Que l’intelligence n’ait pas besoin d’un lieu pour se mouvoir selon sa nature, l’examen de notre intelligence elle-même nous en donne la certitude. En effet, si elle reste dans ses capacités, si elle n’est pas émoussée par quelque cause que ce soit, elle ne sera jamais empêchée d’agir de son mouvement propre par la diversité des lieux : de même la qualité des lieux ne lui donnera pas une augmentation ou un surplus de mobilité. Si quelqu’un objecte, par exemple, que les navigateurs, ballottés par les flots de la mer, ont une intelligence un peu moins vigoureuse que sur la terre ferme, cela ne vient pas de la diversité des lieux, mais des commotions et des troubles que subit le corps auquel l’intelligence est jointe et dans lequel elle est insérée. Il semble, en effet, en quelque sorte contre nature pour un corps humain de vivre dans la mer et pour cela, à cause de cette anomalie, il reçoit les mouvements de l’intelligence de façon déréglée et désordonnée et il gouverne ses impulsions pénétrantes d’une manière affaiblie. C’est aussi le cas de ceux qui, se trouvant sur la terre ferme, sont oppressés par les fièvres : il est certain en effet que si, sous l’action de la fièvre, l’intelligence accomplit un peu moins normalement son office, ce n’est pas la faute du lieu, mais c’est la maladie qui en est cause, car alors le corps troublé et bouleversé ne rend plus à l’intelligence les services accoutumés selon les règles connues et naturelles, puisque nous, les hommes, nous sommes des êtres vivants composés d’un assemblage de corps et d’âme; et c’est ainsi qu’il nous a été possible d’habiter sur la terre. Mais Dieu étant principe de tout, il ne faut pas penser qu’il soit composé : autrement, les éléments dont est composé tout ce qui est appelé un composé seraient antérieurs à lui, le principe. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section
Pour comprendre plus pleinement comment le Sauveur est une figure de la substance ou subsistance de Dieu, prenons un exemple qui, sans exprimer complètement ni proprement ce dont il s’agit, est choisi cependant parce que le Fils qui était sous la forme de Dieu s’est dépouillé de lui-même et, par ce dépouillement, a cherché à nous montrer la plénitude de la divinité. Supposons qu’on ait fait une statue tellement grande qu’elle contiendrait par sa grandeur le monde entier et qu’elle ne pourrait être vue de personne à cause de son immensité, et qu’on ait fait aussi une seconde statue, en tout semblable à l’autre par la configuration des membres et les traits du visage, par la forme et la matière, sans être cependant aussi grande : ceux qui ne pourraient pas examiner et contempler la première à cause de son immensité pourraient du moins, en voyant la petite, croire qu’ils ont vu la grande, puisqu’elles seraient absolument semblables par le dessin des membres et du visage, par la forme et la matière. Pareillement le Fils, se dépouillant de son égalité avec le Père pour nous montrer le chemin de la connaissance, devient la figure et expression de sa substance : ainsi, nous qui ne pouvons regarder la gloire de la pure lumière qui se trouve dans la grandeur de sa divinité, par le fait qu’il en devient pour nous le rayonnement, nous recevons le moyen de voir la lumière divine en contemplant son rayonnement. Cette comparaison des deux statues, appliquée à des objets matériels, ne doit avoir de sens que le suivant : le Fils de Dieu, inséré dans la forme minuscule d’un corps humain, indiquait en lui-même, par suite de la similitude de ses oeuvres et de sa puissance, la grandeur infinie et invisible de Dieu le Père présent en lui et c’est pourquoi il disait à ses disciples : Qui m’a vu a vu le Père, et : Le Père et moi nous sommes un. Dans le même sens il faut comprendre : Le Père est en moi et moi dans le Père. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section