. » LIVRE VI

Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI

Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI

Faut-il une comparaison entre les temples pour convaincre les partisans de Celse que nous ne refusons pas d’édifier des temples répondant aux autels et aux statues dont on vient de parler, mais que nous répugnons à construire pour l’auteur de toute vie des temples inanimés et morts ? Il suffira de faire entendre à qui le veut l’instruction qu’on nous donne : nos corps sont le temple de Dieu, et si quelqu’un par la licence ou le péché « détruit le temple de Dieu », il sera détruit comme véritablement impie à l’égard du temple véritable. Mais de tous ces temples, le meilleur et le plus excellent était le corps saint et pur de notre Sauveur Jésus. Lui, sachant les manoeuvres dont les impies étaient capables contre le temple de Dieu qui se trouvait en lui, sans toutefois que le dessein de leurs auteurs pût prévaloir sur la divinité qui habitait ce temple, dit à leur adresse : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai. Mais il parlait du temple de son corps. » LIVRE VIII

On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII

Il y aurait maintenant beaucoup à dire sur la raison pour laquelle la loi de Dieu prescrit, aux jours de fête, de manger « le pain de la misère » ou « des azymes avec des herbes amères », et pourquoi elle dit : « Humiliez vos âmes » ou d’autres formules semblables. C’est que l’homme étant composé, il ne lui est pas possible, tant que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair », d’être tout entier à la célébration de la fête : ou on célèbre la fête par l’esprit en affligeant le corps incapable, à cause « du désir de la chair », de la célébrer avec l’esprit ; ou on la célèbre selon la chair en ne faisant plus de place à la fête selon l’esprit. Mais en voilà assez pour l’instant au sujet des fêtes. LIVRE VIII

En effet, l’idolothyte est offerte aux démons et il ne faut pas que l’homme de Dieu participe à la table des démons. Les viandes étouffées, parce que le sang n’en est point séparé et qu’on le présente comme la nourriture des démons qui se repaissent de ses exhalaisons, l’Écriture les interdit, ne voulant pas que nous ayons la même nourriture que les démons ; car peut-être, si nous prenions des viandes étouffées, certains d’entre eux s’en nourriraient en même temps que nous. Et ce qui vient d’être dit des viandes étouffées peut montrer clairement pourquoi on s’abstient du sang. De plus, il ne serait pas pour moi hors de propos de mentionner la très belle maxime que lisent d’ailleurs la plupart des chrétiens dans les Maximes de Sextus : « Manger la chair des animaux est chose indifférente ; s’en abstenir est plus raisonnable. » Ce n’est donc pas simplement par respect d’une tradition que nous nous abstenons de ce qu’on suppose avoir été des victimes sacrifiées aux prétendus dieux, héros ou démons, mais pour bien des raisons dont je viens de rapporter quelques-unes. En outre, s’il faut s’abstenir de toute chair animale, ce n’est point à la manière dont on s’abstient du péché et de ses conséquences. Il faut s’abstenir non seulement de chair animale, mais encore de toute autre nourriture si son usage implique le péché et ses conséquences ; car il faut s’abstenir de manger par gloutonnerie, ou d’y être amené par l’attrait du plaisir en faisant abstraction de la santé du corps et du soin à lui donner. LIVRE VIII

Cependant nous n’admettons absolument pas la métensomatose de l’âme ni sa chute dans des animaux sans raison et, si nous nous abstenons parfois de la chair d’animaux, ce n’est évidemment pas pour le même motif que Pythagore que nous nous en priverons. Car nous savons honorer la seule âme raisonnable et confier avec honneur ses organes à une sépulture honorable suivant les coutumes établies. En effet, l’habitation de l’âme raisonnable mérite de ne pas être rejetée sans honneur et au hasard comme celle des êtres sans raison ; et surtout quand les chrétiens croient que l’honneur rendu au corps où l’âme raisonnable a habité rejaillit jusqu’à la personne dotée d’une âme qui par cet organe a mené le bon combat. Mais « comment les morts ressusciteront-ils, et avec quel corps viendront-ils », je l’ai brièvement expliqué ci-dessus comme le sujet le demandait. LIVRE VIII

Autant qu’il est possible à la nature humaine, qu’il se représente la décision divine concernant le départ en masse hors de leurs corps d’une foule d’âmes empruntant des chemins vers la mort, laquelle est chose indifférente. Et en effet, « grandes sont les décisions de Dieu » et cette grandeur les rend insaisissables pour une intelligence qui reste enchaînée à un corps mortel ; et c’est pourquoi « elles sont difficiles à expliquer », et pour les âmes sans instruction, absolument hors de portée. Aussi les téméraires, dans leur ignorance à ce sujet et dans leur révolte contre Dieu que provoque leur témérité, multiplient les doctrines impies contre la Providence. LIVRE VIII

Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII

Après cela, croyant que nous appelons Dieu le corps de Jésus torturé et crucifié et non la divinité qui est en lui, et que nous l’avons regardé comme Dieu quand il était torturé et crucifié, il dit : Ton Dieu, on l’a torturé et crucifié en personne et les auteurs de ce forfait n’ont rien souffert. Gomme j’ai longuement parlé plus haut de ce qu’il a souffert dans son humanité, j’omets d’en parler ici à dessein pour ne point paraître me répéter. Puisqu’il ajoute que ceux qui ont torturé Jésus n’ont rien eu à souffrir, pas même dans la suite de leur vie, voici ce que je lui montrerai ainsi qu’à qui veut l’apprendre : la ville dans laquelle le peuple juif a condamné Jésus à être crucifié en criant : « Crucifie, crucifie-le !» – car ils préférèrent que fût délivré ce brigand jeté en prison pour sédition et meurtre et que Jésus qu’on avait livré par envie fût crucifié – cette ville peu de temps après fut attaquée et subit un si long siège qu’elle fut ruinée de fond en comble et dévastée, Dieu jugeant indignes d’avoir part à la vie en communauté ceux qui habitaient ces lieux. Et même il les épargnait, si j’ose employer cette expression étrange, lorsque, les voyant incapables d’une guérison salutaire et destinés à croître de jour en jour dans le flot de leur malice, il les livra à leurs ennemis. Et cela est arrivé à cause du sang de Jésus qui a été répandu par leur complot sur leur terre désormais incapable de supporter ceux qui avaient osé ce forfait contre Jésus. LIVRE VIII

Puis après cela, reprenant son attaque contre ceux qui blasphèment les statues, Celse dit : Mais ces dieux que tu blasphèmes, on pourrait dire qu’ils le veulent aussi et que pour ce motif ils supportent les blasphèmes ! Car la meilleure comparaison ne porte que sur des choses égales. Nos dieux, du moins, se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à mort. Or les démons croient se venger des chrétiens non parce que ceux-ci blasphèment contre eux, mais parce qu’ils les chassent des statues et des corps et des âmes d’êtres humains. Celse a dit, sans la comprendre, une chose vraie sur ce point : car il est vrai que les démons pervers remplissent les âmes de ceux qui condamnent et livrent les chrétiens et de ceux qui prennent plaisir à leur faire la guerre. LIVRE VIII

Cependant, puisque les âmes de ceux qui meurent pour le christianisme, glorieusement libérées de leur corps pour la religion, détruisaient la puissance des démons et faisaient échouer leur complot contre les hommes, pour cette raison, je pense, les démons, reconnaissant par expérience leur défaite et la victoire des témoins de la vérité, ont craint de revenir se venger, et ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient oublié les peines qu’ils ont souffertes, le monde sera probablement en paix avec les chrétiens. Mais quand ils rassembleront leur puissance et voudront, dans leur méchanceté aveugle, se venger encore des chrétiens et les persécuter, ils subiront encore la défaite ; et alors encore les âmes des fidèles pieux, qui pour leur religion se défont de leur corps, détruiront l’armée du Malin. LIVRE VIII

Voyons encore les paroles que Celse nous adresse ensuite : De plus, n’est-ce point de votre part une conduite absurde : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce même corps ressuscitera, comme s’il n’y avait pour vous rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux supplices comme une chose méprisable. Mais avec des hommes imbus de telles opinions et rivés au corps, celte discussion ne vaut pas la peine: ce sont des gens par ailleurs grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais bien sûr, je discuterai avec ceux qui espèrent l’éternité près de Dieu pour leur âme ou leur intelligence, qu’ils veuillent l’appeler principe spirituel, esprit intelligent, saint et bienheureux, âme vivante, rejeton céleste et incorruptible de la nature divine et incorporelle, ou de quelque nom qu’il leur plaise de lui donner. Ils ont au moins celte opinion droite que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. C’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII

Sur la résurrection, souvent déjà il nous a fait des reproches ; j’ai établi aussi bien que possible ce qui me semble raisonnable sur la question ; je ne vais pas indéfiniment répondre à un grief indéfiniment ressassé. Mais Celse nous calomnie en nous prêtant la pensée que dans notre constitution il n’y a rien de meilleur ni de plus précieux que le corps. Car nous disons que l’âme, et principalement l’âme raisonnable est plus précieuse que tout corps, puisque c’est l’âme qui contient ce qui est « à l’image du Créateur », et nullement le corps. Car selon nous Dieu n’est pas un corps ; nous refusons les erreurs absurdes où tombent les adeptes de la philosophie de Zénon et de Chrysippe. LIVRE VIII

Puisqu’il nous reproche de désirer le corps, qu’il sache bien que si le désir est mauvais, nous ne désirons rien, mais s’il est indifférent, nous désirons tous les biens que Dieu a promis aux justes. Ainsi donc nous désirons et espérons la résurrection des justes. Celse croit que nous avons une attitude contradictoire, en espérant d’une part la résurrection du corps comme s’il était digne d’honneur près de Dieu, en l’exposant d’autre part aux supplices comme une chose méprisable. Mais le corps qui souffre pour la religion et choisit les tribulations pour la vertu n’est aucunement méprisable ; ce qui est entièrement méprisable, c’est le corps qui s’est consumé dans les plaisirs coupables. Du moins la divine Écriture déclare-t-elle : « Quelle race est digne d’honneur ? La race de l’homme. Quelle race est digne de mépris ? La race de l’homme. » Ensuite Celse pense qu’on doit refuser de discuter avec ceux qui espèrent une récompense pour le corps, comme s’ils étaient déraisonnablement rivés à un objet inapte à obtenir ce qu’ils espèrent. Il les qualifie de gens grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais s’il aimait les hommes, il devrait venir en aide même à des gens grossiers. La sociabilité n’exclut pas les gens grossiers comme elle exclut les animaux sans raison. Au contraire, notre Créateur nous a également créés sociables envers tous les hommes. Il vaut donc la peine de discuter même avec des gens grossiers pour les amener autant que possible à une vie plus civilisée, avec des gens impurs pour les rendre plus purs autant que possible, avec ceux qui, sans raison aucune, pensent n’importe quoi et dont l’âme est malade, pour qu’ils ne fassent plus rien de contraire à la raison et n’aient plus l’âme malade. LIVRE VIII

Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII

En conséquence, nous n’insultons pas les démons d’ici-bas, mais nous condamnons leurs activités qui visent la perte du genre humain, car leur dessein est, sous prétexte d’oracles et de guérisons des corps et d’autres prodiges, de séparer de Dieu l’âme qui est tombée dans « le corps de misère ». Ceux qui ont compris cette misère s’écrient : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » Il n’est pas vrai non plus que nous livrons en vain notre corps à la torture et au supplice. On ne leur livre pas en vain son corps quand, parce qu’on refuse de proclamer dieux les démons qui entourent la terre, on est en butte à leurs attaques et à celles de leurs dévots. Il nous a même paru raisonnable de croire que c’est plaire à Dieu que se livrer à la torture pour la vertu, au supplice pour la piété, et à la mort pour la sainteté. Car « elle est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints. » Et nous affirmons qu’il est bon de ne pas aimer la vie. Mais Celse nous compare aux malfaiteurs qui méritent bien les souffrances qu’on leur inflige pour leur brigandage, et il ne rougit pas d’assimiler notre si beau dessein à celui des brigands. Par ces propos il est bien le frère de ceux qui comptèrent Jésus au nombre des scélérats, accomplissant l’oracle de l’Écriture : « Il a été mis au nombre des scélérats. » LIVRE VIII

Donc, malgré l’injonction de Celse de nous faire quitter la vie tous ensemble afin, pense-t-il, que notre engeance débarrasse totalement la surface de la terre, nous vivrons dans la dépendance de notre Créateur selon les lois de Dieu, ne voulant à aucun prix être esclaves des lois du péché. Nous prendrons femme si nous voulons et accepterons les enfants nous venant de ces mariages. Et s’il le faut, nous prendrons part aux joies de cette vie, supportant les maux qu’elle comporte comme des épreuves de l’âme. C’est le terme employé couramment par les divines Écritures pour désigner les afflictions des hommes. Par elles, comme l’or dans le feu, l’âme mise à l’épreuve est ou condamnée ou manifestée dans son admirable vertu. Et nous sommes si bien préparés aux maux dont nous parle Celse que nous allons jusqu’à dire : « Examine-moi Seigneur, éprouve-moi, brûle mes reins et mon coeur. » Car personne « ne sera couronné s’il n’a combattu selon les règles » dès maintenant sur terre avec son corps de misère. LIVRE VIII

Celse continue : Qu’en ces matières même les plus minimes il y ait un être auquel a été confiée l’autorité, on peut l’apprendre des Égyptiens. Ils disent que trente-six démons ou certains dieux de l’air ont reçu en charge le corps de l’homme distribué en autant de parties – d’autres parlent même d’un bien plus grand nombre -, et que chacun d’eux a reçu l’ordre de prendre en charge une de ces parties. Ils savent les noms de ces dieux dans la langue du pays : Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikal, Biou, Êrou, Êrébiou, Rhamanor, Rheianoor, et tous les autres qu’ils nomment dans leur langue. En les invoquant, ils guérissent les maladies des diverses parties. Qu’est-ce donc qui empêche d’honorer ceux-ci ou ceux-là si l’on préfère être en bonne santé plutôt que malade, avoir un vie heureuse plutôt que misérable, échapper autant que possible aux tortures et aux supplices ? LIVRE VIII

Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII

Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII

Puisqu’au témoignage même de cet ennemi de la vérité de Dieu il y a un tel risque en cette matière, combien vaut-il mieux écarter tout soupçon d’être absorbé par de tels démons, d’aimer le corps, de nous détourner des biens supérieurs, d’être retenu loin des biens supérieurs en les oubliant ; mais bien nous confier plutôt au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous présente un enseignement si admirable. On doit lui demander tout le secours et toute la protection de ses anges saints et justes, pour qu’ils nous arrachent aux démons terrestres absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, attirés par des incantations étranges, liés aux choses de ce genre. De l’aveu unanime, au dire de Celse, ils ne peuvent rien de mieux que guérir le corps. Moi, je dirais qu’il n’est même pas évident que ces démons, quel que soit le culte qu’on leur rende, puissent guérir les corps. Il faut, pour la guérison des corps, si on l’entend de la vie simple et commune, l’usage de la médecine ; et si on aspire à une vie supérieure à celle de la multitude, il y faut la piété envers le Dieu suprême et les prières qu’on lui adresse. LIVRE VIII

Considère toi-même la disposition qui agréera davantage au Dieu suprême dont la puissance est inégalable en tout ordre de choses, spécialement pour répandre sur les hommes les bienfaits de l’âme, du corps, des biens extérieurs. Sera-ce la consécration totale de soi-même à Dieu, ou la minutieuse recherche des noms, des pouvoirs, des activités des démons, des incantations, des plantes particulières aux démons, des pierres avec leurs inscriptions correspondant aux formes traditionnelles des démons symboliquement ou de tout autre manière ? Il est évident, même à une réflexion sommaire, que la disposition simple et sans vaine curiosité qui, de ce fait, se consacre au Dieu suprême, sera agréée de Dieu et de tous ses familiers. Au contraire, pour la santé physique, l’amour du corps, la réussite dans les choses indifférentes, se préoccuper des noms des démons, chercher comment charmer les dénions par des incantations, c’est vouloir être abandonné par Dieu, comme un être mauvais, impie et démoniaque plutôt qu’humain, aux démons qu’on choisit en prononçant ces formules, pour être tourmenté soit par les pensées que chacun d’eux suggère, soit par d’autres malheurs. Car il est vraisemblable que ces êtres, étant mauvais et, comme l’avoue Celse, rivés au sang, au fumet de graisse, aux incantations et autres choses de ce genre, ne gardent, même envers ceux qui leur offrent ces jouissances, ni leur foi ni, si l’on peut dire, leurs engagements. Car, que d’autres les invoquent contre ceux qui leur ont rendu un culte et qu’ils achètent leur service avec plus de sang, de fumet de graisse et de ce culte qu’ils exigent, ils peuvent s’en prendre à qui hier leur rendait un culte et leur donnait une part de ce festin qui leur est cher. LIVRE VIII

Celse a beau dire : Il faut donc rendre des honneurs religieux à ces êtres dans la mesure où c’est notre intérêt, car la raison n’exige pas de le faire sans réserve. Non, il ne faut pas rendre des honneurs aux démons rivés au fumet de graisse et au sang, mais tout faire pour éviter de profaner la divinité en la rabaissant jusqu’aux démons pervers. S’il avait eu une notion exacte de notre intérêt et vu que notre intérêt au sens propre c’est la vertu et l’action conforme à la vertu, Celse n’eût point usé de l’expression « dans la mesure où c’est notre intérêt » à propos de tels êtres en qui lui-même voit des démons. Pour nous, même si le culte de tels démons nous octroie la santé et la réussite temporelle, nous préférons subir la maladie et l’échec temporel avec la conscience d’une religion pure envers le Dieu de l’univers, plutôt que jouir de la santé du corps et de la réussite temporelle dues à la séparation et à la chute loin de Dieu, et finalement la maladie et la misère de l’âme. En somme, c’est à Celui qui n’éprouve nul besoin de rien sinon du salut des hommes et de tout être raisonnable, de préférence à ceux qui aspirent au fumet de graisse et au sang, qu’on doit s’attacher. LIVRE VIII

Il n’y a que le Dieu suprême dont on doive chercher la faveur et qu’on doive prier d’être propice, en cherchant sa faveur par la piété et toutes les vertus. Et si Celse veut, après le Dieu suprême, se rendre favorables d’autres protecteurs, il doit comprendre que, comme le corps qui se déplace est suivi du mouvement de son ombre, ainsi la faveur du Dieu suprême entraîne la bienveillance de tous ceux qui l’aiment : anges, âmes, esprits. Ils connaissent ceux qui méritent la faveur de Dieu, et non contents d’accorder leur bienveillance à ceux qui ont ce mérite, ils collaborent avec ceux qui veulent rendre un culte au Dieu suprême ; remplis de bienveillance, avec eux ils prient et ils intercèdent. En conséquence nous osons dire : quand des hommes aspirent de tout leur coeur aux meilleurs biens et offrent à Dieu leur prière, une foule de saintes puissances, même sans être invoquées, prient avec eux et assistent notre race périssable. Et, si j’ose dire, elles combattent à nos côtés, à cause des démons qu’elles voient combattre et lutter contre le salut de ceux-là surtout qui se vouent à Dieu et qui dédaignent la haine des démons, quelle que soit leur fureur contre l’homme qui évite de leur rendre un culte au moyen du fumet de graisse et de sang, mais s’applique de toute manière, par ses paroles et ses actions, à vivre dans la familiarité et l’union avec le Dieu suprême, grâce à Jésus : car Jésus a causé la défaite d’un nombre infini de démons quand il allait partout « guérissant et convertissant ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable. » LIVRE VIII

S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII

A celui qui peut saisir le sens profond de l’Écriture et comprendre tout ce passage, d’élucider la prophétie. Qu’il examine en particulier le sens de cette parole : après la destruction de toute la terre, sera redonnée « aux peuples une langue pour sa génération », comme elle était avant la Confusion. Qu’il considère les sens de ces paroles : « Afin qu’ils invoquent tous le nom du Seigneur, qu’ils le servent sous un seul joug », en sorte que soit ôté « le mépris de l’arrogance », et qu’il n’y ait plus d’injustice, de paroles vaines, de langue trompeuse. Voilà ce que j’ai cru bon de citer simplement et sans démonstration rigoureuse, à cause de Celse qui croit impossible que les habitants de l’Asie, de l’Europe, de la Libye, Grecs et barbares, s’accordent pour observer une seule loi. Peut-être en effet est-ce impossible pour ceux qui sont toujours dans les corps, mais non pour ceux qui en sont délivrés. Aussitôt après, Celse nous exhorte à secourir l’empereur de toutes nos forces, collaborer à ses justes entreprises, combattre pour lui, servir avec ses soldats s’il l’exige, et avec ses stratèges. LIVRE VIII